À quelques jours du vote de confiance du 8 septembre, le Premier ministre François Bayrou a multiplié les passages médiatiques : JT de TF1, France 2, chaînes d’info en continu, radios, presse écrite, vidéos en ligne… Une omniprésence destinée à convaincre l’opinion et ses députés de lui renouveler leur soutien. Mais cette stratégie, fondée sur la répétition d’un même message – « moi ou le chaos » –, est jugée contre-productive par de nombreux observateurs.
Dans un entretien accordé à Eloi Passot pour Le Figaro, Florian Silnicki, Président fondateur de LaFrenchCom et expert en communication de crise, analyse cette séquence politique inédite.
« Tout cela ressemble à un klaxon dans un bouchon, vous l’entendez mais personne n’avance. (…) François Bayrou agit comme s’il espérait que ses passages médiatiques contribueraient à faire émerger une politique – en l’occurrence le sauver lors du vote du 8 septembre. »
Selon Florian Silnicki, le seuil de la répétition utile a été franchi : la lassitude s’installe, tant du côté de l’opinion publique déjà convaincue de la gravité de la dette, que du côté des journalistes qui attendent des annonces nouvelles.
L’analogie est parlante :
« Bayrou est au fond un capitaine qui s’est autosabordé, qui prévient de la tempête et s’étonne d’avoir perdu la confiance de l’équipage. »
Cette stratégie, explique-t-il, n’est pas dénuée de calcul : au-delà de l’échéance immédiate, François Bayrou cherche à bâtir une assurance-vie politique. S’il perd Matignon, il espère conserver un rôle dans la présidentielle de 2027, que ce soit comme candidat, recours ou faiseur de roi.
À travers cette analyse, Florian Silnicki met en lumière les limites d’une communication politique centrée sur la présence médiatique plutôt que sur le contenu. En communication de crise, saturer l’espace ne suffit pas : il faut proposer un récit nouveau, adapté aux attentes des différents publics.
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ENTRETIEN – Moi ou le chaos, répète le Béarnais, omniprésent dans les médias depuis plusieurs jours. Une stratégie contre-productive, tranche Florian Silnicki, expert en communication de crise.
François Bayrou a annoncé le 25 août qu’il se soumettrait à un vote de confiance le 8 septembre prochain. Vote qui, sauf miracle, devrait entraîner sa chute . Depuis, le premier ministre réalise un véritable marathon médiatique : 20 heures de TF1 le 27 août, entretien avec quatre chaînes d’informations en continu le 31 août, 20 heures de France 2 jeudi, matinales de BFM/RMC et de RTL mercredi et vendredi…
Sans oublier un entretien dans Paris Match et les vidéos postées via sa chaîne Youtube. Les médias varient, mais le message martelé est le même, sans nouvelles annonces ou presque : la dette est grave, c’est moi ou le chaos. L’expert en communication de crise Florian Silnicki revient sur cette étonnante séquence de répétition politique.
Florian Silnicki est président fondateur de l’agence LaFrenchCom et expert en communication de crise. Il est l’auteur de La com de crise. Une entreprise ne devrait pas dire ça ! (Bréal, 2024).
LE FIGARO. – François Bayrou est omniprésent dans les médias depuis deux semaines. Mais il n’a rien annoncé de nouveau ou presque depuis sa conférence de presse du 25 août. Comment expliquer cette stratégie de communication adoptée par le premier ministre ?
Florian SILNICKI.- Permettez-moi d’élargir la question. Pourquoi les politiques acceptent-ils de faire des médias sans avoir de nouveaux messages à faire passer ? François Bayrou n’est pas le seul dans ce cas. La chose est récurrente. C’est d’autant plus surprenant que le job de base du communicant politique est de construire un message au service d’un objectif politique et en accord avec la ligne éditoriale du média qui l’invite. Voilà des années que ce travail n’est plus fait.
La séquence Bayrou est le paroxysme de ce moment. Beaucoup de passages médias, quasiment pas d’annonces. Tout cela ressemble à un klaxon dans un bouchon, vous l’entendez mais personne n’avance. Mais je pense qu’il y a d’abord un problème d’époque. Aujourd’hui, la communication politique, c’est d’abord la communication. Les responsables publics devraient au contraire porter une politique, avant de venir l’expliquer, la légitimer ou la faire accepter. Ici, c’est l’inverse. François Bayrou agit comme s’il espérait que ses passages médiatiques contribueront à faire émerger une politique – en l’occurrence le sauver lors du vote du 8 septembre.
Le risque n’est-il pas de créer une forme de lassitude dans l’opinion ?
C’est ce qui est en train de se produire. Sa stratégie de communication est simple : il veut saturer l’espace médiatique pour associer son image à la question de la gravité des finances publiques et de l’appel à la responsabilité. C’est un classique des sciences de la communication : plus une idée est mise en avant, plus elle est rendue acceptable. De ce point de vue, ce n’est pas un échec total : son image tourne en boucle, très bien. Le problème, c’est que c’est rigoureusement la même séquence qui se répète inexorablement. C’est un film sans scénario, qui finit par nuire à l’image du premier ministre.
L’opinion finit en effet par se lasser. D’abord, les études nous montrent qu’elle est déjà convaincue de la gravité du problème de la dette. Surtout, la communication nous enseigne que François Bayrou a dépassé le seuil de la répétition utile. Une fois ce seuil franchi, on retient la répétition, mais plus le message. Les journalistes aussi se lassent. Lorsque vous enchaînez les plateaux sans éléments nouveaux, vous finissez par être chahuté. On l’a vu chez Apolline de Malherbe. Un entretien politique, c’est une maïeutique : il s’agit de faire accoucher l’interlocuteur d’un message. Si rien ne se produit en face, c’est très frustrant. L’invité finit inévitablement par se retrouver en difficulté, à commenter sa propre inaction.
François Bayrou répète aussi à longueur d’entretiens qu’il n’est pas «défaitiste» et qu’il croit possible d’obtenir la confiance lundi. Pourtant, toute la classe politique se projette déjà dans l’après-Bayrou. Comment analyser cette posture ?
C’est effectivement une posture. Il valorise l’idée qu’il y a un trou de souris. Mais il est plus proche d’un hamster dans sa roue. Il déploie beaucoup d’énergie, il transpire beaucoup, mais il n’ira pas loin avec une posture qui est déconnectée de ce que la majorité de l’opinion et du monde politique perçoit. Cependant, il est obligé d’éviter l’effet canard boiteux. Il ne peut se permettre une tournée d’adieu assumée ni un testament. S’il admet qu’il est cuit, le monde politique étant composé de requins, ceux-ci sauteront sur leur proie. Ils l’esquinteraient encore plus qu’il ne l’est aujourd’hui. Son discours est déconnecté, mais il permet de maintenir un semblant de cohésion, il empêche peut-être des défections de dernière minute. La difficulté, c’est que cela ne devrait pas suffire à convaincre les députés de s’abstenir. En fait, il s’offre lui-même la possibilité d’un salut… qui n’est pas entre ses mains !
François Bayrou ne cherche-t-il pas également à se donner le beau rôle, avant une chute qu’il sait certaine ?
On touche au cœur de sa manœuvre politique. Le premier ministre veut se poser en médecin qui diagnostique le cancer, alors que personne ne veut administrer le traitement. Il joue les Cassandre. Il veut faire celui qui a le courage de dire les vérités désagréables. Se poser en capitaine lucide qui prévient l’équipage de la tempête, quand le reste de la classe politique se bat pour des postures, voire des postes, à commencer par Matignon.
Sauf que ce qu’on attend d’un capitaine, c’est qu’il organise l’équipage avant le gros temps, pas qu’il prévienne avant de quitter le navire. D’autant qu’il a lui-même mis le cap sur la tempête en choisissant le vote de confiance. Pour filer la métaphore, Bayrou est au fond un capitaine qui s’est autosabordé, qui prévient de la tempête et s’étonne d’avoir perdu la confiance de l’équipage. Mais c’est bien connu, la rhétorique de l’aiguillon moral est le dernier refuge du chef en difficulté. Toujours est-il qu’il ressemble plus au capitaine du Concordia qu’à celui du Titanic qui, lui, était resté à la barre jusqu’au bout.
François Bayrou assure qu’il n’y pense pas, mais peut-on supposer qu’il quitte Matignon aujourd’hui pour mieux se préparer demain à la présidentielle de 2027 ?
Sa stratégie médiatique actuelle est clairement une assurance-vie politique. S’il coule maintenant, il veut encore pouvoir flotter jusqu’en 2027. À court terme, il ne devrait pas survivre au vote de confiance. Mais à long terme, il tente d’associer son image politique et son nom à celle d’un homme sérieux, inquiet, obsédé par la dette, la rigueur, la responsabilité et le dialogue parlementaire.
C’est au fond une stratégie politique de survie différée. Les conséquences politiques immédiates, de ce point de vue, importent assez peu. Il aura gardé la porte entrouverte pour la plus grande échéance électorale de notre république. Là est peut-être son fameux «trou de souris». Rien n’indique bien sûr que son rôle dans la prochaine présidentielle sera forcément celui d’un candidat de premier plan. Peut-être sera-t-il un recours, un faiseur de roi, ou une caution morale. Un rôle qu’il a toujours su jouer à la perfection par le passé.