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Deepwater Horizon : le naufrage médiatique de Tony Hayward

Tony Hayward

Le 20 avril 2010, la plateforme pétrolière Deepwater Horizon explose dans le golfe du Mexique. Exploitée par BP, elle coule et laisse échapper des millions de barils de pétrole brut dans l’océan, provoquant la pire marée noire de l’histoire des États-Unis​. Onze employés trouvent la mort dans l’explosion, et les côtes américaines sont souillées pendant des mois. Face à ce désastre écologique et humain sans précédent, tous les regards se tournent vers BP et son directeur général de l’époque, Tony Hayward. Ce dernier va très vite incarner, à ses dépens, tout ce qu’il ne faut pas faire en situation de crise. Retour sur l’affaire Tony Hayward et sa gestion désastreuse de la catastrophe Deepwater Horizon, un cas d’école d’échec en communication de crise.

Tony Hayward, l’homme du désastre

Nommé à la tête de BP en 2007, Tony Hayward est un vétéran de l’industrie pétrolière, réputé franc-parler. Lorsque la catastrophe de Deepwater Horizon survient, il se retrouve en première ligne pour gérer la crise. Mais dès les premiers jours, ses déclarations vont aggraver la situation. Hayward semble sous-estimer l’ampleur du problème : lors d’un briefing initial, il insiste surtout sur les défis techniques pour colmater la fuite, sans comprendre que le véritable défi est aussi politique et médiatique. Cette erreur de jugement va ouvrir la porte à une série de gaffes qui enflammeront l’opinion publique américaine​.

Très vite, Hayward adopte un ton défensif. Il tente par exemple de diluer la responsabilité de BP en soulignant que l’accident est le fait de son sous-traitant Transocean : « Ce n’était pas notre accident », répète-t-il, en pointant du doigt l’exploitant de la plateforme​. Même si techniquement correct, ce réflexe de rejet de faute est désastreux en termes d’image : comme l’a noté un expert en gestion de crise, « dans une situation aussi grave, rejeter immédiatement la faute sur quelqu’un d’autre, même si c’est vrai, est une très mauvaise approche de relations publiques »​. Plutôt que d’apparaître en leader assumant ses responsabilités, le PDG de BP donne l’impression de se défausser, ce qui choque le public et les officiels.

L’erreur fatale : « I want my life back »

La gestion de Tony Hayward bascule définitivement fin mai 2010. Cinq semaines après l’explosion, alors que des milliers de barils continuent de se déverser chaque jour, le PDG exaspère tout le monde en lâchant cinq mots fatidiques : « I want my life back », « Je veux retrouver ma vie »​. Prononcée le 30 mai 2010 devant des journalistes, cette petite phrase – où Hayward exprime son souhait de retrouver une vie normale – va anéantir sa crédibilité. Elle est perçue comme le comble de l’arrogance et de l’insensibilité : comment le patron millionnaire de BP ose-t-il se plaindre de son sort alors que 11 personnes ont perdu la vie et que des milliers d’habitants du Golfe du Mexique voient leur environnement et leurs moyens de subsistance détruits ? Aussitôt, la formule fait scandale. Les familles des 11 victimes décédées réagissent avec colère, l’une des veuves lançant publiquement que elle aussi aimerait bien que son mari « retrouve sa vie »​.

Face au tollé, Tony Hayward est contraint de présenter des excuses publiques. « J’ai fait un commentaire blessant et irréfléchi, je m’en excuse sincèrement auprès des familles des 11 hommes qui ont perdu la vie dans cet accident », déclare-t-il penaud quelques jours plus tard​. Mais le mal est fait. Sa remarque malheureuse devient immédiatement le symbole du mépris attribué à BP dans cette crise. Même le président américain Barack Obama s’en mêle et assène que « après de tels propos, [Tony Hayward] ne travaillerait plus pour moi »​. En une phrase, le patron de BP est devenu l’ennemi public numéro un, cristallisant la rage face à la gestion de la marée noire.

Une communication de crise mal gérée de bout en bout

L’affaire du « I want my life back » n’est que le point d’orgue d’une communication de crise catastrophique de bout en bout. Comme l’a résumé un spécialiste, « la gestion du déversement par BP restera dans l’histoire comme l’exemple parfait de comment empirer une situation par une mauvaise communication »​. Revenons sur les erreurs stratégiques accumulées par Tony Hayward et BP au fil de la crise :

  • Minimisation et déni de la catastrophe : Dès les premiers jours, Hayward adopte un ton qui minimise l’impact de la marée noire. Il déclare par exemple que le déversement est « relativement petit par rapport à l’océan » et que l’impact environnemental sera probablement « très, très modeste »​. Des propos techniquement inexacts (des millions de litres de pétrole sont déjà répandus) et perçus comme un déni choquant de la réalité. En cherchant à rassurer maladroitement, le PDG donne l’impression de mentir ou de ne pas prendre la situation au sérieux, ce qui entame gravement la confiance du public. Une fois la confiance perdue, il devient presque impossible de faire passer le moindre message​.

  • Manque d’empathie et égocentrisme : Tout au long de la crise, Hayward semble oublier les véritables victimes. Au lieu de compatir publiquement avec les familles endeuillées, les pêcheurs ruinés ou les habitants inquiets, il parle de ses propres tracas – le fameux « je veux retrouver ma vie » en est l’exemple extrême. À plusieurs reprises, il tente aussi de se poser en victime collatérale, se plaignant du temps et de l’énergie consacrés à la crise. Cette posture égocentrique est un désastre médiatique : on reproche à BP de chercher à se faire plaindre alors que des oiseaux mazoutés agonisent sur les plages. Un tel défaut d’empathie renforce l’indignation générale et donne l’image d’une entreprise froide et centrée sur elle-même.

  • Contradictions entre les paroles et les actes : La crédibilité de Tony Hayward est également sapée par ses actes en décalage complet avec son discours. Alors qu’il affirme mobiliser tous ses efforts pour résoudre la crise, il est aperçu en train de prendre du bon temps lors d’une régate de voile en Angleterre, dès le 19 juin 2010, en plein déversement​. La photo du PDG assistant à une course de son yacht “Bob” fait le tour du monde et scandalise l’Amérique. Comment BP peut-elle demander aux habitants du Golfe de patienter et souffrir stoïquement, si son patron s’offre un week-end de loisir ostentatoire ? Même le chef de cabinet d’Obama, Rahm Emanuel, ironise à la télévision : « Je crois qu’on peut conclure que Tony Hayward n’aura pas de deuxième carrière dans les relations publiques »​. Ce décalage entre paroles et actions – promettre d’“assumer jusqu’au bout” puis se comporter comme si de rien n’était – achève de ruiner la réputation de Hayward.

En somme, BP a cumulé tous les faux pas possibles : manque de transparence sur l’ampleur réelle de la fuite, communication technique et déshumanisée, refus d’assumer pleinement la responsabilité dès le départ, et erreurs de comportement symboliques. Chaque gaffe de Tony Hayward a amplifié la colère du public et la couverture médiatique négative, faisant de la marée noire BP un désastre d’image en plus d’un désastre écologique.

Les conséquences pour BP et Tony Hayward

Les conséquences de cette gestion calamiteuse ne se font pas attendre. BP voit son image durablement ternie. Aux États-Unis, la marque devient synonyme de cupidité irresponsable et d’arrogance. Des appels au boycott émergent et les stations-service BP enregistrent une baisse de chiffre d’affaires allant jusqu’à 40 % dans certaines régions, tant le public est écœuré​. Sur le plan politique, BP sert de punching-ball aux élus américains : le Congrès convoque d’urgence des auditions, et les paroles de Hayward sont citées comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Barack Obama, sous la pression de l’opinion, adopte un ton offensif contre BP et son dirigeant – on l’a vu critiquer vivement Hayward en public. Le gouvernement contraint par ailleurs BP à créer un fonds d’indemnisation de 20 milliards de dollars pour les victimes, signe que plus personne ne fait confiance à la compagnie pour « faire la bonne chose » de son propre gré.

Pour Tony Hayward personnellement, l’affaire est tout aussi désastreuse. Devenu le bouc émissaire universel de la catastrophe, il est évincé en l’espace de quelques mois. Dès juin 2010, BP le retire de la gestion quotidienne de la crise. Puis, le 27 juillet 2010, la compagnie annonce officiellement son départ prochain : Hayward sera remplacé par l’Américain Bob Dudley au poste de CEO à compter du 1er octobre​. Cette démission forcée – accueillie avec soulagement par l’opinion – apparaît comme l’aboutissement inévitable de semaines de cafouillages. Hayward quitte BP avec une réputation en lambeaux (et un confortable chèque de sortie qui fait grincer des dents). Pour BP, il s’agit de tourner la page et de tenter de reconstruire son image sous un nouveau leadership. Il n’en reste pas moins que pendant longtemps, BP restera associé à cette débâcle médiatique, et devra redoubler d’efforts pour regagner la confiance du public et des autorités.

Leçons à tirer pour les dirigeants d’entreprises

Cette chronologie édifiante offre de précieuses leçons de communication de crise pour tout dirigeant d’entreprise :

  • Ne jamais minimiser une catastrophe : Face à une crise majeure, vouloir rassurer à tout prix en sous-estimant les faits est une erreur. On ne gagne rien à qualifier une marée noire historique de « modeste »​– au contraire, cela détruit la crédibilité. La transparence et la franchise sur la gravité de la situation sont indispensables pour conserver la confiance.

  • Assumer la responsabilité et montrer l’exemple : Rejeter la faute sur autrui dès le début (« ce n’était pas notre accident ») est très mal perçu​. Un leader doit au contraire faire front, prendre ses responsabilités et incarner la solution, pas le déni. Cela implique aussi d’aligner ses actes avec ses discours – on ne part pas faire du yacht quand sa compagnie lutte contre une marée noire. La cohérence et l’exemplarité sont essentielles pour maintenir la crédibilité.

  • Communiquer avec empathie, pas avec ego : En temps de crise, les victimes et les personnes affectées doivent être au centre de la communication. Il faut exprimer de la compassion sincère, présenter des excuses si nécessaire, et montrer qu’on comprend la détresse d’autrui. À l’inverse, parler de ses propres soucis (stress, fatigue, réputation personnelle) est absolument proscrit. Un dirigeant qui se lamente sur son sort au lieu de compatir avec les victimes commet une faute impardonnable. L’empathie crée de la bienveillance, l’égocentrisme crée de la rage.

  • Tourner sept fois sa langue avant de parler : Enfin, la saga Hayward rappelle qu’une petite phrase malheureuse peut anéantir une carrière. Chaque prise de parole en crise doit être soigneusement pesée. Il n’y a pas de « off » qui tienne : tout ce que vous dites pourra être retenu contre vous. Tony Hayward l’a appris à ses dépens – cinq mots spontanés ont suffi à le discréditer totalement​. La maîtrise de la communication – éventuellement par une formation média et un coaching – est un investissement vital pour tout dirigeant exposé.

L’affaire Tony Hayward est un rappel cinglant qu’en période de crise, un dirigeant est d’abord un communicant. Bien sûr, gérer les aspects techniques et opérationnels de la crise est crucial, mais cela ne suffit pas : il faut aussi gérer les perceptions, l’émotion et l’information. Dans le naufrage de BP en 2010, une phrase malheureuse – « I want my life back » – a éclipsé tous les efforts de redressement et est devenue le symbole d’une communication déconnectée des réalités. Ce dérapage verbal a brisé la carrière de Tony Hayward et infligé un tort immense à la marque BP. Dix ans plus tard, ce cas reste étudié dans les écoles de commerce et de communication comme l’exemple à ne pas suivre. En définitive, la leçon est claire : lors d’une crise, chaque mot compte. Humilité, responsabilité et empathie doivent guider la communication du leader, faute de quoi une seule petite phrase peut suffire à couler à la fois une carrière et la réputation d’une entreprise entière.​