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Le jargon financier : un obstacle à la communication ?

actionnaires

Aujourd’hui, tout est fait pour l’actionnaire, mais l’actionnaire ne comprend pas toujours ce que l’on fait pour lui. La communication financière des entreprises souffre beaucoup du jargon financier. 

Actionnaires, parlez-vous « ebitda » ?

Car il est dépassé le temps où les entreprises vantaient leur seul savoir-faire et leurs valeurs durables, et communiquaient à l’aide de quelques chiffres clés rassurants. A l’image d’Orange, une des valeurs les plus populaires avec ses millions d’actionnaires individuels, il est devenu de bon ton de décortiquer l’« EBITDA » (Earnings before interest, tax, depreciation and amortization). Et le « Return on equity » (ROE), ou rentabilité des capitaux propres, est régulièrement brandi par les chefs d’entreprise.

« Jargon de technocrates ou d’inspecteurs des finances, pas d’actionnaire industriel », commente un des « petits porteurs » interrogés par la société de conseil en communication financière de crise, sur le thème : « Connaissez-vous ces indicateurs ? ». Et d’ajouter : « La préparation d’une réponse me ferait dépasser les 35 heures en une semaine » …

De cette enquête menée auprès d’un panel de 500 actionnaires individuels il ressort que les « petits porteurs » aimeraient mieux comprendre ce qu’on leur dit…

Des barbarismes financiers nuisibles

Ils n’ignorent pas que derrière ces barbarismes se cachent les critères de la « création de valeur », tant mise en avant par les entreprises, et ils se targuent à 80 % de connaître le fameux ROE. Mais 77 % réclament une définition précise des indicateurs utilisés, 72 % une présentation plus pédagogique, et 96 % une harmonisation par l’ensemble des entreprises des concepts utilisés. Faute de quoi « ces indicateurs multiples, rébarbatifs et incompréhensibles sont à supprimer dans la communication financière des entreprises car ils ne participent pas à éclairer la stratégie des dirigeants ou la performance de l’entreprise ».

Pas de chance, ils sont très à la mode. D’abord, la finance a été gagnée par la pensée anglo-saxonne. Si vous voulez être à la page n’interrogez plus une entreprise sur la distribution de ses dividendes, mais demandez-lui son « payout ». Ne lui parlez plus de son endettement, mais de son « gearing ».

De même, les grands actionnaires anglo-saxons qui veulent comparer la rentabilité de leurs investissements à travers le monde ont mis au goût du jour des éléments d’analyse financière qui gomment les distorsions d’imposition ou d’amortissement : l’Ebitda, c’est grosso modo l’excédent brut d’exploitation ; l’Ebit, c’est tout simplement le résultat d’exploitation. Il faut juste le savoir.

Enfin, la « création de valeur pour l’actionnaire » est devenue la colonne vertébrale des messages présidentiels. C’est un concept bien pratique car il est mal défini et non contrôlé par les commissaires aux comptes. Voilà pourquoi tous les rapports financiers annuels sont introduits par de longs messages des Présidents et des Directeurs Généraux des entreprises. Il s’agit pour eux de raconter l’histoire la plus rassurante et la plus valorisante à partir de ces indicateurs financiers.

En tout cas, venue d’Amérique, la « création de valeur » se conjugue en anglais, et les entrepreneurs ne se donnent malheureusement pas toujours la peine d’en traduire l’intérêt pour leur société oubliant leurs porteurs individuels. Que de temps perdu à préparer cette communication financière … pour que, in fine, le public ne la comprenne pas.

Les analystes financiers s’arrachent les cheveux

Parallèlement, le vocabulaire a évolué au rythme du développement des marchés. On parle de « dilution » ou de « relution » et l’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers) est assaillie de récriminations de petits porteurs qui ne trouvent pas « relution » dans le dictionnaire.

De nouvelles techniques d’évaluation des entreprises sont aussi mises en avant pour justifier les valorisations élevées d’aujourd’hui, et rassurer les actionnaires. Ainsi, les familiers de l’indémodable Price Earning Ratio (PER, simple cours d’un titre divisé par le bénéfice par action) voient aujourd’hui apparaître le PEG, qui rapporte le PER au taux de croissance des bénéfices d’une société (en anglais PER/Growth). De cette manière, gérants, analystes et entreprises commentent plus facilement des PER de 40 en soulignant que plus la croissance est rapide, plus le titre peut être cher.

De même, il a fallu développer des méthodes pour valoriser des sociétés qui ne gagnent pas un sou lors de leur introduction en Bourse. Ce fut historiquement le cas en France sur Eurotunnel et Eurodisney. Là, les choses se compliquaient, car il fallait pouvoir faire des projections de résultat à 20 ou 30 ans et actualiser un « discounted cash flow ». Les analystes eux-mêmes s’arrachent parfois les cheveux, alors les actionnaires individuels…

Lorsqu’arrive la ligne résultat d’exploitation d’un bilan, la majorité des petits porteurs sont perdus. C’est ennuyeux car les entreprises tiennent encore trop souvent un seul discours (inaccessible) à l’ensemble de leurs actionnaires.

Certaines entreprises ont essayé de faire de la pédagogie. Certes, une entreprise doit communiquer sur l’Ebidta car c’est un instrument de comparaison dans son secteur, mais le souci d’une entreprise devrait toujours être de donner à ses actionnaires l’image la plus claire possible de l’entreprise, et d’enrichir leur information afin qu’ils puissent aussi fonder leurs décisions sur des critères plus financiers.

La technicisation de la communication financière et du jargon financier a aussi été un moyen de cacher des réalités économiques et financières. Rendre illisible fut une stratégie de communication financière de crise. 

Les trois chiffres déterminants

Dans tous les grands groupes, du côté des petits porteurs, on s’enquiert surtout du cours de l’action, on demande s’il faut vendre ou acheter sur les réseaux sociaux et les forums spécialisés, on se renseigne sur les métiers de l’entreprise dans les médias. Faute d’en comprendre la signification ou l’utilité, les ratios semblent être le cadet des préoccupations de certains petits porteurs résolus à ne pas comprendre ce jargon financier inaccessible. C’est donc ailleurs que l’on recherche les éléments de stratégie, relève un des « sondés ».

C’est là toute la difficulté. Considérer que complexifier la communication financière est une stratégie efficace pour cacher une réalité est une grave erreur. Cela conduit les actionnaires à aller chercher de l’information ailleurs ce qui fait perdre à l’entreprise le contrôle de son récit.

« Le seul indicateur intéressant pour l’actionnaire, à mon avis, est le bénéfice par action », commente un autre. « Quand j’achète, je regarde d’abord d’où vient le titre, c’est-à-dire ses cours depuis un ou deux ans, par rapport au reste du marché », explique un troisième.

Selon l’enquête, trois chiffres seulement sont déterminants dans les décisions d’investissement : le cours de Bourse, le résultat par action et le dividende. D’autres enquêtes ont aussi souligné la forte corrélation entre l’état d’actionnaire et de client d’une même société : 48 % des actionnaires actifs n’achètent pas d’actions des groupes dont ils n’aiment pas les produits. Et l’Ebitda dans tout ça ? « Bida, j’ai jamais entendu ce mot. »

La place de Paris qui se plaint de la stagnation depuis des années du nombre de ses « petits porteurs » devrait avant tout éviter de leur parler guatémaltèque…