Le plan de crise
En tant que professionnels des relations publiques, nous pensons savoir reconnaitre les crises. C’est l’usine qui explose, le produit qui envoie les consommateurs aux urgences ou le projet de construction qui fait bondir les écologistes. C’est le cadre dirigeant qui tweete une remarque déplacée ou l’employé dérangé qui se présente au travail avec un AK-47.
Nous avons tendance à considérer et gérer chaque crise comme si rien ne la distinguait réellement des autres crises. Pourtant, selon toutes les études effectuées ces 40 dernières années, nous faisons là une grossière erreur. Beaucoup d’entre nous ne se rendent pas compte d’un fait simple, que les personnes qui font de la communication du risque savent bien, eux : ce qui blesse les gens et ce qui les bouleverse sont deux choses complètement différentes.
Risque = Danger + Indignation
Imaginons que nous réalisions une longue liste de risques, et que nous demandions à un groupe d’experts de les classer du plus au moins dangereux. Reprenons maintenant cette liste et effectuons un sondage auprès de personnes non expertes, en leur demandant de les classer du plus au moins bouleversant.
En comparant les deux listes, nous trouverons une corrélation statistique d’environ 0,2. Selon les pionniers de la communication du risque Vincent T. Covello et Peter M. Sandman : « Il n’y pas de corrélation entre le classement des dangers en fonction des statistiques sur le taux de mortalité annuel prévisible et à quel point ces mêmes dangers sont jugés bouleversants. De nombreux risques font enrager les gens, même s’ils provoquent peu de blessé et de morts, alors que d’autres dangers provoquent de nombreux morts, mais ne mettent pas les gens en colère ».
Cette remarque a provoqué une prise de conscience de Peter Sandman au début des années 80. La plupart des experts techniques considèrent que le risque et le danger sont une seule et même chose. Mais cet indice de corrélation de 0,2 démontre que les non-experts conçoivent le risque de manière bien différente. Pour refléter cette différence, Sandman a décidé de redéfinir le risque. Il a appelé danger tout ce que les experts techniques considèrent comme un risque, c’est-à-dire tout ce qui représente une réelle menace pour la santé, la sécurité, la propriété ou la vie. Puis il a appelé indignation ce que les non-experts considèrent comme un risque, c’est-à-dire tout ce qui met en colère, choque, effraie, bouleverse. Puis il a résumé cela d’une formule simple : Risque = Danger + Indignation
Cette formule a de nombreuses implications. Examinons-en trois :
1. Pour toutes les situations présentant un risque pour une population de personnes non expertes, il ne suffit pas de gérer le danger. Il est au moins aussi important d’anticiper, identifier et réduire l’indignation de la population.
2. Les conflits entre les organisations et la population sont souvent le résultat d’une définition différente du risque par les experts d’une organisation et les non-experts au sein de la population.
3. Pour toutes les situations présentant un risque, un des principaux objectifs du consultant en relations publiques est d’anticiper ce qui pourrait indigner une partie de la population, en termes géographiques, démographiques ou psychographiques, et de préparer l’organisation à gérer l’indignation.
Essayez un peu d’U-phoria : exercice pour mieux comprendre l’indignation
Les experts de la communication du risque au Centre national pour la défense et la protection alimentaire de l’Université du Minnesota utilisent l’exemple d’un nouveau médicament fictif qu’ils ont baptisé U-phoria pour expliquer l’indignation aux personnes participant à leur formation.
L’exercice commence avec des informations de contexte sur le médicament :
■ Un laboratoire de recherche pharmaceutique leader dans son domaine a passé 16 ans à développer U-phoria.
■ Le médicament améliore la mémoire à court terme et procure une « sensation agréable » pouvant durer jusqu’à 36 heures, lors de périodes de stress.
■ Il a été testé à de nombreuses reprises sur les humains.
Le formateur permet ensuite aux participants de poser des questions. Toutes les questions reçoivent une réponse positive : Le coût est faible. Le médicament est déjà disponible. Il a reçu l’autorisation de mise sur le marché.
La seule réponse qui amène une réponse négative est : « Quels sont les effets secondaires ? »
La réponse est : « une diarrhée importante pouvant durer jusqu’à 24 heures ».
Enfin, le formateur demande à l’ensemble des participants de se lever et de rester debout s’ils sont prêts à prendre de l’U-phoria, même si les chances d’avoir de la diarrhée sont :
■ une sur un milliard ?
■ une sur un million ?
■ une sur 100 000 ?
■ une sur 1 000 ?
■ une sur 100 ?
■ une sur 10 ?
■ une absolue certitude -toute prise provoque une diarrhée.
Cet exercice montre que la perception d’un risque varie d’une personne à l’autre.
Demandez-vous : À quel moment est-ce que je m’assiérais, et pourquoi ? Réfléchissez-y pendant quelques minutes et pensez à ce qui sous-tendrait votre indignation concernant ce risque.
Crise chaude ou crise froide
Quand les experts de la communication de crise discutent du concept de crise, ils se focalisent presque toujours sur les catastrophes extraordinaires, comme l’accident nucléaire de Three Mile Island en 1979, les empoisonnements au Tylenol de 1982 ou l’explosion à Deepwater Horizon et la marée noire qui s’est ensuivie en 2010. Selon la terminologie de Sandman, ce sont des situations de « danger fort/indignation forte ». Les experts et non-experts sont généralement d’accord sur le fait que chacune de ces situations a dégénéré pour atteindre un niveau de crise.
À un niveau moins élevé, la plupart des personnes faisant de la communication de crise incluraient probablement des situations qui sont moins dangereuses pour la santé du public, mais sont dangereuses à un niveau significatif pour le bien-être de la population. Il s’agit alors des principales crises économiques, comme la crise des Savings and loan des années 80, l’éclatement de la bulle Internet en 1997-2000 ou le sauvetage de Wall Street en 2008. Il peut y avoir des points de désaccord sur les détails, mais en général les experts et non-experts considèreraient ces situations comme à danger fort/indignation forte. Donc considérons ces crises comme faisant partie de la catégorie des « crises chaudes ». Généralement, les crises chaudes sont des situations qui entrainent une réponse d’urgence de la part d’une équipe d’experts techniques du secteur de la santé, de la police, de la protection de l’environnement, des services de règlementation ou de gestion d’urgence.
Passons maintenant à une seconde catégorie de crise, qui cristallise les désaccords entre experts techniques et non-experts. Dans la terminologie de Sandman, ce serait une situation de « danger faible/indignation forte », dans laquelle les experts assurent qu’il n’y a pas ou peu de menaces pour la santé, la sécurité, la propriété ou la vie, mais les non-experts sont en colère ou ont peur.
Contrairement aux crises chaudes, cette catégorie de crise est beaucoup plus controversée et matière à scandale. Ce sont les « crises froides », qui sont beaucoup plus fréquentes que les crises chaudes. En effet, pour chaque crise chaude dont vous entendrez parler dans les médias – ou dans les cours d’histoire, d’ailleurs – vous trouverez quantité de crises froides au niveau local, régional, national ou mondial.Faire pénitence : comment guider votre organisation sur le chemin en 6 étapes vers le vrai pardon
Si votre organisation veut ou a besoin d’obtenir le pardon de la population outragée, elle doit passer par un processus de pénitence. Cela n’a rien d’agréable.
Mais les procès, les grèves, les boycotts des consommateurs, la pression de votre secteur ou toute autre conséquence d’une crise n’ont rien d’agréable non plus.
■ Étape 1. Confessez vos péchés. Expliquez ce qui s’est passé et pourquoi. Vos péchés peuvent être bien réels ou n’exister que dans la tête de la population indignée. Mais cela n’a, en soi, pas la moindre importance.
La population est en colère et peut vous causer du tort. Acceptez son indignation et admettez que vous aviez tort.
■ Étape 2. Laissez la population se purger de son indignation. Créez un lieu où la population puisse exprimer ses émotions directement auprès des dirigeants. Prenez des notes, mais évitez tout débat. Laissez passer l’orage.
■ Étape 3. Repentez-vous et excusez-vous. Des excuses se composent de trois parties : dites que vous êtes désolé, exprimez votre compassion envers les victimes, réelles ou perçues comme telles (en les désignant nommément si cela est approprié), et acceptez vos responsabilités. Si vos conseillers juridiques ne sont pas d’accord, pensez à utiliser cette tournure de phrase proposée par Peter Sandman :
« Nos avocats nous disent que ce n’est pas de notre faute. Mais nous avons l’impression que c’est de notre faute et nous allons agir comme si c’était le cas. »
■ Étape 4. Corrigez les choses. Sondez la population pour savoir ce qu’elle considère comme bien et juste. Soyez ouvert aux suggestions. Faites-en plus que ce qui vous est demandé.
■ Étape 5. Montrez les progrès effectués. Communiquez régulièrement avec la population. Mettez en place des procédures qui permettront d’empêcher de refaire les mêmes erreurs. Demandez des conseils. Il vaut mieux mettre en place les recommandations émises par la population que vos propres idées.
■ Étape 6. Faites preuve d’humilité. Donnez une dimension concrète à votre pénitence. Cela pourra prendre la forme d’une fontaine, un parc, une bourse scolaire annuelle ou un important projet concret. Ce que vous choisissez doit être spectaculaire, généreux et durable, et doit très clairement dire : « nous avons mal agi, mais nous ne recommencerons pas » rappelle Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom.