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L’affaire Benalla, un poison lent pour l’image de Macron

L’Affaire Benalla plonge l’Elysée dans une communication sous contrainte judiciaire.

Le défi est de maitriser une communication sans maitriser le calendrier judiciaire. Georges Fenech, Député Honoraire, Avocat et Ancien Magistrat était l’invité avec Florian Silnicki, Expert en stratégie de communication et Fondateur de l’agence de communication de crise LaFrenchCom, de CNEWS pour décrypter l’impact de l’affaire Benalla sur l’image du Président de la République.

 

Au printemps 2018, Emmanuel Macron est déjà confronté à plusieurs défis politiques : des mouvements sociaux liés à la réforme de la SNCF, des critiques sur sa politique économique jugée trop libérale par une partie de l’opinion, et la volonté d’incarner un nouveau style présidentiel à mi-chemin entre la “verticalité” gaullienne et une approche plus moderne, plus proche des citoyens. C’est dans ce contexte déjà chargé que se produit un événement qui, a priori, n’aurait jamais dû s’inviter à la table des plus hautes autorités de l’État : la fameuse “affaire Benalla”.

Le nom d’Alexandre Benalla, inconnu du grand public jusque-là, surgit dans l’actualité en juillet 2018 lorsqu’une vidéo dévoile un homme, affublé d’un casque des forces de l’ordre, en train de molester des manifestants lors du défilé du 1ᵉʳ mai. Ce qui aurait pu n’être qu’un fait divers retient immédiatement l’attention des médias : on découvre que cet homme travaille à l’Élysée, proche du Président de la République. Rapidement, la polémique enfle, car le rôle officiel d’Alexandre Benalla n’est pas celui d’un simple chargé de sécurité. La presse, puis l’opposition politique, posent publiquement les questions que tout le monde se met à se poser : que faisait cet homme au cœur de l’appareil présidentiel ? Quelles étaient ses missions exactes ? Avait-il des responsabilités supérieures à celles que son poste laissait entendre ?

L’affaire prend ensuite une ampleur inédite lorsque l’on apprend qu’Alexandre Benalla a bénéficié d’un certain laxisme de la part de l’Élysée. Mis à pied pour deux semaines seulement, il n’a pas été licencié immédiatement et semblait conserver des accès à des informations sensibles. Cette gestion interne soulève de vives interrogations sur la transparence présidentielle et, au-delà, sur le fonctionnement même du Palais de l’Élysée. Dans un pays où la fonction présidentielle est perçue comme une magistrature morale, Emmanuel Macron se retrouve soudainement sur la sellette pour avoir semblé couvrir, ou au moins minimiser, les agissements illicites d’un collaborateur élyséen.

En quelques jours, la polémique vire au scandale politique. Les médias multiplient les révélations sur le parcours, les privilèges et l’entourage d’Alexandre Benalla, mettant en scène un univers de passe-droits et d’influences qui jure avec le discours de renouvellement promis par le jeune président. Aux yeux du public, un doute profond s’installe : Emmanuel Macron serait-il “comme les autres”, sinon pire, en laissant la présidence de la République sombrer dans des pratiques opaques ? C’est le début d’un long poison, un lent travail de sape pour l’image d’un chef d’État qui se voulait exemplaire.

L’ambition jupitérienne mise à mal

Avant l’affaire Benalla, Emmanuel Macron avait soigneusement construit son image de “président jupitérien” : un chef de l’État au-dessus de la mêlée politique, capable de décider seul, avec autorité et rapidité, dans un mélange d’efficacité technocratique et de volontarisme. Cette représentation, dans un premier temps, avait pu séduire une partie de l’opinion, lassée par les hésitations de ses prédécesseurs. Mais elle suscitait également de la défiance chez d’autres, qui voyaient dans cette verticalité un risque d’autoritarisme et d’arrogance.

L’affaire Benalla a marqué un tournant, car elle a semblé révéler les faiblesses de ce modèle jupitérien. Le fait qu’un collaborateur, qui n’avait aucune légitimité pour exercer les fonctions de police, ait pu être protégé par le sommet de l’État, soulève l’idée que cette verticalité présidentielle est peut-être synonyme de passe-droits et d’actions non contrôlées par les corps intermédiaires. D’un seul coup, la promesse d’incarner la modernité et la rigueur s’est heurtée à la réalité d’une gestion de crise calamiteuse : informations contradictoires, manque de transparence, et surtout, incapacité à justifier clairement la place d’Alexandre Benalla au sein de la garde rapprochée d’Emmanuel Macron.

Le poison opère d’autant plus que le président lui-même peine à clarifier la situation. Face aux médias, il choisit d’abord une stratégie de minimisation, considérant que l’affaire n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Or, la posture de déni contribue à accroître la curiosité des journalistes et de l’opinion. En voulant sauvegarder la sacralité de la fonction présidentielle, Emmanuel Macron déclenche un effet inverse : on scrute chaque détail, on traque la moindre faille, et il apparaît de plus en plus comme un chef d’État éloigné de la réalité, refusant de rendre des comptes. Son image de président “omnipotent” se retourne contre lui : si Jupiter ne veut pas s’expliquer, alors les soupçons grandissent.

Cette dissonance est d’autant plus dommageable que le macronisme s’est bâti sur un discours de rupture avec les “anciennes pratiques” qu’incarneraient les partis traditionnels. En soutenant indirectement un collaborateur dont la légalité des actes est remise en cause, et en tardant à apporter des éclaircissements, Emmanuel Macron inscrit finalement son mandat dans le même sillon que ses prédécesseurs : les compromissions, l’absence de transparence et la multiplication des petites affaires. Le choc est profond dans l’opinion, car il sape l’argument-clé de la “start-up nation” politique prônée par le président.

Les ratés initiaux de la communication présidentielle

Dès que l’affaire Benalla éclate, la séquence médiatique se caractérise par une communication présidentielle et gouvernementale chaotique. Le porte-parole de l’Élysée, Benjamin Griveaux, reste d’abord dans une posture prudente, semblant ne pas disposer de toutes les informations. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb, renvoie la responsabilité sur ses subordonnés, arguant qu’il avait fait part de l’incident à la présidence. À l’Assemblée nationale, la majorité parlementaire vacille : on assiste à des auditions publiques surréalistes, où des responsables peinent à expliquer pourquoi M. Benalla disposait d’un badge d’accès à l’Assemblée ou d’un logement de fonction.

Ce manque de coordination est d’autant plus visible que la communication gouvernementale tente de se clore rapidement, sans avoir anticipé la détermination des médias. Les journalistes multiplient les enquêtes, exhument des documents, interrogent des sources au sein de la police et de l’Élysée. Chaque nouvelle révélation devient un morceau d’un puzzle qui esquisse une réalité embarrassante : Alexandre Benalla jouissait d’une proximité inhabituelle avec Emmanuel Macron, ainsi que d’une liberté d’action qui n’était pas compatible avec ses seules fonctions de chargé de mission. La presse rapporte aussi qu’il a pu se rendre dans des lieux hautement sécurisés, photographier des documents, se déplacer avec un brassard de police ou un gyrophare. Tous ces éléments, présentés au compte-gouttes, entretiennent le soupçon d’une équipe présidentielle débordée et d’un président qui a perdu la main sur sa communication.

Face à cette pression constante, Emmanuel Macron commet alors un geste qui va relancer la polémique : il choisit l’ironie lors d’un discours en affirmant qu’“Alexandre Benalla n’est pas mon amant”. Voulant ainsi couper court aux rumeurs les plus absurdes, il adopte un ton désinvolte qui manque le sérieux exigé par l’opinion dans une telle crise. Cette réaction est perçue comme un nouveau décalage : aux yeux de nombreux observateurs, le président semble faire preuve de condescendance, comme si l’affaire n’avait pas d’importance ou que les médias s’acharnaient à tort. Pire encore, cette remarque le rend complice de l’emballement médiatique qu’il souhaitait précisément éteindre. L’image de maîtrise parfaite de la parole présidentielle vole en éclats. L’homme qui affirmait vouloir contrôler son tempo médiatique se retrouve pris au piège d’une crise qui révèle son impréparation face aux attaques.

Une crise qui accroît la méfiance populaire

Si l’opinion publique pouvait pardonner ou ignorer, dans un premier temps, un “dérapage” isolé, l’affaire Benalla a rapidement installé un climat de défiance durable vis-à-vis d’Emmanuel Macron. De nombreux Français découvrent que la “macronie” n’échappe pas aux arrangements peu transparents et s’interrogent sur l’étendue des privilèges accordés à certaines personnes au sein de l’Élysée. En parallèle, les oppositions politiques ne manquent pas d’exploiter la situation, dénonçant le “deux poids, deux mesures” : un citoyen ordinaire aurait été plus sévèrement sanctionné s’il avait commis les mêmes actes violents qu’Alexandre Benalla.

Le contexte politique général accentue encore l’impact de l’affaire. Emmanuel Macron, élu en 2017 avec la promesse de renouveler la vie publique, se retrouve confronté à un scepticisme grandissant quant à sa volonté réelle de transparence. Les “gilets jaunes” apparaîtront quelques mois plus tard, en novembre 2018, catalysant le sentiment de défiance et de rejet de l’élite politique. L’affaire Benalla n’est pas l’unique cause de la crise des “gilets jaunes”, mais elle a servi d’étincelle supplémentaire pour nourrir l’image d’un président déconnecté, “président des riches”, parfois décrit comme hautain.

Médiatiquement, cette affaire a aussi démontré la difficulté pour Emmanuel Macron de maîtriser une actualité en continu sur les chaînes d’information et les réseaux sociaux. Les échanges sur Twitter, Facebook, ou encore dans les forums en ligne, se sont emparés de l’affaire pour en faire un feuilleton quotidien : chaque révélation, chaque faux-pas ou démenti entraîne son flot de commentaires, de parodies et de critiques. Dans une société qui vit désormais au rythme des buzz et de l’immédiateté, Emmanuel Macron, pourtant réputé pour sa compréhension des dynamiques médiatiques, ne parvient pas à reprendre la main. Le Président de la République est bel et bien dans la réaction, subissant les événements plutôt que les devançant.

Cette défiance se constate dans les sondages de popularité : la cote de confiance d’Emmanuel Macron amorce une chute marquée au cours de l’été 2018. Le lien de confiance avec une partie de l’électorat centriste ou modéré se fissure. L’image du président jeune, audacieux et moderne est brouillée par des soupçons de pratiques anciennes, voire de clientélisme. Au même moment, l’affaire souligne cruellement les limites d’une présidence qui se voulait “performante” et “efficace”. Aux yeux des Français, comment croire en la promesse d’une République irréprochable quand l’Élysée s’enlise dans un scandale à rebondissements, agrémenté de faveurs suspectes ?

L’entrée dans la sphère judiciaire : vers une communication sous contrainte

Le tournant décisif de l’affaire se produit lorsque l’aspect pénal s’invite dans la danse. Alexandre Benalla est mis en examen, notamment pour “violences en réunion”, “immixtion dans l’exercice d’une fonction publique” ou “port illégal d’insignes réservés à la police”. Dès lors, la stratégie de communication présidentielle n’est plus seulement politique, elle se retrouve encadrée par des impératifs judiciaires.

En France, le Président de la République bénéficie d’une immunité pénale durant son mandat, mais l’Élysée ne peut plus s’exprimer librement sur une affaire faisant l’objet d’investigations judiciaires en cours. Toute déclaration pourrait être interprétée comme une ingérence, une tentative d’influence sur les juges ou une obstruction à la manifestation de la vérité. Emmanuel Macron, qui jusque-là pouvait — au moins sur le plan théorique — s’exprimer pour défendre son collaborateur ou éclaircir les faits, se trouve contraint au silence ou à la langue de bois. Ce silence, dans une démocratie habituée à la transparence médiatique, est lui-même source de suspicion : certains y voient une forme d’aveu implicite, d’autres y voient un calcul politique, d’autres encore y lisent simplement la crainte de tout nouveau faux-pas.

Cette “communication sous contrainte” est aggravée par la multiplication des procédures qui entourent l’affaire. Au fil des mois, Alexandre Benalla fait à nouveau la Une des journaux, non seulement pour l’épisode violent du 1ᵉʳ mai, mais aussi pour des soupçons concernant l’utilisation de passeports diplomatiques, pour des faits de détention d’armes ou encore des contacts opaques avec des officiels étrangers. Chaque fois, la présidence de la République est questionnée : savait-elle ? A-t-elle tenté de couvrir ? La réponse officielle se borne à un renvoi vers les autorités judiciaires, cherchant à conserver un maximum de distance. Mais cette posture prudente, nécessaire juridiquement, est politiquement néfaste : elle alimente la thèse selon laquelle l’Élysée ne contrôle plus rien ou, pire, qu’il a des choses à dissimuler.

En somme, dès que l’affaire devient judiciaire, l’Élysée perd le contrôle d’une séquence communicationnelle cruciale. Les éléments de langage bien rodés ne résistent pas à l’existence de pièces versées au dossier, d’auditions, de déclarations sous serment. Dans la même veine, la justice est libre d’établir le calendrier de ses enquêtes, en décalage complet avec l’agenda politique de la présidence. C’est un cauchemar pour toute équipe de communication politique : un flot incontrôlable d’informations qui surgissent au fil des mois, sans que l’Élysée puisse devancer ou influencer le cours de l’enquête.

Les conséquences politiques et institutionnelles

Au-delà des conséquences directes sur l’opinion, l’affaire Benalla a eu un impact durable sur la manière dont l’Élysée gère sa communication et son organisation interne. Les collaborateurs proches du Président ont dû repenser leurs procédures de contrôle et de recrutement, et renforcer la transparence de certains services. Des dispositifs internes ont été mis en place pour éviter la reproduction d’un tel dysfonctionnement : vérification des accréditations, limitation des badges d’accès, et surtout, resserrement de l’entourage présidentiel pour mieux maîtriser l’image publique de la présidence.

Sur le plan politique, la majorité parlementaire a pris conscience de la fragilité de son image lorsqu’un scandale personnel éclabousse le sommet de l’État. La République En Marche (LREM), alors jeune parti, s’est retrouvée à défendre l’indéfendable, faute de consignes claires de la part de l’Élysée. Nombre de députés ont vécu cette séquence comme un baptême du feu douloureux, alors qu’ils n’avaient ni l’expérience ni les réflexes acquis dans les vieux partis. Cette maladresse collective a renforcé la perception d’un pouvoir “amateur” face à des crises politiques majeures.

De plus, l’affaire Benalla a eu un impact sur la relation entre Emmanuel Macron et les institutions en charge du maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre, déjà échaudées par la gestion politique des manifestations, ont vu d’un très mauvais œil l’ingérence d’un civil au cœur même de leur mission. Cette méfiance mutuelle a pu contribuer à tendre davantage les rapports entre l’Élysée et la base policière, bien avant l’arrivée des “gilets jaunes”. Il en résulte un climat délétère où la loyauté des uns et des autres est remise en cause, et où l’on craint la reproduction de tels incidents.

Enfin, il faut souligner qu’une crise comme l’affaire Benalla met en lumière les limites de la stratégie de personnalisation extrême du pouvoir autour du président. En France, la Ve République donne déjà une place prépondérante au chef de l’État, mais Emmanuel Macron avait amplifié cette présidentialisation en se hissant comme l’unique artisan du projet national. Quand un scandale touche directement l’Élysée, il n’y a plus de fusibles politiques réellement autonomes pour contenir la crise. Le Premier ministre, Édouard Philippe à l’époque, n’était pas en mesure de prendre la parole pour désamorcer la polémique, car l’affaire relevait surtout de la responsabilité de la présidence et d’un de ses collaborateurs. Cette concentration du pouvoir, si elle peut se montrer efficace dans certains dossiers, devient un piège quand elle se confronte à la fronde médiatique et judiciaire.

Le bilan pour l’image d’Emmanuel Macron

Trois ans après le déclenchement de l’affaire, lorsque les premières retombées se sont apaisées, les différents observateurs se sont accordés à dire que la séquence Benalla avait laissé des traces indélébiles sur la présidence Macron. L’image d’autorité s’est transformée en image d’autoritarisme pour certains, notamment lorsque d’autres crises se sont succédé (mouvements sociaux, crise des “gilets jaunes”, gestion de la pandémie de Covid-19). L’opinion publique a gardé en mémoire cette affaire de passe-droits et les ambiguïtés autour de l’entourage présidentiel.

La stratégie de communication d’Emmanuel Macron a dû s’adapter : d’un président qui gérait son image de manière verticale et très contrôlée, il est passé à un dirigeant qui tente de montrer davantage de proximité et de pédagogie. Les “Grands Débats” post-gilets jaunes ou les rencontres locales s’inscrivent dans cette volonté de retisser un lien avec une population qui doute. Néanmoins, l’affaire Benalla reste un marqueur fort : le rappel que la parole présidentielle, aussi maîtrisée soit-elle, peut être mise à mal par un simple fait divers transformé en scandale par les circonstances et la gestion désastreuse d’une crise.

Il n’est pas exagéré de dire que cet épisode a joué un rôle clef dans l’évolution de la posture d’Emmanuel Macron, le conduisant à prendre en compte l’exigence de redevabilité du peuple français. Les critiques persistantes sur sa prétendue arrogance trouvent souvent un écho dans la mémoire de l’affaire Benalla, où le président s’est montré sarcastique et peu enclin à la transparence. Par ailleurs, cette affaire est devenue un cas d’école en communication politique : elle illustre la puissance de la médiatisation en continu et la nécessité d’une réaction rapide, documentée et humble face à un scandale impliquant un proche collaborateur.

Un poison lent, mais permanent

Au final, l’expression “poison lent” prend tout son sens dans la mesure où l’affaire Benalla n’a pas fait basculer Emmanuel Macron du jour au lendemain, mais elle a eu pour effet de grignoter peu à peu son capital de confiance et son aura présidentielle. Chaque relance de l’affaire, chaque rebondissement judiciaire, chaque nouvelle révélation dans la presse réactive chez certains Français le souvenir d’un scandale jamais totalement élucidé. Pour un président qui avait fait de la nouveauté et de l’exemplarité ses maîtres-mots, l’écart entre le discours et la réalité a été particulièrement dommageable.

Sur le plan communicationnel, on peut parler d’une perte de maîtrise progressive. Au départ, l’Élysée s’est cru capable de minimiser la crise à coup d’éléments de langage et de silences stratégiques. Mais la pression médiatique et judiciaire a rendu cette stratégie obsolète, poussant le président à des justifications maladroites, puis à un silence forcé. Plus l’affaire avançait, plus la communication de crise se trouvait sous contrainte. Il s’agissait moins de convaincre l’opinion que de ne pas interférer dans une procédure judiciaire susceptible d’éclabousser encore davantage la présidence. Les journalistes, de leur côté, ont senti l’angle d’attaque : souligner la contradiction entre les grandes déclarations d’Emmanuel Macron sur la moralisation de la vie publique et cette incapacité à sanctionner un collaborateur violent. Les oppositions ont également profité de chaque faille pour imposer un discours sur les “pratiques opaques” d’une présidence jeune et prétentieuse.

L’affaire Benalla a ainsi agi comme un révélateur de la fragilité du pouvoir quand il est confronté à un scandale. Elle montre à quel point la communication politique, si elle n’est pas étayée par une gestion irréprochable et transparente, peut finir par devenir un piège. Lorsque la machine judiciaire s’en mêle, le Chef de l’État n’est plus en position de force pour imposer son récit. Tout en étant protégé par son statut, il est contraint de se murer dans un silence qui n’en finit pas d’alimenter la suspicion. C’est la perception de cette lente érosion de l’autorité morale du président qui caractérise le “poison Benalla”. Le scandale n’a pas abouti à une destitution ou à une explosion politique, mais il a marqué un tournant dans le quinquennat, laissant derrière lui une trace de méfiance dans l’opinion publique.

L’affaire Benalla fut, pour Emmanuel Macron, la première grande crise institutionnelle et médiatique de son mandat. Si elle n’a pas provoqué la chute du président, elle en a profondément entamé l’image, révélant des failles dans sa communication et remettant en question la promesse de rupture avec les vieilles pratiques politiques. Son statut de “président jupitérien”, jusque-là pensé comme un atout, s’est retourné contre lui au moment où un proche collaborateur s’est retrouvé accusé d’agissements illégaux. Le chef de l’État, qui prétendait maîtriser sa parole et son tempo médiatique, a dû affronter la réalité d’une information incontrôlable et d’une procédure pénale qui lui échappait.

Pour qui s’intéresse à la communication politique, l’affaire Benalla démontre la difficulté de gérer une crise quand la parole présidentielle se voit mise en cause par des faits qui touchent à l’intégrité morale du pouvoir. Emmanuel Macron, en cherchant à protéger son collaborateur, a semblé valider des comportements contraires aux lois et aux principes de la République. Cette contradiction entre la promesse de transparence et la réalité des faits a nourri un climat de défiance dont les répercussions se sont ressenties dans les mouvements sociaux et la popularité de l’exécutif.

À mesure que le scandale s’est judiciarisé, la communication est devenue de plus en plus contrainte. L’Élysée s’est retrouvé prisonnier d’une enquête qu’il ne pouvait influencer publiquement, au risque d’être accusé d’entrave ou de partialité. Dans un État de droit, le juge prend le pas sur l’opération de communication, et la procédure pénale révèle ou confirme des éléments parfois embarrassants pour le pouvoir. L’affaire Benalla est donc bien ce poison lent qui continue de circuler dans l’imaginaire collectif : un rappel que même l’autorité la plus élevée peut vaciller devant l’opinion lorsqu’elle est prise en faute et qu’elle ne parvient pas à donner des gages de transparence et de respect des règles. Emmanuel Macron en a fait l’amère expérience, entamant un quinquennat qui souhaitait, pourtant, rompre avec toutes les “affaires” qui ont marqué la Ve République.