- Carlos Ghosn : Une communication de crise sous le feu des critiques
- La vidéo de Carlos Ghosn : autopsie d’une communication de crise ratée
- Décorum et mise en scène maladroits
- Ton et posture : la victimisation contre-productive
- Absence de preuves concrètes et incohérences dans le discours
- Un message brouillé et un impact public désastreux
- Analyse des commentaires des experts en communication
- Conséquences sur la perception médiatique et judiciaire
- Une stratégie vouée à l’échec et les leçons à retenir
Carlos Ghosn : Une communication de crise sous le feu des critiques
La communication de crise de Carlos Ghosn était-elle une défense maladroite. Alors que son arrestation était imminente, Carlos Ghosn, a enregistré une vidéo jeudi dernier dans laquelle il évoque la trahison et la conspiration. Celle-ci a été très critiquée dans les médias. Pour Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom, « Tout cela joue en défaveur de Carlos Ghosn… Je trouve que le décorum ne le sert pas. Il ne cesse de reprendre les termes malveillants de ses détracteurs. »
Cette stratégie est-elle pertinente ? Quelle stratégie de communication faut-il adopter en cas de crise ? L’expert en communication de crise était l’invité de l’émission Hebdo com, du samedi 13 avril 2019, présentée par Aurélie Planeix et Valéry Pothain et diffusée sur BFM Business.
La vidéo de Carlos Ghosn : autopsie d’une communication de crise ratée
Début avril 2019, Carlos Ghosn – autrefois patron tout-puissant de l’alliance Renault-Nissan – enregistre une vidéo depuis Tokyo, anticipant une nouvelle arrestation imminente. Dans cet enregistrement diffusé par ses avocats après son interpellation, il clame son innocence et dénonce un complot orchestré contre lui au sein de Nissan, évoquant explicitement une « trahison » de certains dirigeants et une « conspiration » à son encontre. L’objectif affiché est clair : plaider sa cause auprès de l’opinion publique et contrer ce qu’il perçoit comme une injustice.
Pourtant, cette prise de parole inattendue va rapidement se retourner contre son auteur. La vidéo de près de huit minutes suscite des critiques virulentes tant dans les médias que chez les experts en communication de crise. Au lieu de redorer l’image ternie de l’ex-PDG, elle a renforcé les doutes et provoqué un flot de commentaires négatifs sur sa stratégie de défense. Retour sur les raisons pour lesquelles ce message vidéo s’est avéré être une erreur stratégique majeure en matière de communication de crise.
Décorum et mise en scène maladroits
Dès les premières secondes, le décor et la réalisation de la vidéo donnent le ton – et ce ton est maladroit. Carlos Ghosn apparaît face caméra, filmé en plan fixe sur un fond blanc complètement impersonnel. Cette mise en scène froide et minimaliste renvoie l’image d’un homme isolé et sous pression. En lieu et place d’un décor qui pourrait évoquer la transparence ou la maîtrise de soi, ce fond blanc clinique donne l’impression d’un coupable paniqué tentant de se justifier tant bien que mal, plutôt que celle d’un dirigeant serein en contrôle de la situation. Comme l’a fait remarquer un commentateur, l’absence totale d’éléments visuels ou d’animation rend ces 7 minutes 37 secondes particulièrement longues pour le spectateur. En somme, le contenant visuel dessert le message : le décorum choisi ne sert pas Carlos Ghosn, bien au contraire, il accentue la sensation d’une communication subie et artificielle.
Cette austérité scénique est d’autant plus dommageable qu’elle contraste avec la stature internationale que Ghosn avait autrefois. Au lieu de le montrer combatif et digne, la mise en scène le présente de facto dans un cadre austère, presque comme un prévenu s’exprimant depuis sa cellule (bien qu’il soit alors en liberté sous caution). Le choix du format vidéo lui-même aurait pu être plus judicieux : une séquence plus courte, mieux rythmée, ou même un discours en direct avec interactions, auraient pu conférer plus de dynamisme. Ici, rien de tel – le message est statique, enfermé dans un monologue filmé de façon quasi amateure. Forme et fond se mêlent alors dans la maladresse, et l’apparence compte : le public retient avant tout l’image d’un Ghosn fébrile, seul devant un mur blanc, ce qui ne plaide guère en sa faveur.
Ton et posture : la victimisation contre-productive
Au-delà de la forme, le ton adopté par Carlos Ghosn dans cette vidéo pose problème. Dès le début de son adresse, il adopte un ton plaintif et vindicatif, se posant d’emblée en victime d’un complot gigantesque fomenté par une partie de la direction de Nissan et par le système judiciaire japonais. Il insiste sur l’idée qu’on l’a « présumé coupable » sans preuve et que toute l’affaire serait un coup monté contre lui. Or, jouer la carte de l’injustice peut, certes, susciter une certaine empathie initiale, mais en abuser finit par lasser et susciter le doute. À trop se poser en martyr, Ghosn prend le risque de fatiguer son auditoire.
Effectivement, à force de crier au complot et à la persécution, le discours de l’ancien PDG vire à l’auto-victimisation systématique. Carlos Ghosn se peint en Calimero des conseils d’administration, accablé par une conspiration politico-industrielle au plus haut niveau – une rhétorique qui évoque par moments le registre de Donald Trump, avec ses punchlines agressives et ses théories du complot. Cette tonalité défensive extrême, émaillée de formules chocs contre ses accusateurs, ne renforce pas sa crédibilité, bien au contraire. Le registre émotionnel utilisé – oscillant entre la plainte et la colère – donne l’image d’un dirigeant sur la défensive qui refuse de se remettre en question.
Aux yeux du public, le scénario d’un PDG milliardaire prétendument persécuté par ses propres employés et par tout un pays est difficile à avaler sans preuves solides. En clair, l’opinion a du mal à adhérer à l’idée que Carlos Ghosn soit la victime innocente d’une immense machination si lui-même n’en apporte pas la démonstration convaincante. À trop forcer le trait de la victimisation, Ghosn a fini par perdre en crédibilité. Certes, cette vidéo lui a permis d’attirer l’attention médiatique sur sa version des faits, mais elle n’a convaincu que ses partisans les plus acharnés – ceux qui le croyaient déjà sur parole. Pour le grand public, en revanche, cette posture de victimisation a surtout donné l’impression d’un dirigeant cherchant à détourner la conversation du sujet principal. Comme l’a résumé un expert en communication de crise ayant suivi l’affaire, miser entièrement sur la théorie du complot s’est révélé « particulièrement maladroit, incapable de convaincre l’opinion publique de son innocence ». Autrement dit, se présenter continuellement en victime d’un complot sans apporter d’éléments nouveaux n’a pas suscité l’adhésion – c’est même une erreur fatale en communication dans ce contexte.
Absence de preuves concrètes et incohérences dans le discours
Sur le fond du message, la vidéo souffre d’un défaut rédhibitoire en communication de crise : l’absence totale de preuves concrètes à l’appui des affirmations. Pendant tout son monologue, Carlos Ghosn martèle son innocence et accuse ses détracteurs de comploter, sans jamais apporter le moindre élément factuel pour étayer ses dires. Ni document, ni chiffre précis, ni nom propre ne viennent crédibiliser ses accusations graves. « Je suis innocent, c’est un complot », répète-il en boucle, mais cette phrase reste désespérément creuse lorsqu’elle n’est accompagnée d’aucune démonstration. Cette opacité immédiate de son propos a vite sapé la confiance que certains auraient pu lui accorder : comment le croire sur parole, alors qu’il ne fournit aucun détail vérifiable pour soutenir son récit?
Pire, le discours de Carlos Ghosn dans cette vidéo comporte des incohérences et digressions étonnantes compte tenu de la gravité du sujet. Au milieu de sa défense, l’ancien patron s’égare et lance par exemple qu’il « a peur pour l’entreprise, parce que tout le monde est nul sauf [lui] ». Cette remarque égocentrée et hors de propos tombe complètement à plat – elle est non seulement déplacée, mais elle décrédibilise l’ensemble du message en donnant l’impression d’un règlement de comptes personnel plutôt que d’une argumentation rationnelle. De même, certaines attaques ad hominem envers ses anciens collègues (qu’il accuse de trahison et d’incompétence) apparaissent excessives et affaiblissent son discours : à vouloir trop charger ses adversaires, il en oublie de se défendre lui-même sur le fond des accusations.
Plus globalement, le message manque de cohérence et de clarté. Ghosn alterne entre des idées éparses – son attachement au Japon, son amour pour Renault, sa théorie du complot, ses mises en garde sur l’avenir de l’entreprise – sans jamais articuler un fil directeur convaincant. À la fin de la vidéo, le public n’a guère plus d’informations tangibles qu’au début. Un conseiller en communication notera d’ailleurs que cet enregistrement aurait gagné à être beaucoup plus court, avec des messages mieux ciblés, au lieu de s’étirer sur plus de sept minutes sans contenu nouveau ni preuves à l’appui. En l’état, la vidéo de Ghosn se résume à un long plaidoyer vide, ce qui rend l’exercice « au mieux inutile, au pire contre-productif » selon l’expert en communication de crise interrogé. En cherchant à occuper la scène médiatique sans rien apporter de concret, Carlos Ghosn a raté sa chance de convaincre – et s’est même tiré une balle dans le pied communicativement.
Un message brouillé et un impact public désastreux
Au final, tous ces écueils – décor maladroit, ton plaintif, absence de preuves, digressions – aboutissent à un message brouillé. La vidéo aurait dû clarifier la position de Carlos Ghosn et rallier l’opinion à sa cause ; elle obtient l’effet inverse. L’impact sur le public est massivement négatif. Plutôt que de susciter la sympathie ou le doute bénéfice en sa faveur, cette sortie médiatique renforce les soupçons à son égard. Pour l’observateur lambda, Ghosn apparaît comme un dirigeant en pleine opération de sauvetage de sa réputation, prêt à tout pour se poser en victime – mais incapable de fournir la moindre preuve de son innocence. Il ne convainc presque personne en dehors de son cercle de fidèles.
Dans l’opinion publique japonaise, par exemple, le discours de l’ex-PDG dénonçant la « justice biaisée » et le complot interne a pu être perçu comme une fuite en avant, voire un aveu implicite de faiblesse. Nombre de Japonais, déjà choqués par l’affaire, y ont sans doute vu un homme cherchant à échapper à ses responsabilités en attaquant le système. En France, où Carlos Ghosn avait longtemps été adulé comme le sauveur de Renault, la vidéo ne suscite pas le sursaut de solidarité espéré. Au contraire, le gouvernement français et d’anciens soutiens prennent leurs distances, conscients qu’apparaître au côté d’un dirigeant tenant ce type de discours victimaire sans preuves pourrait être politiquement risqué. Sur la scène internationale enfin, l’initiative médiatique de Ghosn fait surtout les choux gras de la presse : beaucoup y voient le baroud d’honneur d’un PDG acculé, plus soucieux de son image que de transparence.
L’affaire Carlos Ghosn devient ainsi un cas d’école de communication de crise ratée, où le remède (la vidéo) a empiré le mal (la crise de réputation). L’effet boomerang est total : chaque accusation de complot sans substance a incité les journalistes à creuser davantage pour la contredire, et chaque proclamation d’innocence sans preuve a été accueillie avec plus de scepticisme encore. Les comparaisons n’ont pas tardé à émerger avec d’autres figures ayant usé de stratégies similaires : on pense à Lance Armstrong, l’ex-champion cycliste qui cria longtemps à la “chasse aux sorcières” avant d’être confondu par le dopage, ou à François Fillon, l’ex-Premier ministre qui dénonça un « complot médiatico-judiciaire » durant le Penelopegate – sans convaincre au-delà de son premier cercle, s’isolant toujours plus. De même, Carlos Ghosn n’a, avec sa vidéo, convaincu que ses partisans déjà acquis à sa cause, tout en braquant un peu plus le reste de l’opinion. Le message qu’il espérait salvateur s’est révélé brouillon et peu crédible, diminuant encore son capital de confiance auprès du public.
Analyse des commentaires des experts en communication
Les spécialistes de la communication de crise ont été nombreux à décortiquer les erreurs de Carlos Ghosn dans cette vidéo. Florian Silnicki, expert en gestion de crise, a publiquement fustigé cette prise de parole filmée. Pour lui, « tout cela joue en défaveur de Carlos Ghosn… » : le choix du cadre et de la mise en scène ne sert pas l’ancien PDG, et pire, « il ne cesse de reprendre les termes malveillants de ses détracteurs », ce qui revient à faire involontairement la publicité des accusations portées contre lui. Autrement dit, en répétant sans cesse ce que ses ennemis disent de lui (pour s’en défendre), Ghosn ne fait que graver ces termes négatifs dans l’esprit du public – une faute classique en communication. Florian Silnicki souligne également qu’en l’absence de preuves ou de faits nouveaux, le discours de complot de Ghosn ne pouvait que sonner creux et décrédibiliser sa posture. D’après l’expert en communication de crise, le complot est tout simplement « une stratégie particulièrement maladroite » en crise judiciaire, car incapable de rallier l’opinion à votre cause. Son verdict est sans appel : cette vidéo-confession était vouée à l’échec car elle cumulait les écueils (victimisation outrancière, manque de transparence, message confus) au lieu de les éviter.
Le communicant de crise pointe du doigt la réalisation technique et le format du message : selon lui, cette vidéo au fond blanc monotone et sans la moindre dynamique audiovisuelle « manque son objectif sur le fond comme sur la forme ». Florian Silnicki note avec ironie que Carlos Ghosn, brillant PDG habitué aux succès industriels, s’est révélé être un « youtubeur débutant » incapable de captiver son audience en ligne. Il relève que le message se résume à “Je suis innocent, c’est un complot” sans qu’aucun élément factuel ne vienne l’étayer. Pour ce conseiller en communication, l’absence totale de preuve combinée à des digressions égocentrées (telle la fameuse phrase « tout le monde est nul sauf moi ») rend la séquence « au mieux inutile, au pire contre-productive ». L’expert en gestion de crise ajoute qu’après cette vidéo manquée, la justice japonaise a immédiatement interdit à Ghosn toute nouvelle prise de parole publique – preuve que sa stratégie de communication était considérée comme inappropriée dans le contexte judiciaire. En effet, « après cette vidéo, Carlos Ghosn a été contraint par la Justice au silence radio, on et offline », souligne-t-il, laissant entendre que ce coup d’éclat médiatique a peut-être fait plus de mal que de bien à l’ancien patron.
Globalement, l’ensemble des observateurs ont rangé cette intervention filmée au rayon des faux pas en communication de crise. Les médias spécialisés ont d’ailleurs parlé d’une « défense maladroite » de Carlos Ghosn, reprenant en chœur le constat des experts que cette vidéo était mal calibrée et contre-productive. Plutôt que de contrôler le récit, Ghosn a offert à ses adversaires un cas d’école de mauvaise gestion de la parole en situation de crise.
Conséquences sur la perception médiatique et judiciaire
Les effets néfastes de cette vidéo ne se sont pas fait attendre. Sur le plan médiatique, elle a enclenché un cercle vicieux pour Carlos Ghosn. En s’exposant ainsi sans apporter de réponses solides, l’ex-PDG a en quelque sorte ouvert la boîte de Pandore : chaque déclaration vague ou accusation non étayée de sa part a encouragé journalistes et commentateurs à investiguer davantage pour la vérifier ou la réfuter. Plutôt que de calmer le jeu, la vidéo a attisé la curiosité de la presse et du public, alimentant un feuilleton médiatique à son désavantage. Comme l’a analysé a posteriori un spécialiste, cette polémique prolongée a maintenu l’affaire Ghosn en Une pour de mauvaises raisons, prolongeant la crise au lieu de l’atténuer. En d’autres termes, Carlos Ghosn a piégé lui-même sa communication : en agressant publiquement ses accusateurs et en alimentant la controverse jour après jour, il a subi un effet boomerang qui est revenu ternir un peu plus son image. Ses arguments non convaincants ont encouragé ses détracteurs à contre-attaquer dans les médias, noyant son message initial sous une avalanche de contre-récits.
Par ailleurs, les adversaires de Ghosn – tant médiatiques que judiciaires – ont saisi l’occasion pour occuper l’espace laissé vacant par la faiblesse de sa défense. Nissan, la société qu’il accusait de comploter, n’est pas restée silencieuse : le constructeur a porté plainte et détaillé publiquement les manquements reprochés à son ex-dirigeant, offrant aux médias des informations concrètes venant contredire le storytelling de Ghosn. De leur côté, les procureurs japonais ont multiplié les communications officielles pour réaffirmer la solidité du dossier d’accusation, insistant sur les faits et chiffres que Ghosn éludait. Chaque fois que l’ancien PDG clamait son innocence sans preuve, les autorités répliquaient en apportant de nouvelles données à charge. Résultat : la bataille médiatique a tourné court pour Ghosn, son camp se retrouvant submergé par les révélations et rappels des éléments du dossier. L’image d’un Carlos Ghosn complotiste a ainsi été renforcée, au détriment de l’écoute de ses arguments de fond.
Sur le plan judiciaire stricto sensu, cette vidéo a également eu des conséquences néfastes. D’une part, elle a pu irriter les juges et procureurs japonais, qui ont très mal vu ce déballage sur la place publique en pleine procédure. Se présenter comme victime d’un système judiciaire biaisé alors même qu’on est sous le coup d’inculpations graves, c’est prendre le risque de froisser ceux qui instruisent le dossier. Il est probable que la diffusion de ce message a conforté la justice japonaise dans sa méfiance envers Carlos Ghosn, le présentant comme un accusé prompt à contourner les règles du jeu. D’ailleurs, comme mentionné précédemment, les conditions de sa liberté sous caution ont été immédiatement durcies après ce coup médiatique, avec interdiction formelle de s’exprimer publiquement. En outre, sur la scène française, cette vidéo a refroidi certains soutiens potentiels : l’État français, actionnaire de Renault, s’est publiquement distancié, ne voulant pas interférer ni cautionner implicitement la version de Ghosn. Là où l’ancien PDG espérait peut-être rallier des appuis politiques ou l’opinion de son pays d’origine, il a récolté au contraire de la réserve, voire de la défiance.
Enfin, ironie de l’histoire, cette tentative de communication mal maîtrisée a peut-être pesé dans la décision finale de Carlos Ghosn de fuir le Japon quelques mois plus tard. Ayant échoué à faire valoir son point de vue via les canaux officiels ou médiatiques, et se retrouvant muselé par la justice nippone, Ghosn a choisi l’option extrême de l’évasion pour “reprendre la parole” hors de portée des juges. Sa fuite rocambolesque vers le Liban fin 2019 a définitivement clos le chapitre de sa communication de crise au Japon – une communication qui, de l’avis général, était déjà compromise par cette fameuse vidéo ratée.
Une stratégie vouée à l’échec et les leçons à retenir
En rétrospective, la vidéo enregistrée par Carlos Ghosn avant son arrestation s’impose comme un exemple flagrant de ce qu’il ne faut pas faire en communication de crise. Tous les ingrédients d’un fiasco étaient réunis : une mise en scène maladroite qui affaiblit le message, un ton de victime outrancière peu audible pour le grand public, aucune donnée tangible pour appuyer de graves accusations, et un message final confus ne répondant pas aux questions clés. Cette stratégie était vouée à l’échec parce qu’elle allait à l’encontre des principes fondamentaux de la gestion de crise. En situation de crise judiciaire, se dire innocent ne suffit pas – encore faut-il le prouver. Comme le résume un expert, « le fait de se croire innocent ne l’épargne pas d’avoir à s’expliquer et à prouver son absence de faute ». Négliger d’apporter des éléments concrets et vérifiables est une erreur aux conséquences désastreuses, car cela mine la crédibilité dès le départ.
Quelles leçons tirer de cet échec pour de futures communications de crise ? D’abord, la transparence et la sincérité priment : il faut apporter autant que possible des preuves, des faits, ou à minima reconnaître ce qui peut l’être, afin d’établir un socle de confiance. Toute approximation ou opacité sera tôt ou tard démasquée et retournée contre l’orateur. Ensuite, éviter la posture de la victime d’un complot sans preuves est crucial – sans éléments solides, clamer au complot sonne comme une excuse creuse. En crise, mieux vaut concentrer son discours sur les faits avérés et sa défense juridique, plutôt que de dénoncer une cabale invisible. « Le complot n’est pas une stratégie gagnante », rappelle Florian Silnicki : cette approche s’est révélée incapable de convaincre l’opinion dans l’affaire Ghosn, et il y a fort à parier qu’il en ira de même dans des cas similaires. Enfin, faire preuve d’humilité et d’empathie envers le public est payant. Admettre une part de responsabilité, montrer sa volonté de coopérer avec la justice ou de faire toute la lumière, vaut mieux que de se poser en martyr incompris. Le public pardonne plus volontiers à un leader qui reste factuel et responsable qu’à un dirigeant qui se retranche derrière des accusations floues.
En conclusion, la vidéo pré-enregistrée de Carlos Ghosn était censée être un coup de maître médiatique, elle restera dans les annales comme un contre-exemple de communication de crise. Ghosn espérait reprendre la main dans la bataille de l’opinion ; il n’a fait que se tirer une balle dans le pied. Son expérience rappelle à tous les dirigeants qu’en situation de crise, la crédibilité se gagne par la preuve, la clarté et l’humilité, non par des proclamations spectaculaires sans lendemain. Ce fiasco communicant de Carlos Ghosn aura au moins servi à cela : rappeler que la meilleure stratégie, c’est encore de dire la vérité, apporter des éléments concrets et garder la tête froide, même lorsque la tempête fait rage. Ce n’est qu’à ce prix qu’une communication de crise peut espérer atteindre son objectif, et non s’abîmer comme celle de Carlos Ghosn.