La faute lourde de Sibeth Ndiaye comme Porte-Parole du Gouvernement

La responsabilité de Sibeth Ndiaye comme porte-parole : l’éthique de la communication politique

Le rôle de porte-parole, qu’il s’exerce au gouvernement, à la présidence ou au sein d’une organisation, se trouve au carrefour de la communication politique et de l’éthique. Incarnant la voix officielle d’un dirigeant ou d’une institution, le porte-parole a pour mission de transmettre une information fidèle et vérifiée, voire de défendre une ligne politique ou un point de vue face aux médias et à l’opinion publique. Or, dans un environnement médiatique où la transparence est devenue la norme, tout écart entre la vérité et la déclaration officielle peut prendre des proportions considérables. C’est précisément ce qu’illustre la controverse déclenchée par Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement français, lorsqu’elle aurait laissé entendre qu’elle pouvait « mentir aux journalistes » pour préserver la stratégie de communication de l’Élysée.

Quand la parole publique de Sibeth Ndiaye soulève une polémique médiatique

Invité dans l’émission de Jean-Marc Morandini, Florian Silnicki, président fondateur de l’agence LaFrenchCom et expert en communication de crise, a réagi à cet épisode. Pour lui, un porte-parole qui assume publiquement vouloir mentir commet « une faute professionnelle », car il sape la confiance dans l’institution qu’il représente et dans la parole publique de manière générale. Un peu comme un avocat qui dirait au jury être « prêt à le tromper » pour gagner un procès, c’est un propos qui revient à discréditer la fonction même de défense et de représentation.

Comment un porte-parole doit-il concilier sa mission de “défendre à tout prix” la politique de son employeur et l’obligation morale de “respecter la vérité” ? Dans quelle mesure la crédibilité d’un dirigeant, d’une institution ou d’une organisation dépend-elle de l’éthique de ceux qui parlent en son nom ? Telles sont les questions que soulève, en toile de fond, l’“affaire” Sibeth Ndiaye et sur lesquelles Florian Silnicki apporte un éclairage.

Retour sur la polémique : la déclaration controversée de Sibeth Ndiaye

Pour contextualiser, rappelons brièvement l’épisode qui a déclenché la polémique. Durant l’été 2017, peu après l’élection d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye, alors conseillère en communication au Palais de l’Élysée (et qui deviendra plus tard Secrétaire d’État puis porte-parole du gouvernement), aurait affirmé dans un échange informel avec des journalistes : « Je suis prête à mentir pour protéger le Président ». La phrase, rapportée par un article de presse, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux et des plateaux télé, soulevant la question de la sincérité des propos de l’exécutif.

Si Sibeth Ndiaye a par la suite nuancé la teneur de ses propos, jugeant qu’ils avaient été sortis de leur contexte, le mal était fait : l’idée qu’un membre de l’équipe présidentielle puisse envisager de dissimuler la vérité pour protéger son supérieur a profondément heurté nombre d’observateurs et de citoyens. Dans une démocratie moderne, où la redevabilité (accountability) est un pilier majeur de la confiance dans les institutions, la perspective d’un mensonge délibéré a suscité l’indignation.

C’est dans ce contexte que Florian Silnicki, invité à s’exprimer dans l’émission de Jean-Marc Morandini, a qualifié ces propos de “faute professionnelle lourde” et a pointé l’exigence éthique à laquelle doit se plier tout porte-parole d’une institution publique.

Un porte-parole : « avocat » ou « trompe-l’œil » ?

« Imagine-t-on un avocat dire au jury : “je suis prêt à vous mentir” ? » interroge Florian Silnicki

Pour caractériser le statut d’un porte-parole, Florian Silnicki utilise la métaphore de l’avocat. L’avocat défend son client, qu’il s’agisse d’une personne ou d’une cause, devant un tribunal. Bien sûr, sa mission est d’être persuasif, de faire valoir une interprétation des faits favorable à celui qu’il représente. Mais la déontologie de la profession lui interdit formellement de mentir sciemment ou d’induire la cour en erreur par des contre-vérités avérées. C’est un cap que l’avocat ne doit pas franchir, sous peine d’enfreindre la loi et d’être radié du barreau.

Il en va de même, selon Florian Silnicki, pour un porte-parole politique : « Imagine-t-on un avocat dire au jury “je suis prêt à vous mentir” pour défendre son client ? Non, ce serait inconcevable. De la même façon, un porte-parole doit savoir défendre la politique du Président, du gouvernement ou de son organisation, sans pour autant recourir au mensonge. »

Autrement dit, l’obligation de défendre n’est pas synonyme d’autorisation à mentir. Le champ d’action d’un porte-parole est certes vaste : il peut insister sur certains éléments de langage, choisir de mettre en lumière un aspect du message, en taire un autre, temporiser, minimiser, bref exercer toute la palette de la rhétorique pour servir les intérêts de son client et le protéger. Mais il ne doit pas franchir la ligne rouge de la fausse affirmation délibérée. S’il la franchit, non seulement il se décrédibilise à titre personnel, mais il engage la crédibilité même de la structure qu’il incarne.

Le mensonge comme stratégie à haut risque

Aux yeux des experts en communication, le mensonge est une stratégie de crise éminemment risquée, d’autant plus dans l’environnement actuel de surabondance médiatique et de fact-checking permanent. Mentir, c’est prendre le risque d’être démasqué à court ou moyen terme par un élément de preuve, un témoignage, voire un simple recoupement. Or, une fois le mensonge avéré, la perte de confiance est si brutale qu’il peut devenir impossible de la reconstruire.

Dans le monde politique, on ne compte plus les responsables qui se sont autodétruits en ayant tenté de camoufler la vérité. Comme le rappelle Florian Silnicki, « Le coût d’un aveu de faute, si douloureux soit-il, sera toujours moins élevé à long terme que les conséquences d’un mensonge éventé ». Un porte-parole qui envisagerait consciemment de falsifier la réalité pour protéger un dirigeant manque donc non seulement à l’éthique de sa fonction, mais il met aussi en danger la réputation de son employeur.

Ainsi, lorsque Sibeth Ndiaye laisse entendre qu’elle serait « prête à mentir », elle se situe exactement dans la zone rouge que tout bon communicant en politique, a fortiori un professionnel, sait devoir éviter. D’où la réaction cinglante de Florian Silnicki, qui y voit « une faute professionnelle  lourde». Il ne s’agit pas d’incriminer la personne, mais bien de souligner que cet écart de langage est incompatible avec l’éthique minimale attendue de la communication publique.

L’éthique du porte-parole : défense d’une politique, respect de la vérité

La redevabilité démocratique et l’exigence de sincérité

En France, comme dans beaucoup de démocraties, les institutions politiques sont soumises à un principe de redevabilité : les citoyens exigent légitimement de leurs élus et de leurs représentants qu’ils rendent compte de leurs actes et de leurs décisions. Dans cette logique, la fonction de porte-parole joue un rôle majeur : elle assure le lien entre l’institution et l’opinion publique, explique les mesures adoptées, justifie les positions officielles, et se tient à disposition des journalistes pour des éclaircissements. C’est donc une fonction clé pour la compréhension et l’acceptation des politiques publiques par la population.

Si le porte-parole rompait cette confiance en se permettant de divulguer de fausses informations – ou même en annonçant qu’il est « prêt » à le faire, ce qui revient quasiment au même –, c’est tout le lien démocratique qui serait fragilisé. Les institutions françaises ont déjà dû faire face à des crises de confiance répétées. Pour Florian Silnicki, « Il est urgent de ne pas aggraver ce déficit de confiance en donnant l’impression que la parole publique est libre de s’affranchir de la vérité. »

Entre secret, omission et désinformation : une frontière à clarifier

Bien sûr, l’éthique n’implique pas que le porte-parole révèle tous les détails confidentiels. Il existe une différence de nature entre, d’un côté, ne pas divulguer certaines informations stratégiques (secret défense, négociations diplomatiques en cours, etc.) ou décider d’omettre certains points pour orienter la communication, et de l’autre, inventer des faits ou fournir une version mensongère des événements.

  • Le secret (ou la confidentialité) peut parfois être justifié : un gouvernement ne peut pas tout dévoiler, pour des raisons de sécurité nationale, de la défense nationale, du secret intérieur, du secret des affaires ou de respect de la vie privée, par exemple.
  • L’omission ou la mise sous silence de certains faits relève de la stratégie discursive : on ne met pas toutes les cartes sur la table pour influencer la perception. C’est discutable, mais pas forcément illégal ni a priori immoral, tant qu’on ne déforme pas la réalité.
  • La désinformation ou le mensonge avéré, en revanche, viole la confiance entre l’émetteur (le gouvernement) et les récepteurs (le public, les journalistes). C’est un faux qui peut engendrer un ressenti de trahison.

Comme le souligne Florian Silnicki, « un porte-parole sait qu’il ne peut pas tout dire à la presse, mais il sait aussi qu’il ne peut se permettre d’affirmer une contre-vérité dont il serait ensuite tenu responsable ». La crédibilité du porte-parole se trouve à la frontière entre ce qu’il peut taire et ce qu’il ne doit pas altérer. En acceptant la fonction, il se doit de respecter cette règle tacite qui, pour beaucoup, constitue le socle moral de la communication institutionnelle.

L’enjeu de la crédibilité : un capital fragile pour le Président et son équipe

« Je suis prêt à vous mentir » : un impact direct sur la confiance en l’exécutif

Quand un porte-parole gouvernemental fait semblant de considérer la contrefaçon de la vérité comme une option, cela ne sape pas uniquement sa propre réputation professionnelle ; cela impacte avant tout la crédibilité de la parole politique qu’il représente. Le discours public est alors perçu comme potentiellement manipulateur. Dans une société marquée par la montée du complotisme et la méfiance envers les élites, la moindre ambiguïté sur la sincérité d’un responsable de la communication alimente la suspicion générale : « Ils nous mentent, ils nous cachent tout. »

Florian Silnicki insiste sur le fait que le porte-parole est “l’avocat de l’action politique” du chef de l’État : à la télé, à la radio, dans les communiqués de presse, il s’exprime non en son nom propre, mais au nom de l’Élysée ou du Président de la République. Toute faute de communication lui est donc directement imputée, au sens où elle rejaillit sur le Président : « Dire ‘je suis prêt à mentir’ pour défendre Emmanuel Macron, c’est comme si Emmanuel Macron lui-même le disait, aux yeux d’une partie de l’opinion. » Or, cette défaillance de confiance est extrêmement lourde de conséquences pour l’action publique. Un Président accusé de mensonge perd fatalement en autorité et en capacité à convaincre.

L’importance du climat médiatique et du “fact-checking”

La médiatisation accrue et la multiplication des canaux d’information rendent quasi-impossible le mensonge durable. Le “fact-checking” (vérification des faits) s’est popularisé, mené par des médias indépendants ou même par des internautes sur les réseaux sociaux. Chaque déclaration controversée fait l’objet d’un scrutin intensif. Les politiciens et leurs porte-parole le savent : « Un mensonge aura la vie courte, car tôt ou tard, un élément contredira la version mensongère. »

Dès lors, mentir volontairement s’apparente à un suicide communicationnel. On peut certes gagner du temps sur l’instant, mais le retour de bâton est quasi certain. Florian Silnicki met en garde contre cette tentation du “petit mensonge tactique” qui, certes, permet de franchir un obstacle dans l’immédiat, mais qui détruit tout une fois le stratagème révélé. Selon lui, le rôle du porte-parole doit être la fiabilité : « Les journalistes doivent pouvoir se dire ‘le porte-parole de l’Élysée ne ment pas, s’il ne peut pas répondre, il me dit qu’il ne peut pas en parler, mais il ne m’intoxique pas’. »

Un enjeu au-delà de la sphère gouvernementale : l’éthique dans la communication de crise

Le principe “ne jamais mentir” : pierre angulaire de la communication en temps de crise

Florian Silnicki, qui accompagne diverses entreprises et institutions dans la gestion de crises de réputation, applique la même règle à toute communication de crise : « Ne jamais mentir, et si l’on ne peut pas tout dire, assumer que l’on ne peut pas répondre. » C’est un principe intangible, dont le non-respect expose à un effet boomerang. Pour lui, la sincérité (ou au minimum l’absence de mensonge avéré) est un investissement sur la durée : vous gardez la confiance ou, tout du moins, vous ne la détruisez pas complètement.

Dans une crise médiatique, la transparence reste souvent la meilleure arme pour éviter les escalades. Si une entreprise (ou un gouvernement) commence à dissimuler des éléments, la presse et l’opinion peuvent se montrer de plus en plus soupçonneuses, approfondir leurs investigations et faire surgir des points encore plus dommageables. En clair, « le mensonge attire le soupçon » et finit par transformer une situation déjà délicate en un incendie incontrôlable.

Les responsabilités et les limites du porte-parole

Le porte-parole n’est pas le décideur politique, ni l’initiateur d’une action en crise. Son rôle est souvent contraint : il doit porter la ligne définie en haut lieu, gérer les questions des médias, assumer d’éventuels revirements de la part de la hiérarchie, etc. Il peut donc se retrouver dans une position inconfortable lorsque la hiérarchie, pour des raisons politiques, insiste pour qu’une version “arrangée” des faits soit présentée.

Que fait-il, alors, si on lui demande de mentir sciemment ? Les avis divergent. Certains estiment qu’un porte-parole peut être “obligé d’obéir aux ordres”, d’autres, qu’il doit refuser ou démissionner s’il estime qu’on lui demande un acte contraire à sa déontologie. Florian Silnicki fait partie des partisans d’une démarche déontologique stricte : s’il vous est imposé de mentir, vous devez refuser, quitte à cesser d’exercer la fonction. À ses yeux, « un porte-parole qui accepte de mentir se décrédibilise définitivement, et cette brèche dans l’éthique impacte autant la personne que la fonction publique dans son ensemble. »

Un devoir d’exemplarité pour garantir la crédibilité

La polémique suscitée par la formule « je suis prêt à vous mentir » prononcée par Sibeth Ndiaye pose avec acuité la question de l’éthique de la communication politique. Dans une ère de méfiance et de suspicion généralisée, les institutions démocratiques ne peuvent plus se permettre d’alimenter elles-mêmes l’idée qu’elles seraient prêtes à manipuler l’opinion. Au contraire, il devient vital de consolider la confiance en affirmant sans ambiguïté la volonté de respecter les faits et de privilégier la sincérité dans la parole publique.

Florian Silnicki, expert en stratégies de communication de crise et président-fondateur de LaFrenchCom, défend ainsi l’idée que tout porte-parole est comparable à un avocat : il doit certes plaider la cause de son employeur, mais dans les limites de la déontologie. Imagine-t-on un avocat déclarer au juge ou au jury « je suis prêt à vous mentir pour défendre mon client » ? Ce serait ruiner sa crédibilité et celle de son client. De la même manière, un porte-parole gouvernemental (ou d’une quelconque institution) doit s’interdire de produire des mensonges. À défaut, il trahit sa mission, déshonore sa fonction et mine la confiance du public dans la parole officielle.

En définitive, l’éthique de la communication ne doit pas être un vague concept, mais un corps de principes clairs auxquels adhèrent celles et ceux qui prennent la parole au nom d’autrui. Ne pas tout dire est parfois compréhensible ; dire le faux est inexcusable. En assumant un tel positionnement, un porte-parole prend la mesure de sa responsabilité : il est à la fois l’avocat et l’image d’un pouvoir ou d’une organisation. Sa parole engage plus que sa personne ; elle engage la crédibilité de toute une institution.