AccueilFAQ« Désolé… ou pas » : quand les « non-apologies » aggravent les crises au lieu de les calmer

« Désolé… ou pas » : quand les « non-apologies » aggravent les crises au lieu de les calmer

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À l’ère des réseaux sociaux, certaines excuses présentées par des dirigeants ou des personnalités publiques semblent empirer une crise au lieu de l’apaiser. On les appelle des « non-apologies » – ces fausses excuses où l’on dit “désolé” sans vraiment prendre de responsabilité détaille Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom. Au lieu de calmer le jeu, ce genre de mea culpa bancal peut enflammer encore plus l’opinion publique. Sur Twitter et Facebook, les internautes détectent vite les excuses insincères et les tournent en ridicule avec des hashtags comme #sorrynotsorry (littéralement “désolé pas désolé”). Pourquoi de telles excuses ratées provoquent-elles autant de colère et de scepticisme ? Et comment éviter que l’excuse ne devienne une seconde erreur de communication de crise ?

Pourquoi ces excuses échouent-elles ?

Lorsqu’une excuse est perçue comme insincère ou manipulatrice, elle peut faire plus de mal que de bien. Sur le plan psychologique, une excuse qui sonne faux laisse la victime ou le public avec un sentiment de trahison supplémentaire. Des études montrent que si l’excuse ne paraît pas sincère, elle peut aggraver le conflit au lieu de le résoudre​. En effet, une excuse inadéquate ou creuse est souvent ressentie comme une manière de minimiser le tort causé, voire de le nier. Elle manque des éléments clés d’une vraie repentance : reconnaissance du mal fait, acceptation de responsabilité, regret authentique. Sans ces ingrédients, l’offensé se sent dévoyé ou méprisé, ce qui attise sa colère.

Sur le plan sociologique, la société s’attend à ce que l’auteur d’une faute assume ses actes. Dans de nombreuses cultures, s’excuser est un rituel social important pour restaurer l’ordre moral. Quand un dirigeant ou une célébrité offre une demi-excuse, le public y voit une entorse aux normes d’honnêteté et de responsabilité. Par exemple, présenter ses regrets au conditionnel ou à la voix passive – du type « si quelqu’un a été offensé, nous en sommes désolés » ou « des erreurs ont été commises » – est généralement mal accueilli. Ce genre de formule évite de nommer le coupable et ne constitue pas une admission franche de torts. Comme le note ironiquement le Merriam-Webster, ces pseudo-apologies n’impliquent presque jamais une reconnaissance claire de la faute – “offertes au passif (« mistakes were made ») ou au conditionnel (« If I have offended anyone I am sorry »), sans aveu explicite du méfait”​. Le public comprend qu’on cherche à diluer la responsabilité, et cette impression déclenche du scepticisme.

En outre, ces fausses excuses échouent car elles peuvent adopter un ton accusateur envers les victimes ou le public. Dire « Je suis désolé que vous l’ayez pris ainsi » revient à blâmer ceux qui se sentent offensés d’avoir mal compris, plutôt que de s’excuser pour l’acte lui-même. Ce renversement accusatoire est l’un des traits classiques de la non-apology. Comme l’explique une experte en communication de crise de l’agence LaFrenchCom, incontournable en France, le fameux « I’m sorry if anyone was offended » est une tactique de faux repentir très répandue : elle sous-entend que ceux qui sont blessés sont simplement trop sensibles​. Plutôt que de calmer les gens, ce genre de phrase les frustre davantage, car leurs émotions sont invalidées.

Enfin, la minimisation du problème contribue à l’échec de ces excuses. Chercher à réduire l’importance de l’incident – en le qualifiant par exemple de « malentendu » ou de « propos sortis de leur contexte » – donne l’impression qu’on n’en mesure pas la gravité. Cela peut être perçu comme du déni ou de l’arrogance, ce qui attise la défiance. En somme, psychologiquement comme sociologiquement, une excuse non authentique viole les attentes de sincérité et de responsabilité, provoquant un effet boomerang : au lieu de gagner le pardon, l’auteur s’attire davantage de critiques.

Les pires cas récents de « non-apologies »

De nombreux exemples récents illustrent comment une mauvaise excuse peut aggraver une situation de crise. Que ce soit dans le monde des affaires, de la politique ou du divertissement, les “désolé pas désolé” font régulièrement les gros titres. Voici quelques cas emblématiques :

Elon Musk et les excuses qui dérapent

Le fantasque patron Elon Musk s’est retrouvé plusieurs fois au centre de polémiques amplifiées par ses excuses maladroites. Par exemple, en 2018, après avoir traité un sauveteur de la grotte thaïlandaise de « pedo guy » sur Twitter, Musk a présenté des excuses très tardives et mitigées. Il a fini par s’excuser du bout des lèvres, expliquant que ce terme était une insulte courante en Afrique du Sud, son pays natal. En justifiant ainsi son injure par un contexte culturel, Musk a donné l’impression de minimiser la gravité de ses propos. Cette pseudo-excuse, perçue comme peu sincère, n’a pas convaincu grand monde – et l’affaire a même abouti à un procès en diffamation. De même, plus récemment, Musk a dû s’excuser d’avoir relayé une théorie complotiste antisémite sur sa plateforme X. S’il a reconnu publiquement que ce post était « l’un des plus idiots jamais publiés », ses frasques régulières et ses demi-mesures l’ont rendu coutumier des controverses qui s’enveniment malgré (ou à cause de) ses tentatives d’excuses.

PDG en pleine tourmente : l’exemple United Airlines

Dans le monde de l’entreprise, l’un des cas d’école est la gestion calamiteuse de United Airlines en 2017. Après qu’un passager (David Dao) eut été violemment expulsé d’un avion surbooké, la compagnie et son PDG Oscar Munoz ont d’abord réagi par une non-apology désastreuse. Munoz a publié un communiqué parlant de « ré-accommoder les clients » pour décrire l’incident – une façon euphémistique de minimiser l’agression subie par le passager​. Pire, dans un courriel interne, il a félicité ses employés pour avoir suivi les procédures et qualifié le passager de « perturbateur et belliqueux », rejetant en creux la faute sur la victime​. Ces déclarations initiales, dénuées de réelle empathie, ont suscité une indignation générale. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, United a été violemment critiquée pour son manque de compassion et de remise en question​. Face au tollé, deux jours plus tard, le PDG a dû faire marche arrière et présenter de vraies excuses publiques en admettant que « personne ne devrait être traité de la sorte ». Mais le mal était fait : cette volte-face tardive a confirmé aux yeux du public que la première “excuse” n’en était pas une, ternissant durablement l’image de United.

Politiques et le classique « désolé si vous avez été offensés »

Les hommes et femmes politiques ne sont pas en reste quand il s’agit de rater des excuses publiques. Plusieurs scandales récents ont mis en lumière la tendance de certains élus à présenter des excuses conditionnelles qui ressemblent à des esquives. Par exemple, lorsqu’un responsable politique dérape avec des propos offensants, on entend souvent la formule : « Je m’excuse si mes propos ont pu choquer ». Ce « si » conditionnel fait bondir le public, car il suggère que l’offense n’est pas avérée et que le problème vient surtout de la sensibilité de l’audience. Ce type de faux mea culpa a été observé dans divers contextes, que ce soit des affaires de corruption, de scandales personnels ou de déclarations déplacées. Chaque fois, la réaction populaire est la même : critiques acerbes, parodies sur internet, et perte de confiance envers l’orateur. En politique, l’art de la fauxpologie (fausse apologie) est malheureusement répandu, mais il est de plus en plus risqué à l’heure où chaque mot est disséqué en temps réel par les citoyens en ligne.

Célébrités et excuses sous les projecteurs

Dans le milieu des célébrités et du showbiz, les excuses publiques ratées sont devenues un genre en soi – au point que les vidéos d’excuses de youtubeurs ou de stars sont analysées comme des performances. Un exemple marquant est celui de l’acteur Kevin Spacey : accusé d’agression sexuelle sur mineur, il publie en 2017 un message d’excuse qui fait scandale. Spacey y dit ne pas se souvenir des faits, s’excuse « s’ils se sont réellement produits », puis en profite pour révéler son homosexualité. Cette tentative de détourner l’attention a été violemment critiquée : le public et les associations ont reproché à Spacey de mêler coming-out et excuses, comme s’il cherchait à minimiser son acte en changeant de sujet. En effet, venir “se cacher derrière le drapeau arc-en-ciel” au lieu d’assumer pleinement sa faute a été perçu comme une manipulation, renforçant la colère au lieu de l’apaiser. D’autres stars, de Lance Armstrong à certains youtubeurs célèbres, ont également livré des apologies publiques qui ont raté leur objectif. Armstrong, par exemple, a avoué son dopage après des années de déni, mais son interview d’« excuses » a été jugée très tiède. Des analystes ont noté qu’il n’avait exprimé du remord qu’à une seule reprise concrète durant son mea culpa télévisé, s’excusant surtout d’avoir menti plutôt que d’avoir triché​. Ce manque de contrition apparente a laissé le public amer, beaucoup estimant qu’il s’agissait d’une demi-confession calculée plus que d’une vraie repentance. Ces cas montrent qu’une célébrité prise dans la tourmente peut voir sa tentative d’excuse publique devenir un fiasco médiatique supplémentaire lorsque celle-ci n’est pas perçue comme authentique.

Quand l’excuse devient une seconde erreur de communication de crise

Une mauvaise excuse peut non seulement échouer, mais aussi relancer le scandale de plus belle. C’est le paradoxe de la non-apology : censée éteindre l’incendie, elle jette en réalité de l’huile sur le feu. Plusieurs mécanismes expliquent comment une fausse excuse devient la seconde erreur d’une gestion de crise :

  • Nouvelle preuve contre l’orateur : Une excuse insincère fournit des munitions supplémentaires aux critiques. Elle devient un nouveau sujet d’indignation en soi. Par exemple, après l’affaire United Airlines, l’attention médiatique s’est déplacée de l’incident initial (le passager brutalisé) vers la réponse du PDG jugée choquante. Les manchettes et conversations tournaient autant autour de la mauvaise communication de United que de l’événement d’origine. En d’autres termes, la communication de crise maladroite est devenue une deuxième crise, venant s’additionner à la première.

  • Amplification par les réseaux sociaux : À l’ère numérique, le moindre faux pas de langage se propage instantanément. Une non-apology perçue comme arrogante ou vide de sens va être partagée massivement, accompagnée de commentaires indignés ou moqueurs. Les excuses creuses deviennent des mèmes, des vidéos parodiques, des hashtags viraux. Ce traitement viral amplifie la portée du scandale initial. Au lieu d’une simple audience des personnes concernées, on se retrouve avec des millions d’internautes qui dissèquent et se moquent de l’excuse ratée. L’effet de groupe accentue la colère collective et la défiance : chacun y va de son opinion cinglante, renforçant le narratif d’une organisation ou d’une personne décidément non fiable.

  • Atteinte durable à la confiance : Une fausse excuse peut endommager plus gravement la relation de confiance qu’aucune excuse du tout. Pourquoi ? Parce qu’elle ajoute un sentiment de duplicité. Le public se dit : « Non seulement il y a eu faute, mais en plus on me prend pour un idiot avec cette excuse bidon ». Cela crée un ressentiment profond. Les experts en communication et en psychologie du pardon soulignent que lorsqu’une personne dit “pardon” sans le penser, cela fragilise encore plus la relation. En milieu professionnel par exemple, ne pas admettre franchement une erreur peut briser la confiance des collaborateurs : « Si mon leader n’avoue pas ses torts, comment lui faire confiance à l’avenir ? », comme le résume une spécialiste du management​. En public, c’est pareil – une confiance déjà entamée par la crise est anéantie par l’excuse hypocrite, ce qui renforce le scepticisme général envers la parole du responsable.

En somme, la non-apology agit comme un catalyseur négatif : elle rallume la flamme du scandale et l’alimente avec de nouvelles raisons d’être en colère. L’affaire s’éternise, la réputation continue de se détériorer, et souvent la personne ou l’entreprise doit ensuite redoubler d’efforts pour corriger non pas un, mais deux problèmes : le tort initial et le mauvais handling de l’excuse. C’est pourquoi les spécialistes mettent en garde : en communication de crise, mal s’excuser est parfois pire que de ne pas s’excuser du tout.

Comment éviter ces erreurs de gestion de crise ?

Face à ces écueils, quelles stratégies adopter pour présenter des excuses sincères, crédibles et efficaces en situation de crise ? Voici quelques principes clés à suivre pour que le « pardon » demandé soit entendu et permette de calmer la tempête au lieu de l’aviver :

  • Assumer pleinement la responsabilité : Bannissez les tournures floues ou impersonnelles. Il faut dire clairement qui a commis la faute et quelle faute. Utilisez la première personne ou le nom de l’entreprise, par exemple : « Nous avons commis une erreur inacceptable en… ». Prendre complètement la responsabilité est la première étape pour restaurer la confiance​. Exit le « des erreurs ont été commises » : il faut que l’audience comprenne que vous reconnaissez sans ambiguïté votre part de tort.

  • Exprimer un véritable regret et de l’empathie : Une excuse efficace doit contenir des mots qui expriment sans détour le remords. Dire « Je suis sincèrement désolé(e) pour le tort causé » en précisant le tort en question. Montrez que vous comprenez la souffrance ou la déception de ceux qui ont été affectés : reconnaissez leur émotion comme légitime. Par exemple : « Je comprends que mes paroles aient pu vous blesser profondément, et j’en suis désolé ». Il est crucial que cette empathie ne soit pas suivie d’un “mais” qui viendrait l’annuler. Gardez le focus sur ce que ressentent les victimes, pas sur votre propre inconfort.

  • Éviter les excuses conditionnelles ou partielles : Supprimez de votre vocabulaire les « si » dans l’excuse. Ne dites pas « Je m’excuse si vous avez été offensés », dites « Je m’excuse d’avoir offensé ». De même, ne diluez pas l’excuse avec des justifications ou des excuses annexes. Toute phrase du type « Ce n’était pas mon intention, mais… » ou « J’étais stressé parce que… » risque de sonner comme une défense plutôt qu’un repentir. Gardez à l’esprit qu’une explication peut être perçue comme une excuse si elle prend le pas sur les regrets​. Vous pourrez éventuellement expliquer le contexte après avoir clairement dit pardon, pas avant, et uniquement si c’est indispensable à la compréhension.

  • Offrir de réparer les torts : Les paroles doivent idéalement être appuyées par des actes. Dans une communication de crise réussie, on accompagne l’excuse d’actions concrètes pour corriger le problème. Cela peut être une compensation aux victimes, une correction publique de l’erreur, ou des mesures pour qu’elle ne se reproduise plus. Par exemple : proposer un dédommagement, corriger une politique interne défaillante, lancer une enquête indépendante, etc. Montrer qu’on est prêt à « payer le prix » de sa faute témoigne de la sincérité de l’excuse​. En effet, une entreprise qui dit “pardon” tout en prenant des mesures coûteuses pour réparer prouve qu’elle place la relation avec le public au-dessus de ses intérêts immédiats – ce qui renforce sa crédibilité.

  • Promettre de tirer les leçons (et tenir promesse) : Une bonne excuse inclut généralement une assurance que l’erreur ne se reproduira pas. Il s’agit de détailler, au moins en partie, comment vous allez changer vos comportements ou procédures pour éviter un futur incident. Par exemple : « Nous avons appris de cette erreur et mettons en place X mesure afin qu’elle ne se répète plus ». Cette promesse n’a de valeur que si elle est suivie d’effets concrets dans la durée. Le public sera attentif à ce que vous teniez parole. Une promesse non tenue annulerait les bénéfices de votre excuse et entamerait encore plus la confiance.

  • Adopter le bon ton et le bon canal : Enfin, la manière de délivrer les excuses compte autant que le contenu. Le ton doit être humble, sans condescendance. Évitez le jargon juridique ou les formules trop corporate – même si les avocats veulent limiter les aveux, il faut trouver un équilibre pour sonner humain et non robotique. Parfois, un message vidéo où l’on voit l’émotion peut mieux fonctionner qu’un communiqué impersonnel, ou vice versa selon le contexte. Choisissez aussi le bon timing : une excuse tardive peut sembler forcée, mieux vaut s’exprimer rapidement après avoir collecté les faits. De plus, adapter le canal de diffusion à l’audience : un post sur les réseaux sociaux pour s’adresser au grand public touché, une lettre interne pour les employés, etc. L’important est que l’excuse soit visible et accessible à ceux qui attendent des explications.

En respectant ces principes, un dirigeant ou communicant en crise maximise ses chances de résorber la polémique au lieu de l’envenimer. L’excuse sincère et bien construite montre de la transparence, de la responsabilité et du respect pour le public – autant de qualités indispensables pour commencer à regagner la confiance perdue.

En conclusion, les « non-apologies » représentent un piège redoutable en communication de crise. À l’ère des réseaux sociaux omniprésents, toute excuse perçue comme fake, évasive ou arrogante sera immédiatement pointée du doigt et pourra aggraver la situation initiale. Nous avons vu que psychologiquement, ces fausses excuses déclenchent davantage de colère car elles frustrent les attentes de sincérité et de justice du public. Sociologiquement, elles brisent le contrat de confiance qui lie un leader ou une organisation à ses parties prenantes, en donnant l’impression qu’on cherche à sauver la face au lieu de faire amende honorable. Les exemples récents – d’Elon Musk à United Airlines en passant par des politiciens et célébrités – illustrent combien une mauvaise communication post-crise peut devenir un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire.

La leçon à retenir pour les professionnels de la communication et les dirigeants est limpide : rien ne vaut une communication de crise authentique, humble et réfléchie pour restaurer la confiance après une crise. Cela passe par des excuses réelles, où l’on admet ses torts sans détour, où l’on exprime un vrai regret et où l’on s’engage à réparer et à faire mieux. Ce n’est qu’au prix de cette authenticité – certes exigeante – que l’on pourra calmer la tempête médiatique et tourner la page d’une crise avec le public. En d’autres termes, face à une erreur, il vaut mieux un vrai « pardon » qu’un faux « désolé ». Le public sait faire la différence, et de cette différence dépend souvent l’issue de la crise.