Communication de crise: La banque suisse UBS dans la tourmente judiciaire. Comment bien communiquer face à une telle crise ?
Dix ans à peine que le monde a subi de plein fouet la crise des subprimes, la crise financière puis la crise économique qui s’en est suivie sur le plan mondial. Alors que le traumatisme est encore frais dans les mémoires, les deux années précédentes ont particulièrement été riches en tumultes boursiers et en scandales financiers de tout genre. La crise des subprimes telle un phénix qui renaît de ses cendres n’a pas fini de faire parler d’elle une décennie après. Retour sur cette crise avec Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui dirige l’agence LaFrenchCom reconnue comme l’une des meilleures agences de communication de crise, de gestion de crises et de communication sous contrainte judiciaire de France.
Plusieurs banques sont en effet épinglées pour avoir vendu à l’époque des actifs hypothécaires qu’elles savaient pourtant toxiques. Même si plusieurs banques telles que Citigroup, Morgan Stanley et Deutsche Bank pour ne citer que ces exemples sont dans le collimateur de la justice américaine, le cas de la banque zurichoise UBS est particulièrement préoccupant, car celle-ci doit faire face à deux marathons judiciaires. En effet, la banque mère est visée par une plainte du département américain de la justice alors que dans le même temps, sa filiale française doit faire face à une autre plainte déposée par le parquet national financier (PNF) en France.
Aux États-Unis, la banque aux trois clés est accusée par le Department of Justice (DoJ) d’avoir abusé ses clients dont des épargnants américains en leur vendant des actifs hypothécaires (RMBS) toxiques. La banque aurait caché à ces épargnants le véritable niveau de risque de ces actifs (risque élevé), leur faisant croire que ceux-ci avaient juste été estampillés « risque réduit » à la suite de leur évaluation. Selon le procureur américain, Richard Donoghue cité dans le communiqué du DoJ, cet abus de confiance de la banque suisse aurait entre autres conséquences été à la base la faillite de plusieurs établissements américains dont deux coopératives bancaires liées à la National Credit Union Administration (NCUA). À ceci, se rajoutent les nombreux épargnants ruinés à la suite de la crise.
Quant à la filiale française du même groupe, les autorités françaises lui reprochent des faits tout aussi graves. Elle aurait d’une part participé à des fraudes fiscales massives et été citée dans des cas de blanchiment de capitaux et d’autre part elle se serait faite coupable de démarchages bancaires illicites ayant permis à des exilés fiscaux français de transférer leurs avoirs en Suisse échappant ainsi au fisc français.
Entre tourmentes judiciaires et débâcles boursières, quelle stratégie de communication doit utiliser le groupe bancaire suisse pour limiter les dégâts financiers mais surtout épargner son image qui trop souvent a été écorchée dans de telles affaires au cours de ces dernières années ? Quelle attitude tenir face au tribunal de l’opinion publique ?
Après avoir rappelé les faits et les conséquences encourues par la banque sur les deux fronts dans la première partie, nous proposerons dans la deuxième partie de cet article la stratégie de communication de crise adaptée à ce genre de situation. Nous citerons entre autres quelques exemples similaires qui ont fait l’actualité en leur temps.
Qu’est-il reproché à UBS et à sa filiale française : rappel des faits.
Les conséquences de la crise des subprimes furent incommensurables et d’une rare violence. Aussi longtemps que l’on s’en souvienne, c’est la pire qu’ait connu le monde depuis la grande crise de 1929. On se souvient encore de la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers mais surtout de ces milliers de ménages devenus du jour au lendemain sans abris, car incapables de rembourser leurs hypothèques. Partout dans le monde, l’heure était aux plans de sauvetages par les États pour sauver ce qui pouvait encore l’être des fleurons de leur économie mais aussi pour éviter les effets domino. Dans la foulée plusieurs enquêtes ont été couvertes dans plusieurs pays afin de situer les responsabilités et châtier les coupables. En première ligne, on retrouvait évidemment des établissements bancaires, les agences de notations mais également des cabinets d’audits parmi les plus célèbres dont il était fait le principal reproche d’avoir été laxistes, voir complices dans l’évaluation des actifs hypothécaires résidentiels au cœur du scandale.
Ces actifs hypothécaires résidentiels appelés RMBS (Residential Mortgage-Backed Securities) et dont le marché s’estimaient en tout à environ 5.000 milliards de dollars à l’échelle mondiale sont en réalité des titres sophistiqués dont le support (actif sous-jacent) est en général un véhicule d’actifs composé de prêts immobiliers à plus ou moins long terme. Ce véhicule d’actifs peut-être également constitué d’obligations, de crédits documentaires ou autres actifs. Comment en est on arrivé à attribuer d’excellentes notes (triple A) à des actifs aussi risqués? Pour le comprendre, il est important de comprendre au préalable comment sont « montés » ces actifs.
Supposons qu’une banque détienne un milliards de dollars qu’elle souhaite engager dans des prêts immobiliers. Elle décide alors de les mettre à disposition de dix milles ménages à raison de 100.000 dollars par ménages. Les prêts d’une maturité de 5 à 20 ans sont remboursés par chaque emprunteur selon un échéancier qui lui est fixé. La banque pour avoir davantage de capitaux à mettre à la disposition de ses clients a plusieurs options de refinancement. L’une de celles-ci est de revendre le portefeuille de prêts à une autre institution. Dans le cas d’espèce le portefeuille était revendu en particulier à une agence fédérale spécialisée dans la sécurisation et la garantie de prêts hypothécaires telle que Fannie Mae. Fannie Mae bénéficiant d’une excellente signature sur le marché, ce même portefeuille une fois garanti par cette institution fédérale bénéficie de fait d’une excellente note (AAA) de quasiment toutes les agences de notation. Rappelons qu’au départ, ledit portefeuille détenu dans les comptes de la banque bénéficiait tout au plus d’une note AA, voire moins. Désormais surcotés, ces prêts bénéficient de la confiance des investisseurs y compris institutionnels tels que les compagnies d’assurance ou les fonds de pension qui en rachètent massivement sur les marchés.
Le montage tient bon tant que les emprunteurs initiaux (ménages) ne font pas défaut. Par contre, il suffit qu’un nombre conséquent parmi eux s’avèrent incapables de faire face à ses charges financières (remboursement du capital + intérêts) pour que toute la pyramide s’écroule.
UBS comptait parmi les banques ayant racheté et revendu ces titres toxiques à plusieurs épargnants et entreprises à travers le monde dont certains de nationalité américaine. Selon les propos de ses dirigeants, la banque en aurait vendu en tout pour 1,5 milliards de dollars. Il ressort du communiqué du département américain que la banque helvétique aurait mené ces opérations au cours des années 2006 et 2007. Pour la justice américaine convaincue de la mauvaise foi de UBS, la banque aurait ni plus ni moins escroqué des milliers d’investisseurs à travers le monde, car leur ayant vendu ces titres en leur cachant « intentionnellement » le risque associé. Il faut dire que les dirigeants de la banque suisse s’attendant certainement à de telles sanctions comme ce fut précédemment le cas avec d’autres groupes bancaires épinglés dans la même affaire, avait elle-même déjà provisionné 1,8 milliard pour couvrir l’indemnisation des victimes américaines. Pour exemple, le montant réclamé dans un cas similaire par la justice américaine à la banque Morgan Stanley s’élevait à 2 milliards de dollars.
Quant à la filiale française de la même banque, elle fait l’objet d’une plainte déposée par le parquet national financier (PNF) qui lui reproche des activités illicites d’une autre nature. Il est en effet reproché à la filiale française d’avoir démarché des clients en France et aidé des contribuables à échapper au fisc français. La justice française réclame dans cette affaire une amende record de 3.7 milliards d’euros représentant selon les autorités le manque à gagner subi par le fisc français majoré de pénalités à hauteur de la gravité de la faute commise. Fait rare dans ce genre d’affaires, la justice française a décliné toute offre de règlement à l’amiable.
Quelle est la meilleure stratégie de communication de crise dans le cas d’UBS ?
Dans ce genre d’affaires, un principe cardinal est de mise : maitriser le bruit médiatique autant que possible. Il est donc important de trouver l’équilibre idéal entre la gestion du silence, la correction des erreurs présentes dans les articles de presse et la diffusion proactive de ses messages aux journalistes afin de les imposer dans le débat public contre ceux des salariés mécontents, des concurrents malveillants et des autorités qui instruisent à charge le dossier. L’entreprise est fortement exposée au tribunal de l’opinion publique et à toutes les conséquences désastreuses qui peuvent s’en suivre abîmant potentiellement durablement son image et sa valorisation.
Certes, les règlements à l’amiable sont la norme. Ce fut le cas pour les cas précédents notamment les banques Morgan Stanley, Citigroup, Deutsche Bank… Il est cependant tout aussi important de communiquer à travers les canaux adaptés pour atteindre mais surtout rassurer chacune de ses cibles. En effet, une sur-médiatisation pourrait être doublement nocive. D’une part, les investisseurs, craignant un effondrement du cours de l’action et donc des pertes dans leurs placements pourraient dans un mouvement moutonnier vendre leurs positions, ce qui ferait inéluctablement chuter le cours de bourse. Par exemple, le 9 novembre au lendemain des poursuites engagées par le DoJ, le cours de la banque suisse s’effondrait de 3,6% à 13,97 francs suisses. De même, son indice de référence, le SMI lâchait 0,39% des son côté.
Quelques conférences de presse données par le Directeur Général à des moments bien précis seraient adéquates pour annihiler l’effet pervers des rumeurs, des fake news et rassurer les investisseurs, les clients, les partenaires, les collaborateurs et les prospects.
La presse spécialisée ainsi que les relais sur les marchés (analystes, courtiers…) sont également des canaux très efficaces pour éviter toute psychose.
Il faut user de phrases courtes contenant des formules fortes qui peuvent faire des titres et marquent l’opinion. Ne pas hésiter si l’on maintient le cap malgré le tumulte à donner des chiffres qui rassurent.
Ce fut le cas dans une interview accordée par Jean-Frédéric de Leusse, PDG de UBS France au quotidien suisse Le Temps où il rassurait que malgré toutes les péripéties endurées par son établissement depuis 2008, les actions sous gestion sont tout de même passés de 7,5 milliards à 18 milliards en 2018. Face aux investisseurs, il ne faut pas hésiter à faire porter le chapeau à un bouc émissaire si cela est pertinent. Dans l’interview accordée au quotidien Le Temps, Jean-Frédéric de Leusse n’hésite pas à tacler l’État français qui affirme-t-il, était au courant des évasions fiscales massives et pourtant n’a rien fait.
Il est d’autre part important lors de rassurer les salariés à l’interne par une communication de crise adaptée. Selon Jean-Frédéric de Leusse, au lendemain de la crise de 2008 et tous les scandales auxquels était mêlée la banque, nombre de cadres ont donné leur démission. Par ailleurs, à sa prise de fonction en 2012, peu de cadres expérimentés étaient prêts à se risquer à rejoindre la banque au moment aux moment de remplacer ceux ayant démissionné. Il a fallu comme l’a confié le PDG au quotidien, miser sur le recrutement de jeunes diplômés que la banque a formé. Aussi, le procès en France a-t-il révélé que ce sont des travailleurs de l’entreprise eux-mêmes qui ont dans un rôle de lanceurs d’alertes dénoncé au grand jour les pratiques reprochées à la filiale française.
La communication interne est dans ce cas comme dans toutes les crises touchant une entreprise primordiale, car chaque employé est un interlocuteur « crédible » auprès de qui se rapprochera toute personne extérieure à l’entreprise (journalistes, clients, concurrents…) pour en savoir davantage sur ce qui se passe à l’interne. Notes circulaires, réunions, e-mails, tous les canaux idoines doivent être identifiés afin de passer un message qui rassure la troupe. Dans son entretien au quotidien Le Temps, Jean-Frédéric de Leusse en profitait pour battre en brèche la rumeur faisait croire que son établissement pourrait se voir retirer sa licence par les autorités françaises. Une information qui rassure à la fois les investisseurs et les employés. Florian Silnicki, expert en communication de crise insiste lui aussi sur l’importance pour le manager de rassurer les salariés. Chaque directeur devra être sollicité pour au besoin servir de relai sur le terrain à la Direction Générale. Il devra se montrer disponible envers ses collaborateurs afin d’enrayer toute crainte.
Enfin, une stratégie de communication de crise adaptée devra être également élaborée à l’endroit des actionnaires de l’entreprise. Certes, il est courant d’assister à des tiraillements entre actionnaires et managers. En temps de crise, les actionnaires craignant pour leurs capitaux se feront naturellement plus insistants voulant exercer plus près que d’habitude leur droit de regard sur la gestion interne de l’entreprise. Dans le déploiement d’une bonne communication de crise, il appartient à la direction générale de leur fournir à périodicité raisonnable tous les documents nécessaires pouvant les rassurer de ce que la situation est sous contrôle. Il est important en situation de crise qu’il y ait une parfaite symbiose entre le manager et les actionnaires. Dans tous les cas, tant que le directeur général a la confiance de ceux-ci, cela est plutôt un bon signe.
Les scandales bancaires se sont multipliés depuis la crise des subprimes malgré les mesures de rétorsion prises par certains États. Les cas cités dans cet article sont loin d’être les seuls. Ceci explique pourquoi les États sont de plus en plus intransigeants sur les sanctions, en particulier sur les montants réclamés en guise d’indemnisations des épargnants. Les Etats et leurs justices sont aussi de plus en plus communicants diffusant des informations à charge dans les médias en temps réels parfois avant même que vous n’ayez accès au dossier d’instruction. Il importe que les banques se montrent davantage rigoureuses dans la gestion de leur communication de crise, car elles rassurent de moins en moins. On a en effet assisté ces dernières années à l’éclosion de systèmes financiers alternatifs censés contourner l’hégémonie des banques. Celles-ci demeurent pourtant à ce jour le moyen le plus sûr pour garder et gérer nos actifs.
Une communication de crise efficace doit avant tout se fonder sur la transparence, gage de crédibilité. Rassurer ses cibles que sont les investisseurs (clients), salariés et actionnaires étant les objectifs visés in fine. Tous les canaux doivent être veillés afin d’annihiler toute rumeur.