Hydro-Québec doit rebâtir sa propre capacité à communiquer avec les citoyens.
Hydro-Québec, qui fait encore la une des médias ces jours-ci, a un problème de communication. L’affaire Churchill Falls, qui fait toujours parler d’elle dans les cercles des communicants, en fut une indication. Mais le problème déborde la communication corporate. Ce qui est en cause, c’est la capacité de la société d’État d’entrer en contact et d’établir sa crédibilité auprès des citoyens. Bref, de se comporter comme une entreprise publique.
L’affaire avait soulevé un tollé en juin. Le public apprenait que l’annonce du projet hydroélectrique de Churchill Falls avait coûté 1,8 million de dollars, dont plus de 700 000 $ versés en honoraires à National, la plus grosse agence de communication corporate au pays. L’opposition libérale avait saisi la balle au bond. Odeur de scandale politique. L’affaire continue de faire parler d’elle mais surtout à cause du malaise provoqué dans les cercles des communicants dont l’image en a pris un dur coup. Un concurrent a accusé le cabinet de conseils en communication dirigé par Luc Beauregard de facturer des frais sans justification. Mais voici qu’un vérificateur externe blanchit National. Ne vous sentez-vous pas soudainement rassurés sur le bon usage des fonds publics?
Pendant que les communicants se chamaillent et cherchent à sauver leur réputation, nous passons à côté de ce qui devrait faire l’objet du débat. Outre le fait que les honoraires versés pour cet événement représentent un joli magot (même si ce n’est pas grand-chose à l’échelle continentale), le problème soulevé par cette affaire est moins lié aux montants qui sont en cause qu’au principe même de confier à une firme contractuelle des tâches d’une portée stratégique aussi importante pour un État et pour une société d’État. Le mandat de National débordait l’organisation d’une simple conférence de presse. L’agence a participé aux discussions sur la définition des enjeux et de la stratégie de communication. Elle s’est chargée d’informer des investisseurs et des institutions financières ainsi que des chefs amérindiens. Cette agence de communication a eu accès à des secrets d’État.
Cette pratique n’est pas nouvelle. Les politiciens ont un rapport conflictuel avec la communication politique. Ils ne font pas confiance à l’administration publique pour faire le travail correctement. En témoigne ce réflexe de Lucien Bouchard qui s’est dit que, pour une annonce de cette envergure, il fallait une firme de grande réputation, la meilleure agence de communication. Cette attitude soulève des questions sur la compétence des hauts fonctionnaires. N’y avait-il pas à Hydro-Québec, dont le service de communication compte tout de même toujours 80 personnes et dépense chaque année 18 millions de dollars, quelqu’un capable de définir la stratégie? N’aurait-on pas eu plus de chance, d’ailleurs, d’y trouver quelqu’un mieux à même, parce que familier avec ce genre de situation, de prévoir l’attitude des autochtones qui ont perturbé le déroulement de l’activité? En outre, pour parler aux investisseurs, n’aurait-il pas été plus normal qu’un vice-président aux finances s’en charge? N’est-ce pas son métier d’expliquer les implications d’un projet de 12 milliards de dollars?
Le recours à des agences de communication par les gouvernements soulève aussi des questions de conflits d’intérêt et de loyauté. Les contrats gouvernementaux ne représenteraient qu’une faible part de leur chiffre d’affaires. Cela est peut-être vrai mais là n’est pas la question. Lorsque ces entreprises oeuvrent pour l’État, elles ont accès à des informations privilégiées et tissent des contacts durables. Que font-elles de cette information lorsque, quelque temps plus tard, elles organisent une campagne de presse pour une grande entreprise qui cherche à obtenir des faveurs ou à contrer une décision du gouvernement?
Il est difficile de dire si cela est lié au fait de faire appel à des contractuels pour les grandes opérations de relations publiques, mais il reste qu’Hydro-Québec semble avoir perdu sa capacité propre de penser par elle-même ses communications avec les citoyens. Hydro-Québec se comporte de plus en plus comme une simple entreprise commerciale. Elle semble avoir perdu, c’est en tout cas l’impression que cela donne, le sens de ce qu’est une entreprise publique et des obligations qui sont liées à ce statut. Il paraît de plus en plus difficile d’avoir l’heure juste de la part de cette entreprise qui a pourtant des comptes à rendre à la population. Les Québécois sont les premiers clients de la société d’État mais ils sont aussi, comme le disait Lucien Bouchard, «des sociaux-démocrates actionnaires de la plus formidable multinationale publique du continent»
Une entreprise publique a des obligations de transparence qui n’incombent pas à une entreprise privée. Ses relations publiques ne sont pas de la même nature que celles d’un compagnies privée. Le Protecteur du citoyen a formulé les termes d’un pacte auquel devraient se conformer les organismes publics dont l’article premier rappelle la nécessité de faire part au citoyen des décisions qui le concernent en prenant soin d’en expliquer les motifs, de fournir en temps utile une information adéquate, de considérer le secret comme une exception et de consulter la clientèle.
Or les médias font état ces jours-ci de plusieurs informations concernant Hydro-Québec qui indiquent des accrocs à ces principes. La société contourne les processus de consultation et d’évaluation environnementale pour la construction de lignes à haute tension. Elle refuse de divulguer des informations sur le niveau d’eau dans ses réservoirs. Elle veut soustraire à l’examen de la Régie de l’énergie ses coûts de production. Elle s’est abstenue d’expliquer, la semaine dernière, pourquoi elle remettait en marche la centrale thermique et polluante de Tracy.
Malgré ses agences de relations presse et son lobbying, Hydro-Québec semble incapable d’établir une relation de confiance avec les groupes environnementaux et avec les comités de citoyens lorsque ceux-ci ne sont pas promoteurs de centrales. Elle poursuit une politique axée sur l’exportation sans jamais avoir démontré, aux dires des experts membres d’un comité interne dont l’avis a été tenu secret jusqu’à ce que des journalistes mettent la main dessus, que cette pratique était bien fondée sur les plans environnemental, social et économique.
Et le doute continue de subsister sur la finalité réelle de la ligne Des Cantons dont la construction incommode les citoyens de Val-Saint-François: sécurité énergétique ou exportation. Une société publique ne peut pas jouer au chat et à la souris avec ses actionnaires. D’autant plus que son action a des effets structurants sur l’environnement, sur l’économie régionale, sur les relations avec les peuples autochtones et sur notre approvisionnement énergétique. En un mot, sur notre avenir.