Florian Silnicki analyse la stratégie YouTube de François Bayrou dans Le Figaro

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Dans une longue interview accordée au Figaro, l’expert en communication de crise et président fondateur de LaFrenchCom, Florian Silnicki analyse la nouvelle stratégie de communication du Premier ministre François Bayrou, qui vient de lancer sa chaîne YouTube « FB Direct » avec l’ambition de publier une vidéo par jour.

👉 Les principaux enseignements de cette analyse :

  • Un mauvais timing : lancer ce format en plein mois d’août, période où les Français aspirent à une pause, réduit considérablement son impact.

  • Un manque d’authenticité : loin d’incarner la proximité qui avait forgé son image, François Bayrou apparaît ici dans un cadre institutionnel et très parisien, lisant un texte pré-écrit.

  • Une interactivité manquée : les commentaires désactivés sur YouTube soulignent une contradiction entre le discours de dialogue et la réalité d’une communication unilatérale.

  • Un problème de sincérité, pas d’âge :

« Ce n’est pas une question générationnelle. Le vrai sujet, c’est la sincérité et l’authenticité. Quand un responsable politique veut paraître naturel mais contrôle tout, cela ne peut pas fonctionner », explique Florian Silnicki.

Cette interview rappelle combien, à l’ère de la communication numérique, les Français attendent de leurs responsables politiques non seulement des explications, mais aussi de la transparence et une parole incarnée.

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ENTRETIEN – Sur sa chaîne «FB Direct», le premier ministre compte publier une vidéo par jour. Mais ce nouveau format visant à justifier sa politique auprès des Français accumule les maladresses, selon l’expert en communication Florian Silnicki.

François Bayrou lance sur Youtube  une série de vidéos , avec l’objectif affiché de mettre en place «un canal de communication directe» avec les Français. Dans  la première séquence  d’une durée de 8 minutes 36 publiée ce mardi, le premier ministre décrit la situation économique délicate du pays, en insistant sur le «surendettement». Alors que, selon un sondage, près de 90% des Français  craignent pour leur pouvoir d’achat , le premier ministre tente de justifier les efforts qui vont leur être demandés. Un exercice formel ressemblant peu à François Bayrou et qui peine à convaincre pour l’instant, selon l’expert en communication politique,  Florian Silnicki , président et fondateur de l’agence La French Com. La vidéo de ce mardi 5 août compte à ce stade 50 000 vues, une audience très limitée à l’échelle de Youtube, où  les vidéos de certains influenceurs français  atteignent facilement le million de vues.

LE FIGARO. – François Bayrou a lancé son nouveau format au début du mois d’août, période de vacances pour de nombreux Français. Est-ce une bonne temporalité ?

Florian SILNICKI. – Le premier ministre et son équipe de communicants ont bien compris que l’on se trouvait aujourd’hui dans  une économie de l’attention . Le temps d’attention des Français est précieux, rare, et difficile à acquérir. Quand vous parlez dans un moment de vide informationnel, vous avez évidemment plus de chance de faire entendre votre voix. Toutefois, choisir ce moment, c’est oublier bien vite que l’avantage du vide risque d’être compensé par le fait que les Français sont en vacances, ont l’esprit ailleurs et éprouvent le besoin d’une pause. Je suis étonné que l’équipe de François Bayrou ne se soit pas dit qu’il était préférable de laisser les Français se reposer…

François Bayrou a choisi de s’exprimer face caméra sur Youtube, contournant ainsi les médias traditionnels, et souhaitant s’inscrire dans une certaine modernité. Est-ce réussi ?

Je ne vois pas à quel moment l’utilisation de  Youtube  peut paraître moderne. C’est vu et revu. Il présente sa démarche comme interactive mais c’est tout l’inverse. Un texte pré-écrit est lu, filmé, enregistré puis posté. Il n’y a ni naturel, ni transparence. Quant à l’échange avec ses interlocuteurs, il est inexistant : Youtube est la plateforme où les commentaires sont les plus faciles à modérer (contrôler le contenu des messages, NDLR). Et dans ce cas précis, les commentaires ont d’abord été désactivés… Ce qui est d’une maladresse hallucinante. Cette opération ne ressemble pas à François Bayrou qui avait su se montrer très innovant en matière de nouvelles technologies lors de ses dernières candidatures à l’élection présidentielle.

Dans cette première séquence, le premier ministre souhaite convaincre du bien-fondé de son plan budgétaire. Le fait-il avec habileté ?

On assiste à une dramatisation des enjeux, comme on l’a vu précédemment avec le Covid et ensuite avec la guerre en Ukraine. Comme Emmanuel Macron à certaines périodes, François Bayrou dit en quelque sorte «Maintenant, c’est moi ou le chaos. Je suis la seule possibilité politique, il n’existe pas d’autre chemin.» Or, quand vous proposez un dialogue aux gens et que d’emblée, vous leur annoncez qu’il n’y a pas d’alternative, il n’y a aucune raison de poursuivre ce dialogue. Il y a en outre une maladresse, presque du mépris, lorsqu’il explique avec pédagogie ce qu’est le surendettement et fait le parallèle avec la situation individuelle de certains ménages. Mais ce ne sont pas les Français qui ont commandé la dette de l’État, ce sont des arbitrages politiques. Tenter de culpabiliser les gens, ce n’est pas le meilleur moyen pour les faire consentir à des efforts.

François Bayrou a souvent joué sur une image rurale, aimant rappeler sa longue expérience d’élu local dans le Béarn… A-t-il abandonné cette posture ?

Cette fois, on voit effectivement le premier ministre en chemise, dans son bureau haussmannien vide, complètement blanc. Le cadre est très politique, très institutionnel… très parisien. François Bayrou avait à l’inverse plutôt tendance à porter la voix de la France des oubliés, peu entendue. Il a souvent mis en avant ses racines rurales, sa proximité avec le milieu paysan. Ici, la posture est tout à l’inverse. On ne retrouve plus son ADN qui avait pu le rendre sympathique.

N’y a-t-il pas tout simplement un décalage générationnel indépassable ?

Non. La maîtrise des nouveaux supports n’est pas liée à l’âge. Beaucoup de cas historiques nous prouvent que des personnalités politiques plus âgées peuvent remporter la mise sur leurs cadets. On se souvient de François Mitterrand, excellent à la télévision face à Jacques Chirac, malgré son âge avancé. Il avait su faire preuve de naturel et déployer son cynisme avec une certaine sincérité. Ici, le problème n’est pas l’âge mais la sincérité, l’authenticité. Quand Bayrou dit «J’essaie de vous regarder dans les yeux», il est un mauvais acteur et non le personnage politique que l’on connaît. On sent qu’il veut singer Pierre Mendès France, qui s’est prêté à des entretiens radiophoniques à succès dans les années 1950. Mais c’est un échec.

Dans le paysage politique actuel, y a-t-il des personnalités qui usent des réseaux sociaux avec talent et efficacité ?

Globalement, Emmanuel Macron et Gabriel Attal sont des personnes qui ont bien saisi les réseaux sociaux, à leur échelle respective. Le député insoumis Antoine Léaument est aussi assez convaincant sur Twitch pour une raison : il a intégré les codes réels de ces réseaux et joue le jeu de l’interactivité avec naturel. Quand on propose un format qui imite la sincérité, mais qui, finalement, contrôle tout, cela ne fonctionne pas.