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L’échec de la publicité Pepsi avec Kendall Jenner : analyse du bad buzz et des erreurs commises

Pepsi avec Kendall Jenner

Un scandale publicitaire retentissant

En avril 2017, Pepsi dévoile une nouvelle publicité mettant en scène la mannequin Kendall Jenner. Ce spot de plus de deux minutes se voulait porteur d’un message d’unité et de paix, mais il a très rapidement tourné au bad buzz. En reprenant les codes visuels des manifestations du mouvement Black Lives Matter à des fins marketing, Pepsi a déclenché un véritable tollé outre-Atlantique​. La campagne, censée être inspirante, a été perçue comme une instrumentalisation opportuniste de causes sociales sensibles analyse Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchFom. Résultat : un scandale publicitaire d’ampleur, un retrait précipité du spot et des excuses publiques de la marque. Revenons en détail sur l’échec de la publicité Pepsi avec Kendall Jenner, les erreurs commises, le backlash qui s’en est suivi et les leçons que les marques peuvent en tirer.

Analyse de la publicité : que voulait transmettre Pepsi ?

La publicité incriminée s’intégrait dans la campagne “Live for Now – Moments” de Pepsi, pensée pour séduire le public millennial avec un message se voulant fédérateur​. La scène principale montre Kendall Jenner interrompant un photoshoot pour rejoindre une manifestation pacifique dans la rue, aux côtés de protestataires jeunes et diversifiés. Tout le long du spot, on insiste sur la convivialité, la musique entraînante, les sourires et les pancartes aux slogans vaguement positifs. Le climax de la vidéo survient lorsque Kendall Jenner s’avance vers un policier impassible en bordure du rassemblement et lui tend une canette de Pepsi. Le policier accepte la boisson, en boit une gorgée, puis esquisse un sourire – ce qui déclenche les acclamations joyeuses de la foule.

Le message que Pepsi souhaitait véhiculer à travers cette mise en scène était clair : la marque espérait symboliser l’harmonie et la compréhension entre des personnes d’horizons différents, suggérant qu’un simple Pepsi pouvait rassembler les gens. D’ailleurs, dans son communiqué face à la polémique, Pepsi expliquera qu’il s’agissait d’« une publicité mondiale qui veut montrer comment des gens aux parcours bien différents peuvent se rassembler dans l’harmonie. Et nous pensons que c’est un message important à faire passer »​. L’intention de départ – promouvoir un message de paix universelle – pouvait sembler louable sur le papier. Pepsi s’inscrivait aussi dans la tendance des marques américaines à prendre un virage plus « engagé » après l’élection de Donald Trump, en surfant sur les thèmes de société en vogue à l’époque​.

Cependant, l’exécution du message est un échec complet​. Ce qui devait être une publicité inspirante s’est révélée maladroite et déplacée. Dès sa diffusion, les spectateurs ont critiqué le décalage entre la gravité des véritables manifestations pour la justice sociale et la légèreté avec laquelle Pepsi les a représentées. En d’autres termes, le ton employé – utopique et « fleur bleue » – n’a pas du tout convenu pour un sujet implicitement relié à des conflits bien réels.

Les erreurs de Pepsi : pourquoi cette publicité a-t-elle été un échec total ?

Plusieurs erreurs majeures expliquent pourquoi la publicité Pepsi avec Kendall Jenner a été un fiasco retentissant en termes de communication. Voici les principaux faux pas commis par la marque :

  • Trivialisation d’un mouvement social réel – Le spot s’inspire fortement de l’esthétique des manifestations contre les violences policières (notamment Black Lives Matter), mais en édulcorant totalement le propos. En esthétisant à l’extrême ces protestations, Pepsi a donné l’impression de balayer d’un revers de main la réalité de ces luttes​. La scène où un simple soda suffit à réconcilier manifestants et forces de l’ordre a été jugée particulièrement insultante. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont raillé l’idée qu’« il suffirait qu’un manifestant offre un Pepsi à un policier pour éviter de se faire gazer »​. En voulant simplifier et « romantiser » une problématique complexe, la marque a semblé dénuer de légitimité les vraies colères et souffrances à l’origine des protestations.

  • Instrumentalisation d’une cause à des fins marketing – Au-delà de la trivialisation, Pepsi a commis l’erreur d’exploiter une cause sociopolitique sensible dans le but de faire sa promotion. Beaucoup y ont vu une récupération pure et simple du mouvement Black Lives Matter pour vendre des boissons. Comme l’a résumé un article, « la publicité de Pepsi a échoué en utilisant des images superficielles et en tentant de capitaliser sur des problèmes sociaux sensibles »​. Le contraste entre la réalité des manifestations (souvent marquées par des tensions, des revendications précises et parfois des drames) et la version aseptisée qu’en a fait Pepsi est saisissant​. Cette approche opportuniste – utiliser un mouvement civique comme toile de fond publicitaire – a été très mal reçue. En clair, Pepsi n’a pas mesuré le décalage entre son storytelling publicitaire et la gravité du contexte social.

  • Mauvais choix d’égérie (Kendall Jenner) – Le casting de Kendall Jenner dans le rôle de la manifestante médiatrice a également été vivement critiqué. Issued’une famille ultra-privilégiée et star des réseaux sociaux, Kendall Jenner n’a aucune légitimité en tant que figure militante. « Héritière multi-millionnaire, plus connue pour ses posts Instagram que son engagement politique, la jeune mannequin ne représente en rien les victimes de violence policière aux États-Unis ni les minorités opprimées » note très justement un expert en gestion de crise à propos de cette polémique​. Son image de célébrité glamour était en décalage complet avec le sérieux du sujet. Beaucoup ont pointé l’ironie de la voir s’approprier l’iconographie des luttes sociales alors qu’elle symbolise, malgré elle, le privilège blanc déconnecté de ces réalités​. En choisissant Kendall Jenner comme égérie contestataire, Pepsi a renforcé l’accusation d’insensibilité et de manque d’authenticité de la campagne.

  • Manque de diversité et de perspective dans la conception – Cet échec souligne en filigrane un problème interne : visiblement, aucune voix au sein de l’équipe marketing ne s’est élevée pour alerter de l’incongruité du scénario. Une telle bourde laisse penser à un manque de diversité dans le processus créatif. D’ailleurs, un spécialiste de la communication de crise a résumé la situation ainsi : « Le fiasco Kendall Jenner/Pepsi est ce qui arrive quand il n’y a personne issu de la communauté concernée dans la pièce où les décisions sont prises »​. En effet, une équipe plus sensibilisée aux questions raciales ou sociales aurait sans doute perçu le problème et évité cette maladresse. Le décalage culturel entre les concepteurs de la pub et la réalité du terrain a joué un rôle majeur dans cet échec.

  • Tonalité et timing inappropriés – Enfin, Pepsi a pêché par excès de confiance en pensant surfer sur une vague « engagée » sans en comprendre les codes. La publicité est arrivée à un moment où le public était déjà critique vis-à-vis des récupérations commerciales des mouvements sociaux. Un professeur de marketing a expliqué que le backlash s’explique en partie parce que Pepsi arrivait « après la bataille » avec son message d’unité, rendant la tentative encore plus opportuniste et maladroite​. En somme, le ton Bisounours de la pub, combiné à un timing mal calibré, a scellé le destin de cette campagne vouée à l’échec.

Le backlash et les conséquences : un raz-de-marée contre Pepsi

La réaction du public ne s’est pas faite attendre. Aussitôt après la diffusion du spot, un déferlement de critiques s’est abattu sur Pepsi. Sur Twitter, Facebook et les médias, les internautes ont fustigé une publicité « méprisante » et « à côté de la plaque ». De nombreux détournements et moqueries ont fleuri en ligne, témoignant de l’indignation générale. Par exemple, la propre fille de Martin Luther King Jr., Bernice King, a tweeté ironiquement une photo de son père face à la police avec la légende mordante : « If only Daddy would have known about the power of Pepsi » (« Si seulement Papa avait connu le pouvoir de Pepsi »)​. Ce sarcasme, massivement partagé, illustre à quel point le public a perçu la pub Pepsi comme offensante envers l’histoire des luttes pour les droits civiques.

Face à ce bad buzz viral, Pepsi a été contrainte de réagir en urgence. Moins de 48 heures après le lancement, la publicité a purement et simplement été retirée de toutes les plateformes​. La marque a publié dans la foulée des excuses officielles, reconnaissant être complètement passée à côté de son objectif. « Clairement, nous sommes passés à côté de la cible, et nous nous en excusons. Nous n’avions pas l’intention de traiter un sujet sérieux à la légère… Nous retirons le contenu et arrêtons toute diffusion. Nous présentons aussi nos excuses à Kendall Jenner pour l’avoir mise dans cette position », a déclaré Pepsi dans son communiqué de crise​. Cette admission publique – « We missed the mark and we apologise » – visait à éteindre l’incendie médiatique en endossant la responsabilité du faux pas.

Malgré le retrait rapide de la campagne, les dégâts sur l’image de Pepsi ont été bien réels. Dans les jours qui ont suivi, de nombreux articles de presse, chroniques TV et vidéos YouTube ont analysé les raisons de ce fiasco, ancrant un peu plus l’association de Pepsi avec cette bévue historique. Des études d’opinion ont mesuré un recul notable de la perception de la marque, notamment auprès des jeunes. D’après les données de YouGov, Pepsi a connu dans les mois suivant le scandale son plus bas niveau de perception depuis 8 ans auprès du public millennial​. Le score d’opinion des jeunes concernant Pepsi a chuté significativement au printemps-été 2017, signe d’un impact durable du scandale sur la cible que la pub voulait initialement séduire. De même, l’indicateur de “purchase consideration” (intention d’achat) chez les 18-34 ans a plongé juste après l’affaire, avant de remonter progressivement vers la fin de l’année​. En clair, Pepsi a temporairement perdu des points de capital sympathie et risqué de voir certains consommateurs se détourner de ses produits au profit de concurrents.

Sur le plan financier, il est difficile de dissocier précisément l’effet du bad buzz Pepsi de l’évolution globale du marché, mais on estime que cette crise a coûté des millions de dollars en perte de revenus potentiels​. Au-delà des chiffres immédiats, la publicité avortée de Kendall Jenner est devenue un cas d’école en matière de communication ratée. Pepsi a dû travailler dur pour redorer son blason dans les mois et années qui ont suivi, en évitant soigneusement de retomber dans ce genre d’écueil. Quant à Kendall Jenner, elle a gardé le silence publiquement pendant la tempête, avant d’exprimer plus tard sa « gêne » et ses regrets à la télévision, preuve que cet épisode a aussi entaché son image personnelle.

Les leçons à tirer : comment éviter un tel échec en communication

Le fiasco de la publicité Pepsi/Kendall Jenner offre de précieux enseignements pour les marques souhaitant communiquer de manière percutante sans provoquer de bad buzz. Voici les principales leçons à retenir de cet échec :

  • Bien comprendre le contexte social et son public : Une campagne doit être ancrée dans la réalité et tenir compte de la sensibilité du moment. Ignorer la profondeur d’un mouvement comme Black Lives Matter et la souffrance qu’il englobe était une grave erreur. Avant de surfer sur une cause ou un phénomène de société, une marque doit s’informer, écouter les communautés concernées et évaluer si son message sera perçu comme légitime. Comprendre son public cible comme le fond de sa poche est indispensable – en particulier sur des sujets chargés d’émotion​.

  • Authenticité avant tout : Le public, surtout les jeunes générations, dispose aujourd’hui d’un « radar à l’inauthenticité » très affûté​. Sauter sur une tendance ou une cause juste pour faire du buzz est presque toujours perçu comme opportuniste et cynique. À l’inverse, les campagnes qui réussissent sont celles qui traitent les sujets sociétaux de manière respectueuse et sincère​. Une marque doit donc aligner ses actes avec ses paroles : soutenir une cause ne peut pas se limiter à une mise en scène publicitaire, cela doit s’inscrire dans une démarche plus globale (dons, initiatives concrètes, changement interne, etc.), faute de quoi le public sanctionnera le décalage entre le discours et la réalité.

  • Choisir soigneusement ses ambassadeurs : Le choix de la personnalité qui porte votre message est crucial. Si vous abordez un thème militant ou social, il est judicieux de s’associer à des porte-paroles crédibles et légitimes sur le sujet. Une égérie en inadéquation avec le message (ici, une star déconnectée pour représenter une lutte sociale) décrédibilise instantanément la campagne. Les influenceurs ou célébrités choisis doivent incarner les valeurs que la marque veut mettre en avant, sans quoi le public verra l’incohérence. En somme, évitez le “casting de prestige” si celui-ci n’a pas de sens par rapport au propos.

  • Intégrer la diversité et l’empathie dans le processus créatif : Pour communiquer sans faire de faux pas culturels, entourez-vous de personnes diverses et à l’écoute. La présence de voix différentes au sein des équipes marketing ou lors des phases de conception permet de détecter d’éventuels messages problématiques. Par exemple, consulter des collaborateurs issus de la communauté que l’on met en scène (ou des experts externes) peut éviter des maladresses coûteuses. La représentation interne est une clé pour saisir les nuances et éviter de tomber dans les stéréotypes ou l’appropriation. En un mot, faites preuve d’empathie et de réflexion en amont, plutôt que de simplement « penser avoir une bonne idée » en vase clos.

  • Ne pas instrumentaliser les causes sensibles : Dernière leçon, et non des moindres – une cause sociale ou politique n’est pas un simple décor pour embellir une pub. Si la mission première de votre produit n’a aucun lien avec le combat en question, la récupération aura de grandes chances d’être mal vue. Il vaut parfois mieux s’abstenir de communiquer sur un sujet sensible si c’est uniquement pour surfer sur la tendance. Les consommateurs attendent des marques qu’elles aient une responsabilité sociale réelle, pas qu’elles transforment chaque mouvement populaire en opportunité promotionnelle​. En somme, toutes les initiatives de « brand activism » doivent être guidées par la cohérence et la bonne foi, plutôt que par le seul profit.

Gestion de crise de Pepsi et perception de la marque aujourd’hui

Consciente du désastre, Pepsi a tenté de limiter la casse en adoptant une stratégie de gestion de crise réactive : retrait immédiat de la publicité, excuses publiques sans ambiguïté, et silence radio le temps que l’orage passe. Ces mesures étaient incontournables pour espérer regagner la confiance du public. Avec le recul, on peut estimer que Pepsi a fait ce qu’il fallait à court terme – la phrase « on s’est trompé et on est désolé » était un passage obligé – mais le mal était fait​. La marque a dû redoubler d’efforts par la suite pour montrer un visage plus positif et à l’écoute.

Dans les mois qui ont suivi, Pepsi a évité de s’engager de nouveau sur des sujets polémiques et s’est recentrée sur des campagnes plus classiques (musique, sport, pop culture) afin de faire oublier ce faux pas. D’après les indicateurs marketing, l’opinion des consommateurs envers Pepsi est progressivement revenue à la normale environ un an après l’incident, ce qui témoigne d’une résilience de la marque – sans doute liée à sa position de leader de longue date​. Néanmoins, ce retour à la normale a pris du temps et s’est accompagné d’une remise en question en interne. Des changements dans les processus créatifs et l’approche marketing ont probablement été mis en place pour éviter qu’un tel raté ne se reproduise.

Aujourd’hui, le scandale de la pub Pepsi avec Kendall Jenner reste dans les annales du marketing comme un exemple emblématique de ce qu’il ne faut pas faire. Il a sensibilisé de nombreuses entreprises sur les risques du « woke washing » (le fait de surfer superficiellement sur des causes sociales). Pepsi, de son côté, a survécu à la tempête et continue d’être l’une des plus grandes marques de soda au monde – mais avec une leçon apprise à la dure. Sa tentative malavisée de célébrer l’unité a surtout mis en lumière l’importance pour les marques de faire preuve de tact, d’authenticité et de responsabilité sociale dans leur communication. En définitive, cet échec retentissant aura au moins eu un effet positif : rappeler à tous les communicants que s’engager sur des questions de société exige du sérieux et de l’humilité, bien plus qu’un simple coup de pub.