Face aux gilets jaunes, quelle stratégie de communication peut adopter le gouvernement pour éteindre la crise ?
Le mouvement des gilets jaunes vit le jour le samedi 17 novembre dernier. Il fut par la suite rejoint par des mouvements syndicaux puis par différents collectifs comme celui des lycées par exemple. Depuis, on assiste à un enchainement de manifestations chaque samedi et à une couverture médiatique exceptionnelle de ces dernières et des violences d’ultra aux comportements délictueux et aux propos ignobles. Retour sur cette crise avec Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui a fondé l’agence LaFrenchCom.
Quatre semaines après le premier acte, ces manifestations défraient toujours la chronique médiatique. On se souvient encore de cette image du 4 décembre 2018 qui longtemps restera gravée dans les mémoires du cortège présidentiel poursuivi par une horde de manifestants furieux et scandant: «Macron démission!». Certains des proches du Président de la République expliquent qu’à ce moment là, Emmanuel Macron a compris la colère qui existait contre lui dans l’opinion publique.
Le Président de la République Emmanuel Macron était alors venu constater sur place les dégâts subis par la préfecture du Puy-en Velay lors de la manifestation du samedi précédent. Pire, il a vu la destruction de symboles de la République à l’intérieur de l’arc de triomphe ou les actes de vandalisme de la tombe du soldat inconnu. Même si là encore, il faudrait faire la part entre les manifestants et les groupes extrémistes qui s’y sont infiltrés pour affronter les services de police.
Certains sondages estimaient à 80% la part des français soutenant le mouvement. Selon un autre sondage Opinionway pour LCI, ce même taux tombe à 66% après l’intervention du Président de la république Emmanuel Macron. Certes, il faut se méfier de tout sondage quelle que soit sa source en ces temps de crise où la guerre des chiffres est au cœur de la communication politique d’un camp comme de l’autre. Une chose est sûre dans cette époque incertaine, c’est que le mouvement bénéficie toujours d’une sympathie de l’opinion d’une grande partie de la population qui en fait quasiment partie intégrante : «Tout le monde est gilet jaune en France dans le cœur», disait d’ailleurs un dirigeant syndicaliste récemment. Les villes de Bordeaux et de Toulouse se sont particulièrement illustrées comme les villes où le mouvement fut le plus intense.
L’intervention attendue (Plus de 23 millions de téléspectateurs ont regardé l’intervention du président de la République. Jamais une allocution présidentielle n’avait connu de telles audiences.) du Président Emmanuel Macron au soir du 10 décembre 2018 n’a pas rassuré la colère des Gilets Jaunes, colère exacerbée par une réaction très lente du pouvoir politique qui n’a pas vu naitre et pas compris cette nouvelle forme de mobilisation sociale amplifiée par les réseaux sociaux. Stratégiquement, du point de vue de la communication politique, l’objectif d’une telle intervention médiatique est de rallier les soutiens du mouvement à sa cause tout en discréditant les plus radicaux. Mais visiblement, le ver est déjà dans le fruit.
La machine à communiquer si bien de la « Macronie » a déraillé avec l’affaire Benalla et n’a pas su redémarrer. La communication politique d’Emmanuel Macron était pourtant jusque-là parfaitement efficace et maitrisée. Elle était d’ailleurs saluée unanimement pour sa capacité à imposer les sujets médiatiques en empêchant l’opposition potentielle de prendre la main sur l’agenda.
Les gilets jaunes loin de décolérer comptent toujours se donner rendez-vous le samedi suivant et le mouvement quant à lui ne donne par conséquent pas de véritables signes d’essoufflement. Selon le ministère de l’Intérieur, 360 ronds-points étaient encore bloqués ou occupés par des gilets jaunes mardi. Depuis une semaine, gendarmes et policiers en ont évacué 170, selon le secrétaire d’État à l’Intérieur Laurent Nuñez.
Dans cette crise, il y a bien sûr des causes lointaines mais aussi des causes récentes trop souvent exacerbées par une communication politique de crise approximative du gouvernement. Dans la première partie de cet article, nous relèverons les erreurs de communication de crise de l’exécutif. Nous étudierons ensuite en deuxième partie des propositions concrètes pour éteindre la crise.
Gouvernement : les errements d’une communication politique de crise mal adaptée
Les causes du mouvement des gilets jaunes sont nombreuses et pour le moins hétéroclites. Il faut dire cependant que l’augmentation de la taxe sur les carburants a été la goutte qui a fait déborder le vase. Mais au-delà de cette taxe, ce que dénonce une grande partie de la population acquise à la cause du mouvement des gilets jaunes, loin d’être aussi illisible et confuse comme ont tenté de le faire croire certains politiques aveuglés, c’est une frustration économique et sociale, l’absence de justice sociale, l’impossible accès à un ascenseur social républicain et le sentiment partagé que l’avenir sera plus dur à vivre. Le rôle de la communication politique est ici de rassurer et redonner confiance pour apaiser les esprits et mettre fin à la mobilisation sociale.
Dans un pays où les disparités se sont creusées d’un quinquennat à un autre entre les Français les plus riches et la classe moyenne, mais aussi avec les Français les plus démunis, une augmentation de la taxe sur les carburants ou encore la suppression de l’ISF et tant d’autres mesures dans un contexte sociale tendu ne pouvait qu’exacerber symboliquement les frustrations séculaires vécues par les masses populaires. Il y a ici évidemment une part d’injustice en ce qu’Emmanuel Macron qui est le Président de la République en exercice, incarne le rejet de la politique y compris passée. L’ISF est aussi un symbole qu’il était maladroit de supprimer politiquement en même temps que la CSG sur les retraités augmentait.
Les symboles comptent parfois plus que les messages en politique. Emmanuel Macron semblait d’ailleurs l’avoir parfaitement compris. Le soin accordé aux symboles dans sa stratégie de communication politique est ce qui a largement contribué à faire son succès lors de la dernière élection présidentielle.
Par ailleurs, bien avant ce contexte sociale délétère, la mauvaise gestion de crise de l’affaire Benalla ainsi que les démissions des ministres Gérard Collomb et Nicolas Hulot encore fraîches dans les mémoires ont révélé au grand jour un amateurisme mais surtout ce qui a été perçue comme une certaine arrogance au sommet de l’Etat, notamment dans les rapports du Président de la République avec la presse. « Or, en communication politique, le message compte mais le message d’où il est diffusé compte aussi beaucoup sur la perception du message diffusé. De ce point de vue, Emmanuel Macron a beaucoup souffert d’une image de Président des Riches au service des intérêts d’un Caste » affirme Florian Silnicki, Expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom.
Dès son accession au pouvoir, Emmanuel Macron avait annoncé une série de réformes censées donner un nouveau souffle à une économie française mal en point. Dans un pays traditionnellement réfractaire aux réformes, cette volonté claire du chef de l’exécutif était soutenue par une large majorité de Français qui disaient dans les sondages lui « laisser sa chance » alors que les oppositions politiques présentaient un encéphalogramme plat.
Dominique Houbron, député LREM reconnut d’ailleurs lui-même sur le plateau du Morandini Live diffusé sur la chaine Cnews du mardi 4 décembre que le gouvernement a manqué de pédagogie dans sa démarche de réforme.
Surtout, certains propos provocateurs ou formules maladroites d’Emmanuel Macron jugés condescendants par les masses populaires se sont malheureusement trop souvent répétés et lui ont valu à tort ou à raison l’image d’un «Président des riches» manquant d’empathie à l’égard de ceux qui exprimaient leur souffrance.
En effet, on se souvient encore de ses erreurs de communication politique presque devenues une marque de fabrique comme cette suggestion faite à un jeune chômeur formé en horticulture de changer de filière s’il voulait trouver du travail. Propos qui ont beaucoup abîmé l’image du Président de la République confortant les préjugés et les a priori d’une partie de l’opinion.
Hormis ces maladresses du Président, Emmanuel Macron a souffert de la communication politique approximative du gouvernement d’Edouard Philippe. Un exemple frappant est celui du 5 décembre dernier à l’hémicycle où le Premier ministre Edouard Philippe laissait entendre: «Si nous ne trouvons pas les bonnes solutions, alors, nous n’appliquerons pas cette taxe» faisant alors allusion à ladite taxe sur le carburant. Propos rectifiés dans la foulée par le numéro un de l’Elysée lui-même qui désavouait alors son Premier ministre apportant la précision que la taxe ne serait annulée que pour le compte de l’année 2019. Version confirmée plus tard par le ministre directement concerné par la mesure, François de Rugy.
Une autre confusion au sein même de l’exécutif se créa autour de l’ISF. Certains ministres avaient en effet un temps annoncé le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Propos plus tard démentis par le chef de l’Etat lui-même renchéri par son ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Lorsque l’on sait que cet impôt cristallise à lui seul les tensions sociales dans un pays où les classes sociales défavorisées estiment subir davantage les pressions fiscales que les plus riches, il est évident qu’une telle cacophonie autour de cette question sensible ne pouvait qu’envenimer les tensions sociales.
Cependant, le gouvernement aurait-il pu mieux gérer la crise ? Si oui, dans quelle mesure aurait-il pu mieux gérer la situation face à plusieurs interlocuteurs, les uns, les gilets jaunes décidés à ne pas sursoir aux manifestations et les autres représentés par une opposition charognarde aussi virulente qu’hétéroclite et parfois donnant l’impression de vouloir pousser au chaos en défiant les institutions et les symboles républicains ?
Approches de solutions pour éteindre la crise
Il est dans un premier temps primordial de mieux comprendre les revendications formulées par les manifestants afin d’y apporter les solutions idoines. Elles tiennent en un leitmotiv: Meilleures conditions de vie avec le pouvoir d’achat en fond.
L’intervention du chef de l’exécutif au soir du 10 décembre est plutôt un bon signe dans l’apaisement des tensions. Les mesures annoncées, entre autres l’augmentation du SMIC de 100 euros dont la lisibilité n’a pas été claire puisque pendant deux jours les journalistes spécialisés se demandaient dans quelles conditions cela se ferait, la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore l’exemption de hausse de CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros vont dans le sens de la majorité des manifestants. Selon un sondage Opinionway réalisé dans la foulée de l’intervention du chef de l’Etat, 49% des français sont satisfaits des mesures prises par Emmanuel Macron.
68% des sondés estimaient être satisfaits de l’augmentation de 100 euros du SMIC.
Il faut dire en effet que la France est tenue à d’autres obligations dont le contrôle du déficit des dépenses publiques par rapport au PIB. Celui-ci connaitra ainsi une hausse qui le portera à 3.2% contrairement aux 2.9% précédemment annoncés par les prévisions. Un effort supplémentaire est dans ce sens demandé aux plus grosses entreprises pour combler le gap de près de 2 milliards créé par ces nouvelles mesures sociales. Ces mesures ne suffiront pourtant pas ni à convaincre les plus radicaux ni à éteindre la crise à long terme.
Le pouvoir n’est plus audible. La parole politique d’Emmanuel Macron est démonétisée.
L’objectif de toute communication politique est dans une telle crise de rassurer l’opinion publique. Les contradictions observées encore récemment dans les interventions des uns et des autres ne sont pas de nature à rassurer. Ce qui constitue évidemment du pain béni pour une opposition qui n’attend que de telles occasions pour se donner un nouveau souffle sur l’échiquier politique.
Une nouvelle fois, le monde politique semble découvrir que la stratégie du silence ne convient pas à toute situation de crise. Pire, le silence peut exacerber la crise. Dans l’affaire Benalla par exemple, il a été notamment reproché au gouvernement d’avoir trop abusé de ces silences qui, loin de rassurer cristallisent au contraire les tensions en faisant naitre un soupçon. Dans cette crise de gilets jaunes dont nul ne connait la fin, le gouvernement a une fois de plus mis trop de temps à réagir. La stratégie jupiterienne du silence n’est pas une stratégie efficace de communication de crise. Au contraire, elle jette de l’huile sur le feu naissance et accélère la crise.