AccueilFAQSanex, la douche froide : comment Colgate‑Palmolive a géré la tempête autour d’une pub interdite au Royaume‑Uni

Sanex, la douche froide : comment Colgate‑Palmolive a géré la tempête autour d’une pub interdite au Royaume‑Uni

pub sanex

Un spot de gel douche, quelques secondes d’images et une décision sans appel : l’autorité britannique de régulation de la publicité a censuré une publicité Sanex, jugeant qu’elle renforçait un stéréotype raciste. La marque, propriété de Colgate‑Palmolive, s’est défendue en invoquant l’intention de « célébrer la diversité ». Au‑delà du fait divers, l’affaire raconte beaucoup des pièges qui guettent la communication publicitaire des grandes marques quand elles abordent l’inclusion. 

Le film publicitaire raciste de Sanex

Le film incriminé, diffusé à la télévision britannique à l’été 2025, épouse une mécanique familière de la pub beauté : l’« avant / après ». Au début, la voix‑off s’adresse à « celles et ceux qui se grattent jour et nuit », à « ceux dont la peau se dessèche même avec l’eau ». À l’image, deux femmes noires incarnent ces symptômes : marques rouges de grattage pour l’une, sécheresse craquelée pour l’autre. Puis bascule : plan lumineux sous la douche, peau lisse, bien‑être retrouvé. Cette fois, c’est une femme blanche qui occupe l’écran tandis que le produit Sanex « Skin Therapy » est présenté comme la solution.

Quelques plaintes ont suffi pour que l’Advertising Standards Authority (ASA) ouvre une enquête. À l’issue de cette instruction, les régulateurs estiment que le montage associe la peau noire à la douleur et la peau blanche à la propreté et au soulagement, renforçant ainsi un stéréotype offensant. Verdict : interdiction de diffuser la publicité. Peu importe l’intention affichée par la marque ; pour l’ASA, l’important est l’effet probable sur le public.

La défense de Colgate‑Palmolive pour la marque Sanex

Du côté de Colgate‑Palmolive, propriétaire de Sanex, la communication de crise est sobre. La filiale britannique dit « prendre note » de la décision et explique que l’objectif du film était de montrer une gamme pensée pour tous les types de peau, à travers des profils divers. L’argument central : la narration « avant/après » devait illustrer une efficacité produit, pas une comparaison entre groupes racialisés. Autre élément mis en avant : la pub avait été pré‑approuvée par Clearcast, l’organisme qui valide en amont les publicités télévisées au Royaume‑Uni. Mais cette validation préalable n’a rien d’un bouclier : Clearcast vérifie des critères techniques et de conformité formelle ; l’ASA, elle, tranche sur le fond, a posteriori.

Pourquoi ça coince

Pour beaucoup de spectateurs, l’histoire racontée par le spot est simple, mais son code visuel pèse lourd : « peau noire = problème » au début, « peau blanche = solution » ensuite. Ce n’est pas tant le casting qui pose question que la répartition des rôles : souffrance d’un côté, bien‑être de l’autre. En publicité comme ailleurs, la signification n’est pas qu’une affaire de texte ; elle se construit par le montage, la lumière, l’enchaînement des plans. Ici, les mots « hydratation », « soulagement », « efficacité » viennent coïncider avec l’apparition d’une peau blanche sous l’eau claire ; à l’inverse, « grattage » et « sécheresse » sont plaqués sur des corps noirs. Même sans intention malveillante, le message qui passe peut être hiérarchisant.

C’est un écueil connu en cosmétique et en hygiène. On se souvient d’une campagne de lessive où le slogan « White is purity » avait enflammé les réseaux, ou de visuels où une femme noire se voyait transformée en femme blanche après l’usage d’un savon : chaque fois, le même mécanisme, une promesse de « propreté » ou de « pureté » collée à la blancheur, et l’inverse pour les peaux foncées. La leçon qui se répète : un casting « divers » ne garantit pas, à lui seul, une représentation non stéréotypée. Tout dépend du rôle assigné à chacun dans le récit.

Le régulateur ne juge pas l’intention, il évalue l’effet

L’ASA fonctionne sur un principe simple : une publicité peut être sanctionnée si elle est susceptible de causer une offense sérieuse. Dans cette affaire, l’autorité a considéré que le montage renforçait un stéréotype nuisible. La mention des règles qui encadrent les contenus « susceptibles d’offenser » est explicite ; elle s’impose aux annonceurs comme aux agences. Ce rappel a un message clair pour le marché : l’inclusivité n’est pas un slogan, c’est une exigence de conception.

Le contexte Sanex et Colgate‑Palmolive

Sanex n’est pas un acteur marginal du rayon gel douche : la marque appartient depuis le début des années 2010 à Colgate‑Palmolive, géant mondial de l’hygiène‑beauté. Le territoire « Skin Therapy » où s’inscrit ce spot joue une musique bien rodée : formules présentées comme « cliniques », bénéfices d’hydratation, langage de santé accessible. Dans la séquence contestée, les symboles visuels – craquelures de sécheresse, eau qui coule – sont typiques de ce registre. C’est précisément ce qui trouble : la grammaire visuelle du soin, utilisée sans précaution, peut réveiller le sentiment de hiérarchies que l’on croyait reléguées.

La marque n’en est pas à sa première friction avec les régulateurs britanniques, même si les précédents portaient sur d’autres sujets : durée d’hydratation jugée exagérée, allégations autour des recommandations de dentistes, etc. Rien à voir avec les questions raciales, donc. Mais ces antécédents nourrissent une perception : l’annonceur est un acteur qui connaît les lignes rouges et qui devrait, en théorie, anticiper les zones de risque.

À l’échelle globale, Colgate‑Palmolive a déjà dû composer avec des débats sensibles sur des marques locales au nom et aux codes hérités de l’histoire. Cela ne préjuge pas de ses intentions, mais ça installe une vigilance accrue du public sur les questions de représentation. Quand une marque promet la « santé de la peau pour tous », la moindre discordance entre la promesse et l’exécution devient une faille réputationnelle.

La stratégie de réponse : gérer l’orage, sans vraiment ouvrir le parapluie

Après le verdict, Sanex respecte la décision et retire le film. La prise de parole publique reste minimaliste : on explique l’intention inclusive, on dit sa mission (« le soin pour tous »), on prend acte du ruling. Cette sobriété vise à ne pas alimenter la polémique. Elle a une limite : elle ne parle pas aux personnes qui se sont senties visées ou blessées. Or, dans ce type d’affaire, l’« audience‑clé » n’est pas l’ensemble des consommateurs, mais celles et ceux qui, dans leur chair, ont perçu une hiérarchie de valeur entre les couleurs de peaux.

Les théoriciens de la communication de crise comme Florian Silnicki recommandent, dans les crises dites « évitables », d’aller au‑delà de l’explication d’intention. Ce que le public attend alors, c’est une reconnaissance claire de l’impact (« nous comprenons que ces images ont pu blesser »), assortie d’actions correctives concrètes et vérifiables. Autrement dit : on ne se contente pas de retirer, on montre ce qui va changer pour éviter la répétition.

Ce que Sanex aurait pu dire… et faire

Imaginons la scène : un message court, humain, sans jargon. « Nous avons raté notre film. Il a pu donner l’impression que certaines peaux seraient “problème” et d’autres “solution”. Ce n’est pas ce que nous voulons dire. Nous sommes désolés. » Ensuite, un plan d’action simple, daté, compréhensible sans dictionnaire : audit de nos images « peau », création d’un comité indépendant capable de bloquer une campagne si un stéréotype affleure, pré‑tests systématiques auprès de panels où des personnes noires et métisses ont voix au chapitre, consigne interne claire : ne plus jamais raconter un « avant/après » en changeant de modèle quand l’« avant » et l’« après » renvoient à des groupes racialisés différents.

Tout cela n’empêche pas de parler du produit ; ça crédibilise, au contraire, le discours scientifique. Un gel douche peut revendiquer un bénéfice d’hydratation ou un complexe d’ingrédients ; mais ces promesses doivent être présentées sans être greffées sur une iconographie qui colle la propreté à la blancheur et la souffrance aux peaux foncées. Ce n’est pas de la censure ; c’est de l’édition responsable.

Pourquoi l’« avant/après » est un terrain miné

Dans l’univers beauté, l’« avant/après » est un ressort dramatique imparable : en quelques secondes, il montre l’effet du produit. Mais il y a des conditions. La plus élémentaire : garder le même modèle pour l’« avant » et l’« après ». Dès qu’on change de personne, le public cherche un « trait d’union » visuel. Si ce trait d’union est la couleur de peau, l’histoire bascule : ce n’est plus « une peau en difficulté qui va mieux », c’est « une peau noire en difficulté, une peau blanche qui va bien ». Ajoutez l’eau claire, l’éclairage qui blanchit, un raccord texte‑image qui parle de « propreté » au moment où la peau claire apparaît, et vous obtenez un message involontaire mais puissant.

On objectera que « tout dépend de l’œil qui regarde ». C’est vrai. D’où la nécessité de multiplier les regards en amont : panels de consommateurs qui ne se ressemblent pas, relecture sémiotique qui traque les associations implicites, « copie‑conseil » auprès d’un régulateur ou d’experts indépendants quand un doute subsiste. En clair : faire tester le film par celles et ceux qui pourraient y voir un problème, avant qu’il ne devienne le problème.

Leçons d’anciennes polémiques

Ce n’est pas la première fois qu’une marque se heurte à ces codes ; et ce ne sera pas la dernière si l’industrie n’en tire pas des règles simples. Dans un cas, un slogan attachant la « pureté » à la blancheur a suffi à déclencher un tollé. Dans un autre, la succession d’images suggérait qu’une femme noire devenait blanche après l’usage d’un savon. Chaque fois, la réaction attendue – et souvent la plus efficace – a combiné trois ingrédients : excuses claires, retrait rapide, changements de processus annoncés publiquement. C’est moins spectaculaire qu’un mea culpa théâtral, mais c’est ce qui restaure la confiance : on a compris, on rectifie, voici comment.

Au‑delà du cas Sanex, un test pour la publicité

L’affaire britannique envoie un signal à tout le secteur. D’abord, sur la méthode : la conformité procédurale – pré‑validation technique, mentions légales – ne suffit pas si le sens global de l’image pose problème. Ensuite, sur l’ambition : l’« inclusion » ne peut pas rester une promesse générique au bas des communiqués. Elle doit devenir une pratique, presque une hygiène : des garde‑fous dans la création, des voix diverses en amont, un droit de veto réellement activable, des pré‑tests qui ne se contentent pas de mesurer « j’aime / je n’aime pas », mais qui interrogent ce que l’image fait : qui elle élève, qui elle rabaisse, qui elle rend invisible.

Il y a aussi un enjeu de cohérence. Les grands groupes sont des portefeuilles de marques qui vivent sur plusieurs continents, avec des héritages très différents. Dans ce contexte, l’exemplarité sur un marché mature et très normé comme le Royaume‑Uni est plus qu’une question locale : c’est une vitrine. L’écart entre le discours global – « pour tous », « diversité » – et une exécution perçue comme stéréotypée n’est pas simplement une erreur ; c’est une dissonance qui coûte cher en crédit symbolique.

Et maintenant ?

Pour Sanex, l’épisode peut se résumer à une mise à l’arrêt d’un film. Mais il peut être plus que cela : un tournant. Les marques qui sortent grandies de ce type de crise sont celles qui transforment l’« incident » en apprentissage public. Concrètement, cela peut prendre la forme d’un court texte de contrition, d’un calendrier d’actions simples et mesurables, d’une petite « charte du regard » partagée avec les équipes et les agences : ne pas assigner des rôles « problème / solution » à des groupes différents ; ne pas coller la « propreté » à la blancheur ; vérifier le raccord des mots et des images ; faire valider par des personnes concernées. Rien de punitif ; tout de préventif.

Côté consommateurs, la confiance se reconstruit dans la durée. Ce que l’on guette, ce n’est pas un grand geste, mais des signaux consistants : des campagnes où toutes les carnations existent sans hiérarchie implicite ; des promesses produits expliquées sans dramatiser les peaux foncées ; des visuels où l’eau, la lumière, la texture n’écrivent pas une fable de pureté réservée aux peaux claires. C’est à ces détails – qui n’en sont pas – qu’on reconnaît les marques qui ont vraiment appris.

Répondre à l’impact, pas à l’intention

La publicité Sanex n’a sans doute pas été pensée pour humilier qui que ce soit. Mais elle a raconté, sans le vouloir, une histoire ancienne : celle d’une blancheur associée au propre et au bien, et de peaux noires associées au problème et à la douleur. Le régulateur l’a sanctionnée pour cela, rappelant qu’en publicité, l’intention ne suffit pas : c’est l’effet qui compte.

Colgate‑Palmolive a géré l’orage réglementaire avec efficacité : retrait du film, message contrôlé. Pour fermer le chapitre, il manque autre chose : un geste d’empathie explicite et des garanties sur le « comment » des prochaines créations. À l’heure où les marques promettent toutes d’« inclure », l’épreuve se joue moins dans les slogans que dans le regard porté sur les corps. L’inclusion, comme l’hygiène, est affaire de routine : on l’installe, on la vérifie, on l’améliore. C’est cette discipline, plus que les intentions proclamées, qui rend crédible une promesse comme « la santé de la peau pour tous ».