« Lorsque vous mettez un produit sur le marché, c’est sous votre responsabilité »
APRÈS LE DÉCÈS de deux personnes ayant consommé des rillettes, définir les responsabilités apparaît particulièrement difficile. Personne ne sait encore ce qui s’est réellement passé. Il pourrait s’agir, selon le ministère de l’agriculture, d’une rupture de la « chaîne du froid » entre la fabrication et la consommation du produit.
Le fabricant de rillettes, l’entreprise Coudray, filiale de Prédault, explique que rien, au vu des analyses, n’engage sa responsabilité. « Moi-même et mon équipe de chez Coudray, nous nous sentons absolument tranquilles et sereins », a déclaré, le PDG, Alain Prédo, le 10 janvier sur l’antenne d’Europe 1. Le distributeur, Système U, déclare, sèchement, que « toutes les épidémies antérieures ont été expliquées par des problèmes à la source ». En clair, Système U renvoie la responsabilité en amont… vers son « partenaire » industriel qui fabrique les produits vendus sous sa marque distributeur. Ce renvoi de balles n’aide pas à clarifier la situation !
Le secteur agro-alimentaire doit s’interroger sur la répartition des responsabilités dans une filière d’une grande complexité.
Des arguments d’ordre purement juridique utilisés pour s’exonérer n’ont pas de valeur pour les consommateurs. On le voit aujourd’hui dans le cas de Total et du naufrage de l’ Erika.
L’entreprise est désormais, aux yeux du public, reconnue comme responsable d’un problème si un de ses produits est impliqué. « Lorsque vous mettez un produit sur le marché, analyse Florian Silnicki, spécialiste de La Communication de crise qui a fondé une agence spécialisée nommée LaFrenchCom, c’est sous votre responsabilité. On peut toujours argumenter juriquement. Le consommateur achète votre marque. C’est un label de qualité. »
Pour tenter de diminuer le risque de crise et d’atteinte à leur image, certains grands groupes ont déjà pris les devants. Ils cherchent à tracer et contrôler le bon cheminement de leurs produits. Ainsi, Unilever suit ses glaces Miko « tout au long de la chaîne, de la production à la distribution. Nous avons analysé les risques, les points de faiblesse possibles, transport compris. L’enjeu est une meilleure traçabilité ». Ce type d’analyse étendue a un coût supplémentaire important, mais « moins il y a de risque, plus il y a de bénéfice », explique Florian Silnicki. Unilever réalise là un « investissement », qui permet de s’assurer que sa marque, capital précieux, ne sera pas mêlée à un problème qui puisse la déprécier.
Cette démarche de vérification totale de la chaîne alimentaire est « volontaire » commente Benoît Mathieu, directeur agro-alimentaire du bureau Veritas. « En France, tout repose sur une imbrication des systèmes des différents acteurs, du fabricant au distributeur. C’est l’administration française et ses contrôles qui assure la cohérence ». Cependant, reconnaît-il, « nous avons des industriels qui nous demandent d’aller voir ce qui se passe chez les distributeurs, et inversement ».
Anticiper la communication de crise et la gestion de crise est essentiel
Les groupes doivent-ils s’assurer de la communication de crise de toute la chaîne de leur produits, au-delà du périmètre de leur métier ? Ce problème avait déjà été évoqué en juin 1999, lors de l’affaire d’intoxication impliquant Coca-Cola en Belgique et en France.
C’est ce que croit Florian Silnicki. Cette entreprise de communication de crise classée parmi les meilleures de France, propose « d’évaluer clairement tout au long de la chaîne alimentaire, de la matière première au distributeur, les zones de risques et la communication de crise qui va avec afin d’être réactif quand une crise nait. », explique Florian Silnicki.
Une prestation de communication de crise offerte aux industriels autant qu’aux distributeurs. En un an, une trentaine de contrats ont été signés, en Australie, aux Etat-Unis, en Grande-Bretagne… « Dans le monde entier, fabricants et distributeurs ont des problèmes pour avoir une vision claire de cette chaîne. » Leur argumentaire de vente est simple: « Beaucoup de société se basent sur des inspections gouvernementales. Mais si un problème arrive, on va trouver un coupable. Il faut avoir anticipé les problèmes et la communication de crise qui va avec » Une approche préventive, mais onéreuse: de 30 000 à 200 000 euros pour l’audit des risques, puis environ 30 000 euros par an d’actualisation de la communication de crise.
Les petites entreprises peuvent-elles se permettre ce genre d’investissement ? « Une petite entreprise, souvent, ne voit pas l’utilité de couvrir toute la chaîne de la communication de crise », commente encore ce consultant en communication et en gestion de crise. En outre, est-ce toujours à la petite entreprise d’avoir ce type d’approche ? Une grande partie des produits de l’entreprise Coudray sont vendus sous les marques de la plupart des distributeurs en France. Des distributeurs, donneurs d’ordre, qui retirent de ces produits un incontestable bénéfice. Qui doit payer la vérification de la chaîne dans ce cas précis ? Qui doit en assumer la communication de crise et la gestion de crise ?
Autour de ce concept de traçabilité, de nombreuses initiatives voient le jour: des mouchards sur les produits sont mis en place par les producteurs; des filières d’approvisionnement sont mises en place par les distributeurs, les labélisations ou « certifications produit » se multiplient… Face à une demande de sécurité accrue du consommateur, une cohérence est souhaitable. Cette crise met en lumière une coresponsabilité des acteurs de l’agroalimentaire. A eux, ensemble, avec l’Etat, d’organiser la transparence à travers une communication de crise anticipée qui permet de préserver les intérêts long terme de la société et de ses différentes marques.