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L’intelligence économique : combat des entreprises

 

Analyse de rapports annuels des concurrents. Cartographie des réseaux sociaux des concurrents. Profilage des consommateurs des concurrents. Ces méthodes inspirées de celles des services de renseignements nationaux aident les entreprises à gagner la guerre économique. 

Dans les bureaux montréalais de L’Oréal Canada, une équipe de trois personnes collige quotidiennement des informations sur l’industrie canadienne du cosmétique : nombre d’achats, lancements de produits, stratégies publicitaires des concurrents, nouvelles tendances des consommateurs. Au même moment, à Paris, au quartier général du géant français du cosmétique, une autre équipe recueille, analyse, synthétise et diffuse des informations similaires à ses filiales disséminées aux quatre coins de la planète.

La « machine informationnelle » de L’Oréal est bien huilée. Son but : acquérir un avantage concurrentiel. 

Pour développer de bonnes stratégies et offrir des produits pertinents, nous devons savoir ce qui se fait chez les concurrents, et connaître les nouvelles tendances et les comportements des consommateurs, explique le directeur du service Intelligence consommateurs et marchés chez L’Oréal Canada, Jean-François Gagné. Il faut être au fait de ce qui se déroule aussi bien en Europe qu’au Japon pour nous adapter en conséquence.

Une entreprise mal informée risque gros. Particulièrement dans une industrie comme celle du cosmétique, où la nouveauté est le moteur des entreprises. Entre 15 et 20 % du chiffre d’affaires des grandes entreprises de ce secteur provient de nouveaux produits. 

Toutefois, il n’y a pas que le monde du cosmétique. Depuis quelques années, tous secteurs d’activités confondus, la guerre à l’information s’intensifie. Les stratégies déployées pour obtenir légalement de l’information se peaufinent : Internet, colloques, analyses d’articles de journaux, autopsies de rapports annuels… même les sites Facebook et LinkedIn servent à cartographier les réseaux sociaux de dirigeants concurrents. 

Cette guerre de l’information a un nom : l' »intelligence économique« . L’entreprise qui la pratique surveille son environnement et tente de l’influencer en décryptant les intentions des différents acteurs. « Une entreprise ne peut pas se permettre d’être à la traîne. Il en va de sa survie. Mieux elle est informée, plus elle est proactive », précise Didier Lucas, directeur des études de l’École de Guerre Économique, une institution universitaire française. L’intelligence économique s’inspire de la culture de combat militaire. D’ailleurs, son cycle de renseignements est identique à celui des services de renseignements traditionnels : définition des besoins, collecte de l’information, analyse et diffusion au sein de l’organisation. 

Évidemment, « les méthodes diffèrent selon les secteurs d’activités », indique Didier Lucas. Pour le secteur pétrolier, par exemple, « le nombre de joueurs est limité et devrait le rester. Les entreprises se concentrent donc sur la recherche d’informations qui leur permettent de mieux saisir les paramètres réglementaires propres aux différentes régions afin de mettre en place un lobbying qui les avantagera ». À l’opposé, dans l’industrie du textile et du vêtement, les changements et l’entrée en scène de nouveaux concurrents sont monnaie courante. « Cette fois, les entreprises veulent cerner rapidement les nouvelles tendances, les nouvelles façons de faire et les nouveaux joueurs sur le marché », note le chercheur. 

Intelligence économique ou espionnage économique ? « Tout ce qui relève de l’intelligence économique est légal. Mais pour bon nombre, la frontière reste floue« , admet Zhan Sue, professeur de stratégie et de management international à l’Université Laval et directeur du Groupe d’études et de recherches sur l’Asie contemporaine. « Écouter des ingénieurs qui parlent d’un projet dans un restaurant afin d’obtenir des informations sur un concurrent n’est pas illégal, mais est-ce éthique ? » La réponse se trouve en bonne partie dans la culture de ceux qui le font. La quête d’information des entreprises chinoises, coréennes et vietnamiennes est plutôt « agressive ». « Leur objectif est avant tout de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs pour réduire leur retard, poursuit Zhan Sue. Dans un esprit de rattrapage, elles font moins de cas des moyens déployés pour obtenir des informations. » 

Au Québec, l’intelligence économique est peu développée. « Les multinationales en font, mais plusieurs entreprises de taille moyenne restent réticentes à l’idée d’en faire ; probablement en raison d’une méconnaissance de la spécialité et de la difficulté de quantifier les bénéfices… même s’ils sont nombreux. Ici, ce qu’on trouve le plus souvent, c’est de la veille stratégique », constate Éric Lampron, responsable des études en Amérique du Nord de Spin Partners, une firme de consultants en communication d’influence, et fondateur de infoguerre.ca, un site Internet qui porte sur la guerre économique. 

On est donc loin de ce qui se fait en Europe et aux États-Unis, où l’intelligence économique est devenue pour plusieurs pays un enjeu national. En France, l’École de Guerre Économique, dont le projet pédagogique est axé sur le développement d’une culture de combat dans le domaine de l’information, et l’École européenne d’intelligence économique ont vu le jour au cours de la dernière décennie. 

MODÈLES RÉGIONAUX 

Le modèle britannique : inspiré des services de renseignements 

Le Royaume-Uni, premier pays d’Europe à développer un service de renseignements national, a acquis de précieuses connaissances dans le secteur du renseignement. C’est aujourd’hui au tour des entreprises d’en bénéficier. L’intelligence économique britannique est caractérisée par les liens étroits qui unissent les entreprises à l’administration publique et aux milieux universitaires. 

Le modèle américain : le coup de pouce du gouvernement 

L’intelligence économique fait partie de la culture d’affaires des États-Unis, où la sphère publique appuie sans relâche ses entreprises dans cette guerre à l’information. À lui seul, le Foreign Commercial Services, rattaché au ministère du Commerce, emploie près de 1 700 agents répartis dans le monde, qui accumulent les études de marché et les renseignements sur les concurrents potentiels. 

Le modèle sud-coréen : quand la fin justifie les moyens 

Comme plusieurs pays asiatiques en développement, la Corée du Sud s’est lancée dans une course folle à l’information. L’objectif : combler le retard économique. Et l’information est la pierre angulaire de ce rattrapage. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Les spécialistes qualifient l’approche sud-coréenne d’  » agressive « . 

Le modèle suédois : le miracle scandinave 

Positionnement géographique peu favorable, proximité avec le grand voisin russe, faible densité démographique… La Suède n’en reste pas moins l’exemple européen de réussite en matière d’intelligence économique. Dès 1970, les entreprises suédoises ont développé, en collaboration avec le gouvernement, des méthodes de veille et d’intelligence concurrentielle afin de se tailler une place de choix sur le marché international. Une réussite à tous points de vue ! 

Le modèle français : l’Hexagone passe à l’attaque 

Autrefois utilisée à des fins défensives, l’intelligence économique française est désormais plus offensive. Ce qui explique ce changement : les acquisitions de fleurons français par des étrangers et les nouveaux risques découlant de la mondialisation.