Le géant américain de la distribution Amazon a annoncé mardi qu’il déclarait désormais ses revenus dans quatre grands pays européens, et qu’il allait le faire en France, ce qui semble signer la fin d’une pratique d’optimisation fiscale dans le collimateur de la Commission européenne.
« Depuis le 1er mai », le groupe de Seattle comptabilise ses ventes à partir de branches nationales au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, et non plus à partir du Luxembourg, comme il le faisait jusqu’ici.
Le groupe précise travailler à l’ouverture d’une filiale en France.
« Nous examinons régulièrement nos structures afin de nous assurer que nous pouvons servir nos clients aussi bien que possible et proposer des produits et services supplémentaires », assure le groupe, qui ajoute que l’établissement de ces filiales locales en Europe a commencé « il y a plus de deux ans. »
Déclarer ses revenus pays par pays implique de payer des impôts dans ces pays, chose que ne faisait pas Amazon auparavant.
Jusqu’ici, Amazon relocalisait ses bénéfices européens vers son siège au Luxembourg, pays à la fiscalité avantageuse, ce qui lui permettait d’alléger considérablement sa facture fiscale. Ces pratiques d’optimisation sont légales, mais de plus en plus contestées au niveau européen, en particulier depuis que les Etats sont confrontés à des situations budgétaires dégradées du fait de la crise.
Amazon fait en effet partie des grandes entreprises dans le collimateur de Bruxelles pour des montages fiscaux au Luxembourg et ailleurs: à l’instar d’Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-Bas et Fiat au Luxembourg, la Commission européenne a lancé une enquête sur les pratiques du groupe américain avant l’explosion du scandale Luxleaks.
La Commission s’était dans un premier temps engagée à conclure ces procédures, pouvant à terme conduire à des sanctions contre les États mis en cause, à la fin du deuxième trimestre 2015.
« Ce délai ne sera pas tenu », a prévenu début mai la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, se refusant à fixer un nouveau calendrier. Elle a invoqué la complexité des vérifications à mener, et la nécessité pour la Commission de ne pas prêter le flanc à des contestations.
– « Aveu incroyable » –
En mars, le gouvernement britannique a par ailleurs confirmé la mise en place d’une « Google tax », du nom du groupe américain régulièrement critiqué pour ses pratiques d’optimisation fiscale, qui doit taxer à 25% les bénéfices que les multinationales « font sortir artificiellement du pays ».
L’annonce d’Amazon « est un aveu incroyable », a réagi l’économiste Thomas Piketty sur la radio française France Inter, estimant qu’il fallait « réclamer la note sur les années passées » et mettre en place un « impôt commun sur les sociétés » en Europe.
Plus globalement, les pressions se multiplient au niveau mondial contre ces pratiques d’évitement fiscal, le G20 et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ayant lancé depuis plusieurs mois une offensive internationale.
« La décision d’Amazon montre qu’au plan politique, il faut soutenir l’adoption sous l’égide du G20 d’un plan fort contre l’optimisation fiscale. Il n’est pas possible d’échouer », a réagi auprès de l’AFP Pascal Saint-Amans, directeur de la fiscalité à l’OCDE, qui fait valoir que les entreprises, si elles prennent des engagements de transparence, continuent à mener « un lobbying extrêmement dur », relayé par certains gouvernements.
En France, un rapport académique publié en mars appelait à l’instauration de nouvelles taxes à court terme visant les géants du web, notamment Amazon. Il suggérait une taxe sur la valeur des revenus publicitaires des entreprises, un indicateur utilisé comme une approximation des profits générés dans un pays, alors que le fisc peine aujourd’hui à évaluer et localiser ces profits.
Cette affaire appelle plusieurs réflexions qui ne sont pas toutes négatives du point de vue de la communication d’Amazon autour de sa gestion de crise.
En premier lieu, on ne peut que se féliciter de cette réaction du groupe Amazon…
Amazon a fini par adopter une communication de crise, ne se dissimulant plus totalement derrière son petit doigt…
Cette attitude offensive était nécessaire pour circonscrire les retombées d’une affaire dont l’ampleur exacte est encore inconnue, alors qu’elle survient dans un contexte de suspicion accrue des consommateurs …
Cet état d’esprit nouveau de nos compatriotes appelait une réaction rapide et ferme du groupe. Les lobbyistes du groupe ont su se faire oublier. C’était leur intérêt.
Quand la population veut une explication, il faut la lui-donner juge-t-on à LaFrenchCom. Quand les consommateurs-citoyens veulent un changement légitime, il faut la leur-offrir avant que l’opinion publique se mobilise contre votre marques, remette en cause vos valeurs et abime votre image de marque, insiste un expert en gestion de crise. Ne pas réagir, c’est prendre le risque d’avoir à affronter des appels au boycott par exemple. Un risque qui révèle à quel point la gestion et la communication de crise sont une affaire délicate.
Amazon devra généraliser cette communication de crise pour ne pas risquer de ruiner tous ses efforts, et de mettre en péril toute sa réputation. Ce point est d’autant plus crucial pour éviter que la polémique ne gonfle qu’Amazon est déjà accusé d’avoir imposé à ses salariés des conditions de travail très difficiles. Ainsi, en fin d’année 2013, un article du Monde titrait « Les travailleurs chez Amazon ont des conditions de travail dignes du XIXe siècle ».
Amazon a visiblement tenté de respecter les règles incontournables de la communication de crise :
- Responsabilité : Assumer, ne pas se défausser.
- Empathie : Savoir se mettre dans la logique des victimes et du public.
- Transparence : Si les entreprises ne peuvent pas être transparentes sur tout, elles peuvent montrer qu’elles sont à l’écoute.
- Mobilisation : Tirer des leçons pour l’avenir.
N’oublions jamais les précédents d’Enron ou les faillites de banques américaines : ce sont souvent des géants aux pieds d’argile.
Comme a dit le Maréchal Foch à la bataille de la Marne
« Je ne sais pas qui l’a gagnée mais je sais très bien qui l’aurait perdue ».