Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Gestion de crise de Swissair face au rapport Ernst & Young

Dès 1999, Swissair avait usé de stratagèmes et manipulations

Le rapport du cabinet Ernst & Young sur la débâcle de Swissair, contient des accusations graves contre ses anciens dirigeants. En résumé, leur incurie, leur inexpérience et leurs manipulations ont provoqué la chute de la compagnie aérienne.

Même l’immobilisation de ses avions, le 2 octobre 2001, n’était pas nécessaire à cause d’un manque de liquidités.

Au plus tard à la fin de l’été 2000, le conseil d’administration savait que le trou financier était déjà de 4,5 milliards de francs suisses, a indiqué Ancillo Canepa, de la société de conseil.

Si un « management de crise professionnel » avait été mis en place et si des « conséquences personnelles » avaient été appliquées, les chances d’un sauvetage auraient été bien meilleures, a-t-il affirmé lors de la présentation du rapport.

L’immobilisation de la flotte, donnant l’image d’une société prise à la gorge, apparaît également sous un jour différent. « Immédiatement avant l’annonce des demandes de sursis concordataires, des paiements de l’ordre de grandeur de 150 millions de FS, qui n’étaient pas indispensables pour la continuation des affaires, ont été ordonnés et exécutés fin septembre 2001 », notent les experts d’Ernst & Young.

Dans leur rapport de 530 pages, accompagné d’un document détaillé de 2800 pages, ils concluent que ces liquidités auraient pu être « utilisées efficacement pour le maintien du trafic aérien ».

A ce stade, l’action de la Confédération (Etat fédéral) n’apparaissait donc pas comme nécessaire. Or, « le conseil d’administration et le management ont fait confiance jusqu’au bout au soutien provenant de l’extérieur (Confédération, banques, conseillers) au lieu d’engager eux-mêmes à temps les mesures d’assainissement nécessaires et de se préparer à différents scénarios de crise », déplorent les experts.

Il s’ensuit toute une série de lacunes à charge des responsables de la compagnie, avant mais aussi durant l’ère de Mario Corti, notamment l’absence de mise en place d’un management de crise.

« Les personnes-clés étaient peu familières avec les conditions de base juridiques de la crise qui a surgi et ont omis de prendre les mesures nécessaires à temps. »

Le rapport tire en outre bilan accusateur de la stratégie du « chasseur » qui a conduit le groupe à racheter des canards boiteux du transport européen. Des erreurs fondamentales ont été commises lors de l’acquisition de ces compagnies françaises, allemandes et belges qui devaient encore être assainies alors que le risque financier était entièrement endossé par le groupe Swissair.

Dès 1999, les comptes du groupe ne « présentaient pas de façon correcte la situation économique et financière de SAirGroup. Dans les comptes annuels 2000, de nouveaux engagements de garantie de 1,1 milliard de FS n’ont pas été indiqués comme engagements éventuels », a constaté Ernst & Young.

Autrement dit la compagnie, qui avait utilisé des stratagèmes pour détourner la réglementation européenne sur les compagnies aériennes, a manipulé ses comptes pour ne pas se trahir.

En réaction à ce rapport, la Confédération a salué « le grand travail accompli » pour déterminer les conditions dans lesquelles la débâcle a eu lieu. Mais elle ne formule pas d’appréciation d’ordre juridique.

Le document fait à présent l’objet d’une analyse détaillée de la part de la Confédération. Quant à d’éventuelles procédures en responsabilité, la décision relève en premier lieu des organes de liquidation et des organes de faillite. Dès l’octroi d’un concordat ou l’ouverture éventuelle d’une faillite, ces organes prendront les décisions qui s’imposent, a précisé le ministère des Finances.

Errance stratégique et comptes brumeux ont tué Swissair

Les experts d’Ernst & Young, mandatés pour établir les responsabilités engagées dans la débâcle de la compagnie nationale, livrent un rapport d’une sévérité détonante: de la stratégie mise en oeuvre à la structure financière et comptable de la holding, tout était faux dans la gestion de l’ancien PDG et de ceux qui étaient supposés le contrôler.

Swissair s’est ruinée en acquérant à tour de bras, au prix fort, des compagnies étrangères boiteuses; elle a pris, en le dissimulant, le contrôle entier de plusieurs sociétés, s’exposant ainsi à tous les risques, tout en violant le droit européen; elle a caché le montant effectif de son endettement croissant en parquant hors bilan des engagements allant jusqu’à 5 milliards de francs. Le conseil d’administration a approuvé les rachats effectués sans jamais demander d’information approfondie; il a également signé en 1999 et en 2000 des rapports financiers non conformes aux régulations, rapports par ailleurs certifiés par les réviseurs. Le surendettement du groupe, manifeste à fin 1999, ne pouvait plus être ignoré à la fin de l’été 2000, moment auquel des décisions de «management de crise» auraient pu et dû être prises. Telles sont quelques-unes des conclusions saillantes du rapport d’investigation de 2800 pages remis aux créanciers, dont un petit résumé a été rendu public.

Un groupe de plus de 25 experts de la fiduciaire Ernst & Young a analysé le contenu de quelque 5200 classeurs, pour produire un rapport sur la base duquel pourront être établies les responsabilités des uns et des autres dans la débâcle de la compagnie aérienne. Ancillo Canepa, qui a dirigé la recherche, souligne qu’Ernst & Young avait exclusivement pour tâche d’établir les faits. Parmi ces faits, on relève la quasi absence de données relatives à Sabena, Ernst & Young n’ayant pas trouvé en Suisse de documents comptables relatifs à cette société.

C’est le «non» à l’Espace économique européen du 6 décembre 1992 qui marque le début de la fin. Privé de libre accès à l’Europe communautaire, Swissair opte alors pour une stratégie baptisée «Hunter» (chasseur). Il s’agit de conclure des alliances avec des compagnies européennes; d’optimiser l’utilisation des capacités dans les vols transcontinentaux et de devenir le partenaire d’une grande compagnie américaine sur le Vieux Continent. Les alliances en Europe devraient se concentrer principalement sur des marchés de croissance et se concrétiser par des prises de participation ne dépassant pas 30%. Le coût de cette stratégie est estimé à 300 millions de francs.

Mais dès le début, Swissair contrevient à ces principes. Ses acquisitions sont peu ou non conformes à la stratégie énoncée. Tout en parlant de participations minoritaires, Swissair recherche systématiquement le contrôle des sociétés acquises, malgré les régulations européennes.

Prenant ainsi sur lui tous les risques des sociétés boiteuses en sa possession, le groupe Swissair camoufle la réalité, notamment en s’abstenant de consolider ces entreprises dans ses comptes. Or, en émettant des options, en versant des prestations garanties et en finançant des mesures d’assainissement pour ces compagnies, le groupe suisse s’endette à hauteur de plusieurs milliards de francs. Cela ne l’empêche pas de lancer encore un nouveau programme qui lui coûtera de l’argent: la «dual strategy». Voulant se consacrer à d’autres activités que le transport aérien (catering, maintenance, etc.), il procède encore à des acquisitions coûteuses hors aviation.

Malgré la non-consolidation des sociétés sous contrôle, les comptes du groupe se dégradent. Sans parler de l’endettement au bilan qui gonfle démesurément, la part des engagements financiers n’apparaissant pas au bilan ne cesse d’augmenter. Le conseil d’administration pose finalement quelques questions à fin 1999, à un moment où la survie du groupe est déjà menacée. Un rapport de McKinsey, remis en été 2000, fait état du surendettement du groupe: des mesures urgentes de gestion de crise doivent être prises. Mais rien n’est fait; le rapport annuel 2000 ne reflète d’ailleurs pas la réalité. Et ainsi de suite, jusqu’à la triste fin d’octobre 2001.

Ainsi, le conseil d’administration a toléré le contournement du droit européen, tout comme les acquisitions mal ciblées avec les risques et les transactions financières hasardeuses qu’elles ont entraînées. Il a accepté tous les dépassements de budgets, pourtant massifs. Il n’a jamais demandé de plan d’investissement; ne s’est jamais procuré tous les éléments de connaissance financière; n’a jamais exercé un contrôle efficace du financement et des liquidités. Quand aux sociétés de révision, elles ont approuvé des rapports financiers non conformes, omis de signaler en 2000 que la survie était menacée et omis de rapporter le surendettement à la justice…