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L’affaire Belvédère fait école

Belvedere-vodka

Deux PME se disputent, via Internet, les droits de propriété intellectuelle d’une bouteille de vodka.

La première, Belvédère, spécialiste de la vodka et des alcools blancs est cotée au nouveau marché et compte 160 personnes. La seconde, Phillips Millennium, est américaine et familiale, et distribue le même breuvage outre-Atlantique. Une « affaire » somme toute assez commune dans les grandes entreprises. Sauf que ces entreprises ne font pas la une du JT, et qu’on ne croise pas ses dirigeants au Grand Vefour.

« Manquements graves, en terme de communication financière, de Belvédère envers ses actionnaires et la communauté financière » ; c’est en ces termes que le cabinet de relations publiques spécialisé dans la communication de crise et la gestion de crise, mandaté par Phillips Millenium, a justifié sa « cyberattaque« . Le site Internet, sur lequel se déroule la campagne, reproche à l’entreprise de présenter « ses rapports annuels et ses communiqués de presse de façon ambiguë, fausse ou trompeuse, pouvant ainsi altérer la perception des investisseurs », et l’accuse de ne pas se justifier sur les 25 procès en cours.

Certes, le non-dit du rapport financier de la PME, notamment sur ses provisions pour litiges, alors qu’elle est engagée dans bon nombre de procédures, est troublant. « Nous ne communiquions que les informations financières obligatoires, nous ne souhaitions pas nous étendre sur nos litiges avec Millennium », se défend Jacques Bergel, administrateur de Belvédère. Reste que l’agence de relations publiques s’est servie de cette confusion autour du dépôt de marque et des procès pour nourrir son site. Avec habileté.

Défaut de vigilance. D’après le directeur de la communication de Belvédère, Clément Parakian, « le titre a plongé, en trois mois, de 1.430 francs, en juin, à 320 francs en octobre ». L’erreur de ses dirigeants est sans doute de n’avoir pas riposté rapidement.

« Nous avons opté pour le silence, reconnaît le PDG Jacques Rouvroy. A l’époque, ce type d’attaque via Internet n’était pas aussi répandu. Je trouvais que le silence était la meilleure réponse à donner au marché. »

Lorsque l’entreprise, à son tour, se décide à alerter l’AMF, il est trop tard. L’action n’est jamais remontée. Entre-temps, Belvédère a été blanchi. Un an d’enquête, avec une saisie dans les bureaux de l’agence Edelman, a même abouti à la mise en examen du citoyen américain Edouard Jay Phillips qui se souviendra de son séjour dans les locaux de la brigade financière de Paris. A sa grande surprise et celle de ses avocats, le président de Phillips Millennium, société américaine d’importation de spiritueux implantée à Minneapolis (Minnesota), se retrouve placé en garde à vue. Néanmoins, englué dans cette crise qui a considérablement terni son image, endetté par des frais d’avocats énormes (25 millions de francs), boudé par les investisseurs, Belvédère peine à se remettre de cette affaire. Les multiples assauts de son adversaire révèlent aussi un défaut de vigilance concernant le dépôt de sa marque, trop d’attentisme dans la contre-attaque, un manque de transparence dans le reporting de l’entreprise.

Récemment encore, Belvédère a commis une erreur tactique face au marché : on pouvait croire la PME sortie d’affaires après un bon cru 1999, mais le résultat semestriel, non conforme à ses prévisions (l’entreprise a annoncé, au mois d’octobre, une perte nette de 4,5 millions d’euros), a pris à contre-pied la communauté financière qui s’attendait à un doublement du résultat net. « Le marché nous a reproché de ne pas avoir fait de profit warning dès juillet-août. C’est vrai, nous avons eu tort », reconnaît Jacques Rouvroy.

Tenir ses promesses ? Une erreur de communication qui a sans doute contribué au retrait précipité d’un investisseur potentiel. « Un jour, ils annoncent des chiffres avec le nombre de bouteilles vendues, le jour suivant c’est en nombre de caisses. Ils ne sont jamais clairs, se plaint un analyste. C’est un peu le défaut de cette entreprise : ils sont toujours trop optimistes. » « Comment voulez-vous faire confiance à un dirigeant qui ne tient pas ses promesses », ajoute un autre professionnel. « Nous avons été victimes de notre succès », souligne Jacques Rouvroy, qui se souvient des années fastes de la PME.

Reste à savoir si l’entreprise, très endettée, pourra refaire surface alors que l’affaire connaît un ultime rebondissement : LVMH vient d’annoncer un accord de distribution mondial de la vodka Belvédère avec l’importateur américain. « C’est une nouvelle opération de manipulation orchestrée par Phillips Millennium, dont l’une des conséquences est la chute du cours de Bourse de Belvédère SA », lit-on dans le dernier communiqué de presse de l’entreprise.