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Retour sur la gestion de crise de la rue d’Aubagne

Rue d’Aubagne à Marseille : au coeur de la gestion de la crise

Le 5 novembre 2018, l’effondrement de deux immeubles vétustes rue d’Aubagne, en plein cœur du centre populaire de la ville de Marseille, avait fait 8 morts. Depuis, quelque 2.000 personnes ont été évacuées d’immeubles insalubres ou dangereux, dont environ 500 ont été relogées ou ont pu regagner leur logement.

« Qui s’est préoccupé que ces familles ne passent pas Noël isolées dans leur chambre d’hôtel sans cuisine, (…) que tous, surtout les plus fragiles, ne soient pas laissés à l’abandon dans des situations de détresse totale ? Qui, à part leurs voisins, les Marseillais ?« , s’indignent les signataires d’une lettre ouverte, fustigeant « les défaillances humaines et sociales des acteurs publics » dans la gestion de la crise.

« La gestion lamentable de cette crise sans précédent a littéralement mis dans la rue tout Marseille à plusieurs reprises dans des manifestations historiques« , rappellent-ils aussi, appelant à manifester de nouveau samedi « pour que jamais nous n’ayons à porter le deuil d’autres « rue d’Aubagne« .

Les élus Julien Ruas, Sabine Bernasconi et Arlette Fructus ont dû assumer une situation à laquelle ils n’étaient pas préparés. Ils racontent.

« Cet évènement dramatique souligne l’indispensable nécessité d’anticiper la gestion des crises et de préparer en amont de la communication de crise liée à ces risques largement identifiables. » affirme Florian Silnicki, Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom.

Huit morts et une foule de questions. Le drame de la rue d’Aubagne a tué. Mais il a aussi généré une situation inédite pour un personnel politique pas forcément préparé à gérer une crise. D’ailleurs, autour de Jean-Claude Gaudin, on a pu compter sur les doigts d’une main les élus présents au quotidien. Contraints et forcés par leurs fonctions politiques, mais aussi, sous la pression des familles de victimes, des quelque deux mille délogés au total et des manifestations contre l’habitat indigne. Les conclusions de l’enquête judiciaire éclaireront, un jour, sur les parts de responsabilités de chacun. En attendant, il a fallu assumer.

le drame

 » J’ai d’abord été sidéré, comme pour l’attentat de la gare Saint-Charles « , témoigne Julien Ruas. En tant qu’adjoint (LR) au bataillon des marins-pompiers, à la prévention et à la gestion des risques, l’élu est très vite plongé, en ce lundi 5 novembre, au coeur du réacteur décisionnel. Mise en place du périmètre de sécurité, gestion des évacuations, logistique des repas… « J’ai été dans le feu de l’action. Je ne prends conscience de ce qu’il s’est passé que le mardi après-midi », poursuit-il. « On était sous le choc », complète sobrement Sabine Bernasconi, maire (LR) des 1er et 7e arrondissements. » Je n’ai pas forcément envie de parler de moi, dans l’introspection. Ce qui compte, c’est d’agir », tranche Arlette Fructus (MR), en charge du logement à la Ville et à la Métropole. Pour Julien Ruas, qui signe les arrêtés de péril, le deuxième moment clef intervient le 9 novembre : « Le vendredi, je m’aperçois qu’on nous remonte des signalements par dizaines. Au bout de huit jours, je comprends qu’on va partir sur quelque chose qui va durer longtemps. »

La préparation à la gestion de crise

« On a surtout traité l’humanitaire », estime Sabine Bernasconi. Un vocabulaire qui résume l’ampleur de la crise, équivalente à un « tremblement de terre » : « En tant que maire, même de secteur, vous êtes par définition prêt psychologiquement à gérer cela. Techniquement parlant, en revanche, j’ai réagi à l’urgence. La mairie de secteur n’était ni dimensionnée, ni organisée pour créer une cellule de crise. On a appris en faisant, et en faisant, on apprend vite.  » Pour la maire du 1er secteur, « le gros de la crise a duré deux semaines, nuit et jour. Ensuite, cela a été déplacé sur le site de la rue Beauvau, qui était plus adapté. » « On avance en marchant , synthétise Arlette Fructus. Et on découvre comment arriver à se structurer avec du personnel municipal pas forcément formé à la gestion de crise. C’est un métier.  » « On n’est jamais prêt, même si j’avais été un peu préparé à la gestion de crise par les marins-pompiers. Mais on a très vite cogéré avec le préfet », retrace Julien Ruas.

le moment le plus compliqué

Les trois élus témoignent de la peine et de l’émotion face aux huit victimes. Julien Ruas se souvient aussi du moment où il a « dû aller dire à des gens qu’on allait raser leur maison. C’était terrible. » « Ce qui est très difficile, reprend Arlette Fructus, c’est la durée dans laquelle s’installe la crise. C’était hors normes. Il faut avoir l’habitude des situations humaines difficiles, même si c’est mon lot quotidien dans cette délégation. » « C’est surtout la dimension du nombre de personnes touchées, se souvient Sabine Bernasconi. Dès le premier jour, nous avions une centaine de familles en mairie de secteur, à qui il fallait offrir, tout de suite, un repas et un endroit où dormir » .

Le soutien des élus de la majorité

Tout au long de cette crise, et même s’il le conteste, Jean-Claude Gaudin a donné l’image d’un maire abandonné par certains membres de sa majorité. Sabine Bernasconi conteste sans vigueur :  » Très vite, les mairies de secteur ont apporté leur soutien, que ce soit Lionel Royer-Perreaut, Julien Ravier… Ils m’ont appelée, ont organisé la récolte de produits nécessaires. On a obtenu 8 tonnes de vêtements la première semaine. On a aussi eu l’aide du CCAS, du personnel municipal qui n’a pas compté ses heures . » Julien Ruas tente d’écarter le sujet :  » Je n’étais pas seul, j’étais avec le maire ! Et qu’aurait-on fait de 25 élus autour de nous ? On n’aurait pas pu y arriver.  » Même constat pudique chez Arlette Fructus :  » Chacun a eu du mal à se positionner dans ce qui n’était pas forcément son champ d’action. Mais je ne me pose pas cette question. Ce qui importe, c’est qu’on avance.  » Elle regrette toutefois le « clash » à la Région, où le président LR Renaud Muselier lui a retiré, sans lui en parler au préalable, la présidence d’une commission après cet événement :  » Je maintiens ce que j’ai dit. Il y a des attitudes qui ne sont pas acceptables . »

les conséquences qu’ils en tirent

Si elle devait tirer un seul enseignement de la gestion des conséquences du drame, Sabine Bernasconi retiendrait le fait que  » les différents services d’aide arrivent le plus vite possible. On est parfois restés sans réponse face aux délogés . » Tout juste de retour de Paris où elle a rencontré d’autres élus en charge des questions d’habitat, Arlette Fructus réfléchit à créer  » peut-être des cellules dédiées à la gestion de crise  » mobilisables en cas de coup dur dans les grandes villes de France. Surtout, elle estime  » qu’avant, j’avais l’impression que pas grand-monde ne se sentait concerné par les questions d’habitat. Aujourd’hui, les consciences sont réveillées. Ce qui me fait avancer, c’est qu’en hommage aux victimes, on doit au moins apporter collectivement les bonnes réponses . »

Julien Ruas reconnaît toutefois ne pas avoir encore formalisé de retour d’expérience :  » On le fera sûrement pour savoir où on n’a pas été bon dans la gestion de la crise.  » En attendant,  » le drame humain perdure. On espère qu’on va aboutir d’ici quelques semaines. «