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Quand une blague coûte des milliards

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On peut rire de tout, dit-on, mais pas à n’importe quel prix – et certainement pas sans risques quand on dirige une entreprise. L’humour mal maîtrisé en communication d’entreprise peut tourner au cauchemar commente Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom. La moindre plaisanterie déplacée – comme ce trait d’humour qui a fait chuter un joaillier britannique de 500 millions de livres en Bourse​ ou ce tweet potache d’Elon Musk lui valant 40 millions de dollars d’amende​ – peut déclencher un séisme financier et entacher durablement une réputation. Pourquoi de tels fiascos se produisent-ils ? Tour d’horizon des pires blagues de PDG aux conséquences désastreuses, et des leçons à en tirer pour les communicants et dirigeants.

Le cas Gerald Ratner : La blague à 500 millions de livres

En 1991, Gerald Ratner, PDG emblématique de la chaîne de bijouteries Ratners, entre dans l’histoire… pour avoir détruit son empire en une phrase. Invité à s’exprimer devant 4 000 chefs d’entreprise au Royal Albert Hall, il choisit d’agrémenter son discours de traits d’humour auto-dénigrants. Après avoir comparé une paire de boucles d’oreilles bon marché au prix d’un sandwich aux crevettes, il enchaîne avec une plaisanterie fatale. À la question « Comment pouvez-vous vendre un produit aussi bas prix ? », Ratner répond, sourire aux lèvres : « Parce que c’est de la merde. »​. L’assemblée rit et applaudit, mais le mal est fait. Le lendemain, les tabloïds rebaptisent l’enseigne « Crapners » (« merd* » en anglais)​. La sanction financière est immédiate : en quelques jours, l’action Ratners s’effondre de 500 millions de livres sterling et, en moins d’un an, perd 80 % de sa valeur​. Les clients, choqués d’entendre le patron dénigrer ses propres produits, désertent les magasins. Face à l’ampleur du boycott, Ratners doit fermer des centaines de points de vente. Gerald Ratner, autrefois magnat intouchable, est contraint à la démission en 1992, laissant une entreprise exsangue. Sa boutade lui aura coûté son poste et provoqué l’un des plus célèbres suicides commerciaux de l’histoire britannique – au point que l’expression « faire une Ratner » désigne depuis toute remarque d’un dirigeant qui saborde sa propre marque​.

Elon Musk et ses tweets catastrophiques

Elon Musk est un autre exemple retentissant de l’humour de dirigeant qui dérape. Le fantasque patron de Tesla est connu pour ses tweets souvent décalés, mais certains ont fait plonger l’action en Bourse et déclenché l’ire des régulateurs. En août 2018, Musk poste un tweet étonnant : « Am considering taking Tesla private at $420. Funding secured. » (« J’envisage de retirer Tesla de la Bourse à 420 $ l’action. Financement assuré. »). Le chiffre 420 n’est pas anodin – clin d’œil à la culture du cannabis – et beaucoup y voient un trait d’humour déplacé dans une annonce aussi sérieuse. Sauf que personne n’a ri : le cours de Tesla s’envole puis est suspendu, les investisseurs sont déroutés, et le gendarme boursier américain (SEC) ouvre une enquête pour manipulation. Bilan : Musk doit abandonner la présidence du conseil d’administration de Tesla et accepter un accord à 40 millions de dollars (20 M$ à sa charge) avec la SEC​. Son tweet hasardeux a non seulement terni sa crédibilité, mais aussi coûté cher à son entreprise.

Ce n’est pas le seul dérapage du milliardaire sur Twitter. En mai 2020, en plein envol de l’action Tesla, Elon Musk tweete en toute légèreté : « Tesla stock price is too high imo » (« À mon avis, le cours de l’action Tesla est trop élevé »). Résultat instantané : panique sur les marchés. Le titre décroche de 10 % en une heure, effaçant près de 14 milliards de dollars de valorisation boursière​– et du même coup 3 milliards de la fortune personnelle de Musk​. Là encore, le trait d’humour (Musk se disait peut-être sarcastique) s’est mué en catastrophe financière bien réelle. L’intéressé admettra plus tard que ce tweet impulsif n’a « pas du tout été apprécié » en interne​. Entre annonces farfelues et plaisanteries limites (comme son poisson d’avril 2018 sur la « faillite » de Tesla, qui avait déjà inquiété Wall Street​), Elon Musk a appris à ses dépens que la moindre de ses saillies publiques pouvait ébranler la confiance des investisseurs. Ses frasques lui valent d’ailleurs d’être comparé, ironiquement, à un “Ratner” des temps modernes en raison de leur impact boursier​.

Autres PDG piégés par leur humour

Ratner et Musk sont emblématiques, mais bien d’autres dirigeants ont vu une blague malencontreuse ruiner leur crédibilité – et parfois leur carrière.

  • Travis Kalanick (Uber) : Le cofondateur d’Uber cultivait une image de « bad boy » de la tech, ponctuant volontiers ses interventions d’humour grivois. Il en a fait l’amère expérience lorsqu’il a plaisanté sur les avantages d’être PDG d’une startup en hyper-croissance. En 2014, interrogé sur sa nouvelle popularité auprès des femmes, Kalanick fanfaronne que chez Uber, « on appelle ça Boober » (jeu de mots insinuant que l’appli lui apporterait des conquêtes féminines)​. Ce trait d’esprit sexiste choque immédiatement. La remarque alimente l’image d’une culture d’entreprise machiste chez Uber, déjà entachée par des scandales de harcèlement. Kalanick tente de minimiser, mais le mal est fait : sa blague devient virale et symbolise le « bro culture » reproché à Uber. Combinée à d’autres dérapages, elle contribue à la fronde des employés, des clients (#DeleteUber) et des investisseurs contre le dirigeant. Moins de trois ans plus tard, en 2017, Travis Kalanick est poussé à la démission par son Conseil d’administration, emporté par la polémique sur le manque de maturité et de sérieux de son leadership. La leçon est rude pour celui qui se voyait révolutionner les transports : à force de vouloir jouer au clown, on peut perdre la confiance de tout son écosystème.

  • Adam Neumann (WeWork) : Le fondateur de WeWork, lui, n’a pas sorti une blague précise, mais son attitude fantasque a longtemps été traitée comme une plaisanterie… jusqu’à effrayer Wall Street. Excentrique assumé, Neumann multipliait les déclarations grandiloquentes qui prêtaient à sourire – il ambitionnait de devenir le premier « président du monde » trillionnaire et de vivre éternellement​ – et adoptait un style de management pour le moins décalé. On le voit ainsi faire venir un rappeur et des shots de tequila au bureau juste après l’annonce de licenciements massifs, en 2016, provoquant la stupeur générale​. Ce mélange des genres et ces happenings incongrus sapent progressivement la crédibilité du dirigeant. Lorsqu’en 2019 WeWork tente d’entrer en Bourse, les investisseurs se détournent en découvrant les frasques de Neumann détaillées dans la presse. Son humour douteux et son manque de sérieux perçu deviennent un handicap majeur : selon le Financial Times, la personnalité extravagante du PDG a joué un « rôle énorme » dans l’échec de l’IPO​. WeWork doit repousser son introduction en urgence, et sa valorisation s’effondre : de 47 milliards $ estimés initialement, elle est révisée à moins de 20 milliards $ avant même l’annulation de l’opération​. En l’espace de quelques semaines, Adam Neumann est évincé par ses investisseurs, et 40 milliards de dollars de valeur potentielle partent en fumée​. Le patron « cool » qui jonglait avec la dérision a appris que les marchés, eux, ne plaisantent pas avec la gouvernance d’entreprise.

  • Autres exemples notables : La liste des dirigeants piégés par un trait d’humour malheureux est longue. Dans la banque, Matt Barrett, ex-PDG de Barclays, a ironisé devant le Parlement britannique sur les dangers des cartes de crédit au point de déconseiller d’utiliser les siennes – stupéfiant aveu qui lui a coûté son poste. Michael O’Leary, le fantasque patron de Ryanair, s’est déjà permis de traiter publiquement ses clients d’« idiots » en plaisantant​, déclenchant un tollé (même si son cas est à part, son personnage provocateur étant en partie intégré à la stratégie marketing de Ryanair). Plus gravement, Chip Wilson, fondateur de Lululemon, a défrayé la chronique en 2013 avec une remarque désobligeante sur les femmes rondes. Face à des problèmes de qualité de ses leggings de yoga, il déclare que « certains corps de femmes ne conviennent tout simplement pas » à ses produits​. Cette tentative maladroite d’humour – ou d’excuse – est perçue comme du fat shaming insultant pour ses clientes. Tollé immédiat : la marque est boycottée par de nombreuses consommatrices outrées et doit présenter des excuses publiques. Chip Wilson, lui, finira par quitter son poste de président, emporté par la polémique.

En somme, qu’il s’agisse de PDG de la tech, de la finance, du transport aérien ou du prêt-à-porter, personne n’est à l’abri d’une plaisanterie qui dégénère. Ces exemples variés illustrent tous le même phénomène : un dirigeant fait un trait d’esprit de trop, et c’est l’engrenage de la controverse, avec des conséquences financières et humaines bien réelles.

Pourquoi ces blagues tournent mal

Comment une simple blague peut-elle causer de tels dégâts ? Plusieurs dynamiques s’entrecroisent dans ces scénarios catastrophes :

  • L’hubris et le décalage du dirigeant : Beaucoup de PDG fautifs ont en commun une confiance excessive en eux et un certain décalage avec la réalité du terrain. Le succès les entoure parfois d’admirateurs rieurs, ce qui peut les encourager à pousser la plaisanterie trop loin. Gerald Ratner était grisé par sa réussite et convaincu que son humour « qui ose tout » serait apprécié – une grave erreur de jugement. De même, Elon Musk, habitué à l’adoration de ses fans sur Twitter, s’est cru autorisé à toutes les facéties, oubliant que ses mots pouvaient affoler les marchés. Cette déconnexion fait qu’un PDG ne se rend pas compte que ce qui lui paraît drôle ou anodin (« ce n’est qu’une blague ! ») pourra choquer ses clients, employés ou actionnaires. Un dirigeant imprégné de sa toute-puissance finit par perdre le filtre de la prudence : c’est le syndrome du patron intouchable, persuadé d’être plus malin que les autres, et qui chute de haut en découvrant l’ampleur de la réaction.

  • Le tribunal impitoyable de l’opinion et des médias : Dans tous ces cas, l’emballement médiatique a été un catalyseur majeur de la crise. Nous vivons à l’ère des réseaux sociaux et de l’information en continu, où la moindre déclaration peut faire le tour du monde en quelques heures. Une phrase choc constitue une “bonne copie” pour les journalistes : la saillie de Ratner a fait la une des journaux dès le lendemain (« Crapners » titrait un quotidien britannique​), tout comme le tweet de Musk a instantanément fait flamber les sites financiers. Le phénomène de viralité amplifie et isole souvent la blague de son contexte humoristique initial, la rendant encore plus dévastatrice. Ce que le PDG voyait comme un trait d’esprit se transforme en quote polémique répétée en boucle, sans le ton ni le sourire qui allaient avec – et le public la prend au premier degré. S’ensuit l’indignation générale, alimentée par les commentaires outrés sur Twitter, LinkedIn, etc. En outre, une déclaration malheureuse a tendance à coller à la peau d’un dirigeant pendant des années. Une étude de Harvard a montré qu’en moyenne une bourde de PDG entraîne 250 articles de presse négatifs (certains encore repris cinq ans plus tard) et une baisse de 3,1 % du cours de l’action de l’entreprise​. Autrement dit, l’erreur de communication n’est pas qu’un mauvais moment à passer : c’est une tache indélébile sur l’image de la marque et son leadership, entretenue par la médiatisation à long terme.

  • Des impacts économiques immédiats : Enfin, la réaction des marchés et des parties prenantes est souvent brutale et pragmatique. Les investisseurs détestent l’incertitude et l’irrationalité : si un PDG semble ne pas prendre son entreprise au sérieux, la sanction tombe. Dans le cas de Musk, un tweet d’humour douteux sur la valorisation a suffi à détruire des milliards en capitalisation en quelques minutes​. Pour Ratner, se moquer de ses propres produits a instantanément détruit la confiance des clients dans la qualité de l’enseigne – un actif immatériel pourtant long à bâtir – provoquant un crash des ventes et du titre en Bourse. De plus, ces blagues déplacées causent des coûts cachés : gestion de crise coûteuse, ressources mobilisées pour réparer l’image, pertes de contrats ou de partenariats, démotivation interne des salariés honteux de leur dirigeant, etc. Par exemple, la sortie de Ratner a non seulement fait fuir la clientèle, mais aussi imposé de coûteuses campagnes de rebranding pour effacer l’opprobre (Ratners dut changer de nom en Signet quelques années plus tard). De même, les écarts de langage de Musk lui ont valu des démêlés juridiques et réglementaires (procès, amendes, surveillance accrue de la SEC), détournant son attention et celle de son équipe dirigeante des objectifs de l’entreprise. En résumé, une blague qui tourne mal « coûte des milliards » non seulement par la chute du cours ou de la valorisation, mais aussi par toutes les conséquences collatérales qu’elle entraîne dans l’écosystème de l’entreprise.

En combinant ces facteurs – un dirigeant trop sûr de lui, une caisse de résonance médiatique maximale, et des réactions économiques sans pitié – on obtient le cocktail d’une catastrophe communicationnelle. La plaisanterie initiale, fut-elle destinée à faire rire, se mue en faute professionnelle aux effets bien réels. Comprendre ces dynamiques est essentiel pour quiconque occupe une position de leadership : ce qui peut sembler anodin (voire spirituel) dans sa tête peut, une fois prononcé publiquement, prendre une ampleur incontrôlable.

Leçons et bonnes pratiques en communication

Ces fiascos médiatiques offrent des leçons précieuses pour les dirigeants et responsables communication. Sans tomber dans la langue de bois ni bannir tout humour, il convient d’aborder ce dernier avec une extrême précaution. Voici quelques bonnes pratiques à retenir pour éviter qu’une plaisanterie ne se transforme en débâcle :

  • Mesurez le rapport risque/bénéfice de l’humour : Avant de faire une blague en public, demandez-vous honnêtement « Quel est le meilleur scénario si cela passe bien ? Et le pire si cela choque ? ». Dans la plupart des cas, le gain (détendre l’atmosphère, paraître accessible) sera maigre par rapport au risque potentiel (aliéner une partie de l’auditoire, entacher la crédibilité). Si le doute existe, abstenez-vous. Comme le dit l’adage, « tournez sept fois votre langue dans votre bouche »… surtout devant un micro. Le rôle d’un PDG n’est pas d’être un humoriste. Un trait d’esprit mal perçu peut anéantir des années d’efforts de branding en quelques secondes.

  • Ne jamais dénigrer vos produits, services ou clients : L’autodérision peut passer lorsqu’elle ne concerne que votre personne, mais tirer sur votre propre offre ou votre clientèle est un terrain miné. Gerald Ratner pensait faire de l’humour à ses dépens, mais en traitant implicitement ses clients de dupes achetant de la camelote, il a brisé la relation de confiance. De même, Chip Wilson a cru plaisanter sur un problème de qualité, mais il a offensé durablement sa base de clientes​. Une règle d’or en communication d’entreprise : ne ridiculisez jamais votre propos de marque. Si vous-même ne respectez pas vos produits ou vos usagers dans vos mots, pourquoi le public le ferait-il ? Préférez des anecdotes amusantes qui valorisent subtilement votre produit ou l’expérience client, plutôt que de les rabaisser. Et si vraiment quelque chose ne va pas (produit défectueux, service critiqué), traitez-le avec sérieux et empathie, pas avec cynisme.

  • Adaptez votre humour à votre audience et au contexte : Ce qui fait rire vos proches collaborateurs autour d’un café ne fera peut-être pas rire vos actionnaires, vos clients ou le grand public. Avant toute prise de parole, évaluez la composition de votre auditoire et ce qu’il est approprié de dire. Un humour trop interne ou private joke sera incompris hors de votre cercle. De même, un humour trop clivant (politique, salaces, stéréotypes) est à proscrire en contexte professionnel large. Gardez un ton professionnel lors des communications officielles. Si vous tenez absolument à inclure une pointe d’humour dans un discours, testez-la au préalable sur des personnes de confiance extérieures à votre équipe dirigeante immédiate (par exemple, votre responsable communication, qui aura un regard neutre). Écoutez les signaux d’alerte : si votre conseil vous dit qu’une blague est de mauvais goût ou risquée, ne vous entêtez pas. Enfin, tenez compte de la culture locale : une plaisanterie acceptable dans un pays peut être très mal reçue dans un autre. Multinationale rime avec multiculturalité – un excès de spontanéité humoristique peut être très mal interprété à l’étranger.

  • Préparez et encadrez vos prises de parole : L’improvisation est l’ennemie du dirigeant lorsqu’il s’agit de communication publique. Pour éviter le dérapage incontrôlé, soignez vos éléments de langage à l’avance. Anticipez les questions pièges en médias training : Gerald Ratner s’est fait piéger par une simple question sur ses prix​ parce qu’il n’avait pas préparé de réponse sérieuse et s’est réfugié dans l’humour. Ne commettez pas la même erreur. En interview ou en conférence, si une question vous déstabilise, mieux vaut temporiser ou donner une réponse factuelle plutôt que de faire un bon mot improvisé qui pourrait vous échapper. N’hésitez pas à vous faire relire vos discours par des communicants aguerris, qui traqueront la moindre phrase ambiguë ou potentiellement problématique. Et rappelez-vous que même hors caméra, un micro ou un email malencontreux peut fuiter : les dirigeants cités plus haut ont souvent prononcé ces phrases dans ce qu’ils croyaient être un contexte safe (réunion d’actionnaires, entretien journaliste amicaux, discussion interne). En réalité, tout finit par se savoir. Agissez comme si chaque mot que vous dites pourrait être repris publiquement – cela vous incitera à l’autocensure salutaire sur les traits d’humour douteux.

  • Restez humble et assumez vos erreurs : Si malgré tout une de vos plaisanteries provoque un tollé, la pire réaction serait de vous braquer ou de nier l’évidence. Au contraire, réagissez vite et montrez-vous à l’écoute. Présentez des excuses sincères, sans réserves, comme l’a fait par exemple le patron de Ryanair après l’un de ses dérapages verbaux. Expliquez éventuellement votre intention initiale (sans vous chercher d’excuses interminables) et reconnaissez que vous avez mal évalué la situation. Ensuite, apprenez de l’incident : tirez-en les leçons en améliorant le processus de préparation de vos communications, voire en suivant une formation à la prise de parole. En interne, faites acte d’humilité devant vos équipes pour regagner leur respect. Rien n’est pire que de laisser une blague polémique sans clarification : cela laisse le récit s’emballer sans vous, et ancre l’idée que vous êtes insensible à la réaction négative. Montrez que vous prenez la chose au sérieux, que vous comprenez pourquoi ça a choqué, et que vous veillerez à ce que cela ne se reproduise plus. Une gestion de crise transparente et humaine peut parfois limiter la casse – à défaut d’effacer complètement l’ardoise.

En résumé, faire de l’humour quand on est dirigeant est un art délicat qui exige du doigté, de la préparation et une bonne dose de modestie. Il ne s’agit pas de bannir toute forme de légèreté – utilisée à bon escient, avec bienveillance et parcimonie, elle peut humaniser un discours et marquer positivement les esprits – mais il faut en connaître les écueils et s’y préparer sérieusement.

« L’humour en communication d’entreprise, c’est comme le piment dans un plat : une pincée peut rehausser le goût, trop peut le rendre immangeable. » Cette métaphore culinaire résume bien l’enjeu. Les déboires de Gerald Ratner, Elon Musk, Travis Kalanick, Adam Neumann et consorts montrent qu’une seule blague mal calibrée peut anéantir des milliards de valeur et briser des carrières. À l’ère des réseaux sociaux rois, chaque mot d’un leader est disséqué, sorti de son contexte et potentiellement explosif. Professionnels de la communication et du management le savent : on ne joue pas impunément avec l’image de son entreprise. Avant de faire de l’esprit, un dirigeant doit peser chaque trait d’humour comme une décision stratégique. La spontanéité a du bon, mais la responsabilité vis-à-vis des parties prenantes prime.

La leçon à retenir de ces fiascos est simple : authenticité ne veut pas dire imprudence. Un PDG peut (et doit) rester humain dans sa communication, mais il lui faut garder à l’esprit qu’en public, son humour engage l’entreprise autant que lui. Mieux vaut parfois être un peu ennuyeux et prudent qu’hilarant et ruiné. En définitive, l’humour en entreprise est un sport à haut risque : employez-le avec parcimonie, tact et respect, et il vous vaudra peut-être l’estime de vos équipes – mais employez-le mal, et il pourrait bien vous coûter des milliards… ou votre poste. Comme toujours en leadership, « Think before you speak » (réfléchissez avant de parler) reste le conseil d’or – et sans doute le meilleur garde-fou contre la blague qui tue (votre entreprise).​