Double matérialité : enjeux réputationnels et anticipations en communication de crise
La réglementation européenne, avec la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), impose aux entreprises de rendre compte non seulement de leurs impacts financiers, mais aussi de leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). C’est ce que l’on appelle la double matérialité.
Cette approche change profondément la manière dont les organisations doivent penser leur responsabilité et leur communication : ce qui est matériel n’est pas seulement ce qui affecte la valeur de l’entreprise, mais aussi ce que l’entreprise fait subir à son écosystème.
Comprendre la double matérialité
La double matérialité repose sur deux dimensions :
- Matérialité financière : comment les enjeux ESG influencent la performance et la pérennité de l’entreprise (ex. hausse des coûts énergétiques, pénuries de matières premières, réglementation plus stricte).
- Matérialité d’impact : comment les activités de l’entreprise affectent la société, l’environnement et les parties prenantes (ex. émissions de CO₂, conditions de travail, impact sur la biodiversité).
Ces deux dimensions obligent les entreprises à une transparence accrue. Ce qui est communiqué dans un rapport extra-financier devient un élément de réputation soumis au regard des investisseurs, ONG, journalistes et grand public.
Conséquences réputationnelles possibles
L’intégration de la double matérialité comporte un potentiel de valorisation, mais aussi de risques réputationnels :
- Exposition des incohérences : un écart entre discours (engagement RSE) et pratiques réelles peut alimenter des accusations de greenwashing ou social washing.
- Amplification médiatique : les ONG, influenceurs et médias scrutent les rapports extra-financiers pour pointer les manquements.
- Comparaison sectorielle : la double matérialité facilite la comparaison entre entreprises d’un même secteur, mettant en lumière les bons et les mauvais élèves.
- Perte de confiance : si des impacts négatifs sont révélés sans qu’ils aient été anticipés et expliqués, la confiance des parties prenantes peut s’effondrer rapidement.
Ce qu’il faut anticiper
Pour limiter les risques réputationnels liés à la double matérialité, plusieurs anticipations sont nécessaires selon Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom :
- Alignement entre stratégie et communication corporate : s’assurer que les engagements publiés correspondent à des actions concrètes et vérifiables.
- Cartographie des parties prenantes sensibles : identifier les acteurs susceptibles de relayer ou critiquer certaines données (ONG, syndicats, associations de consommateurs, journalistes spécialisés).
- Préparation de scénarios de crise : prévoir la réaction si un indicateur négatif est repris médiatiquement (ex. émissions en hausse, accidents du travail, dépendance à un fournisseur controversé).
- Veille proactive : surveiller les signaux faibles (plaintes, campagnes militantes, tendances sociétales) avant qu’ils ne deviennent des crises réputationnelles.
- Narration transparente : reconnaître les zones de progrès, plutôt que chercher à tout enjoliver. Une posture d’humilité renforce la crédibilité.
Pourquoi la communication de crise est centrale
La double matérialité augmente la probabilité qu’une entreprise soit interpellée publiquement sur ses impacts. La communication de crise doit donc évoluer :
- De réactive à anticipative : ne pas seulement répondre, mais préparer des messages clairs avant la publication des rapports.
- De défensive à pédagogique : expliquer la complexité des enjeux et les arbitrages nécessaires.
- De fermée à dialogique : engager une conversation avec les parties prenantes au lieu de chercher à étouffer la critique.
En pratique, la gestion de crise devient un prolongement du reporting extra-financier : elle doit accompagner chaque révélation sensible et montrer que l’entreprise prend la responsabilité de ses impacts.
Vers une opportunité stratégique
Si la double matérialité expose davantage les entreprises, elle peut aussi renforcer leur réputation : celles qui jouent la carte de la transparence authentique et du progrès mesurable seront perçues comme plus crédibles et résilientes.
La clé réside dans l’articulation entre reporting, stratégie et communication. Mal préparée, la double matérialité est un terrain de crise. Bien anticipée, elle devient un levier de différenciation et de confiance durable.