Cagnottes en ligne et communication de crise

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Cagnottes en ligne et communication de crise

Cagnottes en ligne : la revendication en un clic

La cagnotte lancée en faveur des policiers a battu des records. Plus d‘un million d’euros vont être redistribués. D’abord d’ordre privé, ces cagnottes en ligne ont envahi la sphère publique pour devenir une nouvelle forme de mobilisation citoyenne.

Une cagnotte pour Christophe Dettinger, le boxeur de policiers : 117 000 euros (avant d’être fermée par la plateforme Leetchi). Une contre-cagnotte de soutien aux forces de l’ordre, là encore sur Leetchi : 1,4 million d’euros (et ce n’est pas fini). Une cagnotte pour que Marlène Schiappa « se taise » : 2 900 euros. La secrétaire d’État à l’Égalité est, il est vrai, l’épouvantail des gilets jaunes…

Ces derniers jours, c’est la course à l’échalote sur le web. C’est à qui aura le pot le mieux fourni. « C’est la réponse de la majorité silencieuse. Soyez fiers de votre engagement, il vous honore […] », explique d’ailleurs clairement Renaud Muselier, le patron LR de la région Paca, initiateur de la cagnotte pro-forces de l’ordre. Plus de 50 000 personnes ont répondu à son appel.

Ce n’est pas la première fois que des cagnottes en ligne viennent souligner une actualité sociale d’envergure. Au printemps, pendant la grève à la SNCF, une cagnotte de « solidarité avec les cheminots » a permis la collecte de 1,2 million d’euros. Pendant la loi Travail, en 2016, la CGT a levé 548 000 euros. On le voit, le temps est révolu, où ces tirelires en ligne servaient uniquement dans un cadre privé, à fêter l’arrivée du bébé, ou le mariage des copains.

C’est un activisme paresseux

« Les cagnottes sont un moyen de faire entendre une cause, un message, explique Florian Silnicki, expert en stratégies de communication de crise. C’est un moyen, tout simplement, de faire émerger une cause dans le débat public. En cela, c’est un outil politique. Outre-Atlantique, l’usage existe depuis déjà une dizaine d’années, en France, c’est plus récent. »

En somme, pour s’engager, il faut cliquer. Aux États-Unis, puisqu’ils sont toujours en avance sur nous, ils ont même inventé un mot pour cette nouvelle forme d’engagement : le « slacktivism ». En gros, l’activisme paresseux. « C’est facile de pouvoir marquer un engagement juste en likant, en commentant, en retweetant ou en mettant cinq euros dans une cagnotte, s’amuse Florian Silnicki. Vous vous créez une bonne conscience. Ça demande moins d’effort que d’aller manifester dans la rue. On voit exactement la même chose avec les plateformes qui ont transformé les pétitions en business, comme Change.org. Vous pouvez réunir des millions de personnes sur un coup de colère. » Dernier avatar de cette mode : L’Affaire du siècle. Une pétition écologiste qui a rassemblé 2 millions de signatures, fin décembre.

Plus fort que les souscriptions d’antan

Avec tout cela, le nouveau monde du web ne ferait-il pas que réinventer l’eau chaude, comme il sait si bien le faire ? Après tout, les pétitions ne datent pas d’hier : et les souscriptions, ces cagnottes d’antan versées lors du denier du culte, ou via des campagnes de presse, existaient bien avant Leetchi, Le Pot Commun et consorts. La basilique de Montmartre, à Paris, ou encore celle de Fourvière, à Lyon, en témoignent.

Florian Silnicki tempère : « Ce n’est pas pareil, car ces outils sont bien plus puissants. Ils sont accessibles, peu chers, et surtout instantanés. Ça fera émerger en continu des débats dont les Français jugent qu’ils sont importants, et ça contraindra le débat public ».

Les plateformes de cagnottes en ligne ont pris une place prépondérante dans le débat public. D’abord destinées à des usages privés comme fêter un événement personnel, elles sont aujourd’hui devenues un véritable outil de mobilisation citoyenne et de revendication sociale. En quelques clics, des causes trouvent un écho national, voire international, grâce à ces « tirelires numériques ».

Prenons l’exemple récent de la cagnotte en faveur des forces de l’ordre, qui a récolté 1,4 million d’euros en un temps record. Ou encore celle créée pour soutenir Christophe Dettinger, le boxeur de policiers, qui a atteint 117 000 euros avant d’être fermée. Ces exemples illustrent une tendance de fond : les cagnottes en ligne sont devenues un mécanisme efficace pour exprimer des convictions et influencer le débat public.

L’émergence d’un activisme paresseux

Comme l’explique souvent Florian Silnicki, Expert en communication de crise, ces cagnottes constituent une nouvelle forme d’engagement, ce que les Américains appellent le « slacktivism » ou activisme paresseux. Plutôt que de descendre dans la rue, il suffit de liker, de partager ou de contribuer financièrement pour afficher son soutien à une cause. Ce mode d’action, bien que simple, offre une portée considérable et une immédiateté inédite.

En France, le phénomène est plus récent qu’Outre-Atlantique, mais il ne cesse de prendre de l’ampleur. Des initiatives comme L’Affaire du siècle, une pétition écologiste signée par plus de deux millions de personnes, ou les cagnottes liées à la mobilisation des cheminots en 2018, montrent à quel point ces outils sont devenus des leviers de revendication puissants.

Plus qu’un simple outil

Certes, on pourrait assimiler ces cagnottes aux souscriptions d’antan, comme celles qui ont financé des édifices emblématiques tels que la basilique de Montmartre. Mais la comparaison s’arrête là. Aujourd’hui, grâce à leur accessibilité et leur instantanéité, ces plateformes permettent à n’importe qui de porter une cause sur le devant de la scène médiatique. Elles transforment le paysage de la communication et du militantisme, en donnant aux citoyens les moyens de contraindre l’agenda politique et médiatique.

Une mobilisation à double tranchant

Cependant, cette facilité d’usage soulève également des questions : sur la sincérité des engagements, sur la durabilité des mouvements ainsi créés, et sur la responsabilité des plateformes qui les hébergent. Si les cagnottes en ligne permettent de soulever des débats importants, elles restent un moyen parmi d’autres. Elles ne remplacent pas l’action durable et les mobilisations sur le terrain, mais viennent les compléter en les rendant plus visibles et accessibles.

Les cagnottes en ligne incarnent une évolution majeure de la communication de crise et de mobilisation collective. En tant qu’expert en stratégies de communication, je ne peux qu’encourager une réflexion approfondie sur leur utilisation, leur impact et leur régulation. Elles sont une force avec laquelle il faut compter, mais elles n’en demeurent pas moins un outil qu’il convient d’utiliser avec discernement pour influencer positivement le débat public.