Communication éditoriale : ou l’art de ne pas abuser du contenu
C’est un paradoxe. Agences de communication corporate et annonceurs reconnaissent l’hystérie qui entoure la production de contenus et de supports, soulignant sa contre-productivité. Mais rien ne bouge. Vous avez dit stupide ?
Le débat n’est pas nouveau : est-ce que trop d’info tue l’info ? La formule et ses déclinaisons (trop de médias, trop de foot…) ont aujourd’hui des airs de déjà, voire de trop vu, lu ou entendu. Et pourtant, sous l’effet des nouvelles technologies et de la « professionnalisation » de la communication et des relations presse, nous sommes chaque jour soumis à un nombre croissant d’informations, recevons un nombre croissant de messages, tantôt subis, tantôt choisis.
Corollaire du phénomène, le temps dont nous disposons pour prendre connaissance de chacune de ces informations se réduit jusqu’à l’absurde : cette situation dans laquelle, faute de temps, chacun se retrouve à jeter d’un coup de main ou d’un simple clic des kilos de pages ou d’octets, sans même en avoir vraiment pris connaissance. à l’heure où les entreprises n’ont d’autres leitmotive que de réduire les coûts ou de rationaliser les outils et les contenus, où le développement durable leur impose de ménager les ressources naturelles, mais aussi humaines en respectant leur rythme, la situation frise le ridicule.
« On est dans un monde de survitesse dont la communication est en partie responsable, déplore Boris Eloy, directeur de la communication de Servair et président de l’Ujjef Communication & Entreprise. Soumis au rythme d’immédiateté imposé par les nouvelles technologies, les cadres n’ont plus le temps de lire ce qu’on leur écrit, ils se désalphabétisent. »
Avec un peu plus d’une centaine d’e-mails quotidiens, quatre newsletters et une ou deux revues professionnelles, certains salariés commencent leur journée par un rituel relevant plus d’un test de résistance au stress que d’un simple travail de mise à jour de l’actualité du secteur. « Un collaborateur lambda évoque déjà six à huit sources rien que pour s’informer en corporate sur son entreprise », rappelle Assaël Adary, coprésident d’Occurrence.
Le contenu « doudou »
Un chiffre auquel il convient d’ajouter les sources destinées à l’informer sur son métier et son secteur d’activité, mais aussi ceux d’information générale… en espérant que l’individu n’ait pas de passion(s) et n’appartienne pas à un ou plusieurs réseaux sociaux ! « On arrive au stade où, si je souhaite parler à quelqu’un, y compris dans un cadre professionnel, je vais sur Facebook, remarque d’ailleurs Xavier Cazard, directeur associé d’Entrecom. Le mail se voit reléguer au rang du fax. »
« L’avènement du Web a ouvert le champ des possibles en facilitant l’accessibilité, la création et la multiplication des contenus, rappelle Gilles Maurisset, directeur du développement d’Altavia France. La mauvaise nouvelle est que la situation de saturation ne pourra pas durer comme ça. Il est de la responsabilité des professionnels de régler le problème. Autrement, c’est le récepteur qui fera sa propre censure. »
D’accord sur le constat, les professionnels ont également identifié les origines du mal. à commencer par une approche technocrate. Pour Anne-Laurence Schiepan, partner d’Euro RSCG, « le problème est que l’on raisonne hors sol, sans tenir compte du contexte général [l’offre de contenu des autres émetteurs]. L’émetteur se rassure en alimentant les cibles de contenu. En continuant d’émettre, il se dit : « J’ai fait le boulot ». De son côté, le récepteur continue de s’abonner, pour se rassurer aussi. Le contenu est leur doudou.
Poursuivant sa chasse au contenu, le récepteur éprouvera même des difficultés à résilier ses abonnements à certains supports, qu’il ne lit pourtant jamais, par peur de manquer l’information ! Après l’arrivée des nouvelles technologies, l’avènement du concept de contenu, autour duquel tout le monde s’est positionné, n’a fait qu’amplifier leur multiplication, constate Aurélie Boué, présidente de Tagaro (groupe DDB). Face à cette saturation, nous devons faire le même travail que les grands médias pour se différencier les uns des autres : définir un positionnement, une ligne éditoriale, identifier une cible… Tous les paramètres qui contribuent à définir la personnalité d’un média. Rien ne sert d’avoir un arsenal de supports si on ne sait pas quoi dire avec. « De nouveau, l’analyse est partagée, mais assez peu suivie d’effets. Lorsqu’ils parlent de rationalisation, les communicants n’entendent pas réduction, mais réaffectation. Le plus souvent, du print vers le Web. »
Le bon sens s’est imposé en matière de communication commerciale. Les annonceurs ont compris qu’il valait mieux trois phrases qui font mouche qu’une logorrhée de trois heures, estime Gilles Maurisset. Pour le reste, les annonceurs n’ont pas encore assimilé l’enjeu. Ils parlent de complémentarité des outils, mais se contentent de les juxtaposer.
Passée la gêne qu’elle provoque chez le récepteur, l’hystérie pose surtout la question de l’intérêt de l’information et des messages diffusés. Redoutant de se voir reprocher par les publics une rétention, voire une manipulation de l’information, les entreprises arrosent aveuglément les publics d’informations factuelles, à l’état brut et, de fait, non décryptées, laissant à chacun la liberté de comprendre… ou pas.
Il y a de plus en plus d’information et de moins en moins de sens, regrette éric Camel, président d’Angie. Les entreprises multiplient la diffusion d’informations factuelles et non scénarisées, et s’exonèrent de donner un vrai sens au contenu qu’elles émettent. Aucun effort n’est fait pour personnaliser l’information et lui faire rencontrer l’attention de la cible. Cette addition de faits et de données diverses finit par brouiller et tuer la vision de l’entreprise. Pour être vue et entendue, l’entreprise doit impérativement articuler son discours autour d’une « big picture ».
« Une vision stratégique fédératrice que l’entreprise doit créer, décliner, adapter à tous les étages, à travers un choix d’outils complémentaires (événementiel, communication orale, journal, e-letter…). Et souvent moins nombreux. »
Si j’étais consultant en communication interne, je ferais moins de contenu, mais je le replacerais dans un contexte, en le passant au tamis de ma big picture pour le personnaliser, créer de la différence, donc de l’intérêt, lance éric Camel. Une analyse que partagent globalement ses confrères, même si tous ne le disent pas de la même façon. Une approche basée sur le bon sens, rappelant la nécessité d’organiser les messages, les hiérarchiser, les scénariser et/ou les recontextualiser avant de les envoyer (à une cible qui les demande, bien sûr).
Freins organisationnels
Préalable à toute évolution, l’organisation actuelle du travail qui, à quelques exceptions près, est encore calquée sur un modèle « vintage » hérité des périodes où la communication n’était pas appréhendée comme une problématique globale. Un modèle compliqué par la mise en place d’organigrammes qui diluent les pouvoirs et les responsabilités. « Les organisations chez l’annonceur sont encore très matricielles, en silo, remarque Anne-Laurence Schiepan. Certains commencent à changer (comme EDF, Véolia) en nommant un responsable des contenus, lequel lance encore ses appels d’offres séparément. » Or, sans vision d’ensemble, il n’est point de salut. Et quand bien même ce responsable en aurait une, il n’est pas dit qu’il ait la volonté et/ou les moyens de faire changer les habitudes.
Côté agences de communication aussi, une question reste posée : sont-elles disposées à conseiller à leurs clients de leur acheter moins de contenu et/ou moins de supports au risque de rogner leur chiffre ou, pire, leur marge ? C’est une posture d’agence, poursuit Aurélie Boué. C’est le choix du court ou du long terme. On peut toujours jouer les opportunistes, mais il est dangereux de déployer pour son client un contenu ou un dispositif sans intérêt. Et d’ajouter : « Les annonceurs se rendent compte qu’il faut prendre mieux la parole en se concentrant sur le sens, la valeur des messages, des images, de l’angle et de la sémantique. Les mots et les outils pour le dire ne sont pas les mêmes chez Sofitel que chez Club Med. Ils diffèrent également d’une période à l’autre dans une même entreprise. »
Pour illustrer son propos, l’agence de communication rappelle qu’elle a pu convaincre L’Oréal d’arrêter le magazine trimestriel interne du groupe en place depuis trente-cinq ans et toujours plébiscité par 95 % des collaborateurs. Le contenu très attendu, mais servi par un format obsolète, est désormais diffusé via un dispositif comprenant un yearbook et une série de rendez-vous on line.
Dans un autre registre, Areva s’est également décidé à arrêter son magazine interne au profit d’outils de communication locale existants. Non sans avoir préalablement mis en place une plate-forme de contenu et de production de support pour créer plus de cohérence entre le contenu, l’identité de l’entreprise et sa réalité terrain partout dans le monde. Malgré son organisation en silo (une direction de la communication interne indépendante de l’externe), l’entreprise s’efforce de mettre en cohérence les messages qu’elle émet : « Nous veillons à ne jamais être redondant, assure Thérèse Prudhomme, responsable de la communication interne d’Areva. Lorsqu’une information nous concernant sort dans la presse, nous nous efforçons de l’enrichir. Le but n’est pas de contrer l’information non maîtrisée sortie dans la presse, mais d’apporter le complément nécessaire à sa bonne compréhension. »
Mais les exemples d’annonceurs ayant réduit la voilure sont encore rares.
Poser des repères et utiliser le vocabulaire de l’entreprise
Nous devons nous concentrer sur la notion de communication juste, analyse Laurence Houdeville, directrice de Ligaris Contents. Je suis toujours frappée d’entendre beaucoup de gens dire qu’ils ne comprennent pas la stratégie de leur entreprise alors qu’ils n’ont jamais été autant informés. Comme A. Boué, elle estime que « cette situation soulève la question du lexique. Le message doit utiliser le vocabulaire de l’entreprise ». Elle soulève aussi la question de la volonté réelle des acteurs, en tête desquels les émetteurs, de réduire l’intensité de leur com.
La saturation est due au Web que les annonceurs ont tendance à utiliser pour résoudre toutes leurs problématiques, explique Bruno Scaramuzzino, directeur de Meanings. Il contribue à l’impression d’hystérie car il entraîne le consommateur dans un monde sans limites, sans repères, contrairement au papier qui possède un début et une fin.
S’il est un parfait outil de travail, de lobbying, d’influence, le Web ne permet pas de transmettre une culture ou des valeurs. Son encombrement est une opportunité pour le papier, car il permet au récepteur de maîtriser sa consommation. Raisonnablement, il ne faut pas s’attendre à une réduction du flot de contenus de la part des annonceurs. Pour prouver qu’elle existe, l’entreprise voudra toujours montrer ses papiers, métaphorise B. Scaramuzzino.
La balle est donc dans le camp de leurs cibles qui, pour préserver leurs intérêts, n’auront d’autre choix que celui de garder que les contenus les plus pertinents mais, surtout, dont le mode d’administration est le plus malin. Aujourd’hui sur Internet via les réseaux sociaux et, bientôt, les mobiles. Et demain ? La balle revient dans le camp des émetteurs et de leurs chers conseils en communication.