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Adapter la communication de crise aux jeunes générations

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La transformation numérique a profondément modifié la manière dont les jeunes générations s’informent et réagissent face aux crises rappelle Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom. Les moins de 30 ans – Millennials et membres de la Génération Z – privilégient massivement les canaux en ligne et les réseaux sociaux pour accéder aux nouvelles, bien plus que les médias traditionnels​. En Finlande, par exemple, les autorités ont constaté que les médias classiques comme la télévision ne touchaient plus efficacement le jeune public, qui obtient désormais surtout ses informations via les plateformes sociales​. Parallèlement, ces publics jeunes n’hésitent pas à prendre la parole en ligne pour commenter ou critiquer en temps réel la gestion d’une crise. Une maladresse de communication peut ainsi engendrer instantanément une vague d’indignation virale au-delà des frontières. En 2018, H&M en a fait l’expérience lorsqu’une publicité perçue comme raciste a suscité un tollé mondial sur les réseaux sociaux – amplifié par des célébrités suivies par les jeunes – contraignant la marque à retirer l’annonce et à présenter des excuses publiques dès le lendemain​.

En outre, il existe un véritable déficit de confiance des jeunes envers les institutions et le discours officiel. Les enquêtes montrent que la confiance implicite de la Génération Z dans les institutions traditionnelles (gouvernement, médias, grandes entreprises) est nettement plus faible que celle de leurs aînés​. En situation de crise, les messages purement institutionnels, s’ils ne sont pas adaptés, risquent donc d’être accueillis avec scepticisme par les jeunes. Ces derniers sont également particulièrement exposés à la désinformation en ligne: lors de récentes crises sanitaires, un flot de rumeurs et de « fake news » circulant sur les réseaux a pu semer la confusion parmi les plus jeunes​. Tous ces facteurs soulignent qu’adapter les stratégies de communication de crise aux jeunes générations n’est plus un luxe, mais une nécessité. Il s’agit de toucher un public hyperconnecté, volatil et exigeant, en repensant les canaux, le ton et l’interactivité des messages de crise.

Comprendre les jeunes générations face aux crises

Avant de définir des stratégies, il est important de cerner ce qui caractérise les jeunes générations en tant que récepteur de la communication de crise. Quelques traits saillants peuvent être soulignés:

  • Une consommation d’information très numérique et en temps réel: Les 15-30 ans sont des digital natives qui évoluent en permanence entre diverses plateformes en ligne. Ils s’informent via les réseaux sociaux, les sites web et les applications mobiles bien plus que par la télévision ou la presse écrite. D’après le gouvernement finlandais, la plupart des jeunes obtiennent leurs nouvelles d’abord via les médias sociaux plutôt qu’à travers les canaux traditionnels​. Cette connexion quasi permanente signifie aussi que l’information circule extrêmement vite dans ce segment de la population. Les jeunes s’attendent à recevoir des nouvelles rapidement lorsqu’un événement survient. Habitués aux notifications instantanées, ils peuvent se montrer frustrés en cas d’attente prolongée d’informations pendant une crise​.

  • Une préférence pour les contenus brefs, visuels et incarnés: Élevée à l’ère de la surinformation, la jeune génération développe souvent une attention volatile. Des messages de crise longs, purement textuels ou trop institutionnels risquent de ne pas retenir leur attention. À l’inverse, ils répondent mieux à des formats courts et percutants (vidéos d’une minute, infographies, posts visuels sur Instagram/TikTok) et à un ton plus direct et personnalisé. Par ailleurs, les jeunes ont tendance à accorder davantage de crédit à des pairs ou à des personnalités auxquelles ils s’identifient. À tel point que certains jeunes font plus confiance aux influenceurs sur les réseaux sociaux qu’aux médias traditionnels pour s’informer​. Ce constat explique que les communications de crise qui incarnent le message (via un porte-parole reconnu des jeunes, par exemple) gagnent en efficacité.

  • Une faible tolérance à l’opacité et au langage technocratique: En lien avec la défiance vis-à-vis des institutions mentionnée plus haut, les publics jeunes attendent des organisations qu’elles communiquent de façon transparente et honnête pendant les crises. Ayant grandi avec Internet, qui offre un accès rapide aux faits et la possibilité de confronter les versions, ils détectent relativement vite les éléments de langage creux, les omissions volontaires ou les discours trop bureaucratiques. Un message de crise jugé trop « langue de bois » ou pas assez clair pourra être immédiatement critiqué en ligne et perdre en crédibilité. À l’inverse, ils valorisent l’authenticité – une tonalité humaine, empathique et responsable.

  • Un engagement et un esprit critique accrus: Les jeunes générations sont souvent promptes à réagir aux crises, non seulement en consommant l’information mais aussi en la diffusant ou en la commentant. Ils peuvent jouer un rôle actif en relayant des messages (ou des contre-messages) de crise. Cela peut être un atout, par exemple lorsque des jeunes bénévoles s’organisent pour partager des consignes de sécurité ou combattre des rumeurs. On l’a vu au Mexique avec le mouvement citoyen #Verificado19S après le séisme de 2017, où de jeunes volontaires ont utilisé Twitter et des outils collaboratifs pour vérifier et diffuser des informations fiables en temps réel, suppléant en partie les canaux officiels. Mais cet engagement signifie aussi qu’une communication de crise mal maîtrisée sera immédiatement scrutée et critiquée. Les jeunes n’hésitent pas à interpeller directement les organisations sur Twitter, Facebook ou Instagram, et attendent en retour des réponses rapides. Ignorer ces interpellations ou fournir des réponses évasives peut sérieusement entamer la confiance.

En résumé, communiquer vers les jeunes en situation de crise impose de composer avec un public ultra-connecté, réactif et exigeant en termes de transparence. Il faut donc adopter une approche spécifique plutôt que de se reposer uniquement sur les recettes de communication qui fonctionnaient avec le grand public il y a 20 ans.

Adapter la stratégie de communication de crise aux jeunes: principes clés

Choisir les canaux de communication privilégiés par les jeunes

Le premier levier d’adaptation consiste à emprunter les canaux de communication qu’utilisent les jeunes au quotidien. Il s’agit d’aller diffuser l’information de crise là où l’audience jeune est la plus présente et la plus réactive, plutôt que de se cantonner aux canaux institutionnels classiques.

Concrètement, cela signifie miser sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram, Facebook, TikTok, YouTube…) ainsi que sur les applications de messagerie instantanée (WhatsApp, Messenger, Snapchat) et les supports mobiles (alertes SMS, notifications push d’appli). Ces médiums offrent l’avantage de la rapidité et d’une large audience chez les 15-30 ans. À l’inverse, un communiqué de presse ou une conférence télévisée aura un impact très limité sur cette tranche d’âge si elle n’est pas relayée en ligne.

L’exemple de la Finlande pendant la pandémie de Covid-19 illustre bien cette nécessité d’adapter les canaux. Les autorités finlandaises ont admis que leurs communications officielles ne touchaient pas efficacement tout le monde, en particulier les plus jeunes, via les médias traditionnels​. Pour y remédier, le gouvernement a intégré les influenceurs des réseaux sociaux dans son dispositif de crise. Helsinki a même officiellement classé les influenceurs au rang d’“acteurs critiques” de la société en temps de crise, aux côtés des médecins et des services essentiels​. Leur rôle reconnu est de relayer les consignes gouvernementales sur les réseaux sociaux et d’atteindre ainsi des publics qui échapperaient aux canaux classiques. Cette collaboration public-privé s’est concrétisée par un partenariat avec une agence spécialisée, permettant de diffuser des messages adaptés via un réseau d’environ 1 500 influenceurs volontaires. L’objectif était que chaque segment du jeune public reçoive l’information d’une source qu’il suit régulièrement – « Même un lycéen qui a 1 000 abonnés peut apporter sa pierre en partageant les consignes, ce n’est pas négligeable », expliquait la coordinatrice du projet​. Ce dispositif a permis au gouvernement finlandais d’atteindre efficacement les adolescents et jeunes adultes sur Instagram, YouTube ou TikTok, là où un bulletin télévisé n’aurait eu que peu d’écho.

De manière générale, multiplier les canaux de diffusion est une bonne pratique pour toucher un public jeune fragmenté sur diverses plateformes. Il faut être présent sur plusieurs fronts à la fois: réseaux sociaux principaux, éventuellement plateformes plus underground si cela s’y prête, mais aussi SMS et emails. Par exemple, pour une alerte d’urgence, envoyer un message texte ou une notification mobile augmente les chances de joindre les jeunes, là où un appel téléphonique risque d’être ignoré s’il provient d’un numéro inconnu​. Une étude récente a d’ailleurs montré que près de 60 % des millennials et membres de la Gen Z préfèrent recevoir des informations par messagerie (texto, messagerie sociale) ou email plutôt que via un appel vocal​. “Jeter un large filet” en diversifiant les canaux assure que l’information ait plus de chances de parvenir aux jeunes, qui ont chacun leurs usages numériques propres.

Enfin, il convient d’adapter chaque message au canal choisi. Un communiqué détaillé conviendra en pièce jointe d’email, mais sur Twitter il faudra condenser en 280 caractères avec éventuellement un lien pour plus d’infos. Sur Instagram ou Snapchat, un visuel ou une courte vidéo sera plus approprié. Le fond doit s’accompagner d’une forme pensée pour chaque plateforme fréquentée par les jeunes. L’utilisation des réseaux sociaux en crise impose donc d’en maîtriser les codes, ce qui nous amène au point suivant sur le ton et le style.

Adopter un ton et un format de message adaptés

S’exprimer sur les canaux plébiscités par les jeunes ne suffit pas – encore faut-il le faire avec le bon ton et sous un format attrayant pour ce public. Adapter le style de communication est crucial pour capter l’attention et faire passer efficacement le message de crise auprès d’une génération au comportement médiatique spécifique.

Quelques principes d’adaptation du message peuvent être mis en avant:

  • Clarté et simplicité du langage: En situation de crise, l’anxiété et l’afflux d’informations peuvent submerger le public. Il est impératif d’utiliser un langage clair, compréhensible par tous, en évitant le jargon technique ou le formalisme excessif. Avec un public jeune, un style trop soutenu ou bureaucratique risque d’être immédiatement décroché. Mieux vaut adopter un ton conversationnel (tout en restant professionnel), proche de la façon dont les jeunes s’expriment entre eux, afin de paraître accessible. Par exemple, ne pas hésiter à expliquer les termes complexes, voire à utiliser des analogies parlantes ou des émojis pertinents sur les réseaux sociaux si le contexte s’y prête. L’important est que le message soit immédiatement intelligible par un public de non-spécialistes.

  • Brièveté et percutant: Les jeunes consommateurs d’information zappent très vite d’un contenu à l’autre. Il faut donc aller droit au but. Les messages de crise destinés aux réseaux sociaux doivent être concis, avec les faits essentiels présentés dès le début. Des phrases courtes, un vocabulaire simple et éventuellement un découpage en points-clés (par exemple sous forme de liste sur Twitter ou d’une infographie en story Instagram) amélioreront la lisibilité. Si le contenu détaillé est disponible ailleurs (communiqué complet, article, site web), on peut insérer le lien mais le message initial doit pouvoir se suffire à lui-même en termes de compréhension.

  • Visuel attractif: L’adage « une image vaut mille mots » prend toute son importance avec la génération Instagram/TikTok. Intégrer des éléments visuels aux communications de crise peut grandement en augmenter l’impact sur les jeunes. Il peut s’agir de vidéos explicatives courtes, de graphiques illustrant une situation, de photos chocs (avec prudence) ou de visuels animés. Ces formats captent l’attention en faisant une pause dans le flux textuel continu. Par exemple, publier une courte vidéo sous-titrée où un porte-parole explique la situation donnera davantage envie de cliquer qu’un long paragraphe. De même, sur Snapchat ou Instagram, le recours à des stories avec du texte incrusté et des images permettra de délivrer plusieurs messages de manière séquencée et ludique. L’esthétique compte également: soigner la présentation, utiliser les codes graphiques actuels (couleurs, typographies appréciées des jeunes) renforce l’adhésion au message.

  • Ton adapté et créativité: Selon la nature de la crise, il peut être bénéfique d’adopter un ton adapté à la culture jeune, sans pour autant manquer de sérieux. Cela peut aller jusqu’à l’utilisation prudente d’humour ou de références partagées (mèmes Internet, clins d’œil culturels) dans le cas de crises mineures ou lorsqu’il s’agit de dédramatiser sans minimiser. Un ton empathique et humain fonctionne généralement bien. Montrer qu’on comprend les préoccupations du public jeune, éventuellement en employant le « nous » inclusif et en évitant les tournures trop autoritaires, crée un lien plus fort. Dans certains cas, un registre légèrement humoristique ou décalé peut aider à faire passer un message de prévention auprès des jeunes, à condition que le sujet le permette et que l’humour soit bien ciblé.

Un exemple parlant de format et de ton adaptés est la réponse de la marque Tide face au dangereux « Tide Pod Challenge » en 2018. Ce défi viral incitait des adolescents à croquer dans des dosettes de lessive colorées, filmant leurs exploits sur Internet, ce qui constituait un grave risque d’empoisonnement. Pour contrer cette tendance sur les réseaux sociaux, Procter & Gamble (maison-mère de Tide) a évité de publier de longs communiqués moralisateurs qui auraient peu touché le public jeune. À la place, la marque a diffusé une série de messages courts, visuels et marquants sur Twitter et YouTube, adoptant les codes des mèmes Internet. Par exemple, Tide a publié des images et courtes vidéos reprenant l’esthétique des posts viraux, avec des slogans clairs du type « Ne mangez pas les Tide Pods » intégrés dans des visuels humoristiques. Ces publications étaient accrocheuses, facilement partagées par les utilisateurs, et bien plus efficaces qu’un simple texte « officiel ». Des experts en communication ont salué cette approche pour son caractère créatif et engageant« Ils n’ont pas juste tweeté du texte en disant ‘Ne faites pas ça’. Ils ont créé des posts façon mème, très attrayants et plutôt drôles, que les gens peuvent repartager »​. Ce contenu adapté au langage Internet a permis de diffuser le message de prévention largement parmi les jeunes, tout en limitant le caractère rébarbatif du rappel à l’ordre.

Enfin, adapter le ton implique aussi de garder une cohérence avec l’image de l’émetteur. Une institution publique peut adopter un ton plus simple et direct, mais devra veiller à rester crédible. Une marque grand public pourra se permettre un peu plus d’humour éventuellement. L’important est que le registre choisi ne soit pas perçu comme artificiel. Les jeunes détectent assez vite quand une organisation force un langage qui n’est pas le sien. Par exemple, multiplier les expressions d’argot adolescent de manière maladroite serait contre-productif. Il faut donc trouver un équilibre entre accessibilité et authenticité du ton employé.

Faire preuve de réactivité: communiquer vite et régulièrement

En matière de communication de crise, la rapidité de réaction est souvent déterminante, et c’est d’autant plus vrai avec un public jeune connecté en permanence. Adresser un message pertinent au bon moment peut permettre de garder le contrôle du récit de la crise, tandis qu’un silence prolongé risque de laisser prospérer la désinformation et la colère.

Les jeunes générations, habituées à l’instantanéité des réseaux, s’attendent à ce que l’information circule en temps réel. Ils sont souvent en quête de gratification immédiate dans l’accès aux nouvelles; s’ils ne trouvent pas rapidement de réponse officielle à leurs questions, ils chercheront ailleurs (forums, réseaux sociaux, rumeurs) ou exprimeront leur frustration. Ainsi, laisser un vide d’information durant les premières heures critiques d’une crise peut être très dommageable. Des études montrent que les jeunes peuvent se sentir stressés et irrités face à une attente prolongée d’informations lors d’un événement anxiogène​. Il est donc fortement recommandé de communiquer le plus tôt possible après le déclenchement d’une crise, même si toutes les informations ne sont pas encore disponibles. Un court message initial du type « Nous sommes au courant de l’incident X, nous rassemblons actuellement les informations et reviendrons vers vous sous peu » est infiniment préférable à un silence radio, car il démontre que l’organisation est active et consciente de la situation.

Cette réactivité doit s’accompagner d’une certaine régularité dans les mises à jour. Pour les jeunes qui suivent l’actualité en direct sur leur smartphone, il est rassurant de voir des updates fréquents, même pour dire « rien de neuf depuis la dernière heure ». Durant une crise, les organisations devraient idéalement publier des points de situation à intervalles réguliers (toutes les heures par exemple sur Twitter, ou en story continue sur Instagram) afin de tenir les jeunes informés de l’évolution en temps quasi-réel. Ce suivi continu réduit l’incertitude et montre que la situation est surveillée de près. Bien entendu, les informations doivent être fiables – il ne s’agit pas de poster pour poster, mais même un « nous n’avons pas d’éléments nouveaux pour le moment » est utile si aucune progression ne s’est produite depuis un moment.

Prenons de nouveau l’exemple du Tide Pod Challenge. Confrontée à cette crise atypique, la réaction de P&G a été extrêmement rapide et coordonnée. La direction a immédiatement reconnu le problème et, dès les premiers jours, a pris des mesures visibles: l’entreprise a travaillé en urgence avec YouTube pour faire retirer les vidéos de jeunes se filmant en train d’ingérer des pods, afin de limiter la propagation du phénomène, et simultanément elle a inondé les réseaux sociaux de messages de prévention et de mises en garde​. En agissant dans la foulée de l’émergence du défi viral, P&G a pu reprendre l’initiative du narratif – montrant qu’elle prenait la menace au sérieux – et empêcher que le silence n’entraîne une aggravation du phénomène. Cette proactivité a sans doute contribué à limiter le nombre d’imitations dangereuses du challenge.

À l’inverse, un manque de réactivité peut aggraver les torts aux yeux du public jeune. Le cas du festival Astroworld en 2021 l’illustre tragiquement. Lors de ce concert géant à Houston, un mouvement de foule a provoqué la mort de plusieurs personnes et des centaines de blessés, un drame aussitôt relayé sur les réseaux par des spectateurs choqués. Or, l’artiste principal et organisateur de l’événement, le rappeur Travis Scott, a tardé avant de s’exprimer publiquement sur l’accident. Son premier message est arrivé plusieurs heures après, et sa communication a été jugée non seulement maladroite (nous y reviendrons) mais surtout trop tardive compte tenu de la gravité des faits​. De l’avis général, il aurait dû interrompre son concert plus tôt et prendre la parole immédiatement pour adresser la situation. Ce délai dans la réponse a laissé le champ libre à une énorme colère sur les réseaux tout au long de la nuit, les fans et les familles exprimant leur détresse sans cadre officiel. Le manque de promptitude de Travis Scott a été perçu comme de l’indifférence, exacerbant encore l’indignation en ligne. Ce cas montre qu’aux yeux des jeunes publics, “pas de réponse rapide” équivaut à “pas de réponse du tout” – et ce vide est comblé par les émotions et les spéculations du public.

En somme, pour s’adresser efficacement aux jeunes en temps de crise, il faut intégrer cette notion de timing comme prioritaire: communiquer vite, et souvent. Quitte à ce que les informations initiales soient partielles (en le précisant avec transparence), il est stratégique d’occuper l’espace médiatique dès le départ pour instaurer une relation de confiance. La réactivité démontre la maîtrise et l’empathie – deux qualités que le public attend de la part d’un communicateur de crise.

Faire preuve de transparence et d’authenticité dans le message

Si la vitesse est essentielle, le contenu du message l’est tout autant. Avec un public jeune particulièrement critique vis-à-vis du langage corporate, il est impératif de faire preuve de sincérité, d’honnêteté et de transparence dans la communication de crise.

Rappelons que la confiance envers la parole institutionnelle est précaire chez les jeunes​. La moindre dissimulation, le moindre mensonge pris en flagrant délit, pourrait détruire cette confiance pour de bon et amplifier la crise. À l’inverse, parler vrai et assumer ses responsabilités peut gagner le respect de ce public, même en cas d’erreur de l’organisation à la base. Voici quelques lignes directrices pour une communication authentique :

  • Reconnaître la gravité de la situation: Minimiser indûment un problème sérieux est généralement une mauvaise idée, en particulier avec des jeunes très au fait de l’actualité sur internet. Il vaut mieux reconnaître qu’un incident est grave si c’est le cas, exprimer de la compassion envers les victimes/personnées affectées, et indiquer que l’on traite la question avec toute l’attention nécessaire. Un ton empathique et humble est de mise. Par exemple, après une catastrophe ou un scandale, commencer sa communication par un mot de solidarité ou d’excuses envers ceux qui souffrent montre qu’on a une approche humaine avant tout.

  • Admettre ce qui est inconnu et éviter les spéculations: La transparence, ce n’est pas tout dire n’importe comment, c’est aussi savoir dire « nous ne savons pas encore ». Face à des jeunes abreuvés de rumeurs en ligne, il peut être tentant de donner des réponses rapides même sans certitude, mais cela peut se retourner contre l’émetteur si l’information s’avère fausse ensuite. Il vaut mieux déclarer clairement ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas encore, afin d’être crédible. Cette honnêteté intellectuelle sera appréciée sur le long terme – promettre de revenir avec plus de détails dès que possible, plutôt que d’inventer ou de cacher des choses.

  • Assumer les torts et présenter des excuses sincères si nécessaire: Si la crise est due à une erreur de l’organisation (produit défectueux, faute professionnelle, communication initiale ratée…), la jeune génération attendra qu’on prenne ses responsabilités. Des excuses plates ou diluées dans du jargon ne suffiront pas. Au contraire, un mea culpa clair, sans tourner autour du pot, est souvent le meilleur moyen de commencer à reconstruire la confiance. Cela implique d’éviter les formulations du type « Nous regrettons que vous ayez pu être offensés » (perçues comme hypocrites) et de privilégier un franc « Nous avons eu tort, nous sommes désolés et voici ce que nous allons faire pour rectifier la situation. ». Ce genre de transparence radicale est risqué politiquement, mais auprès des jeunes il est souvent payant en terme de réputation. Montrer qu’on a compris la leçon est crucial.

Un contre-exemple instructif est encore celui de Travis Scott et de son message post-Astroworld. Lorsque finalement il s’est exprimé, le rappeur a publié sur Instagram une vidéo d’excuses. Cependant, ce message a été très mal reçu par une grande partie du public – notamment les jeunes fans – car il sonnait creux et détaché. Dans son allocution, Travis Scott disait être dévasté par ce qui s’était passé et offrait de payer les frais d’obsèques des victimes, mais il n’a à aucun moment reconnu sa part de responsabilité dans le drame (par exemple le fait d’avoir continué le concert trop longtemps) et son attitude semblait désinvolte​. Immédiatement, les réseaux sociaux se sont enflammés pour critiquer des excuses jugées peu sincères et purement défensives. Des experts en communication de crise ont souligné qu’une excuse insincère – où l’on exprime un regret sans assumer clairement la faute – peut empirer la situation en frustrant encore plus les parties prenantes​. C’est exactement ce qui s’est passé: loin d’apaiser les tensions, la vidéo de Travis Scott a été moquée (détournée en mèmes montrant son manque d’émotion), et la défiance envers lui n’a fait que croître. Ce cas souligne que les jeunes sont très sensibles à la sincérité perçue d’un message: toute contradiction ou esquive sera scrutée.

À l’inverse, regardons comment la marque H&M a réagi face à la crise de la publicité raciste mentionnée en introduction. Dès que la polémique a explosé sur internet, l’entreprise a publié un communiqué dans lequel elle a présenté des excuses sans ambiguïté et reconnu que l’image était inappropriée (« Our position is simple and unequivocal – we have got this wrong and we are deeply sorry. »)​. H&M a assumé son erreur pleinement, sans chercher à se défausser sur un prétendu malentendu. Mieux, la marque a annoncé qu’elle allait revoir ses procédures internes (en matière de validation de campagnes marketing) pour s’assurer que ce type d’incident ne se reproduise plus​. En agissant ainsi, H&M a montré qu’elle prenait le problème au sérieux et qu’elle était prête à se remettre en question. Cette transparence – admettre la faute et expliquer comment on va changer – a été déterminante pour commencer à calmer l’indignation du public jeune, très mobilisé sur ce sujet de racisme dans la mode. Bien sûr, tout n’a pas été instantanément pardonné, mais l’approche franche de H&M a été mieux accueillie que si la marque avait nié ou minimisé le problème.

La gestion du Tide Pod Challenge fournit également un exemple de communication transparente réussie. Bien que P&G n’ait pas eu de « faute » initiale (la mauvaise utilisation de son produit relevait d’une mode internet imprévisible), l’entreprise a choisi de communiquer abondamment sur les mesures de sécurité qu’elle prenait et sur sa préoccupation sincère pour la santé des consommateurs. Un commentateur notait que Tide pouvait presque tirer avantage de la situation car cela lui permettait de démontrer qu’elle était une entreprise responsable et soucieuse du bien-être de ses clients​. En effet, en plus des messages de prévention humoristiques, P&G a multiplié les déclarations pour rappeler qu’ils travaillent à la sécurité de leurs produits (par exemple en ayant déjà ajouté un agent au goût amer sur les dosettes pour décourager toute ingestion, et en concevant des emballages plus difficiles à ouvrir par des enfants). Cette stratégie de sur-transparence a eu un double effet: elle a informé le public jeune des dangers concrets (certains n’en avaient pas conscience au départ), et elle a renforcé l’image de marque de Tide comme acteur proactif et bienveillant. Comme l’a souligné un professeur de marketing, « du point de vue de la gestion de marque en crise, Tide a fait tout ce qu’il fallait: ils ont été très clairs dans leurs communications avec les consommateurs, montrant qu’ils sont de “bons citoyens” et qu’ils se soucient d’eux »​.

En somme, l’authenticité doit transparaître dans chaque message de crise destiné aux jeunes. Il faut parler vrai, admettre ce qui doit l’être, exprimer de l’empathie et tenir ses promesses d’action. Ce qui compte n’est pas d’être parfait – les jeunes peuvent pardonner une erreur – mais d’être honnête et responsable. Une communication transparente crée une relation de confiance à long terme, ce qui est précieux pour surmonter non seulement la crise actuelle mais aussi celles à venir.

Engager le dialogue et impliquer les jeunes dans la communication

Le paradigme de la communication de crise a évolué d’un schéma unilatéral (une source officielle délivrant un message à un public passif) vers un modèle participatif et interactif, particulièrement avec l’essor des médias sociaux. Pour toucher efficacement les jeunes, il est crucial d’instaurer un dialogue plutôt que de rester dans une communication descendante. Mieux, on peut chercher à impliquer directement les jeunes dans la diffusion des messages, en s’appuyant sur leurs réseaux et leurs voix.

Plusieurs approches peuvent être combinées dans cet esprit:

  • Interaction sur les réseaux sociaux: Gérer une crise sur les réseaux implique de sortir du monologue. Les organisations doivent être prêtes à répondre aux commentaires, aux questions et aux messages privés que les jeunes pourraient envoyer suite à une publication de crise. Le community manager (ou l’équipe de communication) doit activement modérer et participer aux échanges en ligne. Par exemple, si de jeunes internautes posent des questions sous un tweet de crise, il est recommandé de leur répondre publiquement dès que possible, afin que tout le monde bénéficie de l’information. De même, corriger poliment une rumeur ou une fausse information partagée par un utilisateur peut éviter qu’elle ne se propage davantage. Cette disponibilité au dialogue montre qu’on prend en compte les préoccupations du public et qu’on ne se contente pas de délivrer une ligne officielle intangible. Cela humanise la communication de crise. Bien sûr, il faut des ressources pour gérer potentiellement un grand volume d’interactions, mais même quelques réponses bien ciblées peuvent faire la différence auprès des jeunes, qui se sentent alors écoutés.

  • Espaces d’expression dédiés: Il peut être utile de créer des canaux de communication dédiés où le public, y compris les jeunes, peut se renseigner et s’exprimer pendant la crise. Par exemple, mettre en place un hashtag spécifique sur Twitter pour centraliser la discussion (et encourager les jeunes à l’utiliser pour poser leurs questions ou partager leurs expériences) permet de mieux suivre et modérer les échanges. Des sessions de questions-réponses en direct (live Twitter Spaces, live Instagram/Facebook, Reddit AMA, etc.) peuvent aussi être organisées avec un responsable qui répond directement aux interrogations du public en temps réel. Les jeunes apprécient souvent ces formats interactifs où ils peuvent intervenir directement. Cela permet en outre de diffuser largement les réponses apportées, donc de réduire l’incertitude. L’important est d’accompagner la diffusion d’information d’une écoute active de la part de l’organisation.

  • Recours aux influenceurs et relais d’opinion jeunes: Comme évoqué dans la partie sur les canaux, impliquer des personnes que les jeunes écoutent est un moyen puissant de faire passer un message. On pense aux influenceurs (YouTubeurs, Instagrammeurs, TikTokeurs, blogueurs) et plus largement aux leaders d’opinion de la génération concernée – cela peut être des artistes, des sportifs, ou même de simples membres de la communauté très suivis en ligne. Collaborer avec eux dans la communication de crise peut prendre plusieurs formes. Ce peut être en les informant en amont pour qu’ils relaient eux-mêmes les consignes ou démentent les rumeurs. Ou bien en les invitant à participer à des campagnes de sensibilisation ciblées. L’exemple de la Finlande cité plus haut rentre dans cette logique: les autorités ont travaillé main dans la main avec des influenceurs, y compris de jeunes étudiants suivis par leurs pairs, pour diffuser les messages de crise de manière crédible auprès de la jeunesse​. Un influenceur qui relaie une consigne sanitaire en faisant une story Instagram personnelle aura souvent plus d’impact sur de jeunes abonnés qu’un post direct du compte officiel du ministère. De même, P&G a fait appel à des personnalités appréciées des jeunes pour amplifier sa campagne Tide Pod: la marque a notamment diffusé une vidéo où un célèbre joueur de football américain, Rob Gronkowski, s’adressait aux jeunes en leur disant en substance « Ne faites pas cette bêtise »​. Utiliser la voix d’une star sportive connue des ados a permis de toucher un public qui n’aurait peut-être pas écouté la marque elle-même.

  • Empowerment: faire des jeunes des acteurs de la communication: Aller plus loin encore, c’est donner aux jeunes un rôle direct dans la diffusion d’informations de crise. Les organisations, notamment dans le domaine public ou humanitaire, peuvent impliquer des volontaires ou des représentants de la jeunesse dans leur stratégie de communication. L’UNICEF a par exemple misé sur cette approche lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. En République Démocratique du Congo, où la maladie menaçait de se répandre, l’UNICEF a formé et encadré un réseau d’une trentaine de jeunes “reporters” dans les zones touchées​. Ces jeunes, une fois formés, avaient pour mission d’aller sur le terrain (écoles, quartiers) et d’informer directement leurs pairs sur les mesures de prévention (telles que le lavage des mains) afin de stopper la contagion​. Ce dispositif a connu un franc succès: les messages portés par ces jeunes bénévoles étaient bien accueillis par la population, car ils provenaient de voix locales, dynamiques et en qui les communautés pouvaient avoir confiance. C’est un bel exemple de communication de crise participative, où les jeunes ne sont pas seulement destinataires mais aussi émetteurs du message, démultipliant ainsi la portée de celui-ci. Dans un autre registre, on peut citer les programmes de « jeunes ambassadeurs » mis en place par certaines organisations (par exemple des volontaires étudiants formés pour répondre aux questions de leurs camarades après un événement traumatique dans une université, etc.). Impliquer les jeunes comme partie prenante de la communication renforce l’efficacité du message et crée un sentiment de communauté dans l’épreuve de la crise.

  • Community management post-crise: Enfin, impliquer les jeunes signifie aussi maintenir le lien avec eux après la crise. Une fois l’urgence passée, il est judicieux de solliciter un retour d’expérience de la part des jeunes: comment ont-ils perçu la communication, qu’auraient-ils voulu savoir de plus, quelles sont leurs suggestions pour l’avenir. Ce feedback peut être recueilli via des sondages en ligne, des commentaires ou des ateliers dédiés s’il s’agit d’un public interne (étudiants, jeunes salariés). En les incluant ainsi dans l’amélioration des processus, on valorise leur rôle et on apprend à mieux communiquer pour les prochaines fois.

En somme, engager le dialogue avec les jeunes et les faire participer transforme la communication de crise en un échange bilatéral et collaboratif plutôt qu’un simple message imposé. Cette approche correspond bien aux attentes des nouvelles générations qui souhaitent être entendues. Elle permet également d’obtenir un relais d’information plus puissant (chaque jeune informé peut devenir un ambassadeur du message auprès de ses amis/followers). Les exemples de la Finlande ou de l’UNICEF démontrent qu’une telle stratégie, bien orchestrée, porte ses fruits. À l’ère des réseaux sociaux, une crise se gère aussi avec le public, pas seulement pour le public – et ceci est particulièrement vrai avec la jeune génération.

Face à des jeunes générations ultra-connectées, exigeantes et culturellement distinctes de leurs aînés, les communicants de crise doivent adapter en profondeur leurs stratégies. Cela implique d’investir les bons canaux (principalement numériques), d’ajuster le ton et le format des messages (pour les rendre clairs, concis, visuels et accrocheurs), d’être d’une réactivité exemplaire, et de communiquer avec honnêteté et empathie. Surtout, il ne faut pas hésiter à interagir et co-construire la communication avec le public jeune, que ce soit via les réseaux sociaux ou en mobilisant des relais parmi la jeunesse elle-même.

Les études de cas évoquées – de la gestion gouvernementale finlandaise durant la pandémie à la réaction d’une ONG face à Ebola en passant par des crises d’entreprise comme Tide ou H&M – montrent que ces principes, lorsqu’ils sont appliqués, permettent une communication de crise plus efficace et mieux acceptée par les jeunes. Une communication adaptée peut non seulement informer ce public de manière optimale, mais aussi préserver voire renforcer la confiance qu’il accorde à l’institution ou la marque pendant et après la crise. À l’inverse, ignorer ces particularités des jeunes générations peut conduire à des ratés aux conséquences aggravées (comme on l’a vu avec la maladresse de Travis Scott, qui restera pour beaucoup un exemple à ne pas suivre).

Il est également important de souligner que les outils et usages des jeunes évoluent rapidement. Ce qui est vrai des Millennials et de la Gen Z aujourd’hui le sera peut-être moins pour la génération suivante (Gen Alpha), qui arrivera avec ses propres plateformes et codes culturels. Les professionnels de la communication de crise doivent donc faire preuve d’une veille constante sur les tendances médiatiques et sociétales chez les jeunes. TikTok, par exemple, est devenu en quelques années un canal majeur d’information pour les moins de 25 ans; quelle sera la prochaine plateforme émergente ? Rester agile et continuellement s’adapter est la clé pour garder une longueur d’avance.

En conclusion, adapter la communication de crise aux jeunes générations n’est plus une option secondaire, c’est un impératif pour toute organisation confrontée à une situation d’urgence ou de controverse à l’ère numérique. En comprenant les jeunes, en allant les chercher sur leurs terrains d’expression et en parlant leur langage avec sincérité, on maximise les chances de faire passer le bon message au bon moment. Les crises de demain se géreront avec ceux qui en seront les acteurs et les témoins directs – et parmi eux, les jeunes occuperont une place de plus en plus centrale. Les outiller d’une information adaptée et établir un vrai lien de confiance avec eux constitue donc un investissement stratégique dans la résilience et la résolution efficace des crises actuelles et futures.