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Affaire Benalla, ténors du barreau et communicants de crise

L’ouverture, le 20 février, d’un cinquième front judiciaire dans le dossier Alexandre Benalla donne à cette affaire des airs de grande farandole du barreau : tous les avocats veulent en être, et ceux qui n’y sont pas se morfondent. Dernier protagoniste arrivé dans le dossier : le conseiller sur le départ Ismaël Emelien, entendu en janvier par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Dans ce feuilleton aux multiples ramifications, un quatuor d’avocats joue des coudes depuis près d’un an, au gré des soubresauts de l’enquête. Qu’ils soient ténors du barreau, représentants de policiers, discrets avocats d’affaires ou jeunes pénalistes pleins d’ambition, tous œuvrent en coulisses pour préparer des auditions, déposer ou déminer des plaintes et surtout défendre leurs clients auprès des journalistes.

Affaire Benalla : le Groupe Velours ne veut pas faire tapisserie

2019 : nouvelle année, nouveaux protagonistes et nouveaux avocats. En pleines vacances de Noël, Mediapart révèle qu’un contrat de 300 000 euros pour assurer la sécurité de l’oligarque russe Iskander Makhmudov implique Alexandre Benalla, Vincent Crase et la société sous-traitante Velours. Le Parquet national financier (PNF) ouvre une enquête pour corruption en février.

Le groupe Velours, jusque-là resté discret, est dorénavant en porte-à-faux médiatique. Le patron de la société, Jean-Maurice Bernard, ancien policier de l’anti-gang, va monter au front en s’attachant les services d’une boîte de communication de crise spécialisée dans la communication sous contrainte judiciaire (la gestion de la communication des grands procès) et de deux robes noires. Dans un premier temps, Florian Silnicki, ex-conseiller du député Franck Riester et fondateur de l’agence LaFrenchCom, va prêter main-forte à Velours. Le communicant organise la riposte en envoyant Jean-Maurice Bernard sur le plateau de BFM TV le 11 février dans l’émission de Ruth Elkrief. Ce dernier répondra également aux questions de Mediapart dans un article du même jour. Dans un second temps, le patron de Velours se fait conseiller par l’avocat Nicolas Bénoit, du cabinet Lussan. Fin connaisseur du monde des médias, celui-ci occupe le poste de secrétaire général de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse (AAPDP). Il se fera également épauler dans le dossier par Jean-Marc Florand, disciple revendiqué de Jacques Vergès.

Crase et Benalla, rois de la fête

Le mercredi 18 juillet 2018 dans la soirée, le site du Monde révèle en Une l’implication d’Alexandre Benalla dans les altercations du 1er mai place de la Contrescarpe, à Paris. Face à l’écho médiatique suscité, celui qui est encore le chargé de mission à l’Elysée doit vite se trouver un avocat. Plusieurs ténors du barreau sont envisagés – Eric Dupond-Moretti est même approché -, mais ce sera finalement vers Jean-Yves Liénard que se tournera Alexandre Benalla. Raison : l’avocat est bien connu des policiers et dispose, comme son client, d’une fine connaissance du monde de la sécurité. Mais les jours de Jean-Yves Liénard sont comptés. Une semaine plus tard, le 26 juillet, c’est une tout autre équipe qui prépare la riposte médiatique dans les colonnes du Monde, et ce sans que ne soit réellement associée la robe noire. Les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui n’étaient pas à l’origine des révélations du 1er mai, obtiennent un entretien exclusif avec Alexandre Benalla grâce à l’entremise du lobbyiste Marc Francelet en la présence également de Michèle Marchand, patronne de l’agence de photos people Bestimage. Au même moment, Jean-Yves Liénard multiplie les apparitions sur les plateaux télé pour défendre son client, fragilisant sa réputation auprès de sa clientèle historique. Les policiers voient d’un mauvais œil que leur avocat fétiche s’acoquine avec celui qui ternit leur image à longueur de journée.

Septembre 2018, changement de pied total : Alexandre Benalla se sépare de Jean-Yves Liénard et fait appel à deux pénalistes chevronnés, habitués des procès du monde politique et de la pression médiatique. Il s’agit de Pierre Haïk et Jacqueline Laffont, couple à la ville comme, parfois, à la barre. Les deux avocats ne viennent pas de nulle part : ils assuraient jusqu’ici la défense du réserviste de la gendarmerie Vincent Crase, au profil encore discret à cette étape de l’enquête, malgré son implication supposée dans les violences du 1er mai.

Dans un joli tour de passe-passe entre avocats, le pénaliste Christian Saint-Palais, très apprécié de ses pairs, prend la relève du couple auprès de Vincent Crase. Christian Saint-Palais connaît Jacqueline Laffont de longue date : les deux juristes dirigent ensemble l’Association des avocats pénalistes (ADAP), où ils sont respectivement président et vice-présidente. A partir de ce jour, l’ossature de la défense du duo Benalla-Crase est définitivement formée. Nul ne sera étonné de voir, dans la foulée, Jacqueline Laffont assister discrètement son nouveau client lors de son audition devant les sénateurs, considérée comme une réussite médiatique.

Octobre 2018, les réseaux de Pierre Haïk et Jacqueline Laffont s’activent dans la presse de droite et le journaliste Charles Villeneuve entre alors dans la danse. L’hebdomadaire Valeurs actuelles (VA) publie ce même mois un article intitulé « Les derniers secrets d’Alexandre Benalla », fruit de trois rencontres avec l’intéressé, longuement mises en scène. Avec l’hebdomadaire conservateur, Benalla n’est pas en terrain inconnu. Pierre Haïk et Jacqueline Laffont sont les avocats historiques d’Iskandar Safa, propriétaire du groupe Valmonde, auquel appartient Valeurs actuelles. Quant à Charles Villeneuve, il est celui qui a facilité la prise de contrôle du magazine par l’homme d’affaires d’origine libanaise. Le journaliste « police-justice » Louis de Raguenel, ex-membre du cabinet de Claude GuéantPlace Beauvau, écrira sans discontinuer sur l’affaire. Au point d’être le premier à interroger Matignon sur le lieu d’origine des enregistrements clandestins entre Vincent Crase et Alexandre Benalla, enregistrements publiés par Mediapart, en janvier 2019.

Qui invitera les policiers à danser ?

Outre Alexandre Benalla, plusieurs policiers sont mis en cause dans le dossier. Pour s’imposer comme conseils à leurs côtés, les avocats vont rivaliser d’ingéniosité. D’un côté, un trio d’agents de la préfecture de police de Paris se retrouve dès les premiers jours sous les feux de la rampe. Les fonctionnaires sont accusés d’avoir extrait des images de surveillance de la scène du 1er mai, transmises ensuite à Alexandre Benalla. Premier d’entre eux, le commissaire Maxence Creusat. C’est Thibault de Montbrial, spécialiste des affaires de terrorisme et de port d’arme, qui le prend sous son aile. Habitué des médias, ce dernier sera à ses côtés pendant l’audition des sénateurs et parviendra tant bien que mal à faire passer son client entre les mailles du filet médiatique. Maxence Creusat sera finalement muté en novembre 2018 au commissariat de Haguenau, dans le Bas-Rhin. Second personnage clé : le chef d’état-major Laurent Simonin – objet d’un portrait du Journal du dimanche (JDD) en juillet 2018 – est défendu par Antoine Maisonneuve, fils de Patrick Maisonneuve, avocat entre autres de l’ex-patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) Bernard Squarcini. Antoine Maisonneuve jongle entre dossiers d’affaires, notamment en matière de conformité, et dossiers de pénaliste. Cherchant la discrétion dans ce volet de l’enquête, Laurent Simonin avait fait parler de lui en 2017 lorsqu’il avait failli prendre la tête de la sécurité du PSG, candidature finalement refusée.

Dans le camp adverse, le syndicat minoritaire de policiers Vigi se constitue partie civile dans le dossier, accusant à demi-mot la Place Beauvau de complicité et menant une contre-offensive médiatique. Pour se faire entendre, Vigi a sollicité une étoile montante du barreau, Yassine Bouzrou, connu pour ferrailler aussi bien dans les prétoires que face caméra sur des affaires de violences policières. Dès l’été 2018, l’avocat a demandé l’audition d’Ismaël Emelien ainsi qu’un élargissement du champ des investigations. Requête en partie exaucée, puisque le conseiller démissionnaire d’Emmanuel Macron a été entendu par l’IGPN en janvier suite aux récentes révélations du Point et du Monde. En parallèle, Yassine Bouzrou vient de requérir le dépaysement de l’enquête hors de Paris. De quoi attiser un peu plus le conflit entre chapelles policières par avocats interposés.

L’orchestre invisible

Certains membres du premier cercle d’Alexandre Benalla, et non des moindres, cultivent la discrétion et ont choisi des avocats à leur image. La consultante Pascale Perez, également proche d’Alexandre Djouhri, a prêté son appartement parisien au couple Benalla au plus fort de la crise. Mais elle doit se défendre d’avoir joué le moindre rôle dans la mystérieuse disparition du coffre-fort de l’ancien chargé de mission de l’Elysée (lire l’article d’Intelligence Online du 09/01/19). Domiciliée en Suisse, elle est épaulée par un influent avocat d’affaires du pays. Il s’agit de Daniel Zappelli, ex-procureur à Genève reconverti depuis plusieurs années en consultant en Afrique et au Moyen-Orient.

Ultime relais élyséen d’Alexandre Benalla : le chargé de mission au Château Ludovic Chaker, peu habitué à l’exposition médiatique, fait toujours confiance à Samuel Sauphanor, une de ses vieilles connaissances dans la profession, associé au sein du cabinet Le 16 – avocats. Ce spécialiste en contentieux des affaires, passé par Sciences Po comme Ludovic Chaker, fut convié à un dîner de campagne du candidat Macron en 2016.

Enfin, le militaire Chokri Wakrim, dont l’amitié avec Alexandre Benalla a été révélée le 6 février par Libération, ne cesse d’agiter le Landerneau médiatique. Compagnon de Marie-Elodie Poitout, ex-chef de la sécurité de Matignon, il est au cœur de la polémique des enregistrements clandestins de Mediapart, soupçonnés d’avoir été réalisés au domicile du couple. Il a confié sa défense à un jeune pénaliste, Jean-François Morant, valeur montante du barreau parisien. L’avocat du cabinet Bazin & Cazelles a été élu en 2017 premier secrétaire de la Conférence des avocats du barreau de Paris, un poste prestigieux qui facilite l’accès aux dossiers sensibles convoités par ses confrères.

Louis Cabanes