Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Comment l’Arabie Saoudite a pris sa revanche télévisuelleCommunication politiqueComment l’Arabie Saoudite a pris sa revanche télévisuelle

Comment l’Arabie Saoudite a pris sa revanche télévisuelle

tv

tv

Lutte d’influence étatique et diplomatie médiatique : retour sur la revanche télévisuelle de l’Arabie Saoudite.

L’histoire de cette lutte d’influence débute en 1991.

A la fin de la guerre du Golfe, bien que faisant partie du camp des vainqueurs, l’Arabie Saoudite tire les leçons amères de son isolement médiatique pendant toute la crise.

Ainsi, durant le conflit armé qui opposa les forces coalisées aux troupes de Saddam Hussein, ni les télévisions occidentales ni la presse écrite arabe éditée en Europe n’avaient vraiment ménagé le royaume.

« Chaque analyse, chaque éditorial, les nombreux reportages de CNN, de la BBC ou d’autres chaînes de télévision, donnaient l’impression que l’Arabie Saoudite, de par la nature de son régime à l’époque, était mise sur le même plan que l’Irak », explique le journaliste arabe Mohssen Al Kotbi.

« Les Saoudiens ont ressenti cela comme un véritable affront car ils ont financé cette guerre. Ils ont aussi surtout compris que s’ils pouvaient compter à n’importe quel instant sur l’aide militaire des Américains, les médias occidentaux, eux, ne leur feraient aucun cadeau. »

Dans le même temps des personnalités arabes déplorèrent le fait que l’information sur le conflit lui-même ait été détenue à cent pour cent par les Occidentaux.

« Après la guerre du Golfe, nous avons compris qu’il fallait regarder la chaîne américaine CNN pour savoir ce qui se passait chez nous », déclarait le producteur de cinéma Tarak Ben Ammar en évoquant la création d’Arab Radio Television (ART). Arab Radio and Television Network est plus couramment connu sous le nom de ART. C’est aujourd’hui un puissant groupe privé de chaînes TV en langue arabe basé à Jeddah, en Arabie saoudite.

Dès 1991, MBC est ainsi créée à Londres.

« A l’époque, les instructions du roi Fahd ben Abdelaziz Al Saoud ont été très claires. Il fallait au plus vite que l’Arabie Saoudite se dote de télévisions diffusées par satellite de manière à défendre les intérêts du royaume mais aussi à éviter que les Saoudiens et les Saoudiennes ne subissent plus longtemps « l’influence » des images des chaînes occidentales », reconnaît un ancien diplomate saoudien aujourd’hui installé aux Etats-Unis. Dès lors, plusieurs hommes d’affaires membres de la famille royale se regroupent en holdings. Dès 1991, la chaîne Middle East Broadcasting (MBC) est créée à Londres.

Middle East Broadcasting Center (en arabe : مركز تلفزيون الشرق الأوسط) est aussi appelé MBC Group. Le groupe audiovisuel saoudien, dont le siège est à Dubai Media City depuis 2002, est aujourd’hui dirigé par Bader ben Abdullah Ben Mohammed Ben Farhan Al Saoud.

MBC Group produit aujourd’hui 18 chaînes de télévision diffusant des programmes d’information et de divertissement pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) mais aussi à destination de l’Europe et l’Amérique.

La création de Middle East Broadcasting Center

Elle optait d’emblée pour une programmation généraliste et sera rachetée en 1993 par le cheikh Walid Al Ibrahim, beau-frère du roi Fahd ben Abdelaziz Al Saoud.

Quelques mois plus tard, appliquant à la lettre les instructions du maître de Riyad, MBC complétera sa stratégie en rachetant l’agence de presse United Press International.

ART, le grand concurrent de MBC, sera créé la même année. A sa tête, avec près de 30 % du capital, on retrouvait alors le prince Al-Walid ben Talal ben Abdelaziz Al Saoud, neveu du roi Fahd ben Abdelaziz Al Saoud et homme d’affaires célèbre en France pour sa prise de participation dans Disneyland Paris et son association avec Michael Jackson dans le multimédia.

Associé à Leo Kirch et Johan Rupert, ce même Al Waleed possédait alors 18 % de Mediaset, le pôle audiovisuel de Silvio Berlusconi.

Suivront ensuite Dubaï TV, puis Egyptian Space Channel (ESC) puis plusieurs chaînes maghrébines toutes appartenant à l’État.

Si le Proche et le Moyen-Orient constituent le premier axe de diffusion pour MBC et ART, le Maghreb et le sud de l’Europe avaient été rapidement ciblés par ces chaînes.

« Nous nous sommes rendu compte à l’époque qu’il existait une importante demande pour des programmes arabes à la fois au Maghreb mais aussi dans tous les pays d’Europe où il existait une communauté arabophone », confirme Ahmed Riffat de Dubaï TV.

« Ces chaînes visaient à recréer le panarabisme, car il faut bien comprendre qu’un Marocain ou un Tunisien en connaîssait bien plus sur les sociétés française ou belge que sur la société jordanienne ou quatari. En privilégiant l’information politique, culturelle et économique sur les pays arabes, en possédant des correspondants dans toutes les capitales importantes du monde, MBC a progressivement fait de plus en plus l’unanimité », commente Roger Hardy, journaliste spécialisé dans le monde arabe à la BBC.

C’est ainsi que le cliché habituel d’une population maghrébine aux yeux rivés sur l’Europe grâce aux antennes paraboliques s’est fait oublier.

A Alger, Tunis ou Casablanca, ART et MBC damaient désormais le pion aux chaînes françaises ou américaines, qui subissaient alors par ailleurs les effets du ressentiment vis-à-vis d’une Europe qui élevaient des murailles. « Tout est question de culture », affirme le sociologue Saddoun El Maqari.

« On pouvait regarder MBC en famille. Il n’y avait pas de risque de tomber sur des scènes osées ou des dialogues crus. Dans le même temps, il était tellement agréable de voir des journalistes arabes parler de son propre pays sans cette suffisance qui, hélas, caractérisait leurs collègues occidentaux qui se présentaient comme spécialistes du Maghreb. »

Le contenu des programmes provoquait des polémiques

Interrogés, plusieurs diplomates français, en poste notamment à Damas, Beyrouth, Le Caire et Tunis, estimaient que ces chaînes qui privilégiaient l’arabe et l’anglais constituaient à terme de sérieux freins à l’essor de la francophonie.

Malgré cet engouement, il restait néanmoins que la question du contenu des programmes provoquait de vives polémiques. Si les revues spécialisées européennes qualifiaient alors ces chaînes d’« exotiques » en insistant sur la multitude de programmes musicaux et de feuilletons « à l’eau de rose », il n’en demeurait pas moins que nombreux sont les intellectuels et politiciens arabes qui s’élèvaient contre les messages idéologiques qu’elles délivraient.

Ces propos faisaient alors s’offusquer quelques responsables : « Il y a une totale liberté à l’intérieur des rédactions comme dans la programmation », assurait ainsi à l’époque un dirigeant de MBC.

Une affirmation que nuançait un journaliste d’origine maghrébine travaillant alors pour cette télévision. « C’est vrai que MBC ou même ART constituaient de véritables révolutions car elles avaient introduit la modernité dans la conception du métier de journaliste de télévision. Nous étions alors loin du bricolage des chaînes nationales diffusées par voie hertzienne et nos moyens étaient énormes. Mais il y avait alors quand même trois grands tabous : l’Arabie Saoudite, la famille royale et l’islam. »

Les annonceurs occidentaux intéressés par ces chaines

Il était alors ainsi hors de question pour ces chaînes d’évoquer les incertitudes liées à la succession du roi Fahd ou de s’attarder sur la réalité économique ou politique du royaume. De même, un suivi attentif des émissions religieuses de MBC, ART ou Dubaï TV montre que, si le prosélytisme islamiste est banni des ondes, c’est bel et bien une vision conservatrice, voire rétrograde, de l’islam qui est défendue.

« Les exégètes modernistes, les penseurs ou les mystiques soufis n’avaient pas droit de cité », relève l’islamologue Mustafa Bennaï. « Entre le rigorisme et l’intégrisme, il n’y avait souvent qu’un pas et les pays du Maghreb se devaient de réagir vite en haussant la qualité de leurs programmes pour contrer MBC ou ART. »

Bien qu’aucun chiffre n’aient alors été disponibles sur les résultats financiers de ces chaînes, des indiscrétions recueillies auprès du siège londonien de MBC permettaient de penser que ces affaires ont rapidement commencé à être rentables et cela après des débuts laborieux et des financements à perte.

Instruments de défense médiatique en cas de crise, moyens de propagation de l’islam wahhabite propre à l’Arabie Saoudite, ces chaînes de télévision sont donc devenues au fil du temps de véritables filons grâce à la manne publicitaire.

« Au bout de quelque temps, les annonceurs occidentaux ont compris que nous étions un outil idéal pour une communication à destination des riches pays du Golfe », disait-on au siège londonien de MBC.

Dans le même temps les responsables des télévisions maghrébines diffusées par satellite commençaient à attirer eux aussi les annonceurs occidentaux. « Les Algériens d’Europe nous regardaient en permanence grâce aux antennes paraboliques. Un annonceur français qui diffusait ses spots à travers notre chaîne voyait sans conteste son image rehaussée au sein de la communauté », affirme un responsable d’Algerian TV.

Occupant incontestablement un rôle de leader d’opinion à destination des communautés arabophones à travers le monde, les chaînes saoudiennes n’en sont pas restées là… et la déclinaison de cette lutte d’influence a trouvé son pendant sur internet et sur les réseaux sociaux, au-delà des médias traditionnels.