AccueilFAQLe biais de substitution : le raccourci mental qui sabote la communication de crise

Le biais de substitution : le raccourci mental qui sabote la communication de crise

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En pleine crise, on veut des réponses simples à des problèmes complexes. C’est humain. Mais ce réflexe de simplification n’est pas sans conséquences. Il repose sur un biais cognitif aussi répandu que sournois : le biais de substitution.

Ce biais, c’est la tendance du cerveau à remplacer une question difficile par une question plus facile, sans même s’en rendre compte. Au lieu de répondre à “Quel est le vrai niveau de risque ?”, on répond à “Est-ce que j’ai peur maintenant ?”. Au lieu de se demander “Quelle est la meilleure stratégie à long terme ?”, on agit selon “Que va penser le public demain matin ?”.

Et en communication de crise, ce raccourci mental est un piège mortel. Il transforme la gestion de crise en une suite de réponses biaisées à des problèmes mal posés. Le fond est remplacé par la forme. L’enjeu réel par l’émotion immédiate. Le long terme par le court-circuit.

🔁 Qu’est-ce que le biais de substitution exactement ?

Ce biais a été mis en évidence par Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie et père de la pensée sur les biais cognitifs. Selon lui, lorsque nous sommes confrontés à une question complexe, notre cerveau préfère y répondre en substituant une question plus simple, intuitive, émotionnelle.

Mais comme on ne s’en rend pas compte, on croit avoir répondu à la bonne question. C’est là que les ennuis commencent.

Exemples classiques :

  • À la question “Ce candidat est-il compétent ?”, on répond en fait “Est-ce qu’il me plaît ?”

  • À “Ce risque est-il maîtrisé ?”, on répond “Est-ce que les images m’ont choqué ?”

  • À “Cette entreprise gère-t-elle la situation avec rigueur ?”, on répond “Est-ce que son patron a l’air sincère à la télé ?”

Ces substitutions automatiques déforment la perception. Et en communication de crise, elles affectent à la fois les publics et les décideurs.

🧠 Comment le biais de substitution impacte la communication de crise

Le public ne réagit pas à la bonne question

Quand une crise éclate, le public devrait logiquement se demander :

“Quelle est la nature exacte du problème ? Quelle est la stratégie mise en place pour le résoudre ? Quelles sont les conséquences probables ?”

Mais en réalité, il réagit à :

“Est-ce que ça me fait peur ? Est-ce que ça me semble grave ? Est-ce que je fais confiance à celui qui parle ?”

Ce décalage entre les questions rationnelles et les réponses émotionnelles brouille complètement la communication. Les messages factuels, techniques ou nuancés tombent à plat, parce qu’ils ne répondent pas à la “question substituée” que se pose l’audience.

👉 Résultat : une entreprise peut donner des infos claires, structurées, scientifiques… mais si son porte-parole a l’air flou, stressé ou distant, le message est perçu comme peu crédible. Non pas à cause de son contenu, mais à cause du filtre émotionnel rappelle Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom spécialisée dans la gestion de crise.

Les décideurs eux-mêmes se trompent de question

Le biais de substitution ne touche pas que le public. Les communicants de crise et dirigeants d’entreprises aussi sont piégés. Pressés par l’urgence, ils veulent savoir :

“Comment éviter une perte de réputation grave à moyen terme ?”

Mais ils agissent en réalité selon :

“Comment éteindre le feu sur Twitter dans l’heure ?”

Le court terme émotionnel remplace la stratégie. L’image du jour éclipse les actions de fond. Le confort immédiat remplace l’efficacité durable.

👉 Exemple : une marque alimentaire découvre un défaut possible sur un produit. Plutôt que d’évaluer froidement le risque réel et organiser une gestion rigoureuse, elle panique en voyant les hashtags monter et prend une décision de façade pour rassurer vite – qui se retourne contre elle quand les faits complets émergent.

🔄 Quelques substitutions typiques en communication de crise

Question légitime Question substituée (inconsciente) Conséquence
Est-ce que la situation est sous contrôle ? Est-ce que la personne qui parle a l’air confiante ? Les bons messages sont jugés sur la forme, pas sur le fond
Ce plan de gestion est-il crédible ? Est-ce que ça sonne rassurant ? On favorise les messages qui “calment”, pas ceux qui “résolvent”
Y a-t-il un vrai danger systémique ? Est-ce que ça m’énerve ou me choque ? Les crises lentes, diffuses ou invisibles sont ignorées
Cette décision est-elle responsable ? Est-ce que c’est populaire sur les réseaux ? Les messages sont calibrés pour plaire, pas pour durer

📉 Conséquences concrètes du biais de substitution en crise

Une parole biaisée, inadaptée à la réalité

En croyant répondre à la bonne question, on envoie des messages mal calibrés. Trop mous pour rassurer, trop flous pour convaincre, trop émotionnels pour piloter. Le public sent que quelque chose cloche – et la confiance s’effondre.

Des crises mal gérées parce qu’on traite le “ressenti” et pas le réel

On prend des décisions pour apaiser une colère, éteindre une polémique, satisfaire un besoin d’image. Mais on ne résout pas le vrai problème. Et comme ce vrai problème continue d’exister… la crise repart. Version 2, plus violente.

Une perte de crédibilité dans le temps

Quand les publics réalisent que l’entreprise ou l’institution a “joué la com” au lieu de “jouer la gestion”, ils punissent. Tardivement. Mais durablement. Parce que ce biais, une fois révélé, révèle aussi le cynisme perçu.

🔧 Comment corriger le biais de substitution en communication de crise

Nommer la vraie question

Dans tout message de crise, demande-toi d’abord : à quelle question ce message répond-il réellement ? Et si ce n’est pas la bonne, reformule-la. Réponds au fond, pas au reflet émotionnel.

Exemple : Ne dis pas “Nous comprenons l’émotion suscitée”, dis plutôt “Voici les trois mesures concrètes mises en place pour résoudre le problème.”

Distinguer image et action (et le dire)

Le public sent quand on surjoue la com’. N’aie pas peur de séparer les plans. Tu peux dire : “Nous avons pris des mesures en interne (action) et nous avons souhaité communiquer avec transparence (image).” Cette clarté désamorce le soupçon.

Ne pas calibrer uniquement à l’intuition

Ce n’est pas parce qu’un message “te semble bon” qu’il répond à la bonne question. Fais le test à froid : quelle est la vraie question posée ? Et à quoi répond exactement ta communication ? Si tu sens un décalage… ajuste.

Créer des messages à double niveau

Un bon message de crise doit répondre à la fois à la question émotionnelle ET à la question rationnelle. Il doit apaiser, mais aussi structurer. Expliquer, tout en montrant qu’on agit.

Exemple :

“Oui, nous avons compris la colère exprimée ces dernières heures (émotion). Voici les données que nous avons, et les mesures prises (raison). Nous enverrons une mise à jour dans 24h (pilotage).”

Ce genre de message évite la substitution automatique. Il parle au cortex ET à l’amygdale.

🎯 Ne confondez pas la question qu’on vous pose… avec celle qu’il faut traiter

Le biais de substitution est un piège subtil. Il vous fait croire que vous gérez la crise, alors que vous gérez une version édulcorée ou déplacée de la crise. Il vous fait communiquer “vite et bien” – mais pas “juste”. Il vous fait croire que le public vous croit – alors qu’il vous évalue sur d’autres critères.

La seule solution, c’est de garder la bonne question en tête. Toujours. Même si elle est complexe. Même si elle ne tient pas en 280 caractères. Même si elle fait mal. Parce qu’en crise, ce que vous fuyez finit toujours par vous rattraper.

Et le jour où tout explose, le public ne vous pardonnera pas de l’avoir rassuré… sur le mauvais sujet.