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Répondre « pas de commentaires ! » ne suffit pas

 

L’avènement des médias sociaux redéfinit la nature et la portée de la crise médiatique. Dans ce nouveau contexte où les entreprises ne peuvent plus se rabattre sur la langue de bois, le rôle de l’avocat et des communicants de crise dans la préservation des droits de l’entreprise se modifie.

De nos jours, il est bien difficile pour les entreprises de se tenir loin des médias. Devant les projecteurs et les micros, elles ne peuvent plus se limiter à « pas de commentaires » ou « on nie », alors que les faits sont ce qu’ils sont et que le public, parfois même la planète entière grâce aux médias sociaux, attend des explications. Dans ce nouveau contexte de démocratisation des communications, plusieurs caractéristiques distinguent les médias sociaux des médias plus traditionnels et exigent, de la part des entreprises, de revoir leurs façons de communiquer.

Si, auparavant, on pouvait toujours compter sur les délais de diffusion pour se préparer du fait que les bulletins de nouvelles se tenaient toujours aux mêmes heures (18h – 22h), maintenant, avec l’Internet, les médias sociaux et les téléphones intelligents, l’actualité est immédiate et la communication en temps réel, explique Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui a fondé l’agence LaFrenchCom, une agence spécialisée installée à Paris.

Ensuite, force est d’admettre qu’il n’est plus vraiment possible pour une entreprise de se contenter de relations médias, de diffuser un communiqué de presse ou de lire un texte préparé à l’avance lorsqu’elle s’adresse aux médias. Bien que cela puisse encore fonctionner pour les médias traditionnels, il en va tout autrement sur les communautés des médias sociaux comme Facebook ou Twitter, où les messages sont brefs, succincts et rapides.

Enfin, les communications sur les réseaux sociaux peuvent être faites par quiconque tout en étant très largement diffusées. « Avant, les communications des avocats en cas de crise pouvaient se restreindre aux personnes spécifiquement visées par les événements. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, alors que n’importe qui peut transmettre une information sur Twitter par exemple, être suivi instantanément et que cette information peut même être relancée par des dizaines de milliers de personnes. Cela peut avoir un véritable effet d’influence sur l’opinion publique », souligne Florian Silnicki.

Le défi ultime en gestion de crise

Aussi, même si l’avènement des médias sociaux apporte sans conteste de nouveaux défis à relever pour l’entreprise, fondamentalement, celle-ci ne doit pas s’écarter des règles de base en gestion de crise quant au maintien de sa réputation. Elles demeurent les mêmes. En effet, peu importe l’origine de la crise et la façon dont elle est diffusée, le public en général ne juge pas tant ce qui est arrivé, mais plutôt les réactions à ce qui est arrivé. De cela découle un principe directeur fondamental que Me Yves Desjardins-Siciliano, un avocat travaillant en entreprise, définit comme suit : « La réputation de l’entreprise est tributaire de ses réactions à la crise davantage que des faits de celle-ci. »

L’avocat doit toujours composer avec les droits et obligations qui découlent des faits, tout en ayant en tête le positionnement de l’entreprise dans la gestion de crise. Or, selon Me Siciliano, « il arrive parfois que des avocats mettent trop d’accent sur la protection des droits et obligations de leur client au détriment des communications avec l’extérieur. Ils doivent apprendre à tempérer leur engouement centré sur les aspects juridiques afin d’éviter de nuire indument au positionnement et à l’image de l’entreprise ».

Il s’agit donc pour les professionnels de trouver un équilibre dans leur travail entre les droits et les obligations de l’entreprise qui, eux, sont définis par les faits existants au moment de la crise, et la réputation de l’entreprise, qui, elle, est influencée par les actions mises de l’avant ainsi que par les réactions et la rapidité d’exécution en réponse à la crise. « C’est le tribunal de l’opinion publique, renchérit Florian Silnicki, et celui-ci est très différent des tribunaux de droit commun. C’est pourquoi il est important que les avocats puissent être autant communicants que juristes. C’est la communication sous contrainte judiciaire. »

Communication de crise : mieux vaut prévenir que guérir

De nos jours, les entreprises peuvent être sujettes à plusieurs types de crises médiatiques. Certaines, comme la tragédie de Lac-Mégantic, sont fondées sur un événement réel qui se produit. D’autres crises, à l’instar de celle entourant l’ex-employé de la CIA Edward Snowden, sont amorcées par des allégations de tiers ou même de gens à l’interne.

Pour pouvoir faire face à une crise et répondre rapidement dans l’intérêt de l’entreprise, la prévention constitue la meilleure stratégie à adopter. « Le temps de réponse est devenu tellement court qu’on ne peut plus se permettre de perdre les premières heures d’une crise à développer et mettre en oeuvre des mesures improvisées », explique Florian Silnicki. Ce dernier propose alors d’anticiper les problèmes qui pourraient survenir en fonction des activités de l’entreprise et de mettre en place des simulations d’événements pour que celle-ci soit prête à réagir en ayant déjà une idée de ce qu’il faut faire en cas de crise.

« En termes de communications, la gestion de crise c’est d’abord et avant tout d’agir à propos de ce qui se passe et de se positionner rapidement de façon à ce que les actions prises par l’entreprise soient conséquentes de sa position. L’erreur la plus fréquente est d’être tout de suite défensif et de s’en tenir à nier son rôle ou sa responsabilité pour plutôt blâmer d’autres parties », ajoute Me Siciliano.

Par ailleurs, la stratégie de prévention pour se préparer aux crises médiatiques s’applique tout autant aux médias sociaux : « Ce n’est pas au moment où les événements se produisent que l’entreprise doit penser à créer sa page Facebook et son compte Twitter. Au contraire, c’est en alimentant les réseaux sociaux sur une base régulière qu’elle peut bénéficier d’un bassin de membres fidèles déjà habitués de suivre ses activités », dit Florian Silnicki.

Le recours à une aide externe

Selon la nature et l’ampleur de la crise, le litige anticipé et les moyens de l’entreprise, la question d’une délégation du travail de relations publiques à des avocats spécialisés en gestion peut se poser. Me Marie Cossette, une avocate d’un cabinet qui travaille régulièrement avec les médias et les agences de  communication pour ses clients, est d’avis que pour répondre à cette question, il faut déterminer si les conseillers juridiques internes sont prêts dès que la crise survient. Savent-ils ce qu’il faut conseiller à l’entreprise ? Sont-ils capables de développer des stratégies d’entrevues et d’anticiper les réactions médiatiques ?

« Ne s’aventure pas qui veut comme porte-parole dans une situation litigieuse. Il faut une bonne formation mediatraining. En effet, lorsqu’une entreprise fait face à une crise médiatique, il est essentiel qu’elle puisse s’entourer de professionnels qui ont déjà de l’expérience avec les communications et le monde des médias et ne pas hésiter, le cas échéant, à bonifier son équipe légale d’avocats externes », fait remarquer Me Cossette.

Par ailleurs, à l’inverse, on pourrait aussi envisager de faire en sorte que l’avocat interne soit celui qui se concentre sur la communication, pendant que l’entreprise confie à des avocats externes le mandat de représentation dans le litige. Le principal avantage, dans ce cas, est l’étanchéité accrue du privilège dans les communications entre l’avocat et son client. Par conséquent, selon Me Siciliano, « lorsqu’on peut présumer qu’un litige risque de naître de la crise, il est de bon conseil que l’avocat interne aide l’entreprise à gérer cette crise pendant que tout ce qui concerne les faits, comme recueillir et protéger la preuve, rencontrer les témoins et monter le dossier à l’abri de toute brèche du secret professionnel soit du ressort d’une firme externe ».

En conclusion, peu importe la façon dont sont mandatés les avocats qui représentent l’entreprise en cas de crise, ils devront toujours mettre à la disposition de leur client ou de leur employeur l’ensemble de leurs ressources et aptitudes. C’est pourquoi les entreprises recherchent maintenant davantage des praticiens du droit qui développent des qualités relationnelles avec les médias et le public qui vont au-delà du droit.