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Les coulisses d’un mediatraining de criseActualitésLes coulisses d’un mediatraining de crise

Les coulisses d’un mediatraining de crise

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Cette crise a duré quatre jours. Une éternité pour ceux qui la subissent. Des nuits à ne pas dormir imaginant les articles publiés le lendemain. Des journées à s’inquiéter devant les questions piquantes des journalistes et devant le stress communicatif de la Direction de la Communication.

Des centaines d’heures de débats sur les plateaux TV, sur les radios, des dizaines d’articles dans la presse écrite relayés et déformés par les réseaux sociaux multipliant les mentions de la marque de l’entreprise, le nom de ses dirigeants aux côtés de rumeurs qui inquiètent les clients comme les consommateurs et de fausses informations qui inquiètent les investisseurs comme les pouvoirs publics. Une crise qui accuse, comme une lame de fond. Des dirigeants d’une grande entreprise violemment malmenée par une opinion publique légitimement en colère, frustrée de ne pas avoir de réponses à ses questions et à ses inquiétudes. Le préjudice réputationnel est violent.

Aux côtés des dirigeants de cette entreprise malmenée par la crise, les communicants de crise tiennent, seuls, contre la houle médiatique. Revissent leur défense médiatique, colmatent en précisant les faits et consolident les éléments de langage ce que chaque vague de publications menace. Certaines publications sont plus dangereuses que d’autres. Certains médias pratiquent d’ailleurs le feuilletonnage, publient un article puis un autre pour compléter le premier avant d’en publier un troisième contenant de nouvelles « révélations à charge ».

« Notre client en a pris plein la gueule. Nous venons de prendre en mains ce dossier qui est sensible. Les enjeux sont énormes mais passionnants. Notre mission c’est de protéger l’entreprise et ses dirigeants de ces attaques violentes et souvent injustes, de faire le fusible à l’égard des demandes de médias, de permettre à l’entreprise de retrouver une activité normale » ajoute le consultant en gestion de crise qui reprend chaque faille des articles, chaque approximation des journalistes, chaque contradiction des polémistes. Il retient les incohérences des « génies du commentaire permanent de salons ». Ce conseiller en communication de crise, habitué des situations médiatiques critiques, s’efforce d’entraîner tous les journalistes qui multiplient les appels, un à un derrière lui sur le chemin du doute.

Le mediatraining ou le mot qui peut tuer

Comment décrire la relation si particulière, si forte, qui unit un conseiller en communication de crise et son client ? Sans doute se rapproche-t-elle de celle d’un avocat et de son client devant la Cour d’Assises. Ces spécialistes de la communication de crise sont d’ailleurs des experts de la communication sous contrainte judiciaire, cette spécialité qui consiste à accompagner les avocats dans les grands procès médiatiques afin de faire entendre la voix de leurs clients.

La séance de formation mediatraining à laquelle il nous est permis d’assister, l’est à condition de ne dévoiler ni les identités des participants ni le puissant groupe, chahuté par une crise médiatique, qu’ils représentent. Une table, un épais dossier sur la table, deux hommes face à face entourée de femmes de l’agence LaFrenchCom. Dans le dossier, une crise grave avec des centaines de victimes potentielles d’un rappel de produits contaminés mal organisé. D’un côté de la table, le représentant du groupe accusé. De l’autre, son avocat médiatique : le consultant en communication de crise appelé à la rescousse par l’avocat pénaliste du fonds d’investissement pour aider son client à se défendre dans les médias.

On est dans une agence de communication de crise au coeur de Paris, quelques jours après que la fuite d’une information ait profondément bouleversé le quotidien d’une entreprise. Ici, au sein de cette agence, on façonne sur mesure de la défense médiatique.

Ça a commencé par un long regard du communicant de crise sur son client, de haut en bas, de bas en haut. Sévère, le regard.

« Vous avez tardé à réagir. Cela a fait de vous un suspect. Les journalistes, à l’image de leurs lecteurs, pensent que vous avez quelque chose à cacher et à vous reprocher. Vous serez d’autant plus crédible sur l’essentiel que vous aurez cédé du terrain sur ce qui ne l’est pas, d’accord ? Il faut que ça glisse, que les questions des journalistes et les critiques des réseaux sociaux glissent sur vous. » pose d’emblée le fondateur de l’agence de gestion de crise réputée pour son efficacité chrirurgicale qui ajoute « vous êtes dans une position très difficile. Les médias vous attaquent violemment. Cette interview est clé. Ce sera un moment de libération, pour vous. C’est dur mais c’est là qu’il faut convaincre, sur ce plateau TV. Il y a deux règles : si vous n’en dites pas assez, le journaliste va vous en vouloir. Si vous en dites trop, vous prenez le risque de vous perdre et de dire ce que vous ne voulez pas. » conclut, avec une empathie particulière, le rassurant patron du cabinet de conseil en gestion de crise.

La séance de formation mediatraining s’est déroulée en deux temps. Les deux modules de mediatraining ont consisté à développer la thématique de la crise sous les deux angles polémiques les plus abordés dans la presse et sur internet.

« Dans les médias, tout compte. Ce qui se passe dans l’interview et ce qui se passe hors de l’interview, vos échanges avec les journalistes, les équipes de radio ou de télévision en arrivant et en partant. Vous allez peut-être fumer une cigarette avant ou après l’interview qui vous stresse. Les journalistes feront peut-être pareil que vous au même moment. Ils ne doivent pas vous voir arrogant à l’égard de la crise ou en train de rire. Rappelez-vous : tout compte. C’est un combat, la prise de parole dans les médias. Les journalistes ne vous feront pas de cadeau comme nous ne leur en feront aucun. Il ne faut céder sur rien de votre mobilisation face à la situation. Sur aucun fait. Sur aucun chiffre. Sur aucune date. Sur rien. » insiste le réputé conseiller en communication de crise.

Le conseiller en communication de crise, un d’Artagnan médiatique

Lors du premier module de formation mediatraining, les consultants en communication de crise estiment que leurs clients est trop en retrait. « Il est vite apparu que vous n’étiez pas suffisamment « dans l’interview », tant dans la forme qui manquait de rythme que dans le contenu trop descriptif. Au cours du deuxième module de formation mediatraining, vous avez toutefois su vous détendre, ce qui a rendu votre propos plus naturel, et donc plus convaincant. » analyse l’expert en gestion de crise.

Le journaliste expérimenté qui mène le mediatraining a fait le choix de commencer son interview en entrant directement dans le vif du sujet de crise sans laisser le temps de l’échauffement au stagiaire. « Cette entrée en matière abrupte vous a quelque peu déstabilisée » détaille le professionnel de la communication de crise.

« Vous ne sembliez pas assez partie prenante d’un réel échange avec le journaliste. Votre propos n’était pas assez dialogué. Vous donniez le sentiment de réciter une leçon bien apprise et, à plusieurs reprises au cours de ce premier module, vous avez donné l’impression de vous replonger dans votre argumentaire pour y puiser les messages à développer. Une telle posture pourrait vous desservir car elle ne renvoie pas une image d’authenticité et pourrait de ce fait susciter la méfiance du journaliste et du public » assène méthodiquement le conseiller en communication sensible qui semble « porter » son client manifestement débordé par l’ampleur de la crise.

« Nous allons nous battre comme des chiens pour vous protéger médiatiquement. Mais notre devoir, c’est aussi de prévoir le cas où la crise médiatique s’aggrave. Alors, il faut que j’envisage ce qui peut vous coûter le moins cher réputationnellement. » ajoute le spécialiste de la communication de crise.

« Par ailleurs, tout au long de ce module de formation mediatraining, vous avez été trop poli, trop lisse. Vos réponses n’étaient pas assez incisives. Au lieu de répondre immédiatement et directement à la question posée par le journaliste, vous avez souvent pris le temps de vous installer retardant d’autant le temps de la réponse. De ce fait, l’interview manquait de rythme, l’ensemble était trop monotone. Il faut donc travailler sur la forme pour fluidifier et simplifier votre discours, mais aussi pour gagner en force de persuasion. » recommande l’expert en communication de crise.

C’est ensuite au ton de la voix : « c’est la preuve de votre conviction » confesse le communicant de crise.

« L’intonation de votre voix est importante. Parfois, le journaliste vous a volontairement posé des questions provocatrices. Votre réponse était certes claire et ferme dans son contenu mais elle manquait de conviction dans la forme car le ton de votre voix était trop monotone. Votre prise de parole est un élément indispensable de la stratégie de communication de crise de votre Groupe. Parler aux médias dans cette crise est une des actions de communication entreprise pour lutter contre les effets de la crise pouvant avoir des effets néfastes durables sur l’image de votre entreprise. » détaille avec empathie et pédagogie l’expert en gestion de crise.

Le conseiller en communication de crise ne lâche pas son téléphone portable des yeux. Il lui faut gérer à la fois l’annonce d’un plan de licenciements chez un industriel, les conséquences d’un accident industriel sur les riverains mobilisés et hystérisés contre une usine de méthanisation régionale, la pollution d’un cours d’eau local par une industrie chimique, la présence de rats dans une conserverie qui fournit la grande distribution, etc… Les dossiers sensibles se multiplient. Les enjeux réputationnels sont majeurs. Ce qui se joue ? La confiance avec le public et donc la performance et la valorisation de ces entreprises.

Faire la pédagogie de la situation

« Maladresses de formulation, hésitations, avalanche de chiffres : votre embarras était perceptible. Vous auriez dû prendre le temps de répondre, de réfléchir à vos arguments au lieu de vous aventurer sur un terrain que vous ne maîtrisez pas. Cette voie était d’autant plus dangereuse qu’elle vous a conduit à évoquer des éléments préjudiciables à l’entreprise que vous représentez (plans sociaux, crise du secteur, situation de récession : autant d’éléments qui pourraient effrayer les actionnaires…). Outre ces points négatifs, répondre à une question qui n’est pas de votre ressort sans prendre le temps de la réflexion vous fait donc prendre le risque de ne plus être crédible en tant qu’interviewé. » détaille le spécialiste de la com de crise qui fournit au porte-parole de l’entreprise toutes les clés d’une bonne prise de parole médiatique.

Le spécialiste des situations de crise rappelle aux dirigeants formés « il s’agit ici de retenir l’attention de celui qui vous écoute par des exemples qui étonnent ou qui marquent l’esprit. Outre la nécessité d’adopter un discours pédagogique pour répondre de façon claire aux questions, vous devez également savoir vous adapter à votre auditeur et rattacher votre discours à des éléments qui lui sont familiers. Une telle démarche permet de toucher l’auditeur car il lui est alors possible d’inscrire votre discours dans sa réalité quotidienne. La pédagogie et l’explicitation de votre discours est donc une donnée importante qu’il faut savoir doser afin de faciliter la compréhension de votre propos par le plus grand nombre. Veillez toutefois à ne pas trop en faire en matière de pédagogie. N’infantilisez pas l’auditeur. »

Soudain, le dirigeant éructe « vous, les journalistes, vous … ». Le fondateur de l’agence de communication de crise l’interrompt. « Vous vous rendez compte de l’effet de ce genre de phrases sur ceux qui vous interrogent et sur ceux qui vous regardent ? Votre image peut être durablement écornée par ce type de formulations qui n’ont pas lieu d’être ».

Hiérarchiser les réponses

« La question de la hiérarchie des réponses est une donnée cruciale. En effet, lors d’une interview, il convient de donner d’abord sa conclusion. Quand vous pouvez répondre par oui ou non, faites-le. Une réponse de ce type, sans détour, permet d’accrocher l’auditeur. Cette première étape est essentielle pour pouvoir capter son attention et ainsi diffuser le message choisi. Ensuite, seulement, vous pouvez rentrer dans les détails de l’explication technique, développer vos arguments et pondérer votre propos. » explique le journaliste spécialisé dans la prise de parole médiatique. « Outre le fait de capter l’auditeur, cela aurait également permis de vous donner une image d’honnêteté et de franc parler. » ajoute le consultant en communication de crise.

« La question sur tel aspect de la crise est également édifiante : vous voyant esquiver la question, le journaliste a insisté à deux reprises pour que vous apportiez une réponse pour finalement vous exhorter à répondre clairement par oui ou par non à sa question. » débriefe l’expert en gestion de crise médias qui montre à son client comment éviter les pièges de l’interview mais lui permet surtout de comprendre comment reprendre la main efficacement sur l’exercice journalistique.

« Lors d’une question sensible, et lorsque cela est possible, pensez donc à privilégier l’utilisation des termes de la question posée pour répondre sauf quand cela est négatif pour vous. Cela montre que vous répondez sans détour et précisément à la question posée. Il faut garder à l’esprit qu’un entretien n’est jamais repris in extenso : la presse écrite en retiendra des citations, la presse audiovisuelle en fera un montage. Puisque vous maîtrisez d’ores et déjà le fond, il s’agit maintenant, pour vous, d’apprendre à mieux contrôler votre discours sur la forme : « dire moins mais mieux ». Pour se faire, il faut éviter les phrases trop longues : soyez claire et directe pour ne pas perdre l’attention de votre auditeur. Si en direct, il convient donc d’aller à l’essentiel pour coller à la question posée, souvenez-vous qu’avant le montage, un entretien enregistré reste à l’état de « brouillon » tant que le montage n’a pas été réalisé. Vous pouvez par conséquent vous accorder un temps de réflexion pour apporter une réponse juste et même stopper l’entretien si celle-ci ne correspond pas à ce que vous vouliez dire. En revanche, sur une question délicate, un silence trop marqué peut valoir une réponse ou venir « contredire » la réponse formelle qui suivra. » explique le consultant en gestion de crise.

Les conseils pratiques et astuces de mediatraining

  • N’oubliez pas que l’image (visuelle ou sonore) que l’on dégage sera la représentation de l’image de l’entreprise. Une attitude dégagée, figée, contrainte ou maussade sera associée, dans l’esprit du grand public, à l’image du groupe.
  • Pensez à décomposer toutes les réponses en deux temps : idée et exemple (chiffres, ordre de grandeur, etc.). Ils vous permettront de mieux « capter » l’attention du public et d’atteindre le double objectif de l’interview : informer et étonner.
  • Soyez directe et brève dans vos réponses. Commencez toujours par la réponse à la question posée et développez vos arguments dans un second temps en priorisant ces derniers. Ne cherchez pas à tout dire.
  • Lorsqu’une réponse implique le développement de plusieurs arguments, pensez à « prendre l’auditeur par la main » en donnant le plan de votre réponse. Ainsi, celui qui vous écoute aura l’ensemble des éléments de la réponse et vous suivra plus facilement dans votre argumentation.
  • Veiller à être suffisamment complète (mais pas trop) pour induire les questions suivantes. Vous devez garder à l’esprit que l’enchaînement des questions se fait souvent en réaction au contenu de la réponse précédente.
  • N’hésitez pas à corriger les erreurs que pourrait dire un journaliste, quitte à surprendre par votre réponse.
  • Si l’interview n’est pas en direct, n’hésitez pas à vous accorder un temps de réponse sur des sujets sensibles ou à interrompre une question si votre réponse vous semble inadaptée. Et sachez déminer les questions du journaliste en préparant en amont les questions sensibles qu’il pourrait vous poser.
  • Gardez toujours à l’esprit la nature du public auquel vous vous adressez (spécialistes, grand public, etc.), le type de support au sein duquel vous intervenez (presse écrite, TV, radio) et les conditions d’interview qui leur sont associées (direct, différé).

Il est tard, ce vendredi. Le cendrier posé sur la table déborde. Rendez-vous est pris lundi matin, à Boulogne-Billancourt, à 8h15, au pied des locaux de la chaine d’informations en continue qui va diffuser cette interview.

« Et pendant ces quelques jours du weekend, on se tient au silence médiatique.
– On va tâcher.
– On va se taire tout court. » ajoute le président du cabinet de gestion de crise.