Rétrospective sur la communication de crise de Starbucks
Pour comprendre pourquoi Starbucks a choisi de prendre part à la discussion sur l’ethnicité qui a suivi les fusillades policières survenues à Ferguson et dans d’autres endroits, et comment l’entreprise considérée comme un héros médiatique a rapidement pris le rôle du méchant face aux victimes, il est important de présenter un peu le contexte. Retour sur un cas bien connu de la communication de crise avec Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication et Fondateur de l’agence LaFrenchCom.
La décision prise par le PDG Howard Schultz consistant à répondre au problème politique de l’ethnicité extrêmement sensible résulte de plusieurs éléments. Il s’agissait d’un prolongement naturel de l’engagement pris par Starbucks pour s’impliquer dans les problématiques affectant la vie de ses employés, de ses clients et de ses communautés.
D’après le responsable de la conformité Corey DuBrowa, « ces dernières années, nous nous sommes posé une question qui selon nous est très importante : Quel est le rôle et les responsabilités d’une entreprise publique dans la société actuelle ? Nous sommes en train de bâtir un autre type d’entreprise, une entreprise axée sur la performance et prenant en compte l’humanité… Nous pensons également que le leadership est essentiel dans le monde d’aujourd’hui, et qu’il ne doit pas provenir uniquement du gouvernement mais aussi des entreprises et des citoyens ».
Cette approche a poussé l’entreprise de café à prendre position sur des sujets tels que la paralysie du gouvernement, la « crise » de la dette, le mariage homosexuel, l’emploi pour les Anciens combattants, la législation ouverte sur le port d’armes, l’éducation, et bien d’autres thèmes, dont beaucoup reflétaient les préoccupations des employés.
Selon DuBrowa, il ne s’agit ni d’une responsabilité sociale organisationnelle ni d’un marketing à vocation humanitaire, « il s’agit de notre culture. Cette approche reflète véritablement Starbucks. Notre mission consiste à inspirer et à nourrir l’esprit humain, et ce, en prenant en compte une seule personne, une seule tasse de café, et un seul quartier à la fois. Cela signifie que l’on ne peut pas se contenter d’être spectateurs de la situation alors que le pays est divisé sur la question des relations raciales… Nous ne possédons pas toutes les réponses, mais nous ne pouvons pas non plus rester silencieux ».
Des recherches menées par l’entreprise de relations publiques Global Strategy Group basée à New York ont par exemple montré que près des trois quarts des américains (72 pour cent) estiment qu’il est important que les entreprises agissent en faveur de questions sociales importantes.
« Les consommateurs sont aujourd’hui beaucoup plus calés et sensibilisés sur le plan social qu’avant », affirme Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication. « Lorsqu’ils choisissent une marque, ils signalent à l’entreprise que non seulement cette marque reflète ce qu’ils recherchent en termes de qualité et de service mais aussi que la marque partage les valeurs des consommateurs. Les clients souhaitent qu’une marque retrace une histoire et reflète les valeurs et les croyances des consommateurs ».
Dans le cas de Starbucks, l’impact global de ses initiatives sociales présente des conséquences positives pour l’entreprise, et la question de l’ethnicité semblait correspondre au paradigme des précédents efforts. Plus de 40 pour cent des serveurs de Starbucks font partie de minorités ethniques et se sentent clairement concernés par les problèmes soulevés suite aux événements survenus à Ferguson et par les incidents similaires.
Mais au vu des divisions que créent les problèmes liés à l’ethnicité, la réaction extrêmement positive des employés de Starbucks face aux efforts déployés pour entamer un dialogue est en fait plus surprenante que le retournement finalement observé contre l’entreprise.
La réaction sur les médias sociaux était à la fois rapide et implacable. DuBrowa a reçu un nombre tellement important de tweets hostiles qu’il a décidé de fermer provisoirement son compte Twitter, une décision qui a certainement fait passer un mauvais message de la part d’une entreprise qui tentait d’entamer une discussion, et qu’il a reconnue comme étant une erreur de sa part.
Même ceux qui soutenaient les objectifs de l’entreprise ont exprimé des critiques selon lesquelles Starbucks n’avait pas « obtenu l’autorisation » de mener le débat de par ses propres actes, que les cafés n’étaient pas un endroit approprié pour une discussion sur un sujet aussi délicat, et que les jeunes serveurs se retrouvaient placés dans une position intenable.
Tai Tran, qui enseigne un cours de marketing sur les médias sociaux à l’université UC Berkeley, a rédigé un article de blog réfléchi dans lequel elle suggère que « la marque Starbucks n’a jamais été associée à la diversité raciale ; en revanche, elle est réputée pour ses prix élevés voire pour l’embourgeoisement qu’elle créé dans certaines villes », et elle prétend qu’un « manque d’authenticité a donné à de nombreux clients l’impression que Starbucks était mal informée lorsqu’elle a tenté de tirer profit de la nouvelle tendance ».
Nick Gourevitch, directeur général et responsable de la division Recherche chez GSG (qui a produit l’étude confirmant que les américains souhaitent que les entreprises s’impliquent davantage dans les questions politiques) affirme que bien que « les recherches que nous avons menées l’an dernier aient montré que même si les américains acceptent de plus en plus que les entreprises prennent position sur des problèmes politiques, cela peut se révéler dangereux lorsque le problème en question n’est pas directement lié au secteur ou aux activités de cette entreprise. Une grande partie des critiques portées contre Starbucks renforce ce sentiment et soulève la question de savoir si un lieu où les gens vont prendre un café le matin est l’endroit idéal pour entamer un débat sur les questions ethniques ».