- Victimisation à outrance : une posture défensive contre-productive
- Manque de transparence et incohérences : la confiance brisée
- Ignorer l’opinion publique et les parties prenantes : l’aveuglement stratégique
- Diversion et attaques agressives : le boomerang médiatique
- Recommandations pour une communication de crise efficace sous contrainte judiciaire
- Transparence, humilité et cohérence plutôt que complot
Soyons clairs : Le complot n’est pas une stratégie de communication viable sous contrainte judiciaire affirme Florian Silnicki, Expert en communication sous contrainte judiciaire et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom. L’affaire Carlos Ghosn – ex-PDG de l’alliance Renault-Nissan devenu fugitif international – en est l’illustration flagrante. Face à des accusations de malversations financières au Japon, Carlos Ghosn a choisi de crier au complot et de se poser en victime d’un « coup monté ». Résultat : sa communication de crise offensive et brouillonne n’a fait qu’aggraver sa situation en ternissant davantage son image. Professionnels de la communication de crise, voici les leçons à retenir du naufrage médiatique de Carlos Ghosn.
Victimisation à outrance : une posture défensive contre-productive
Dès le début de sa défense publique, Carlos Ghosn adopte un ton plaintif et vindicatif. Il se présente comme la victime d’un complot fomenté par certains dirigeants de Nissan et par le système judiciaire japonais, qui l’auraient « présumé coupable » d’emblée. Certes, jouer la carte de l’injustice peut susciter un peu d’empathie au départ. Mais en faire trop finit par lasser et susciter le doute. Carlos Ghosn s’est peint en Calimero des conseils d’administration, accablé par une conspiration politico-industrielle au plus haut niveau – une rhétorique digne de Donald Trump, truffée de punchlines agressives, de théories du complot et d’auto-victimisation. Cette trumpisation de son discours (y compris des piques hors sujet comme un rappel déplacé de Pearl Harbor à un journaliste américain) n’a pas renforcé sa crédibilité, bien au contraire.
En criant au loup de manière excessive, Carlos Ghosn a perdu en crédibilité. Aux yeux de l’opinion, le scénario d’un PDG milliardaire persécuté par ses propres employés et par un pays entier était difficile à avaler sans preuves solides. L’ancien patron a peut-être réussi à attirer l’attention médiatique sur sa version des faits, mais il n’a convaincu que ses partisans les plus acharnés. Pour le grand public, cette posture défensive extrême a surtout donné l’image d’un dirigeant refusant de se remettre en question et cherchant à détourner la conversation. Comme l’a constaté un expert en communication de crise, tout miser sur la théorie du complot s’est révélé « particulièrement maladroit, incapable de convaincre l’opinion publique de son innocence ». Autrement dit, se poser systématiquement en victime d’un complot n’a pas suscité l’adhésion, c’est même une erreur fatale en communication sous contrainte judiciaire.
Manque de transparence et incohérences : la confiance brisée
Deuxième faille majeure dans la stratégie Ghosn : un déficit flagrant de transparence, doublé d’incohérences dans le discours. À aucun moment Carlos Ghosn n’a apporté d’éléments factuels concrets pour étayer son innocence ou le fameux complot dont il se dit victime. Que ce soit dans la vidéo qu’il a fait diffuser par ses avocats depuis sa détention au Japon, ou lors de sa grande conférence de presse à Beyrouth, son message est resté désespérément creux sur le fond. « Je suis innocent, c’est un complot », répétait-il en boucle – sans fournir la moindre preuve tangible. Pas un chiffre, pas un nom, pas un document à l’appui de ses accusations. Cette opacité a immédiatement sapé sa crédibilité : comment le croire sur parole, alors même qu’il refuse de répondre précisément sur les faits qui lui sont reprochés ?
Pire, son discours a frôlé l’incohérence à plusieurs reprises. Dans sa vidéo de presque 8 minutes postée sur YouTube, le choix d’un décor blanc impersonnel donnait l’impression d’un coupable en panique cherchant maladroitement à se justifier, plutôt que celle d’un dirigeant serein et transparent. Le ton larmoyant était entrecoupé de digressions égocentrées – par exemple lorsqu’il affirme « avoir peur pour l’entreprise, parce que tout le monde est nul sauf moi », une remarque hors sujet qui a décrédibilisé l’ensemble du propos. Lors de la conférence de presse suivant sa fuite, Ghosn a esquivé les questions sur les points dérangeants (ses conditions d’évasion dignes d’un film ou les somptueuses soirées au château de Versailles financées par Nissan) pour se lancer dans un exposé brouillon appuyé de slides illisibles. Ce refus d’aborder les sujets sensibles – combiné à une mise en scène trop calculée se voulant « spontanée » – a laissé une impression de manipulation. En somme, manque de transparence et storytelling approximatif ont brisé la confiance. Comme le résume un spécialiste en gestion des enjeux sensibles : Ghosn pensait peut-être que proclamer son innocence suffirait, mais « le fait de se croire innocent ne l’épargne pas d’avoir à s’expliquer et à prouver son absence de faute ». Négliger cette exigence de preuve est une erreur de communication de crise lourde de conséquences.
Ignorer l’opinion publique et les parties prenantes : l’aveuglement stratégique
Autre écueil dans la gestion de crise de Carlos Ghosn : l’absence de prise en compte des perceptions du public et des parties prenantes. Obsédé par sa propre version de l’histoire, Ghosn en a oublié de se mettre à la place de ses différents publics – employés, clients, actionnaires, autorités, opinion des pays concernés. Il n’a pas semblé réaliser à quel point son récit pourrait être accueilli avec scepticisme, voire hostilité, dans certains milieux.
Prenons le public japonais : en les qualifiant implicitement de justice « biaisée » et en interdisant aux journalistes nippons d’assister à sa conférence de presse, il a sans doute conforté l’opinion japonaise dans l’idée qu’il se dérobait et méprisait leur système. Au Liban, où il s’est réfugié, il a pu recevoir un accueil plus bienveillant, mais sur la scène internationale, beaucoup ont vu dans sa fuite spectaculaire et ses attaques tous azimuts le comportement d’un homme avant tout soucieux de sauver sa peau. En France, le gouvernement et nombre de ses anciens soutiens (autrefois admiratifs de “Cost Killer” Ghosn) ont pris leurs distances. Il faut dire qu’en suggérant même à demi-mot que l’État français aurait pu avoir sa part de responsabilité (allusion de Ghosn à l’intervention de Emmanuel Macron dans Renault en 2016), il s’est aliéné d’éventuels alliés. Ce manque de discernement est révélateur d’un aveuglement stratégique.
De plus, Ghosn et son équipe de communication de crise ont snobé les canaux digitaux, ignorant l’importance des réseaux sociaux dans la bataille de l’opinion. Fait étonnant quand on sait que l’intéressé était l’un des premiers PDG « influenceurs » sur LinkedIn avec plus d’un million d’abonnés ! Sur Twitter, où l’affaire faisait rage (jusqu’à Elon Musk qui s’en est moqué avec un tweet “Carlos Gone”), @carlosghosn est resté muet.
Diversion et attaques agressives : le boomerang médiatique
Enfin, la stratégie de Ghosn a multiplié les tentatives de diversion et les attaques frontales, avec un effet boomerang dévastateur. En cherchant à détourner l’attention des accusations précises (soupçons de fraude fiscale, abus de biens sociaux, etc.) vers une pseudo-guerre interne Nissan/Renault ou un règlement de comptes politique, il a en réalité suscité davantage de curiosité et d’investigations de la part des médias. Chaque affirmation non étayée de complot a incité les journalistes à creuser pour la contredire. Chaque attaque contre des collègues dirigeants (« ils sont incompétents », « ils m’ont trahi ») a poussé ces derniers à sortir du silence pour défendre leur version. Ghosn a déclenché une guerrilla médiatique où chaque camp avance ses pions – précisément ce qu’une bonne communication de crise devrait éviter. Comme l’a anticipé un analyste, les autorités japonaises et françaises n’allaient pas rester inactives : elles ont répliqué en communiquant des faits contredisant le storytelling de Ghosn. Nissan, de son côté, a porté plainte et détaillé les manquements de son ex-PDG, nourrissant encore la presse en contre-feux défavorables à Ghosn.
Ce feuilletonnage incessant a maintenu l’affaire Ghosn en Une pour de mauvaises raisons, prolongeant la crise au lieu de l’atténuer. On sait qu’en communication de crise, plus une controverse s’étire, plus l’image de l’entité concernée se dégrade. En agressant ses accusateurs et en alimentant la polémique jour après jour, Carlos Ghosn est tombé dans un piège classique : l’effet boomerang. Ses diversions mal maîtrisées sont revenues le frapper en pleine face. Par exemple, lorsqu’il niait tout abus avec véhémence, la presse déterrait aussitôt de nouveaux éléments troublants (bonus cachés, dépenses somptuaires, etc.), l’obligeant à se justifier encore et encore. Ce cycle infernal rappelle le sort de Lance Armstrong, autre figure déchue : le champion cycliste a longtemps qualifié les accusations de dopage de « chasse aux sorcières » et attaqué ses détracteurs, pour finir confondu par les preuves et honni du public. De même, l’ancien Premier ministre François Fillon, englué dans le “Penelopegate”, a crié au complot médiatico-judiciaire – une riposte qui n’a convaincu personne au-delà de son premier cercle, et l’a isolé davantage. Multiplier les contre-attaques sans crédibilité, c’est s’exposer à un retour de flamme. Ghosn a appris à ses dépens qu’en matière de crise, l’agressivité et la diversion peuvent se retourner contre l’émetteur et empirer la situation initiale.
Recommandations pour une communication de crise efficace sous contrainte judiciaire
Que retenir concrètement de cette analyse pour quiconque doit communiquer sous le poids d’une affaire judiciaire ? Voici quelques recommandations clés, éprouvées dans la pratique de la communication de crise :
-
Privilégiez la transparence et la véracité : Dites la vérité, ou du moins votre vérité, sans la travestir. Évitez les mensonges ou approximations – ils seront tôt ou tard démasqués par le fact-checking permanent des médias. Si vous ne pouvez pas tout révéler pour des raisons légales, faites de la pédagogie sur la procédure en cours plutôt que de noyer le poisson. La franchise inspire davantage confiance que le silence ou le flou.
-
Évitez la posture de la victime conspiratrice : Se poser en victime d’un complot gigantesque n’est crédible que si vous apportez des éléments solides qui étayent cette thèse, ce qui est rare. Sinon, mieux vaut s’abstenir de jouer cette carte. Concentrez-vous sur les faits et sur votre défense juridique plutôt que de dénoncer une prétendue cabale sans preuves. En crise judiciaire, « le complot n’est pas une stratégie » gagnante – souvenez-vous que cette approche a été incapable de convaincre l’opinion publique dans l’affaire Ghosn.
-
Montrez votre volonté de coopérer et d’assumer : Même si vous vous estimez innocent, adoptez un ton constructif. Affirmez votre coopération avec la justice (ou votre envie de la rétablir si vous fuyez un système que vous jugez inique), et reconnaissez éventuellement que certaines erreurs ont pu se produire. Faire preuve d’un peu d’humilité ne vous affaiblira pas, bien au contraire – le public est plus enclin à pardonner à quelqu’un qui reconnaît la gravité de la situation et veut l’éclaircir, qu’à quelqu’un qui se dit persécuté sans jamais rien concéder.
-
Gardez un message cohérent sur toute la ligne : Alignez vos déclarations publiques avec votre défense juridique. Tout écart, contradiction ou changement de version sera exploité contre vous. Préparez des éléments de langage clairs, relisez-vous avec l’aide de juristes et communicants pour traquer la moindre incohérence. Votre discours doit rester stable dans le temps pour être crédible.
-
Mesurez chaque attaque et chaque mot : Évitez les attaques personnelles ou les règlements de comptes publics, qui vous feront paraître amer et détournent l’attention du fond. Chaque mot compte – assurez-vous qu’aucune formule ne puisse se retourner contre vous plus tard. Si vous devez corriger une fausse information circulant à votre sujet, faites-le sans agressivité, de manière factuelle. Ne versez pas dans l’invective, cela vous décrédibiliserait.
-
Anticipez le « boomerang » médiatique : Mettez-vous à la place d’un journaliste d’enquête ou d’un adversaire : que pourraient-ils trouver ou dire en réaction à votre prise de parole ? Identifiez les faiblesses potentielles de vos arguments et préparez-vous à y répondre calmement avec des faits. Ne lancez pas de affirmations sans être sûr de pouvoir les soutenir si on vous met en contradiction. Par exemple, si vous avancez un élément de complot, ayez au moins un début de preuve ou de témoignage à citer – faute de quoi, abstenez-vous et concentrez-vous sur votre défense factuelle.
-
Incluez tous les canaux de communication, y compris digitaux : Ne négligez pas l’impact des réseaux sociaux et du web. Une communication de crise 360° doit intégrer le digital pour toucher l’opinion là où elle se trouve. Publiez des communiqués en ligne, utilisez éventuellement une vidéo bien conçue pour exprimer votre message-clé de façon humaine, et soyez présent sur les réseaux sociaux pour corriger d’éventuelles rumeurs en temps réel. Ne laissez pas le vide s’installer sur Internet, sinon d’autres occuperont l’espace (voire propageront des infox sans contradiction). Ne faites pas comme Carlos Ghosn qui a ignoré Internet à tort– au contraire, contrôlez aussi votre narrative en ligne.
-
Tenez compte de chaque partie prenante : Adaptez votre communication aux différents publics impactés. Réassurez vos employés avec un message interne honnête sur la situation, informez vos actionnaires des risques et de votre plan d’action, parlez aux clients s’ils sont concernés, etc. Montrez que vous comprenez les préoccupations de chacun. Par exemple, dans le cas Ghosn, il aurait été avisé qu’il adresse un mot aux salariés de Nissan/Renault inquiets de ce scandale, ou qu’il montre son respect pour la justice française et libanaise en parallèle de ses griefs contre la justice japonaise. Une communication de crise efficace n’est pas un monologue égocentré ; c’est un dialogue avec les acteurs clés de la crise.
En suivant ces principes, vous aurez une bien meilleure chance de gérer votre communication de crise sous contrainte judiciaire sans tomber dans les pièges qu’on a vus précédemment. N’oubliez jamais que dans ce contexte, chaque déclaration publique est à double tranchant : si elle est maladroite ou mensongère, elle se retournera contre vous tôt ou tard. À l’inverse, une communication maîtrisée – transparente, cohérente, respectueuse de l’opinion – peut atténuer significativement l’impact d’une procédure judiciaire sur votre réputation.
Transparence, humilité et cohérence plutôt que complot
L’affaire Carlos Ghosn restera sans doute dans les annales comme un cas d’école de communication de crise ratée. À trop vouloir crier au complot et attaquer tous azimuts, l’ancien magnat de l’automobile s’est isolé et a perdu la bataille de l’opinion. Sa stratégie, au lieu de redorer son blason, a renforcé l’image d’un dirigeant opaque et arrogant fuyant ses responsabilités. Le complot n’est pas une stratégie – ce message clé doit être médité par tout communicant confronté à une crise judiciaire. Il ne s’agit pas de nier que des contextes hostiles ou des luttes de pouvoir peuvent exister, mais d’accepter qu’aux yeux du public, seule compte la capacité à apporter de la preuve, de la clarté et de la sincérité.
En dernière analyse, la communication de crise sous contrainte judiciaire requiert un délicat équilibre : défendre sa cause sans se victimiser à l’excès, occuper l’espace médiatique sans manipuler, contrer les accusations sans verser dans l’attaque personnelle. La règle d’or est simple : dites la vérité autant que possible, reconnaissez ce qui doit l’être, et montrez que vous avez compris la gravité de la situation. Une crise bien gérée peut parfois devenir une occasion de prouver son intégrité ; à l’inverse, une crise mal communiquée se transforme presque toujours en désastre réputationnel. L’expérience Ghosn l’a démontré de façon cinglante. Aux professionnels de la communication de crise d’en tirer les enseignements, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. En matière de réputation, jouer franc jeu et faire preuve de cohérence sera toujours moins risqué que de jouer les martyrs d’un complot imaginaire. En communication de crise, la seule conspiration qui vaille est celle de la vérité et de la transparence.