Quelle a été la meilleure campagne de relations publiques de 1997? La pire? L’occasion ratée à laquelle personne n’a pensé? Six spécialistes de la communication se prononcent.
Les meilleures campagnes
L’arrivée d’André Caillé à la présidence d’Hydro-Québec et l’implantation de l’usine Magnola de Noranda à Asbestos. «Hydro-Québec était l’institution québécoise qu’on aimait le mieux détester. Depuis l’arrivée d’André Caillé, l’opinion publique a effectué un virage à 180 degrés. C’est ce que j’appelle des relations publiques efficaces, à tel point qu’Hydro a acheté Gaz Métro et que personne n’a trouvé à redire. En d’autres circonstances, Hydro se serait fait crucifier sur la place publique… Le personnage d’André Caillé a été utilisé très efficacement, chapeau!»
Pour l’usine Magnola, «j’ai réalisé la puissance du travail de Noranda en voyant la population d’Asbestos descendre en flammes les écologistes de Greenpeace venus dénoncer ce projet. La conviction de ces gens-là était si forte qu’ils croyaient presque plus en la nécessité de l’usine que Noranda elle-même. Cette entreprise-là pourrait donner des leçons à plusieurs entreprises québécoises: elle gère ses relations publiques sans tambours, ni trompettes, mais plutôt avec sobriété et professionnalisme.»
La pire campagne
Les aéroports de Montréal (ADM). «La phase 1, celle qui consistait à faire accepter l’idée d’un transfert des vols vers Dorval, a été un succès, explique-t-il. ADM s’est montrée suffisamment convaincante pour que son scénario soit accepté. Mais la phase 2, soit l’implantation de la solution, a été un désastre. Ils ont commis gaffe par-dessus gaffe, si bien qu’en quelques jours, ils ont détruit tout le capital-sympathie qu’ils s’étaient bâti auprès de la population et des médias.»
Selon lui, ADM a beaucoup communiqué, mais mal. «Ils ont multiplié les rencontres pour dire à la population qu’elle avait tort de se plaindre. Un citoyen dénonçait le bruit? On lui répondait que les avions étaient bien moins bruyants qu’il y a 25 ans et que, de toute façon, on ajoutait à peine quelques vols par jour. À aucun moment, je n’ai senti d’empathie pour la population. Pire encore, ADM a fait sentir aux gens qu’elle savait mieux qu’eux où se situait leur intérêt.»
Daniel Larouche attribue l’échec de cette campagne à une «sur-préparation». «ADM a recueilli tellement de données pour avoir réponse à tout qu’elle ne pouvait concevoir un autre point de vue que le sien. Elle a oublié la base des relations publiques: au-delà de la raison, il y a l’émotion. C’est la faille qui a fait déraper sa campagne.»
L’occasion ratée
Vendre le Québec aux anglophones du monde entier. «C’est affreux les préjugés qu’on entretient à notre égard. Prenez notre police de la langue qui terrorise soit-disant les commerçants. Et que dire du mythe qui entoure le côté folklorique de nos luttes pour la langue et la culture. Vu de l’étranger, le Québec fait figure de grosse paroisse! Ce n’est pas ainsi qu’on va s’attirer des investissements et des cerveaux. Il serait temps qu’on fasse une campagne de relations publiques pour présenter la vraie vie au Québec. Il faudrait cibler les leaders d’opinions et les décideurs des communautés anglophones hors-Québec et leur prouver que le Québec n’est pas un peuple de fanatiques qui se tape dessus pour un oui ou pour un non.»
Les meilleures campagnes
L’ouverture des postes de police de quartier et Eaton; une mention spéciale à Lise Watier
«Dans le cas des postes de quartier, c’est la clarté de la communication qui nous a plu; on a très bien expliqué à la population le pourquoi de cette démarche et les gains que les citoyens en tireraient. Cette campagne a même permis de rendre la police sympathique, et cela, malgré ses bavures fortement médiatisées des dernières années. La force de cette campagne réside aussi dans le mariage harmonieux entre les relations publiques et la publicité. D’un côté, les porte-parole de la police ont bien communiqué avec la population et de l’autre, les panneaux publicitaires placés dans le métro et les autobus ont renforcé le message.»
«Quant à la campagne d’Eaton, nous l’avons choisie comme un excellent exemple de gestion de crise. Dès que ses problèmes financiers ont été étalés sur la place publique, ce détaillant a adopté une attitude transparente qui lui a valu le respect de la population et des médias. Ils ont très bien contrôlé les effets négatifs normalement associés à ce genre de nouvelle. De plus, ils ont rapidement mis sur pied une campagne de publicité belle et simple pour rappeler à la population qu’Eaton était toujours vivant. Plus encore, ils en ont profité pour rajeunir leur image et rejoindre une nouvelle clientèle. Tout ça de la part d’une entreprise en pleine crise financière, c’est fort!»
«Nous aimerions aussi attribuer une mention spéciale à Lise Watier parce que ses relations publiques représentent un modèle de constance. En 25 ans, son image n’a jamais souffert, ce dont peu d’entreprises québécoises peuvent se vanter. Prenez la transition qu’elle opère actuellement en faveur de ses filles: l’opération se déroule en douceur. Les consommatrices accueillent ces nouvelles ambassadrices à bras ouverts, comme elles l’ont fait pour la mère 25 ans plus tôt.»
La pire campagne
Le Bloc Québécois. «C’est à se demander si cette campagne-là avait été préparée! Pire encore, lorsque la situation s’est mise à déraper, ils avançaient toutes sortes d’excuses pour se justifier, ce qui ne faisait qu’enfoncer le clou. Parfois, il est préférable de mourir incompris que d’essayer de trop se justifier… Le Bloc a adopté une attitude défensive, une grave erreur en relations publiques. Il aurait été plus efficace d’alléger la situation plutôt que de se prendre au sérieux à ce point; les médias et la population se seraient peut-être montrés plus indulgents.»
L’occasion ratée
«Vivement que l’on fasse quelque chose pour redorer l’image des juges! En 1997, ils ont été nombreux à faire les manchettes – rarement pour le bon motif. On leur a reproché des paroles malheureuses, des sentences trop légères et des attitudes parfois cavalières. Rien de très flatteur pour la profession. Il serait temps qu’on mette sous les projecteurs des juges un peu plus sympathiques, histoire de regagner la confiance des Québécois.»
Les meilleures campagnes
La gestion de crise au restaurant Le Commensal et la monarchie au Saguenay. «Une bactérie a été découverte dans un des restaurants Le Commensal, causant des inconforts à quelques clients. Pareille situation aurait pu ternir à jamais l’image de cette chaîne, mais la direction a réagi rapidement en démontrant beaucoup de respect envers ses clients. Les dirigeants n’ont pas hésité à fermer carrément l’établissement pendant quelques jours, se privant des recettes pour tout désinfecter. Ils ont géré cette crise avec transparence, ce qui leur a permis de conserver la confiance de leur clientèle. C’est un excellent exemple d’intervention stratégique: on sentait tout au long de l’épisode que l’entreprise contrôlait la situation, et non l’inverse.»
« L’histoire de la monarchie au Saguenay mérite un prix pour son originalité. Quelle brillante campagne de promotion touristique! On en a parlé jusqu’en Europe. La force de cette campagne tient aussi dans l’équilibre entre le côté sérieux et le côté léger: juste assez sérieux pour qu’on en parle dans les médias et juste assez léger pour qu’on n’accuse pas les organisateurs de se prendre pour d’autres. Un autre point positif: c’est une campagne qui a des retombées à la fois internes et externes. Pour les gens du Saguenay, c’était un vent de fraîcheur après les inondations, une occasion de se réconcilier avec leur coin de pays. Pour le reste du monde, c’est une occasion de le découvrir.«
La pire campagne
Le Bloc Québécois, à cause du manque de planification. «Ils ont envoyé le pauvre Gilles Duceppe au front sans une préparation adéquate, avec les résultats qu’on connaît. Prenez l’épisode du bonnet, tu n’envoies pas ton porte-parole dans un endroit où il devra s’affubler d’un chapeau ridicule, c’est faire un cadeau aux médias! Cette campagne était ratée parce qu’elle manquait de fil conducteur, de direction. Une bonne campagne de relations publiques présente une orientation stratégique claire et évidente. De deux choses l’une: le Bloc n’en avait aucune ou bien il en avait tellement qu’il n’arrivait pas à choisir et il les essayait toutes en espérant trouver la bonne!»
La meilleure campagne
La venue de la top modèle Claudia Shiffer aux Galeries de la Capitale, à Québec. «En août 1997, les Ailes de la Mode, propriété du Groupe San Francisco, se sont installées à la Place Sainte-Foy. Les Galeries de la Capitale, un autre très gros centre commercial, ont répliqué en s’associant à la maison Simons, le concurrent des Ailes, pour faire venir la plus belle fille de la planète chez eux. Évidemment, son passage a fait l’objet d’un tapage incroyable, tous les médias ont photographié la belle, dans le décor des Galeries de la Capitale, bien sûr. De plus, on a eu la brillante idée de créer un concours où, pour se frotter à madame Shiffer, il fallait accumuler des dollars d’achats à ce centre commercial. Impact sur la notoriété et impact immédiat sur les ventes, ce fut une réussite sur toute la ligne.»
Les pires campagnes
Le virage ambulatoire et le Québec en manque de héros! «Le virage ambulatoire me laisse perplexe: je ne sais si je dois classer cette campagne dans la meilleure ou la pire! Il y a certainement eu un gros travail de communication, mais je ne suis pas convaincu qu’il ait donné les résultats souhaités. Tout dépend à qui vous parlez…»
«L’année 1997 a été celle des vedettes; il n’y en avait que pour les Céline Dion et les Jacques Villeneuve. Ce furent certes des campagnes fort efficaces, peut-être trop… C’est à se demander si le Québec manque de leaders politiques, économiques et financiers au point de devoir se créer des héros plus grands que nature. Lorsque tant d’efforts de relations publiques se concentrent sur un seul secteur d’activités, je pense qu’il y a lieu de s’inquiéter.»
L’occasion ratée
La promotion de l’économie sociale. «Ce secteur est carrément «sous-vendu». Si ce n’était de Nancy Neamtam, personne ne serait éveillé à l’importance de la contribution des organismes communautaires. Mais on ne peut compter sur elle pour faire tout le travail. Le problème, c’est que les médias ne s’intéressent pas au phénomène : créer trois ou quatre emplois à la fois, ce n’est pas sexy . On préfère parler des gros projets menés par des entreprises connues. Et si les médias ne s’y intéressent pas, ça devient très difficile à vendre. Qui voudrait faire une campagne de relations publiques pour un produit qui ne se vend pas quand il y en a tellement à faire pour des produits faciles à vendre…»
Les meilleures campagnes
Celle du Théâtre du Nouveau-Monde (TNM). «C’était une campagne professionnelle, originale et audacieuse. Ils ont utilisé comme slogan: «Venez voir vos vedettes préférées ailleurs qu’à la télé», mettant en évidence des têtes d’affiche comme Luc Picard, de la série Omertà . Certains ont dénoncé cette approche, la jugeant trop racoleuse; je trouve plutôt qu’il s’agit d’une façon intelligente de démocratiser le théâtre. D’ailleurs, ils ont réussi à augmenter de 40% leur nombre d’abonnés. Il était temps que quelqu’un pense à rapprocher de la population cette institution élitiste qu’est le théâtre; l’équipe du TNM a très bien réussi.»
La pire campagne
L’offre des nouveaux services de Vidéotron à la suite de la déréglementation. «Cette campagne a choisi la facilité en plus de manquer complètement d’originalité. Ils ont informé leurs abonnés que les nouveaux services seraient offerts automatiquement et gratuitement pour une période de trois mois, après quoi il faudrait communiquer avec Vidéotron pour se désabonner, sinon ils commenceraient à payer. C’est un truc vieux comme le monde où l’on mise sur la paresse du client pour qu’il conserve un service d’abord gratuit. Pour se désabonner, il fallait remplir une carte où le client fournissait des renseignements confidentiels; cette carte se glissait dans le courrier sans enveloppe, tout le monde pouvait donc lire l’information. Vidéotron a dû s’excuser publiquement de ce manque de respect de la vie privée, ce qui n’est pas très bon pour l’image de l’entreprise. Pire encore, ils auraient pu éviter tout cela puisque l’année précédente Rogers Communications avait utilisé la même campagne et avait obtenu le même impact négatif. Peut-être que les ventes de Vidétron ont augmenté, parce que ses abonnés ont trouvé trop compliqué de se désabonner – c’est mon cas – mais le câblo-distributeur a perdu des plumes au niveau de son image de respect du client.»
L’occasion ratée
La pénurie de manuels scolaires. «Voilà plusieurs fois que les médias font état d’une pénurie de manuels scolaires dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Certains élèves doivent partager le même manuel. Ce serait là une belle occasion pour une entreprise, ou plusieurs, de faire un bon geste tout en améliorant sa notoriété et son image de bon citoyen. J’ai moi-même pensé à le proposer à mon président…»
–
Économiste de formation, Daniel Larouche travaille en relations publiques depuis 1982 ; d’abord chez Hydro-Québec, puis à titre de consultant indépendant. De 1988 à 1993, il a été vice-président affaires publiques chez Unigesco avant de fonder le cabinet Bazin Larouche Sormany Vigneault, devenu Concordia Communications.
André Bouthillier a été journaliste pendant 15 ans, à Montréal-Matin , au Devoir et à Radio-Canada. Il a ensuite géré la direction des communications chez CGI, consultants en informatique, et Communications Marcy, avant de devenir associé au cabinet de relations publiques National. Il a créé Pyramide en juin 1995.
Pierre Desjardins a été relationniste pour la commission scolaire des Mille-Îles, directeur des relations publiques pour la Société de transport de Laval, puis consultant en relations publiques.
LUCIE PICHÉ, chef des communications chez Télévision Quatre-Saisons. Elle a débuté sa carrière comme journaliste d’affaires, puis est passée au monde des communications/relations publiques où elle oeuvre depuis 15 ans.
DANIEL ROUSSEL, vice-président, affaires publiques, Groupe-Vie Desjardins Laurentienne. Il travaille depuis 20 ans en relations publiques. De 1978 à 1983, il a été attaché au cabinet du maire de Québec, Jean Pelletier. Puis, il est passé à la Confédération des Caisses populaires Desjardins à titre d’attaché de presse du président, d’abord Raymond Blais, ensuite Claude Béland. Depuis trois ans, il est en poste au Groupe-Vie Desjardins Laurentienne.
ANDRÉ DUPRAS, vice-président, communications et affaires publiques chez Donohue. Diplômé en littérature, il a débuté sa carrière comme rédacteur de discours pour Louis Hébert, le président de la Banque Canadienne Nationale (devenue la Banque Nationale). Il a été ensuite directeur des communications pour l’Ordre des Comptables Agréés, relationniste en agence, et directeur des affaires publiques pour la Banque CIBC au Québec. Il a aussi enseigné les relations publiques à l’Université de Montréal pendant huit ans. Depuis juillet 1996, il est vice-président des communications et affaires publiques pour la papetière Donohue.