Comment Alstom a accumulé cafouillages et erreurs de communication
Des approximations dans la communication financière de l’équipementier français ont aggravé une crise qui aurait dû être contenue.
Alstom a appris à ses dépens que, en cas de crise, le temps a un effet multiplicateur irréparable.
Comment annoncer une mauvaise nouvelle avec efficacité ? Pas facile. En témoigne la mésaventure boursière d’Altsom, le grand équipementier français qui a dû, au lieu des annonces habituelles de nouveaux contrats dans le monde entier, se frotter à l’exercice plus délicat d’une explication franche et… périlleuse.
Lorsque l’armateur américain Renaissance Cruises demande, le 26 septembre dernier, la protection de la loi américaine sur les faillites, son premier fournisseur, le français Alstom qui contrôle les Chantiers de l’Atlantique pique du nez en Bourse, de manière vertigineuse : -26,88 %, à 18,61 euros, en une journée ! Renaissance Cruises est certes l’un des principaux clients des Chantiers de l’Atlantique.
Mais pour l’actionnaire individuel, qui s’est toujours fié au large portefeuille de clients à long terme de l’équipementier, cette faillite ne suffit pas à expliquer un tel plongeon. C’est que cet actionnaire ne sait peut-être pas tout en particulier des pratiques commerciales d’Alstom, qui se porte garant des prêts souscrits par ses clients pour l’achat de ses paquebots… et dont il supporte les défaillances.
Alstom a tout fait pour masquer les dégâts
Seulement, voilà : l’affaire, courante chez les équipementiers, aurait du être savamment contenue… si Alstom n’avait pas tout fait pour masquer les dégâts causés. Ce savant cocktail d’approximations malheureuses et de retards à l’allumage dans sa communication financière lui auront coûté la bagatelle de 2 milliards d’euros de capitalisation boursière, soit plus du tiers de sa valeur, en trois jours ! Première erreur : la direction d’Alstom a attendu le lendemain de l’annonce de la faillite, soit le 27 septembre au matin, pour « bricoler », en tout petit comité, un communiqué de presse lapidaire. « Quand on sait que ce genre de crise peut arriver, l’anticiper est la première mesure à prendre pour en minimiser les dégâts. Chaque jour de retard peut coûter très cher », constate Marie-Hélène Sergent, PDG de l’agence de communication financière Shan.
Si le retard d’une direction hésitante sur la nécessité de parler est déjà du plus mauvais effet, le communiqué lui-même ne pouvait avoir qu’un effet dévastateur. Dès la première ligne, Alstom invoque « l’effet à court terme sur le marché de la croisière, des attaques terroristes du 11 septembre. »
Alstom n’est certes pas la première société à se servir des attentats contre le World Trade Center pour faire passer ses mauvaises nouvelles. Mais même si le marché de la croisière s’est trouvé brutalement interrompu, qui peut croire qu’il aura suffit de quinze jours pour mettre à genoux l’armateur américain Renaissance Cruises ? Bref, celui qui se vendait depuis toujours auprès de ses actionnaires comme une valeur de fond de portefeuille devient, en une toute petite phrase, une société vulnérable à de multiples risques.
Silence assourdissant face à la crise
Pis encore : « Alstom partage une partie des risques et gains associés à certains de ces navires », reconnaît la direction. De quelle ampleur ? Silence radio. Ce qui devait calmer les plaies a pour effet de faire cuire l’actionnaire à petit feux : celui-ci n’aura pas manqué de combler ce silence assourdissant par quelque interprétation audacieuse ou échafaudage extravagant.
Croyant border les dérapages, l’équipementier français finit son communiqué de presse par une phrase sibylline qui alimente encore les débats des exégètes : « Alstom considère être couvert de manière adéquate contre les risques potentiels, encore incertains aujourd’hui, associés à cette affaire. » Explication : la société a déjà provisionné ce risque dans ses comptes. Au lieu de rassurer, cette phrase suscite interrogations croissantes sur l’exposition réelle du groupe. « En refusant de donner les montants exacts du risque maximum, on ne crée que suspicion sur tout ce qui viendra de l’entreprise », explique un gourou de la communication de crise.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : malgré les « explications » de la direction d’Alstom, le titre a encore dévissé de 9,83 % le 28 septembre. Soit une perte de 34 % en deux séances. Car ce communiqué de presse dont, paraît-il, chaque mot a été pesé par les juristes d’Alstom, a ouvert les vannes à toutes les interrogations auxquelles il eut été si simple de mettre fin le jour même de l’annonce de la faillite. « Il n’y a rien de pire qu’une réponse de Normand, car la vérité finit toujours par sortir. Et, au passage, on a perdu une crédibilité qui peut être lente à reconquérir », explique Marie-Hélène Sergent.
Il aura fallu tout un week-end pour que le président Pierre Bilger comprenne que, cette fois, il y avait peut-être « le feu au lac ». Le 1er octobre, il se décide à donner les réponses attendues, en publiant des « informations complémentaires. » Le groupe révèle enfin que son exposition maximale sur l’armateur américain est de 684 millions d’euros et qu’il a, en outre, des engagements sur d’autres navires de croisière déjà livrés, pour 589 millions d’euros. Cela ne l’a pas empêché de perdre encore 5,24 % en Bourse, à 15,9 euros, le 1er octobre. La capitalisation boursière aura donc fondu de plus de 2 milliards d’euros en trois séances, pour un engagement total sur les armateurs de 1,3 milliard d’euros. L’effort de transparence serait-il venu trop tard ?
Aux prises avec un problème qui peut dégénérer, l’entreprise doit donner immédiatement toutes les informations pertinentes. On sait que dire le “pourquoi” d’une crise permet d’expliquer le “comment en sortir”, et de réintroduire une rationalité face à une réaction excessivement émotionnelle.