La communication politique maladroite a vexé des Français

« L’échec de la communication politique de nos dirigeants est évident. Elle a vexé une partie de l’opinion publique qui considère que sa réalité sociale quotidienne est incomprise et méprisée. La ramener à la parole politique est d’abord un exercice d’empathie. » selon Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom qui était l’invité de la chaine LCI pour évoquer une convergence possible des luttes en ce jour symbolique du 1er Mai.

La communication politique se heurte aujourd’hui à un problème récurrent de déconnexion entre les dirigeants et les citoyens. Des déclarations maladroites ou condescendantes de certains responsables ont accentué ce fossé, alimentant le sentiment que les gouvernants vivent dans une « bulle » éloignée des réalités du peuple. En France par exemple, plusieurs « petites phrases » présidentielles sont devenues tristement célèbres. Qu’il s’agisse de conseiller à un chômeur de « traverser la rue » pour trouver un emploi ou de qualifier des usagers de train de « gens qui ne sont rien », ces propos ont suscité l’indignation en symbolisant un mépris de classe ressenti par une partie de l’opinion​. De tels écarts de langage ont nourri un procès en arrogance contre les élites, renforçant l’idée d’une rupture de compréhension entre le haut de l’État et la base de la société. Ce sentiment de distance est d’ailleurs largement partagé : plus des trois quarts des Français estiment que « tous les hommes et femmes politiques sont déconnectés des réalités des citoyens »​.

Face à cette crise de confiance, l’absence d’empathie dans le discours public apparaît comme le catalyseur du rejet. L’empathie – c’est-à-dire la capacité à se mettre à la place d’autrui et à témoigner de la compréhension – s’impose donc comme une qualité essentielle pour réparer la communication politique. En effet, une parole publique dépourvue d’écoute et de considération humaine risque fort d’être accueillie par la méfiance ou le cynisme du public, voire rejetée d’emblée.

À l’inverse, un leadership empathique peut recréer du lien en montrant que les préoccupations des citoyens sont entendues et prises au sérieux. Comme le souligne un expert en communication, une seule formule agressive peut suffire à « brouiller le message d’empathie » qu’un dirigeant tente par ailleurs de faire passer​. Il apparaît donc indispensable que les responsables publics fassent preuve d’une véritable empathie dans leurs prises de parole, sous peine de voir leur discours disqualifié et la fracture avec les gouvernés s’aggraver.

Formules politiques méprisantes et leurs controverses

En France

« Les sans-dents » — François Hollande (2014)

  • Auteur : Expression attribuée à l’ancien président François Hollande par son ex-compagne Valérie Trierweiler, dans son livre Merci pour ce moment publié en 2014. Trierweiler y affirme que Hollande qualifiait en privé les pauvres de « sans-dents », se disant fier de ce trait d’humour.
  • Contexte : La révélation éclate en septembre 2014, alors que Hollande est au plus bas dans les sondages. L’expression, symbolisant un mépris des plus démunis (sous-entendant qu’ils n’auraient même pas les moyens de soigner leurs dents), choque d’autant plus qu’elle émane d’un président se revendiquant proche des classes populaires.
  • Réactions : La polémique est immédiate. Avant même la sortie du livre, l’expression « sans-dents » est reprise massivement sur les réseaux sociaux, où des internautes de tous bords expriment leur indignation – certains allant jusqu’à demander la démission du président. L’opposition dénonce le mépris de classe, tandis que de nombreux Français, médias et associations caritatives s’insurgent contre des propos jugés insultants envers les plus modestes.
  • Conséquences : François Hollande est contraint de réagir publiquement pour éteindre l’incendie. Il dément formellement avoir prononcé ces mots et affirme avoir vécu cette accusation « comme un coup porté à [s]a vie entière », rappelant qu’il a toujours œuvré pour aider les plus défavorisés​. Il tente de justifier la formule (sans toutefois la nier) en expliquant qu’elle faisait référence, selon lui, à la misère extrême qu’il avait pu constater chez des personnes ayant dû renoncer aux soins dentaires​. Malgré ses explications, l’affaire entache durablement son image. « Les sans-dents » devient un symbole du fossé qui peut exister entre certains dirigeants et la réalité des plus pauvres.

« Casse-toi, pauv’ con ! » — Nicolas Sarkozy (2008)

  • Auteur : Phrase prononcée par le président Nicolas Sarkozy le 23 février 2008, lors du Salon international de l’agriculture​.
  • Contexte : En pleine visite présidentielle au Salon de l’agriculture, Sarkozy serre des mains quand un visiteur refuse ostensiblement de lui tendre la sienne en lançant : « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis ! ». Piqué au vif, le président rétorque d’abord « Casse-toi alors », puis marmonne « Casse-toi alors, pauv’ con va ! » en s’éloignant​. La scène, filmée par des journalistes, est diffusée en ligne dès le jour même par Le Parisien et devient virale sur Internet​.
  • Réactions : La séquence choque une partie de l’opinion publique. Jamais un chef d’État français n’avait été entendu proférer une insulte aussi crue envers un citoyen. Beaucoup y voient un grave manque de sang-froid et de respect de la part du président de la République. Les médias étrangers s’en font l’écho (la vidéo sera reprise jusqu’aux États-Unis sur CNN) et le fameux « Casse-toi, pauvre con » entre instantanément dans le lexique politique français​. D’autres, partisans de Sarkozy, minimisent l’incident en soulignant la provocation initiale du visiteur.
  • Conséquences : L’incident ternit l’image de Sarkozy, déjà critiqué pour son style jugé impulsif et peu présidentiable. La « petite phrase » devient emblématique du quinquennat et sera régulièrement rappelée par ses détracteurs comme symbole de son vocabulaire peu châtié. Plusieurs années plus tard, des comparaisons seront encore faites entre cette réplique et d’autres déclarations indélicates de responsables politiques​. Enfin, ironie de l’histoire, un agriculteur sera poursuivi en justice en 2008 pour avoir brandi une pancarte reprenant l’insulte (avant que la loi ne soit modifiée pour supprimer le délit d’offense au chef de l’État).

« On va nettoyer au Kärcher » / « Vous en avez marre de cette racaille ? » — Nicolas Sarkozy (2005)

  • Auteur : Propos tenus par Nicolas Sarkozy en 2005, alors ministre de l’Intérieur, lors de déplacements dans des quartiers sensibles de la banlieue parisienne.
  • Contexte : Le 19 juin 2005, après la mort tragique d’un enfant tué par une balle perdue à La Courneuve, Sarkozy promet à la mère de la victime de « nettoyer la cité des 4 000 au Kärcher », du nom d’un nettoyeur haute-pression​. Il réitère cette promesse musclée dix jours plus tard devant les médias​. Quelques mois plus tard, le 25 octobre 2005 à Argenteuil, il échange avec des habitants d’une cité qui se plaignent de l’insécurité. Sarkozy lance alors : « Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser », assimilant ouvertement les délinquants des cités à de la « racaille » (voyous)​.
  • Réactions : Ces déclarations au ton guerrier provoquent une onde de choc. Si une partie de l’opinion applaudit le franc-parler du ministre et sa fermeté contre les criminels, beaucoup d’autres – notamment à gauche et parmi les habitants des banlieues visées – expriment leur indignation. La formule du « Kärcher » est très mal accueillie localement : les jeunes du quartier visé disent se sentir traités « comme de la saleté » bonne à être nettoyée​. Quant au terme « racaille », il blesse de nombreux habitants qui ont le sentiment d’être insultés collectivement​. Ces propos enflammés contribuent à tendre encore davantage la situation sociale. Quelques jours après l’épisode d’Argenteuil, de violentes émeutes urbaines éclatent à travers la France (automne 2005). Bien qu’elles trouvent leur origine dans d’autres événements, ces petites phrases de Sarkozy sont pointées comme ayant attisé le ressentiment et symbolisé le fossé d’incompréhension entre les élites politiques et la jeunesse des quartiers populaires​. Par la suite, la marque Kärcher elle-même protestera contre l’usage de son nom à des fins politiques.
  • Conséquences : Loin de s’excuser, Nicolas Sarkozy assume pleinement ces déclarations, qui sont régulièrement citées pendant sa campagne présidentielle de 2007 pour souligner sa poigne sécuritaire. La formule « passer au Kärcher » entre dans le langage courant politique pour désigner une volonté de nettoyage radical de la délinquance, au grand dam de la marque. Quant au mot « racaille », il reste attaché à l’image de Sarkozy, contribuant autant à sa popularité chez ses partisans qu’à son rejet par ses adversaires. Des années plus tard, le bilan est amer dans les quartiers concernés : « Beaucoup de gens n’ont connu la dalle d’Argenteuil que par la célèbre phrase de Sarkozy… Je pense qu’à ce moment-là on a créé des racailles plus qu’autre chose », témoigne un habitant, revenant sur l’effet désastreux qu’a pu avoir ce sentiment de stigmatisation​.

« Les gens qui ne sont rien » — Emmanuel Macron (2017)

  • Auteur : Phrase prononcée par le président Emmanuel Macron le 29 juin 2017, lors de l’inauguration de Station F (grand campus de start-ups à Paris)​.
  • Contexte : Dans un discours improvisé devant un parterre d’entrepreneurs, Macron évoque la transformation d’une ancienne gare en incubateur de startups. Cherchant à illustrer que les gares voient passer toute la stratification sociale, il déclare : « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien »​. L’intention se voulait de souligner la responsabilité sociale des entrepreneurs envers « ceux qui sont loin de la réussite », mais la formulation maladroite va éclipser le message.
  • Réactions : La petite phrase provoque un tollé instantané. Responsables politiques de tous bords condamnent vivement ces propos. À gauche, on fustige la « morgue de classe » du président des riches​, estimant qu’il dévoile un profond mépris pour les plus humbles. Martine Billard (Parti de Gauche) ou Julien Bayou (EELV) figurent parmi ceux qui dénoncent une vision darwinienne de la société​. À droite, des personnalités comme Christine Boutin ou Thierry Mariani s’indignent également de ce qu’ils perçoivent comme du dédain envers une partie des Français​. Marine Le Pen parle d’une phrase « terrible et indigne, mais tellement révélatrice de la pensée macroniste », exigeant des excuses​. Sur les réseaux sociaux, l’indignation populaire se répand, beaucoup reprochant à Macron d’avoir implicitement traité certains citoyens de « rien ».
  • Conséquences : L’Élysée tente de désamorcer la polémique en expliquant que Macron voulait inciter les entrepreneurs à ne pas oublier ceux restés en marge du succès. Ses partisans invoquent même une citation de Mitterrand en 1993 sur « ceux qui n’ont rien… ils ne sont rien » pour replacer les mots dans un contexte de compassion envers les invisibles​. Néanmoins, le mal est fait : la formule vient alimenter l’image d’un président technocrate déconnecté, indifférent aux « gens de peu ». Elle sera régulièrement rappelée par les Gilets jaunes en 2018, aux côtés d’autres petites phrases, pour illustrer le fossé entre Macron et la France d’en bas​. Cette polémique a certainement contribué à ancrer dans l’opinion l’étiquette de « président des riches » dont Macron a peiné à se défaire.

« Les salariées illettrées » — Emmanuel Macron (2014)

  • Auteur : Propos tenus par Emmanuel Macron le 17 septembre 2014, alors qu’il était ministre de l’Économie depuis quelques semaines.
  • Contexte : Interviewé en direct à la radio (Europe 1), Macron explique la difficulté de reclasser les employées licenciées de l’abattoir breton Gad (récemment liquidé). Pour illustrer le chômage structurel en zone rurale, il déclare : beaucoup de ces salariées (majoritairement des femmes) sont « illettrées » et n’ont pas le permis de conduire, ce qui les empêche de trouver un travail à 50 km.
  • Réactions : L’emploi du mot « illettrées » choque instantanément. La formule est perçue comme un énorme péché de condescendance, d’autant que les ex-salariées de Gad, ainsi stigmatisées, vivent dans une des régions les plus durement touchées par les plans sociaux (la Bretagne). Élus locaux, syndicats et habitants du Finistère expriment colère et amertume. Dans la journée, des ouvrières licenciées témoignent dans les médias pour démentir être illettrées et dénoncer le mépris sous-jacent de la remarque. Face à l’ampleur de la polémique​, Macron présente publiquement ses excuses dès le lendemain.
  • Conséquences : Cet épisode, intervenant au tout début de la carrière ministérielle d’Emmanuel Macron, marque durablement son image. Bien qu’ayant plaidé la maladresse, il est catalogué comme un jeune technocrate parisien ignorant la réalité du terrain. Ses adversaires politiques ressortiront régulièrement la formule des « illettrées de Gad » au fil des années pour dénoncer son arrogance supposée. Macron lui-même en tirera une leçon d’humilité, reconnaissant plus tard que ces propos étaient blessants et qu’ils lui avaient appris à se montrer plus prudent dans son expression publique.

« Un pognon de dingue » — Emmanuel Macron (2018)

  • Auteur : Expression utilisée par Emmanuel Macron dans une vidéo diffusée sur Twitter le 12 juin 2018​.
  • Contexte : À la veille d’un discours sur la politique sociale, l’Élysée publie une courte vidéo montrant le président Macron discutant sans filtre avec ses conseillers. Il y critique l’inefficacité des aides sociales en lançant : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux, les gens sont quand même pauvres… On n’en sort pas »​. Cette séquence, censée montrer les coulisses de sa préparation, révèle surtout le langage cru employé en privé par le président.
  • Réactions : La formule « pognon de dingue » (pognon = argot pour argent) choque à gauche et dans le milieu associatif. Beaucoup accusent Macron de mépriser les pauvres et les bénéficiaires des minima sociaux, en insinuant qu’on gaspille de l’argent pour eux. Des responsables de l’opposition comme Olivier Faure (PS) ou Jean-Luc Mélenchon (LFI) dénoncent une vision purement comptable de la solidarité. À l’inverse, des partisans d’une réforme du modèle social applaudissent le constat d’inefficacité des dépenses actuelles. Sur les réseaux sociaux, l’expression fait florès – souvent sous forme de moqueries ou de critiques acerbes envers le président.
  • Conséquences : Le lendemain, dans son discours à Montpellier, Emmanuel Macron précise sa pensée en affirmant vouloir que « chaque euro dépensé aide efficacement les gens à sortir de la pauvreté ». Mais le mal est fait : « un pognon de dingue » devient l’un des slogans attribués à Macron par ses opposants. Lors de la crise des Gilets jaunes quelques mois plus tard, cette petite phrase sera fréquemment rappelée, aux côtés d’autres, comme preuve d’une vision technocratique et cynique des plus précaires. En creux, la polémique souligne la difficulté pour le président à communiquer sur la réforme sociale sans paraître désinvolte ou déconnecté.

« Je traverse la rue, je vous en trouve » — Emmanuel Macron (2018)

  • Auteur : Phrase prononcée par Emmanuel Macron le 15 septembre 2018, à l’occasion des Journées du patrimoine à l’Élysée​.
  • Contexte : En marge de l’événement, le Président discute avec un jeune horticulteur au chômage qui lui confie sa difficulté à trouver du travail. Macron lui répond en substance qu’il suffit parfois de chercher dans d’autres secteurs qui recrutent : « Il y a des tas de métiers, il faut y aller ! Maintenant, hôtels, cafés, restaurants… Je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] ! »​. Il cite en exemple le quartier tout proche de Montparnasse à Paris, où selon lui la moitié des restaurants embauchent sur-le-champ.
  • Reactions : Cette petite phrase, filmée et diffusée, suscite aussitôt une vive polémique​. Pour de nombreux commentateurs, Macron vient de résumer à tort le chômage à un problème de traverser la rue, ce qui renvoie à une vision simpliste et culpabilisante des chômeurs. Les réseaux sociaux s’enflamment : d’innombrables détournements moqueurs voient le jour, tandis que des chômeurs indignés témoignent que « ce n’est pas si facile » de trouver un emploi. Politiquement, l’opposition dénonce une remarque méprisante qui suggère que si l’on reste au chômage c’est par manque de volonté. Le député insoumis Alexis Corbière fustige « le cynisme » du président, quand d’autres ironisent sur l’apparente magie de la « rue traversée ».
  • Conséquences : Bien que certains soutiens de Macron tentent de replacer la phrase dans le contexte (un conseil direct donné à un jeune en particulier, et non une théorie générale), l’expression devient instantanément un mème négatif. « Traverser la rue » pour trouver du travail – souvent cité avec sarcasme – alimente l’image d’un président déconnecté du quotidien des demandeurs d’emploi. Là encore, en pleine crise des Gilets jaunes quelques semaines plus tard, la formule sera fréquemment évoquée pour illustrer le décalage entre Macron et la réalité vécue par les Français modestes. Ce dernier, interrogé en 2020 sur ses petites phrases, admettra d’ailleurs que celle-ci a pu blesser et qu’il l’a regrettée.

À l’international

« Qu’ils mangent de la brioche » (Let them eat cake) — attribué à Marie-Antoinette (1789)

  • Auteur : Cette phrase légendaire est attribuée par la tradition à la reine Marie-Antoinette à la veille de la Révolution française. En réalité, aucune preuve historique ne confirme qu’elle l’ait prononcée – elle apparaît dans Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, écrites en 1765, attribuée à “une grande princesse” anonyme​. Quoi qu’il en soit, elle demeure associée dans l’imaginaire collectif à Marie-Antoinette.
  • Contexte : La France de 1789 traverse une grave crise frumentaire ; le peuple manque de pain. La reine, symbole de l’aristocratie déconnectée, se serait vu rapporter que les paysans n’avaient plus de pain et aurait répondu : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! ». Une réponse cynique qui suggère que si le bas peuple n’a plus l’aliment de base, il n’a qu’à manger une viennoiserie de luxe, hors de portée des pauvres.
  • Réactions : Historiquement, cette phrase, qu’elle soit apocryphe ou non, a été perçue comme le summum du mépris de classe aristocratique. Elle illustre l’énorme distance sociale entre la noblesse et le Tiers-État à la fin de l’Ancien Régime​. Répétée par les révolutionnaires, elle attise la colère populaire contre la famille royale. Le peuple de Paris y voit la confirmation que la reine se moque éperdument de sa misère.
  • Conséquences : « Qu’ils mangent de la brioche » est devenue une phrase symbole de l’aveuglement des élites face à la détresse du peuple. Elle contribue à forger la légende noire de Marie-Antoinette, surnommée Madame Déficit, et reste associée à son nom jusqu’à nos jours. Plus largement, l’anecdote a traversé les siècles comme un rappel de ce qui arrive quand les gouvernants paraissent trop déconnectés : elle incarne le genre de mépris qui peut précipiter la chute d’un régime. De nos jours encore, l’expression est couramment utilisée pour critiquer un dirigeant jugé trop éloigné des réalités (on dira par exemple : « Cela équivaut à un ‘let them eat cake’ moderne »).

« Basket of deplorables » — Hillary Clinton (2016)

  • Auteur : Formule utilisée par la candidate démocrate Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle américaine de 2016.
  • Contexte : Le 9 septembre 2016, pendant un discours lors d’un dîner de levée de fonds à New York, Hillary Clinton évoque les électeurs de Donald Trump. Elle déclare que la moitié d’entre eux appartiennent à ce qu’elle appelle « a basket of deplorables » – littéralement « un panier de déplorables »​. Par ce terme péjoratif, elle vise les partisans de Trump qu’elle accuse de racisme, sexisme, homophobie, xénophobie, etc., bref « des gens pitoyables » selon elle.
  • Réactions : La phrase fuitée provoque un scandale retentissant. Jamais dans l’histoire américaine récente un candidat à la présidentielle n’avait ainsi insulté une si grande partie de l’électorat. Le camp Trump s’empare immédiatement de l’affaire : Donald Trump et ses partisans se posent en porte-parole des « déplorables » méprisés par l’élite. Le mot “deplorables” est repris en étendard par les partisans de Trump qui l’affichent fièrement sur des casquettes et t-shirts, retournant l’insulte à leur avantage​. Hillary Clinton, face au tollé, exprime quelques regrets le lendemain, admettant un propos « grossièrement généralisateur » et disant qu’elle aurait mieux fait de dire “la moitié environ de ces électeurs, sans pour autant renier le fond de sa pensée.
  • Conséquences : L’épisode s’avère politiquement désastreux pour Clinton. Dans un contexte de montée du populisme anti-élites, ses mots renforcent l’enthousiasme des partisans de Trump et crispent une partie des indécis. Clinton elle-même reconnaîtra plus tard, dans son livre What Happened, que ce commentaire sur les « deplorables » fut l’une des erreurs ayant contribué à sa défaite, offrant un véritable « cadeau politique » à Trump​. Désormais, l’expression “basket of deplorables” reste comme l’exemple-type du gadget rhétorique qui se retourne contre son auteur en politique.

« 47% » — Mitt Romney (2012)

  • Auteur : Propos tenus par le candidat républicain Mitt Romney lors de la campagne présidentielle américaine de 2012.
  • Contexte : Le 17 mai 2012, Mitt Romney s’exprime lors d’un dîner de levée de fonds à huis clos en Floride, devant de riches donateurs. Ne sachant pas qu’il est filmé, il affirme que 47% des Américains voteront de toute façon pour Barack Obama car « ces 47% dépendent du gouvernement, se considèrent comme des victimes », qu’ils pensent avoir droit à tout (santé, logement, nourriture) et « ne paient pas d’impôt sur le revenu ». Il conclut : « Mon job n’est pas de m’occuper de ces gens. Je ne les convaincrai jamais de prendre leurs responsabilités »​. En clair, près de la moitié du pays serait composée d’assistés irrécupérables.
  • Réactions : Lorsque la vidéo est rendue publique en septembre 2012 par le magazine Mother Jones, c’est une tempête médiatique. Les démocrates dénoncent le profond mépris de Romney pour l’Américain moyen. Le camp Obama se délecte de cette erreur : « Difficile d’être le président de tous les Américains quand on méprise avec dédain la moitié de la nation », réagit ironiquement Jim Messina, directeur de campagne d’Obama, qualifiant les propos de « choquants »​. Dans le grand public, de nombreux électeurs indépendants se sentent insultés d’être classés parmi les « parasites » aux yeux du millionnaire Romney. Même au sein du Parti républicain, certains prennent leurs distances, inquiets de l’impact électoral. Romney tient rapidement une conférence de presse où il admet avoir « mal formulé » sa pensée, sans vraiment s’excuser.
  • Conséquences : Cet épisode a sans doute coûté cher à Romney politiquement. Il cristallise l’image d’un candidat des riches, déconnecté des classes moyennes. Dans les semaines qui suivent, Obama en fait un thème central de sa campagne, martelant qu’un président se doit de représenter 100% des Américains. Romney finira par perdre l’élection de novembre 2012, et beaucoup d’analystes estiment que la polémique du « 47% » a été un facteur décisif de sa défaite​. L’expression est restée célèbre aux États-Unis comme synonyme de gaffe révélatrice d’un biais de classe en politique. Chaque fois qu’un responsable est accusé d’ignorer une partie de la population, le spectre du « 47 percent comment » refait surface dans les analyses post-élection.

Les échecs de communication politique à répétition ont des conséquences profondes et préoccupantes. D’une part, ils creusent le déficit de confiance envers les institutions : à force de se sentir méprisés ou incompris, de nombreux citoyens cessent de prêter foi aux discours officiels. Ce rejet de la parole publique se manifeste par une indifférence croissante à l’égard des annonces gouvernementales, voire par de la colère et de la dérision à chaque nouvelle déclaration malencontreuse. D’autre part, cette rupture dans l’échange démocratique alimente la frustration et la défiance vis-à-vis du système politique dans son ensemble. Une partie de la population, en particulier parmi les plus jeunes et les plus précarisés, en vient à se détourner durablement de la politique, estimant qu’aucun responsable ne les respecte ni ne comprend leurs difficultés. Ce phénomène est dangereux : il peut entraîner une aversion généralisée pour la vie publique et faire le lit de formes de protestation extrêmes. En l’absence d’une parole crédible et empathique de la part des dirigeants, le vide est comblé par les discours démagogiques ou radicalisés, ce qui menace la cohésion sociale et la qualité du débat démocratique​. En somme, la persistance d’une communication froide ou arrogante de la part des gouvernants peut conduire à un désengagement citoyen, à la montée de la colère populaire et à la radicalisation des oppositions – des symptômes alarmants pour la démocratie.

Il est donc urgent d’améliorer la prise de parole politique pour la rendre à la fois plus efficace et plus respectueuse des citoyens. La reconquête de la confiance passe par une révision en profondeur des pratiques communicationnelles des élites. Concrètement, il s’agit d’abord de replacer l’empathie au cœur du discours. Cela implique d’adopter un ton humble et bienveillant, d’écouter activement les préoccupations du public et d’y répondre avec sincérité. Plutôt que de délivrer du haut vers le bas des messages technocratiques ou moralisateurs, les dirigeants gagneraient à associer davantage les citoyens à la discussion, à montrer qu’ils comprennent leurs attentes et leurs émotions. Une communication véritablement empathique suppose de parler avec les gens et non à des gens. Transparence, pédagogie et humilité doivent en être les maîtres-mots. Par exemple, reconnaître les difficultés vécues par la population, expliquer les décisions avec des mots simples et concrets, ou encore exprimer de la compassion en temps de crise, sont autant de moyens de rendre la parole publique plus humaine et donc audible. Plusieurs observateurs appellent ainsi à changer de paradigme communicationnel : une « communication préoccupée d’empathie » devrait désormais « changer de nature » pour s’immerger dans l’action publique aux côtés des citoyens et éclairer les actes de chacun​. Par ailleurs, instaurer un dialogue continu avec le terrain – via des consultations, des débats publics, des déplacements de proximité – peut aider les dirigeants à garder le contact avec la réalité et à éviter les formules blessantes. Enfin, il convient que les responsables politiques apprennent à mesurer l’impact de leurs mots : une formation à la communication non-verbale, à la gestion de crise et à l’empathie pourrait les aider à mieux maîtriser leurs déclarations et à éviter les dérapages susceptibles de froisser l’opinion.

En renouant avec l’écoute et l’empathie, la parole politique gagnera en crédibilité et en efficacité. Une communication plus respectueuse des citoyens permettra de retisser le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés, condition indispensable pour que les messages publics soient entendus et acceptés. À terme, c’est la vitalité démocratique qui en bénéficiera : des citoyens se sentant considérés et compris seront plus enclins à participer au débat public, à respecter les décisions prises et à rejeter les sirènes de la méfiance systématique. L’empathie, loin d’être un simple supplément d’âme, apparaît bien comme le remède majeur aux maux de la communication politique actuelle – le trait d’union capable de réconcilier la parole du pouvoir avec le peuple qui l’écoute.