La communication sous contrainte judiciaire, c’est l’art de communiquer et de gérer les grands procès
Tribunal de Grande Instance ou Cour d’Assises, l’actualité est ponctuée de procès aussi banals qui alimentent la chronique des faits divers que de procès hors-normes qui font la une des médias. L’opinion publique entend beaucoup parler des avocats au quotidien sans pourtant véritablement comprendre ce métier. Souvent, aux yeux des Français, inspirés par les séries américaines, un bon avocat, c’est celui qui permet de gagner un maximum de dommages et intérêts quand on a subi un préjudice… un bon avocat c’est aussi aux yeux du public celui qui défend les victimes et fait prendre un maximum à l’accusé. Le mauvais avocat, c’est souvent là aussi aux yeux du public celui qui n’a pas su éviter la peine de prison ferme à un client ou qui a fait libérer des criminels.
La communication sous contrainte judiciaire n’a jamais été aussi indispensable à l’heure de l’inquisition médiatique et de l’instauration d’une présomption de culpabilité devant le tribunal de l’opinion publique.
« On oublie bien trop souvent dans que le doute doit profiter au présumé innocent. Ce principe, nous le rappelons tous les jours aux journalistes et à leurs médias. Je militerai jusqu’à mon dernier souffle pour un droit à la présomption d’innocence médiatique. Graver dans la loi l’article 304, sans que cela existe médiatiquement, c’est le renvoyer au rang de fiction juridique. Les médias ont crée une présomption de culpabilité insupportable. Des journalistes comme Elise Lucet et les nouveaux formats d’émission comme Cash Investigation ont jeté de l’huile sur le feu faisant disparaitre ce qui restait de la présomption d’innocence. Pour ce tribunal médiatique, il y a une présomption de culpabilité ! Evidemment, heureusement, cela n’entache pas le grand professionnalisme de chroniqueurs judiciaires brillants comme Stéphane Durand-Souffland ou Pascale Robert Diard. On ne laisse pas un enfant sans accompagnateur au bord d’une piscine. On ne laisse pas non plus une personne mise en cause sans communicant sous contrainte judiciaire traverser un procès. » ajoute Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Fondateur de l’agence LaFrenchCom.
Il est ici utile de rappeler l’article 304 du Code Pénal, modifié par Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 – art. 40 JORF 16 juin 2000 en vigueur le 1er janvier 2001: Le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ». Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répond en levant la main : « Je le jure ».
Le site d’informations La Tribune décrit parfaitement la situation en interviewant le ténor du barreau Maître Éric Dupond-Moretti dans son article L’hyper moralisation pourrit notre société.
La justice théorique est noble, la réalité de la justice est toute autre. La justice est un cocktail explosif de personnalités, de ressentis et de non-dits qu’un avocat et un communicant doivent gérer, afin de préserver au mieux les intérêts de leur client. Mettre des mots sur l’indicible, expliquer l’inexplicable et rendre humain l’inhumain, prêter sa voix et ses connaissances de la justice au justiciable. Zoom sur ces génies du prétoire et de la communication, qui manient les mots comme d’autres manient les fragrances ou les notes de musiques. Portrait de ces avocats dont la force de conviction a entraîné le bouleversement des plus grandes affaires.
«Ce sont les gens indéfendables qui ont le plus besoin d’être défendus.», Maître Jacques Vergès
Comme hier Maitre Jacques Vergès se voyait reprocher la défense du FLN, de Carlos et Klaus Barbie, Maitre Eric Dupond-Moretti subit les foudres de l’opinion lorsqu’il défend Abdelkader Merah. Retour sur deux icônes aussi controversées que redoutées de leurs confrères, qui l’un comme l’autre, selon leurs propres mots auraient «défendu Hitler s’il l’avait demandé».
Quand la justice juge mais ne rend pas justice
Bercée par la colère et l’émotion du monde entier, le procès de Mohammed Merah… Non, erreur. D’Abdelkader, son frère, responsable moral de sa dérive, est un exemple de l’équilibre précaire entre Code Pénal et besoin de « faire payer » médiatiquement.
« Tout citoyen est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire ». Or, rien ne prouve matériellement la complicité avérée (un élément qui prouve Abdelkader savait, et a aidé d’une manière ou d’une autre l’accomplissement ces crimes).
Bien sûr, ces crimes sont atroces. La responsabilité morale et idéologique d’Abdelkader Merah est incontestable. Mais d’un point de vue pénal, la limite est floue. Ladepeche.fr a publié une retranscription partielle des plaidoiries.
Maître Eric Dupond-Moretti conclut d’ailleurs sur ces mots : « Mon ami Alain Furbury, à qui on avait brûlé sa voiture après le procès Van Geloven (pédophile condamné pour l’assassinat d’enfants en 1994), m’a dit «Parfois, les crachats sur une robe d’avocat, c’est mieux qu’une Légion d’Honneur». Associer son nom à ces faits innommables s’appelle, dit-il, « le courage judiciaire ».
Ce constat revient tout au long de ses livres, Acquittator, La Bête Noire : familles, inconnus, institution judiciaire, de nombreuses personnes pensent que « cogner dur » apaise le chagrin, ou que le sang versé doit se payer en années de prison.
« La Justice et l’information ce n’est pas ça. L’honneur de la justice et des médias n’est ni dans la présomption de culpabilité ni dans la vengeance. » déclare Florian Silnicki.
Maitre Jacques Vergès, tour à tour soupçonné d’antisémitisme, de terrorisme islamiste… et bien d’autres choses encore.
Seul face à 39 avocats (un confère congolais et un autre algérien ont appuyé certaines de ses thèses), la plaidoirie de Maitre Jacques Vergès au procès de Klaus Barbie est d’une telle excellence qu’il se voit attribuer des idées antisémites et huer à l’énoncé du verdict. Le décès de Barbie aggrave la situation, et le jette en pâture aux français qui demandent des comptes.
Comme le dit Bernard-Henry Lévy, il devient le «héros» à la place de l’accusé. Reconnu historique et intégralement filmé le procès de Klaus Barbie est une source d’enseignements intarissable.
Quelles conclusions en tirer? Maitre Eric Dupont-Moretti confirme ce que disait déjà Maitre Jacques Vergès en son époque : le fait qu’un accusé et la partie civile se retrouvent devant une Cour d’Assises est déjà, en soi, une reconnaissance de son statut de victime.
Un statut devenu « catégorie sociale » qui prend toujours plus de place au sein des institutions, au point d’être presque sacralisé : « La victime a le monopole du cœur, de la souffrance, de la dignité ».
« À l’image de notre société, qui normalise, médicalise et réglemente à tout va, les médias veulent quantifier le chagrin, soigner le deuil… Pour certaines médias, une femme ne peut être qu’une victime et les enfants ne mentent pas. Il y a une dérive absolue de ce tribunal médiatique qui condamne sur les apparences. » affirme Florian Silnicki.
« Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie… » disait — Albert Londres
L’affaire d’Outreau, quand les certitudes volent en éclat
Comme les juges, les jurés, en leur âme et conscience, doivent composer avec leurs expériences et leurs émotions. L’avocat et le communicant sous contrainte judiciaire prennent en charge ces éléments d’environnement de l’information.
« Quand l’affaire d’Outreau éclate, la France est traumatisée des meurtres commis par Marc Dutroux. Cela comptera malheureusement beaucoup dans la façon dont les médias traiteront l’information à charge. » analyse Florian Silnicki.
Les autorités, qui à cette époque, avaient perquisitionné la maison où étaient enfermées les petites filles (Mélissa et Julie), sans détecter leur présence (Dutroux avait creusé un bunker dont l’entrée était dissimulée par des étagères), les juges, et le public ne veulent plus jamais ça.
2000, un cas sordide fait entendre ses premiers chuchotements… Des enfants auraient été violés dans une tour HLM du nord de la France. Des notables. Un réseau pédophile. Tous les ingrédients d’un nouveau fait divers dont plus personne ne voulait sont là…. Rappel des faits.
Les expertises médicales et psychologiques sont formelles. Impossible de remettre en question les sévices commis sur les enfants Delay. Troubles du comportement (mime d’actes de sodomies…) visites aux urgences quasi-mensuelles suites aux maltraitances (traumatismes crâniens, inflammation des testicules…). Après leur placement en famille d’accueil, les week-ends chez les parents se poursuivent. L’aîné, terrorisé à l’idée d’y retourner parle : il incrimine son père et mentionne dans la foulée 8 autres personnes.
Le choix des mots
Placée en garde-à-vue puis déférée, la mère des enfants, Myriam Badaoui, comparaît devant le juge. Elle veut être libérée. Le Juge Burgaud répond qu’«il faut parler». C’est ce qu’elle fait, l’affaire D’Outreau commence. Tous les enfants d’un même immeuble placés (!). Des moyens d’envergure sont déployés. Chaque acteur supposé est arrêté, handicapés et mineurs compris. Difficile de prendre du recul quand on a le nez dans le guidon. Les ingrédients du fiasco judiciaire sont en place. La presse suit aveuglément le juge… A cette étape, la presse lèche, avant de lâcher, puis de lyncher ce magistrat.
Le juge Fabrice Burgaud est l’illustration parfaite de la formule des « 3L » : « On lèche, on lâche, on lynche »
Maitre Blandine Lejeune parvient à mettre en évidence de nombreuses contradictions : les expertises psychologiques, toutes identiques (seuls les noms des enfants varient). La psychologue « experte » finit par avouer qu’elle a fait un «copier-coller».
Ou la belle-fille de Franck Lavier, violée simultanément par trois hommes, mais toujours vierge… Les fait VS désir de vengeance. Venger les enfants Delay, ou les victimes de Marc Dutroux et des siamois de l’horreur, les frères Jourdains, qui ont endeuillé la région?
Comme de nombreux confrères, le Dr Paul Besussan, psychiatre auprès de la Cour Internationale incite à la prudence, notamment dans le cas d’enfants ayant baigné dans la pornographie, comme c’est le cas des enfants Delay.
Malgré la conviction de l’époque « Les enfants ne sont pas des menteurs » que martelait le Juge Burgaud et les médias, cette affaire montre que leur parole est aussi faillible que celle des adultes. Pas question de mensonge délibéré comme le ferait un adulte, mais changer la réalité pour la rendre plus acceptable : un mécanisme classique chez les enfants traumatisés.
Le juge Burgaud a été fusillé médiatiquement.
Me Dupond-Moretti dénonce les dysfonctionnement de tout un système et parle de supprimer le juge d’instruction au profit d’un «juge de l’instruction, à égale distance entre la défense et l’accusation».
Coup de théâtre qui font voler en éclat les apparences, oui, parfois, les enfants sont manipulés par les adultes. Parfois ils mentent ou racontent leur vérité, quand la réalité est trop dure à dire.
Des silences qui parlent plus que des mots : rien n‘est jamais blanc ou noir, c‘est ce que les virtuoses de la Cour d’Assises essaient tous les jours de faire comprendre à leurs semblables : le public, les médias, les juges et les jurés.
Trois plaidoiries exceptionnelles entre 2012 et 2018
La communication sous contrainte judiciaire, comme La Défense d’un accusé devant une Cour d’Assises est un art sombre, dérangeant, décalé, sans lequel il n’y a plus d’égalité ni de République.
Quand l’avocat avoue la culpabilité de son client dès l’ouverture d’un procès aux assises…
Me Eric Dupond-Moretti fait une fois de plus parler de lui… 2018, il défend M. Wojciechjanowski, accusé d’avoir commandité l’assassinat de sa belle-mère et de son majordome, Mohammed Darwich. Hélène Pastor, la victime, est à la tête d’une fortune colossale, le crime crapuleux est donc la thèse privilégiée par l’enquête.
Pourquoi Acquittator accuse-t-il son client alors qu’il est censé au contraire alléger sa peine?
Il s’agit en réalité d’une tactique : avouer sa responsabilité dans la mort de sa belle-mère, décrite comme tyrannique, par amour pour sa femme. Un mobile tellement plus noble que l’appât du gain. Et faire acquitter Wojciech Janowski de l’assassinat de M. Darwich, son chauffeur en faisant porter le chapeau à ses 9 co-accusés…
Meurtre sur conjoint, ce procureur qui a osé réclamer l’acquittement
Luc Frémiot, Magistrat au TGI de Douai, retraité depuis début novembre 2018, a gravé son nom dans les annales judiciaires.
Il a demandé l’acquittement d’Alexandra Lange, qui a tué son mari violent. Il l’a obtenu.
«[…]Quelle crédibilité, quelle légitimité j’aurais si j’oubliais que la société n’a pas su la protéger […] Acquittez-la ».
Une première, ce procureur qui assume et défend bec et ongle l’accusée. Qui réalise ce que sont « les enfants qui pleurent », lorsque leur mère est battue.
Déjà à cette époque, qualifié de «pionnier » : son livre Je vous laisse juges… Confidences d’un magistrat qui voulait être libre, publié aux éditions Lafont détaille ce magnifique combat qui a guidé sa carrière.
Mais la justice malheureusement, ce sont aussi des femmes complices, des femmes qui mentent ou utilisent la violence conjugale pour justifier leurs crimes. Ce sont des gens qui ont l’air coupable et n’ont ni la culture ni les mots pour se défendre. Et des professionnels assermentés, qui défendent leurs clients quoi qu’il en coûte.
Maître Yves Crespin vide ses tripes pour l’enfance en danger, le procès Fiona
Une oration si émouvante que la partie-civile elle-même est à l’origine de sa publication.
Cour d’Assises de Riom, du 15 au 25 novembre 2016, Cécile Bourgeon et Berkane Makhouf, sont jugés pour des actes de barbarie ayant entraîné la mort de leur fille, une blondinette lumineuse nommée Fiona. Son histoire a ému la France entière : maltraitée, enterrée dans un parc en présence de sa sœur, de 2 ans, endormie dans la voiture.
Cour d’Assises 2018. Faire la part des choses entre judiciaire et morale, comme le demande l’avocat de Cécile Bourgeon, Me Portejoie « vous allez résister à ceux qui hurlent à l’extérieur… », arguant que la colère et les médias qu’inspirent les mis en cause n’est pas une preuve judiciaire. Et l’avocat de Makhouf, Me Khanifar, de terminer «Ne condamnez pas cet homme sans preuves », c’est-à-dire, tant que le corps de Fiona n’a pas été découvert.
Telle était la stratégie de la défense: ne jamais avouer où est le corps pour qu’en l’absence de preuves, son client ne puisse être condamné.
Le procès est passé. Les parents refusent de s’expliquer. La pédiatre médecin légiste, le Dr Rey Salomon parle de coups de genoux dans l’abdomen. Le corps n’a jamais été retrouvé, bien que les paroles des accusés témoignent du calvaire qu’a enduré la petite : cette maman, qui de son vivant, maquillait les traces de coup sur son visage, puis, à son décès « tenait le sac »[pendant que Makhouf y plaçait le corps]. « Sereine », comme le dit Makhouf.
Difficile… Imaginez-vous l’abnégation qu’il faut, pour accepter de plaider dans ce contexte… Pour rester pro? Supporter les raccourcis de l’opinion publique, accusant l’avocat de défendre pareille ordure. Tout en ayant une famille, et en étant un père aimant?
C’est la mission de l’avocat, son devoir, le fondement de la justice française. Patrick Dills libéré par le grand nom du barreau Jean-Marc Florand, suscitait la haine… où serait-il aujourd’hui sans un système de défense équitable? Torture psychologique de défendre bec et ongles l’auteur d’horreurs… et d’être impuissant devant son client enfermé à tort. C’est cette passion qui anime les plus grands ténors du barreau, quelque soit leur époque. Une guerre judiciaire et médiatique pour protéger les valeurs constitutionnelles et démocratiques françaises, un véritable sacerdoce.
En 2018, la Cour d’Assises a condamné le couple Makhouf / Bourgeon à 20 ans de réclusion criminelle à perpétuité : ils se pourvoient en cassation, sur les conseils de leurs avocats. Voilà l’art de plaider dans les grandes affaires : réussir à faire la part des choses entre l’indignation qui étouffe l’homme, et sa mission de rendre Justice.