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De la langue de bois à la langue de "pub"

slogan communication politique

Publicité politique ou l’art de troquer l’affiche pour l’image

Au secours, la publicité politique arrive ! L’introduction prochaine de spots publicitaires à la télévision (1) commence à faire frémir le petit monde branché du marketing politique. Verra-t-on bientôt MM. Chirac ou Rocard, entre couches-culottes et rouges à lèvres, vanter dans des clips la saveur inimitable de leurs programmes ? Que gagnera la démocratie à troquer ainsi l’affiche pour l’image ? La publicité politique jouera-t-elle les cache-misère d’un discours politique évanescent ?

Ce sont quelques-unes des questions auxquelles l’association Egée-Europe (2) a voulu répondre en organisant les 4, 5 et 6 mars, dans les locaux de l’Etudiant un colloque sur le thème du marketing politique

« J’espère que ce ne sera pas une nouvelle forme de banalisation de la politique mais que la publicité politique permettra de répondre à la platitude du discours actuel », explique M. Jean-Marie Cotteret, professeur à Paris-I et consultant d’Infométrie. Plutôt favorable à cette expérience, il ne nie pas l’effet « réducteur et séducteur » de la publicité.

Ce risque n’inquiète en rien MM. Thierry Saussez et Jean-Marc Lech qui rêvent de voir les partis croqués à coups de pub. Le premier, patron d’Image et Stratégie, s’interroge : « Pourquoi les Français, qui sont assez grands pour recevoir les messages concurrentiels de lessives et de voitures, ne le seraient-ils plus quand il s’agit d’idées politiques ou de partis ? Cela ferait faire à la publicité politique un saut créatif immédiat. »

M. Lech entonne le même hymne en affirmant que « c’est la pub qui donne des idées à la politique. Elle permet aux citoyens de ne pas détester plus les hommes politiques ». Dans son enthousiasme, le directeur de l’institut de sondage IPSOS ne craint pas d’affirmer que c’est celui qui gagne le match publicitaire qui, désormais, gagne les élections. « Pas du tout », proteste M. Claude Marti, ancien conseiller en communication de M. Mitterrand, redevenu celui de M. Rocard : « C’est l’élection une fois gagnée qui « fait le slogan » et non l’inverse. » Exemple, « La force tranquille » : « C’est après le 10 mai que l’on a découvert que c’était un slogan génial. »

« La pub ne donne pas d’idées politiques », affirme également M. Roland Cayrol, maitre de conférences à Sciences-Po. Il regrette que la politique se fasse de plus en plus dans un univers structuré par le marketing politique.

La pub politique ne risque-t-elle pas d’accentuer le déséquilibre qui existe déjà entre les partis politiques prospères et les autres ? s’interroge M. René Rémond, président de la Fondation nationale des sciences politiques : « Cela pose en effet le problème de l’égalité des chances des partis. » « Au tarif publicitaire, Arlette Laguiller pourra dire tout juste trois mots », souligne M. Marti. La réalisation d’un clip politique coûte de 200000 F à 1 million de francs. Comme l’explique M. Saussez : à moins de vingt spots, la campagne a peu de chance d’avoir un impact. Coût total estimé : 6 millions de francs (avec la diffusion) (3).

« Paraitre ou Exister »

Autre grief : la publicité à la télévision aurait une fâcheuse tendance à jouer plus sur les réflexes négatifs de rejet vis-à-vis d’une personne, que sur ceux positifs d’adhésion à un message. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis déferlent sur les écrans en période électorale des negatives spots qui prennent violemment à partie l’adversaire.

Certains imaginent déjà des spots qui, comme outre-Atlantique, montrent un buste de couleur marron sale représentant le concurrent et qui, sous les yeux des téléspectateurs, s’effrite petit à petit pour finir par éclater en morceaux à l’écran tandis qu’une voix off commente : « Voici son vrai visage »…

M. Bernard Krief, président de Bernard Krief Consultants, craint que la publicité introduise une banalisation de la politique et ne finisse par déboucher, comme aux Etats-Unis, sur une très faible participation électorale.

M. Marti lui fait écho : « Nous sommes passés de la langue de bois, à la langue de pub (…) ». « En politique, il ne suffit pas de paraitre mais d’exister. »

M. Michel Bongrand, qui est à la communication politique ce qu’Edgar Faure est à la politique, ne croit pas non plus à la « politique Kleenex ». Lui qui se définit avant tout comme un conseil politique (il fut celui de M. Jean Lecanuet pour les présidentielles de 1965) estime que le marketing politique « traité comme de la pub attaque la démocratie », mais que « traité par le conseil politique, il sert la démocratie ».

Ce débat a laissé sur leur faim ceux qui s’attendaient à des explications savantes sur le nombre de voix qu’une campagne politique pouvait déplacer.

« Que se passerait-il si on ne faisait rien ? » demandait un jour un homme politique à son conseil en communication : « Eh bien, ça ne changerait sans doute pas grand chose, lui a-t-on répondu, mais cela aurait un impact désastreux sur les militants qui diraient : Ils n’ont même plus de fric pour faire la campagne… »

  • (1) « Les émissions publicitaires à caractère politique ne peuvent être diffusées qu’en dehors des campagnes électorales », précise seulement la loi Léotard.
  • (2) Fondée en avril 1985, Egée est une association européenne d’étudiants qui souhaitent promouvoir la construction européenne : Egée Paris, 40, rue de Liège, 75008 Paris.
  • (3) Ces précisions ont été données au cours d’un colloque consacré à la publicité politique organisée le 10 février à l’Assemblée nationale par M. Yvon Briant, secrétaire général du CNI et par des étudiants de Sciences-Po.