Après s’être successivement revendiquées professionnelles de presse d’entreprise, d’édition, de communication écrite, de contenu, de communication éditoriale… un nombre croissant d’agences de communication du secteur se déclarent aptes à répondre aux problématiques de communication corporate des annonceurs et vont jusqu’à s’autoproclamer membres de la famille. Tout le monde n’y croit pas.
Que le secteur de la communication éditoriale soit en mutation n’est pas une nouveauté. Depuis quelques années déjà, sous l’effet des innovations techniques et technologiques, à commencer par l’apparition d’Internet, le secteur opère sa mutation. Laquelle a incité les acteurs du secteur à opérer, eux aussi, quelques changements successifs d’appellations, d’agence d’édition d’entreprise à celle de création de contenus éditoriaux en passant par la communication écrite, la communication éditoriale ou la gestion de contenus éditoriaux. Mais cette mutation prend une tournure nouvelle.
D’abord par l’appropriation d’une dénomination qui, contrairement aux précédentes, ne traduit pas une nouvelle évolution du métier mais un élargissement du champ de compétence et, donc, d’action, vers celui d’un secteur clairement établi : la communication corporate.
Ensuite parce qu’une partie des revendicateurs a joint le geste à la parole par quelques aménagements de nom – By The Way Créacom devenant Créacom Corporate, Teymour Presse devenant Teymour Corporate, Publicorp s’attribuant la mention « agence de communication corporate« … – et/ou d’organisation développant ou intégrant les compétences nécessaires pour devenir ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme étant une agence corporate à part entière. Des changements qui relaient concrètement le positionnement revendiqué par l’UJJEF depuis trois ans à travers la signature « Communication et entreprise » qu’elle met en avant pour faire oublier le sens étymologique de son nom (Union des journaux et des journalistes d’entreprise de France).
« Nous sommes capables de mettre en oeuvre une campagne de publicité, des relations presse, d’organiser un événement… ce que nous ne pouvions pas faire chez Créacom [Ndlr : Créacom (édition) et By The Way (publicité) ont fusionné en 2005], explique Nathalie Debray del Valle, présidente de Créacom Corporate. Aujourd’hui, nous avons toutes les compétences pour intervenir sur ce thème. » Et la nouvelle entité revendique un positionnement d’agence « alter corporate » pour illustrer une autre approche de la discipline. Suffisamment proche des acteurs historiques du secteur pour venir chasser sur leurs terres, mais suffisamment différente pour ne pas trop prêter le flanc à la critique. Le tout sans renier son métier de base. Ainsi, l’agence s’est récemment dotée d’un département production à faible valeur ajoutée : « Il ne s’agit pas d’un outil de prospection, mais d’un service associé que nous proposons à nos clients en complément, explique Nathalie Debray del Valle. Il offre une prestation de maquette, d’exécution et un peu de DA pour faire de l’abattage de petits dossiers qui ne nécessitent pas de mobiliser un chef de projet senior. » « Une agence de communication éditoriale est à l’origine une agence de communication corporate qui a dû segmenter son offre pour répondre au marché« , estime Boris Éloy, président de l’UJJEF.
Sans aller jusque-là, il est clair que la parenté entre les milieux du corporate et de l’édition est assez directe, le second étant très souvent le principal outil d’expression du premier. Comme le rappelle Éric Tazartez, directeur de Publicorp, « les agences de communication éditoriale interviennent au départ sur des problématiques internes et/ou de contenu, et sur des produits très engageants pour l’entreprise (rapports annuels…). Le traitement de ces sujets sensibles nous place en interlocuteurs privilégiés des dirigeants. Nous avons accès à des informations très stratégiques et entretenons avec nos clients une relation étroite basée sur la confiance. Même s’ils s’adressent à nous pour un outil (un journal interne, un rapport annuel…), les annonceurs finissent toujours par nous demander de réfléchir sur des problématiques de communication corporate plus globales. C’est la raison pour laquelle nous avons créé chez Publicorp une cellule permanente de conseil. »
Pour Axa, L’Agence, initialement consultée pour un journal interne, s’est vu confier la réflexion et la conception d’une campagne de communication interne plurimédia (événementiel, édition, affichage, e-mailing) sur la mobilité. Un exemple loin d’être unique. Because, passée des mains de DDB à celles du cousin Gutenberg On Line pendant l’année, revendique, pour 2006, 30 % de son chiffre d’affaires généré par le consulting (contre 5 % en 2005). « Nous avons opéré un vrai tournant, confie Nicolas Cheyrouze, directeur général de Because. Ce chiffre a été réalisé auprès de nos clients acquis, pour lesquels nous travaillons sur des dispositifs éditoriaux internes, qui nous ont demandé de développer pour eux une stratégie d’accompagnement. »
Se poser les bonnes questions, trouver les bons dispositifs de communication
Pour répondre à une demande de Coliposte, qui souhaitait améliorer la qualité de son service, l’agence a mis en place un dispositif de communication de proximité, basé sur la transmission orale en cascade, par le biais de petites réunions informelles de groupe et complété par un leaflet récapitulatif.
Pour accompagner les managers du Crédit Mutuel, elle s’est appuyée sur un dispositif composé d’événements, d’opérations de stimulation et d’un accompagnement du plan de formation. « La responsabilité d’un annonceur est d’être constant, performant et cohérent dans la durée, rappelle Boris Éloy qui, outre le fait d’être président de l’UJJEF, est aussi directeur de la communication de Servair. En tant qu’annonceur, je n’ai aucune raison de sortir une agence qui me connaît, avec laquelle je travaille en confiance, pour une autre si elle considère pouvoir répondre à ma problématique. »
Et les exemples se suivent, où les agences comme K Publishing rappellent comment elles ont « remporté le morceau » sur des appels d’offres corporate, face à des agences… corporate : « Sur le budget de la sécurité routière, nous étions en compétition contre plusieurs agences parmi lesquelles Euro RSCG C&O et TBWA Corporate, rappelle Géraldine Myoux, Dg de K Publishing. Nous avons été sollicités parce que nous travaillions déjà pour eux, mais nous avons gagné parce que nous nous sommes posé les bonnes questions et avons apporté la bonne solution en fournissant du contenu, bien sûr, mais aussi en concevant un programme relationnel… »
Des marges amputées
Mais bien qu’avalisés par l’UJJEF, ces exemples ne font pas l’unanimité dans le milieu. Pour Agnès Mathon, présidente d’Unédite, « faire du corporate, de la formation aux RP en passant l’événementiel et la com fi, est un autre métier. Personnellement, je ne sais pas et je n’ai pas la légitimité pour animer une stimulation avant une fusion. L’incursion des agences de communication éditoriale dans le secteur est un épiphénomène et traduit surtout une logique économique et commerciale. Le thème devient un prétexte pour vendre des outils en plus. En revanche, rien ne m’empêche de travailler en équipe avec d’autres agences pour répondre à une problématique corporate ».
L’agence s’est ainsi associée à Australie (sa maison mère) pour répondre à la problématique de Gaz de France pour installer et donner plus de contenu à Dolce Vita. Sur le même principe, Entrecom s’est rapprochée de CBA pour refondre le dispositif éditorial et l’identité visuelle de l’INPI. « La démarche consistant à aller chercher la compétence où elle se trouve plutôt que de se contenter de ce qu’on a est saine. Le modèle a prouvé qu’il fonctionnait, mais beaucoup d’annonceurs ont des réticences à confier leur budget à une équipe hétérogène plutôt qu’à une agence plus globale », dit-on dans une agence qui pratique cet exercice.
Si le secteur de la communication éditoriale se porte bien, il est clair que la pression exercée par les annonceurs, via leur service achat, sur les coûts de fabrication a sensiblement amputé les marges et, donc, la rentabilité des agences, obligeant ces dernières à trouver de nouvelles sources de revenu, notamment en remontant la filière sur des prestations à forte valeur ajoutée, comme le conseil. » Le problème est que les agences de communication éditoriale ont un business model très différent de celui des agences de conseil, rappelle Bruno Scaramuzzino, directeur de Meanings. Les premières s’appuient historiquement sur un système industriel lourd et des compétences orientées vers la production (de contenu, de prépresse…). Leur business model est plus proche de celui du monde de la presse que de celui du conseil. Les premières vendent des pages, des produits. Les secondes des « jours-hommes ». Pour être légitime en conseil, les agences doivent changer d’organisation. » Une réflexion qui explique la création ex nihilo de Meanings, fin 2004, et sa récente fusion avec l’agence de com corporate Caractères Associés pour devenir une agence hybride faisant » entre autres » de l’édition, qui revendique apporter des solutions plus que des outils… Du corporate pur jus, quoi qu’en dise l’intéressé : » Aujourd’hui, un (bon) éditeur fait naturellement du conseil, mais n’est pas légitime pour le vendre et ne sait pas le vendre. On n’attend pas plus de conseil de sa part que de création de la part d’un imprimeur. Nous sommes dans une logique de filière où chaque segment est culturellement bien délimité. » Une remarque qu’il convient de modérer. D’abord, parce que rien n’empêche concrètement à une agence de com éditoriale de facturer du temps-hommes. Ensuite parce que, comme l’explique Nicolas Cheyrouze, » nos clients n’hésitent pas à nous rémunérer pour nos conseils dès lors qu’un certain formalisme est respecté. Mais il est vrai que nous nous retrouvons un peu entre deux chaises. Nous ne vendons pas les mêmes hommes, ni les mêmes prestations « . Mais une telle acceptation du client, si elle se généralise, validerait la reconnaissance et la pertinence du conseil délivré par les agences d’édition.
La relation complexe entre les mondes de l’édition et du corporate, à la fois très proches sur le fond par le travail de réflexion sur les mêmes matières – le contenu, le discours, le sens – et très différente sur la forme – un traitement souvent centré sur les outils pour le premier et sur les problématiques de communication pour le second – explique les choix de certains groupes, comme Euro RSCG qui a préféré séparer l’activité conseil de la production, qui reste dans le pôle Publishing, pour la réintégrer au sein d’Euro RSCG C&O. Cette stratégie n’est toutefois pas devenue la règle d’or des grands groupes.
« À l’image de Verbe au sein de Publicis Consultants, la communication éditoriale est une composante de la communication corporate, estime Olivier Breton, vice-président de l’agence d’édition du groupe Publicis. Nous intervenons dans les phases de conseil, mais un grand nombre de métiers de Verbe, comme le publireportage ou les consumer magazines, n’ont rien à voir avec l’activité de Publicis Consultants. Il ne doit pas y avoir de confusion. » Si Verbe peut intervenir en appui sur les problématiques corporate, la maîtrise d’oeuvre revient à l’entité officiellement désignée au sein du groupe.
De plus en plus d’agences de communication éditoriale semblent donc décidées à s’installer durablement dans le champ de la communication corporate. Par opportunisme, par instinct de survie ou pour répondre à l’évolution du marché. Volontairement ou pas, officiellement ou pas, avec des chances d’y parvenir ou pas… la balle est dans le camp des annonceurs.