- 🔍 Le biais d’attention : une loupe déformante
- 📺 En communication de crise, ce biais frappe partout
- Pourquoi ce biais est-il si puissant ?
- ⚠️ Conséquences du biais d’attention en communication de crise
- 💡 Comment limiter le biais d’attention en communication de crise ?
- 🧭 Ne vous laissez pas hypnotiser
En pleine crise, toutes les têtes sont tournées vers ce qui fait le plus de bruit, de clics ou de sueurs froides. Le problème ? Ce n’est pas forcément là que se joue l’essentiel. En communication de crise, ce que l’on voit – ou croit voir – devient souvent ce que l’on croit important. Ce réflexe psychologique, profondément ancré en nous, s’appelle le biais d’attention. Et il peut faire dérailler une stratégie de gestion de crise aussi sûrement qu’un tweet mal calibré.
Ce biais cognitif, aussi banal qu’explosif, consiste à surestimer l’importance des informations sur lesquelles notre attention est focalisée, tout en ignorant ou minimisant tout le reste. En gros : ce qui est visible semble crucial, ce qui est discret paraît secondaire, voire inexistant.
En situation de crise, où l’attention est sous tension, ce biais explose. Et il ne concerne pas seulement le public : il touche les journalistes, les dirigeants, les porte-parole… et parfois même les cellules de crise elles-mêmes.
🔍 Le biais d’attention : une loupe déformante
Notre cerveau est une machine à prioriser. En permanence, il trie les millions d’informations disponibles pour se concentrer sur quelques éléments. C’est utile en temps normal. En situation de crise ? C’est dangereux.
Le biais d’attention consiste à attribuer plus de poids, de gravité, d’importance ou de crédibilité aux éléments qui captent notre regard ou notre émotion à l’instant T. Ce n’est pas qu’on est mal intentionné : c’est qu’on est neurologiquement incapable de tout voir et tout traiter à égalité.
On finit donc par :
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Prendre des décisions basées sur des signaux visibles (images choquantes, chiffres spectaculaires, témoignages viraux)
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Nier ou ignorer des signaux faibles, souvent plus révélateurs mais moins “sexy” (rapports techniques, risques systémiques, indicateurs silencieux)
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Sur-réagir à certains éléments (tweets hostiles, articles alarmistes) et sous-réagir à d’autres (contamination lente, fatigue des équipes, perte de confiance diffuse)
📺 En communication de crise, ce biais frappe partout
La tyrannie de l’émotion immédiate
Un témoignage vidéo qui tourne en boucle, un visage bouleversé à la télé, un chiffre impressionnant (même isolé)… et voilà que l’attention collective est accaparée. Les communicants doivent réagir, même si le sujet n’est pas le plus grave, ni le plus urgent.
Résultat : on ajuste les messages pour apaiser ce qui crie fort, et on laisse de côté ce qui ne fait pas de bruit – mais qui tue peut-être plus sûrement.
👉 Exemple : Lors d’un incident industriel, un riverain s’effondre en larmes devant les caméras, disant avoir vu “une boule de feu”. L’attention médiatique s’ancre sur le feu, l’explosion, le danger immédiat. Mais personne ne parle de la nappe phréatique contaminée… alors qu’elle affectera des milliers de foyers pour les 10 prochaines années.
Le battement médiatique devient la boussole
Plus un sujet fait de bruit dans les médias, plus il semble stratégique. C’est l’un des grands pièges des communicants de crise : confondre volume d’attention et niveau de gravité insiste l’expert en communication de crise, Florian Silnicki, à la tête de l’agence LaFrenchCom.
On passe alors des heures à éteindre les incendies symboliques (polémiques, buzz, indignations ponctuelles), et on laisse s’enraciner les crises profondes, complexes, qui ne captent pas immédiatement l’attention, mais qui finiront par exploser en silence.
👉 Exemple : Lors d’une crise alimentaire, les médias s’emballent sur un produit lié à un seul cas suspect. L’entreprise communique massivement dessus, rappel, excuses, mobilisation. Pendant ce temps, une faille dans la traçabilité d’un autre produit, bien plus consommé, est minimisée. L’attention est ailleurs. Jusqu’au jour où la vraie crise éclate.
Le biais dans les cellules de crise elles-mêmes
Même les cellules de crise internes, pourtant formées et méthodiques, ne sont pas immunisées. En période de stress, elles concentrent leurs efforts sur les flux entrants visibles (requêtes médias, signaux sur les réseaux sociaux, messages internes), et risquent de négliger des signaux faibles en marge (tensions sur le terrain, rupture de confiance, données partielles).
Plus il y a de bruit, plus l’équipe s’agite autour du bruit. Et plus elle perd le fil stratégique. C’est ainsi que des crises mal gérées ne viennent pas d’un manque d’action, mais d’un défaut de focalisation. On regarde dans la mauvaise direction.
Pourquoi ce biais est-il si puissant ?
Le cerveau cherche des récits, pas des statistiques
On retient une histoire frappante, pas une table de données. Une image, pas une note d’alerte. C’est ainsi que l’attention se fixe sur ce qui est visuellement ou émotionnellement saillant, au détriment de ce qui est structurellement pertinent.
L’effet projecteur
C’est un mécanisme bien documenté en psychologie : plus quelque chose est visible, plus on le croit représentatif ou important. Or dans une crise, ce qui est visible est rarement neutre : c’est ce que montrent les médias, ce qui buzze, ce qui choque. Le reste est relégué à l’arrière-plan cognitif.
Le cerveau en mode stress simplifie tout
En crise, le stress réduit la capacité de traitement rationnel. On veut des décisions rapides. Le cerveau privilégie les infos faciles à capter. Et ce qui est facile à capter, c’est… ce qui capte notre attention. Cercle vicieux.
⚠️ Conséquences du biais d’attention en communication de crise
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Des décisions réactives, pas stratégiques : on traite ce qui hurle, pas ce qui compte.
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Des récits biaisés : on donne une image fausse de la crise, centrée sur les “symptômes visibles” au lieu des causes réelles.
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Des publics mal préparés : en focalisant sur certains risques, on en ignore d’autres. On affole pour les mauvaises raisons. Et on rassure… sur des mirages.
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Des crises secondaires invisibles : un biais d’attention mal maîtrisé provoque souvent une crise dans la crise, car des problèmes non traités explosent plus tard.
💡 Comment limiter le biais d’attention en communication de crise ?
Créer un poste “d’attention critique”
Dans une cellule de crise, il faut une personne chargée non pas de gérer l’attention, mais de l’observer et de la remettre en question. Cette fonction (souvent oubliée) est cruciale pour se demander : “Est-ce qu’on traite ce qui crie ou ce qui compte ?”
Travailler avec des matrices de priorité non émotionnelles
Utiliser des grilles de risques réels (gravité x probabilité x impact) indépendamment du bruit médiatique ou social. Cela permet de garder les yeux sur les véritables enjeux, même quand le tumulte nous pousse à l’inverse.
Gérer l’attention plutôt que la subir
Plutôt que de courir derrière l’attention médiatique ou digitale, orientez-la. La communication de crise ne doit pas être seulement réactive. Elle doit organiser la narration, cadrer le regard, montrer ce qui est important même si ce n’est pas encore viral.
Travailler la durée d’attention
Ce qui fait la différence, ce n’est pas l’intensité d’un message, c’est sa répétition et sa constance. Si vous voulez que les publics s’intéressent à un sujet moins “buzzant”, vous devez le marteler, l’expliquer, l’incarner. Et surtout, ne pas le lâcher après 48h.
🧭 Ne vous laissez pas hypnotiser
Une crise, ce n’est pas un spectacle. C’est un système sous tension. Ce n’est pas parce que tout le monde regarde une scène qu’elle est centrale. Ce n’est pas parce qu’un chiffre choque qu’il est significatif.
Le biais d’attention pousse les communicants à réagir à ce qu’ils voient. Mais leur rôle, ce n’est pas de suivre le faisceau lumineux. C’est d’éclairer là où personne ne regarde encore, mais où tout est en train de se jouer.
En communication de crise, votre vrai pouvoir n’est pas de parler. C’est de faire regarder.
Alors la question est simple : où portez-vous votre lumière ?