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L’effet Chapek : comment Bob Chapek a plongé Disney dans une crise d’image majeure

Bob Chapek

En deux ans à peine, Bob Chapek – successeur de Bob Iger à la tête de Disney début 2020 – a accumulé les faux pas au point de provoquer une crise d’image sans précédent pour le géant du divertissement. Son mandat a été marqué par « une série de controverses et de décisions contestables » qui ont au mieux fait sourciller, au pire suscité un tollé général​. Qu’il s’agisse d’un conflit judiciaire retentissant avec Scarlett Johansson ou d’un scandale politique en Floride, l’effet Chapek montre comment la gestion d’un PDG peut durablement ternir la réputation d’une marque emblématique. Avant d’être évincé fin 2022 et de voir Bob Iger rappelé en pompier de service, Bob Chapek aura ainsi offert un cas d’école des erreurs à ne pas commettre en matière de communication de crise et de management de marque.

La gestion catastrophique des conflits avec les talents

La première bourrasque est venue d’Hollywood. En juillet 2021, Scarlett Johansson attaque Disney en justice : la star de Black Widow reproche à la compagnie d’avoir sorti le film simultanément en streaming, ce qui aurait réduit sa rémunération indexée sur le box-office​. Plutôt que de négocier discrètement, Disney répond publiquement par un communiqué de presse agressif, accusant Johansson d’« indifférence cruelle face aux effets de la pandémie » et divulguant son salaire de 20 millions de dollars​. Cette attaque ad personam choque l’actrice – qui se dit abasourdie par le ton employé – et sidère Hollywood, où l’on juge la riposte « maladroite » et contre-productive​. « Difficile pour les dirigeants de Disney de traiter quelqu’un d’autre de cupide sans se ridiculiser », tacle un vétéran du secteur spécialiste de la communication de crise et de la gestion des enjeux sensibles.

Le mal est fait : la confiance des talents envers Disney est ébranlée. Kevin Feige, le patron de Marvel Studios, se déclare « furieux et embarrassé » de la manière dont sa vedette a été traitée​. En interne, on gronde contre Bob Chapek qui « ne gère pas les talents créatifs » selon un producteur, pointant son manque d’expérience des relations artistiques​. Parallèlement, d’autres tensions créatives affleurent. Chez Pixar, les équipes vivent mal de voir leurs trois derniers films (Soul, Luca, Alerte Rouge) relégués directement sur Disney+ sans sortie cinéma, y voyant un signe de déclassement de leur travail​. « Cela démoralise les troupes », confie un employé, d’autant qu’au même moment les films Disney Animation sortent en salles. En somme, créatifs et artistes perdent confiance en la direction Chapek, perçue comme brutale et déconnectée de leurs impératifs. Le résultat, c’est qu’après l’ère Iger où Disney était considéré comme un partenaire chouchoutant ses talents, l’ère Bob Chapek a fait naître méfiance et ressentiment au sein même de la galaxie Disney.

L’erreur stratégique sur la politique tarifaire et l’expérience client

Sur le terrain des parcs à thèmes et produits dérivés – le cœur historique de Disney – Bob Chapek a mené une politique tarifaire agressive qui s’est retournée contre l’image de la marque. Obsédé par le « yield management », le nouveau PDG n’a cessé d’augmenter les prix et de monétiser des services autrefois gratuits. En 2022, Disneyland a encore relevé ses billets d’environ 6 %​, et Disney World a supprimé plusieurs avantages jadis inclus dans le séjour (comme le service de navette aéroportuaire Magical Express ou les Extra Magic Hours). Surtout, le célèbre FastPass gratuit a été remplacé par un système payant à plusieurs paliers (Disney Genie et Lightning Lane) – dont la formule la plus chère atteint 449 $ par personne et par jour​. Autrement dit, ce qui était autrefois offert pour fluidifier l’expérience devient une source de revenus supplémentaire. À cela s’ajoutent des hausses sur la restauration, les hôtels, le merchandising… La note explose pour le visiteur moyen. D’après le Wall Street Journal, un séjour de deux jours pour une famille de quatre personnes a dépassé les 3 000 $ hors transport et hôtel – contre ~2 000 $ quelques années plus tôt​.

Cette stratégie de rentabilité à court terme a certes profité aux résultats immédiats (les revenus par visiteur ont grimpé), mais elle a entraîné un violent backlash. Dans l’opinion publique, Disney passe pour une marque cupide qui fait payer le moindre sourire de Mickey. Les réseaux sociaux s’enflamment : des fans outrés rebaptisent Chapek en « Bob Cheapek » (jeu de mot sur cheap, radin) et le terme devient viral sur les forums de passionnés​. Sur TikTok, des visiteurs vont jusqu’à poster des vidéos dénonçant chaque panne d’attraction comme ayant été « chapekées » (façon ironique de blâmer le PDG pour le moindre manquement)​. Même certains dirigeants en interne s’inquiètent qu’à force de tirer sur la corde des hausses de tarifs, Disney ne perde sa clientèle fidèle. D’après un rapport du WSJ relayé en février 2025, des cadres admettent que la société est devenue « accro aux hausses de prix » et que l’expérience Disney est en passe de devenir inabordable pour la famille moyenne​. En clair, la quête de profit à tout prix sous Bob Chapek a entamé le capital sympathie patiemment acquis auprès du grand public, faisant passer la magie Disney pour une affaire purement mercantile.

L’échec de la communication de crise sur les sujets sociétaux

Autre faux pas majeur : la gestion désastreuse du scandale du “Don’t Say Gay Bill” en Floride, qui a exposé Disney à la vindicte tant de ses employés que du monde politique. En mars 2022, face à cette loi floridienne interdisant de parler d’orientation sexuelle ou d’identité de genre à l’école primaire, Disney – entreprise historiquement LGBTQ-friendly – est attendue au tournant. Or Bob Chapek choisit d’abord le silence. Il envoie un mémo interne rappelant que « la meilleure façon pour notre entreprise de favoriser le changement durable, c’est par le contenu inspirant que nous produisons, la culture d’accueil que nous créons, et les communautés que nous soutenons »​. En d’autres termes, pas de prise de position publique claire contre la loi, juste l’idée que la diversité des productions Disney sera la vraie réponse. Cette posture attentiste provoque la colère des employés. Beaucoup jugent la réponse trop tiède, voire lâche, venant du leader d’une compagnie qui se veut bienveillante. La grogne monte sur les réseaux sous le hashtag #DisneyDoBetter. Une lettre ouverte incendiaire signée par les salariés LGBTQIA+ de Pixar est publiée, accusant la direction Disney de tenir un double discours : comment promettre d’« inspirer un monde inclusif » tout en censurant en interne le moindre contenu gay ? Les créatifs Pixar y affirment avoir vu de « magnifiques histoires réduites en miettes » par la censure, et que « quasiment chaque manifestation d’affection ouvertement homosexuelle est coupée à la demande de Disney »​. L’affaire se politise rapidement et fait les gros titres.

Conscient du désastre, Bob Chapek opère un retournement total en l’espace de quelques jours : il finit par condamner publiquement la loi Don’t Say Gay, présente des excuses à ses employés LGBTQ+, et annonce la suspension de tous les dons politiques de Disney en Floride​. Mais ce revirement tardif ne fait qu’entraîner Disney plus avant dans la tourmente. Du côté conservateur, la réaction est cinglante. Le gouverneur républicain Ron DeSantis fustige le « wokisme » de Disney et s’attaque à son statut spécial : quelques semaines plus tard, une loi est adoptée pour retirer à Walt Disney World son district autonome et ses avantages fiscaux​. Du jamais-vu pour Disney, qui se retrouve pris au piège entre deux feux. En voulant ménager la chèvre et le chou, Bob Chapek a réussi l’exploit de mécontenter tout le monde : d’abord accusé de frilosité et d’hypocrisie par les défenseurs des droits LGBT, il offre ensuite une cible facile aux conservateurs, alimentant un conflit politique dont Disney se serait bien passé. En termes de communication de crise, ce fiasco “Don’t Say Gay” restera un exemple emblématique de ce qu’il ne faut pas faire : tarder à réagir, sous-estimer ses parties prenantes internes, puis céder dans la panique – perdant sur tous les tableaux.

Une vision mal alignée avec l’ADN Disney

Ces différents couacs révèlent en filigrane un problème plus profond : la vision de Bob Chapek était déconnectée de l’ADN de Disney, fondé sur la magie, l’enchantement et la relation privilégiée avec le public. Ancien patron de la division Parcs et Produits dérivés, Chapek est un gestionnaire réputé pour sa rigueur opérationnelle… mais justement critiqué pour son manque de fibre créative. Tout au long de son mandat, il a donné la priorité aux chiffres, souvent au détriment de l’expérience et de l’image de marque. Des analystes ont résumé que « l’héritage de Bob Chapek se résume surtout à sa dévotion au profit à court terme »​. Cette approche bottom line a pu être utile en 2020 pour encaisser le choc du Covid, mais à vouloir chasser le rendement immédiat, on en oublie de raconter des histoires et de faire rêver – ce qui est pourtant la raison d’être de Disney.

Chapek a ainsi multiplié les décisions dictées par la rentabilité et la rationalisation, sans égard pour la culture maison. Il a remanié l’organisation en 2020 pour recentraliser la distribution et les budgets (conférant les pleins pouvoirs à un de ses lieutenants, Kareem Daniel), ce qui a frustré les studios Marvel, Pixar et Lucasfilm en leur retirant de l’autonomie créative​. Il a évincé abruptement des figures respectées, comme le responsable des contenus TV Peter Rice, suscitant l’incompréhension générale (on murmure que Rice payait d’être un potentiel successeur trop populaire)​. Il n’a pas hésité non plus à froisser la fanbase Disney la plus loyale : les détenteurs de pass annuels des parcs, jadis appelés la “Disney family” par Walt, ont été qualifiés sous son règne de « mix de visiteurs peu avantageux » (“unfavorable attendance mix”) car moins dépensiers que les touristes​. Ce jargon de financier – prononcé lors d’une réunion d’investisseurs – a fait l’effet d’une douche froide, trahissant une vision purement comptable des visiteurs. Ce genre de déclaration a renforcé chez beaucoup le sentiment que Chapek ne comprenait pas l’âme de Disney. Là où ses prédécesseurs (de Walt Disney à Bob Iger) insistaient sur la créativité, la qualité et le respect du public, Chapek donnait l’image d’un patron obsédé par les résultats trimestriels et prêt à rogner sur la « magie » pour améliorer les marges. En interne, le moral des équipes créatives était en berne face à cette perte de sens. Comme l’a noté un cadre, « la bureaucratie et la soif de profit finissent par tuer la créativité ». Ce décalage entre la culture d’entreprise Disney et le style Chapek a miné la cohésion et, in fine, nui à la performance globale – y compris financière, puisque même les actionnaires ont fini par se lasser de cette approche sans vision à long terme​.

Les leçons à tirer pour les entreprises

Comment éviter un “effet Chapek” ? Que retenir de cette séquence chaotique en tant que professionnels de la communication et du management ? Voici quelques enseignements clés :

  • Gérer les conflits en coulisses et préserver les relations clés – Un différend avec un talent ou un partenaire stratégique doit être traité avec diplomatie, loin des projecteurs. L’erreur de Chapek a été d’attaquer publiquement Scarlett Johansson, brisant la confiance et ternissant l’image de Disney auprès de toute la communauté artistique. Comme l’a souligné l’expert Eric Schiffer, l’équipe de Bob Iger aurait « tenté de régler le problème en coulisses pour maintenir la confiance », évitant ainsi un carnage médiatique inutile​. La leçon : négociez, trouvez un terrain d’entente discret – un accord amiable vaut mieux qu’une bataille publique perdue d’avance en termes de réputation.

  • Rester cohérent avec les valeurs de la marque – Une entreprise doit aligner ses actes et sa communication avec son ADN. Disney promeut la magie, la bienveillance, l’inclusion ; en reniant ces valeurs (par exemple en restant muet face à une loi discriminante, ou en traitant ses fans les plus fidèles comme une variable d’ajustement), la direction a envoyé des signaux contradictoires dévastateurs. Authenticité et cohérence sont indispensables pour conserver la confiance du public et de ses employés. En cas de crise sociétale, une prise de position courageuse mais en phase avec l’histoire et la culture de l’entreprise sera toujours moins risquée que le faux calcul de la neutralité peureuse.

  • Ne pas sacrifier l’expérience client sur l’autel du profit immédiat – L’avidité perçue peut détruire en un temps record l’affect positif attaché à une marque. Sous Chapek, la monétisation à outrance de l’expérience Disney a donné l’impression que la compagnie voyait chaque client comme un simple portefeuille ambulant, érodant la loyauté pourtant exceptionnellement forte des fans Disney. Trouver le bon équilibre entre rentabilité et satisfaction client est crucial. Des hausses de prix peuvent être entendables si elles s’accompagnent d’améliorations tangibles et d’une communication transparente sur les raisons. En revanche, diminuer la qualité ou faire payer ce qui était gratuit tout en augmentant les tarifs généraux envoie le message que vous prenez votre clientèle pour acquise – au risque de la perdre à terme.

  • Soigner la communication de crise et l’engagement interne – La réaction calamiteuse de Disney face au Don’t Say Gay l’a montré : le silence ou la langue de bois peuvent être ravageurs en interne. Écouter ses employés et impliquer les parties prenantes dans l’élaboration de la réponse est essentiel lorsque l’entreprise est questionnée sur un sujet de société. Il faut également anticiper l’impact d’une crise sur l’opinion publique et politique, et adopter une stratégie de communication claire, assumée, en accord avec les valeurs de l’entreprise. Jouer sur deux tableaux finit souvent par vous aliéner les deux camps. Mieux vaut une position franche, quitte à déplaire à certains, qu’une ambiguïté qui mécontente tout le monde et démobilise vos propres troupes.

  • Avoir un leadership aligné avec la mission de l’entreprise – Enfin, le cas Chapek souligne l’importance du profil du dirigeant lui-même. Tous les secteurs – et particulièrement ceux où la composante créative et émotionnelle est forte – ne peuvent être pilotés uniquement via des indicateurs financiers. Il faut des dirigeants capables d’inspirer, de porter une vision et d’incarner les valeurs de la marque. Le conseil d’administration de Disney a retenu la leçon : des analystes estiment que Chapek a été évincé en raison d’« un manque de leadership créatif, notamment dans la gestion des talents et des équipes artistiques »​. À l’avenir, Disney s’assurera que son futur PDG aura non seulement les compétences business, mais aussi la sensibilité nécessaire pour fédérer les créatifs et préserver la magie qui fait le cœur de la marque. Pour toute entreprise, le message est clair : choisissez des leaders dont la vision stratégique s’accorde avec l’ADN de votre organisation, et qui savent autant parler au cœur qu’à la raison.

En définitive, la tumultueuse parenthèse du règne de Bob Chapek rappelle à quel point la gestion d’un PDG peut faire ou défaire l’image d’une marque emblématique. Disney, mastodonte centenaire au capital affectif immense, a vacillé en l’espace de quelques décisions mal calibrées et d’une communication mal pensée au plus haut niveau. « L’effet Chapek » restera dans les annales comme l’exemple d’une direction déconnectée de son public et de ses créateurs, qui a appliqué des recettes purement comptables à une entreprise dont la force réside dans l’émotionnel et le narratif. Le retour précipité de Bob Iger, accueilli avec soulagement par les employés comme par les fans, a illustré qu’il ne s’agissait pas seulement de résultats financiers mais bien de réparer un lien de confiance brisé. En quelques mois, Iger a annulé certaines hausses de prix trop impopulaires, rétabli une stratégie plus respectueuse des créatifs, et renoué le dialogue avec la base, prouvant qu’un leadership à l’écoute peut restaurer la marque Disney.

Toutes les entreprises peuvent tirer profit de cette leçon : même les marques les plus puissantes ne sont pas invincibles. Une vision court-termiste et déphasée peut entamer irrémédiablement la réputation bâtie sur des décennies. À l’inverse, une gouvernance alignée avec les valeurs de l’entreprise, attentive aux attentes de ses parties prenantes (clients, employés, partenaires), est le rempart le plus sûr contre la tempête. Disney a appris à ses dépens qu’on ne badine pas avec la magie – et que, du sommet à la base, chaque décision compte pour préserver la flamme de la marque. En somme, le leadership d’une entreprise est intimement lié à son image : l’ère Chapek l’a démontré par l’absurde, rappelant à tous les dirigeants qu’ils sont les gardiens de l’âme de leur marque, pour le meilleur ou pour le pire.