- La stratégie de communication d'Emmanuel Macron face au COVID-19
- Un contexte explosif : la parole présidentielle attendue au tournant
- Un discours martial : l’appel au « nous sommes en guerre »
- La solennité et l’incarnation : posture du « chef de l’État protecteur »
- Les angles morts : masques, tests et manque d’anticipation
- La multiplication des allocutions : un rythme difficile à tenir
- Des tentatives d’empathie… perçues comme insuffisantes ?
- La guerre aux fake news : une bataille inachevée
- Bilan et enseignements pour la communication de crise
La stratégie de communication d’Emmanuel Macron face au COVID-19
Alors que la pandémie de Covid-19 battait son plein, Emmanuel Macron s’est retrouvé sur le devant de la scène pour endosser le rôle – parfois ingrat – du capitaine aux commandes du navire France en pleine tempête. Pendant des mois, ses prises de parole télévisées furent systématiquement décortiquées, commentées, et souvent critiquées. Président Fondateur de LaFrenchCom, agence de communication de crise, Florian Silnicki offre sur le plateau de TPMP animé par Cyril Hanouna une analyse du discours d’Emmanuel Macron qui met en lumière plusieurs éléments marquants de cette parole présidentielle officielle. Retour sur les points saillants d’une gestion de crise placée sous le feu des projecteurs, entre injonctions, solennité, tentatives de rassurer et volonté de montrer que l’État était aux commandes.
Un contexte explosif : la parole présidentielle attendue au tournant
En mars 2020, quand l’épidémie de Covid-19 commence à déferler sur la France, la panique gagne peu à peu l’opinion. Les hôpitaux se retrouvent menacés de saturation, la question du confinement fait débat, et la situation sanitaire se dégrade très vite. C’est dans ce climat anxiogène qu’Emmanuel Macron prend la parole pour la première fois en direct, à la télévision, pour annoncer les mesures de confinement strictes. Un moment de communication très attendu : la parole présidentielle devait trancher, décider et, surtout, rassurer. Problème : l’État est lui-même pris de court. Les masques manquent, la doctrine évolue au jour le jour, et les incertitudes scientifiques sont légion.
Dans son analyse, le patron de LaFrenchCom souligne combien la légitimité de la parole publique est sous tension. Le Président de la République est sommé de “faire face”, de montrer qu’il sait ce qu’il fait, tout en admettant qu’on ignore encore beaucoup de choses sur ce virus. Il ne faut pas oublier que la défiance envers les institutions était déjà palpable avant la pandémie : l’affaire des gilets jaunes, la réforme des retraites, la crise de la représentativité… Autrement dit, Emmanuel Macron n’intervient pas dans un vide, mais dans un paysage déjà fracturé. Sa communication politique était donc vouée à être scrutée et parfois démolie par les plus sceptiques.
Un discours martial : l’appel au « nous sommes en guerre »
L’un des passages-clés du discours présidentiel, qui a suscité un vif débat, est l’expression « nous sommes en guerre ». En martelant à plusieurs reprises cette formule, Emmanuel Macron entendait dramatiser la situation pour mieux souligner la nécessité de mesures d’exception (confinement, mobilisation du personnel soignant, etc.). Sur le plan de la rhétorique, cette référence au champ de bataille est puissante : elle unifie le pays face à un ennemi commun, le virus, et vise à générer un élan national. Il s’agit de convoquer un imaginaire de solidarité, de sacrifice, presque gaullien.
Pourtant, comme le note l’analyse de LaFrenchCom, cette métaphore guerrière peut aussi braquer ceux qui y voient un excès de dramatisation. Le champ lexical de la guerre n’est pas neutre : cela implique un commandement vertical, l’idée de vaincre un ennemi, de prendre des mesures autoritaires. Certains y voient un risque de dérive liberticide, et un ton trop martial qui écrase l’empathie envers les populations touchées ou confinées. Cette métaphore finit d’ailleurs par fatiguer l’opinion au fil du temps, car le virus ne se “vainc” pas comme on prend une position militaire : la pandémie s’est révélée bien plus complexe que la simple logique “ennemi – soldat – victoire”.
La solennité et l’incarnation : posture du « chef de l’État protecteur »
Florian Silnicki souligne à juste titre le protocole scénique de ces discours : Emmanuel Macron s’exprime souvent depuis le Palais de l’Élysée, vêtu d’un costume sombre, en plan fixe face caméra, drapeaux français et européen en arrière-plan. Une mise en scène classique de la Ve République, mais qui prend une dimension particulière en temps de crise. L’expert en communication de crise souligne que le Président se pose en incarnation de la Nation, garant de l’unité, et protecteur de la population.
Le choix d’un ton solennel, parfois entrecoupé de longues pauses, peut renforcer l’idée que chaque mot est pesé. En communication de crise, cette solennité a un double effet :
- Rassurer : “Le chef de l’État est là, il tient la barre, il agit pour nous.”
- Dramatiser : “La situation est grave, nous traversons un moment historique.”
Encore faut-il que le fond soit à la hauteur. Les annonces sur le confinement, les mesures économiques (chômage partiel, aides) et la coordination sanitaire doivent suivre cette solennité. Sans actes forts, la parole solennelle n’est qu’incantation.
Les angles morts : masques, tests et manque d’anticipation
Au-delà de l’aspect militaire et du ton protecteur, l’analyse communicationnelle ne peut occulter les angles morts du discours présidentiel, relevés par le spécialiste de la communication de crise. Au début de la pandémie, Emmanuel Macron n’a que peu abordé le problème de pénurie (masques, gels, respirateurs) ou encore la question des tests à grande échelle. Le choix d’axer le message sur la solidarité et l’adhésion du peuple français plutôt que sur les lacunes matérielles a pu nourrir un sentiment de dissimulation : face à la pénurie de masques, le discours officiel a d’abord insisté sur l’inutilité du masque pour le grand public.
Florian Silnicki rappelle qu’en communication de crise, le manque de transparence peut s’avérer dévastateur. Mieux vaut dire : “Nous faisons face à une pénurie, nous mettons tout en œuvre pour y remédier, et voilà nos délais”, plutôt que d’affirmer que “le masque est inutile”, ce qui s’est révélé faux. Le risque est de fragiliser la crédibilité de la parole publique sur le long terme. Effectivement, les critiques ont fusé dès que les masques sont devenus obligatoires quelques mois plus tard. Nombre de Français ont perçu un revirement de discours comme un mensonge initial masquant une impréparation à la gestion des enjeux sensibles.
La multiplication des allocutions : un rythme difficile à tenir
Durant la première année de la crise, Emmanuel Macron s’est exprimé à plusieurs reprises, quasi mensuellement, pour faire le point sur la situation et annoncer les nouvelles mesures (couvre-feu, reconfinement, etc.). Sur le plan de la communication de crise, le communicant insiste sur la difficulté de tenir un rythme aussi élevé d’allocutions solennelles.
L’effet “discours présidentiel” s’use à force de répétition. Pour être efficace, ce moment incarné par le chef de l’État doit être réservé aux annonces majeures, sous peine de devenir une routine ou un “grand show” auquel l’opinion prête de moins en moins attention. Certains y ont vu une forme de “présidentialisation extrême de la parole sanitaire”, reléguant au second plan les ministres de la Santé, les directeurs d’agences sanitaires ou les experts scientifiques. Cette hyper-présence du Président a pu conforter l’image d’une gestion très centralisée mais a aussi cristallisé les critiques : si tout repose sur lui, il doit alors assumer chaque cafouillage, chaque incohérence.
Des tentatives d’empathie… perçues comme insuffisantes ?
L’une des leçons essentielles de la communication en temps de crise, c’est l’empathie. Emmanuel Macron s’est efforcé de montrer son attachement à la solidarité, évoquant régulièrement la gratitude envers les soignants, faisant l’éloge du civisme des Français ou se rendant au chevet d’hôpitaux. Pour autant, laFrenchCom pointe un décalage persistant entre les paroles et la réalité vécue par les citoyens.
Le Président a beau répéter “nous sommes reconnaissants envers nos héros en blouse blanche”, des soignants ont ressenti un manque de moyens concrets. Les discours chaleureux ont buté sur la pénurie de lits, de personnel, de matériel. En communication de crise, cet écart entre le verbe et l’action crée du scepticisme : l’empathie doit s’accompagner de mesures tangibles pour être crédible. Par ailleurs, le public attend parfois des mots plus simples, moins solennels, moins jargonnants. Or, le style présidentiel reste assez formel, voire professoral, ce qui n’aide pas l’émotion à passer.
La guerre aux fake news : une bataille inachevée
Dès le début de la pandémie, Emmanuel Macron a dénoncé la désinformation et a appelé à “faire bloc” contre les fake news. Les complotistes, les sceptiques du virus, les partisans de traitements non prouvés ont occupé le terrain, notamment sur les réseaux sociaux. Pour contenir cette déferlante, la communication officielle s’est appuyée sur des “cellules de fact-checking” et sur Santé Publique France pour essayer d’apporter des chiffres fiables et pédagogiques. Mais, comme le relève Florian Silnicki, un manque de transparence initial (sur les masques ou les tests) a laissé la porte ouverte aux rumeurs les plus folles.
En outre, cette lutte contre la désinformation exige une communication proactive et continue. Or, le discours présidentiel, très événementiel (allocutions télévisées, conférences de presse ponctuelles), ne suffisait pas à répondre au flux constant des fake news sur internet. LaFrenchCom note que la notion de vérité officielle est de plus en plus contestée à l’ère des réseaux sociaux. Les gouvernants doivent donc mettre en place une communication multi-canal (pas seulement une fois par mois à 20h) et assumer un dialogue plus direct avec les citoyens. Cela aurait sans doute atténué le sentiment d’être infantilisés ou désinformés.
Bilan et enseignements pour la communication de crise
Au final, l’analyse du discours d’Emmanuel Macron sur LaFrenchCom met en évidence plusieurs enseignements :
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Équilibre entre dramatisation et apaisement : la formule « Nous sommes en guerre » a pu mobiliser au début, mais le style martial s’épuise vite. Il faut ensuite rassurer sans minimiser la gravité.
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Transparence sur les failles : s’il y a une pénurie, mieux vaut l’admettre que tenter de ruser. Le mensonge ou l’omission, en communication de crise, se paient tôt ou tard.
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Multiplication des prises de parole : trop de discours tue le discours. La parole présidentielle doit rester un temps fort pour des annonces claires, sinon elle perd en impact.
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Une empathie qui nécessite des actes : dire “merci” aux soignants sans améliorer leurs conditions de travail peut sonner creux, surtout à l’ère des réseaux sociaux. L’empathie doit se traduire par du concret.
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Gestion des fake news : la bataille de la crédibilité se joue aussi dans la rapidité de la réponse aux rumeurs. Le discours télévisé ne suffit pas, il faut investir les canaux numériques pour interagir et corriger en temps réel.
Ainsi, la crise du Covid-19 a été un test grandeur nature pour Emmanuel Macron, confronté à un défi sans précédent depuis des décennies. Malgré son rôle historique et certaines réussites (mise en place de dispositifs économiques, volonté de coordonner l’action européenne), la communication gouvernementale a souvent semblé tâtonner, oscillant entre discours martiaux et corrections tardives.
En filigrane, c’est bien la question de la confiance du public envers ses dirigeants qui est posée. Les discours, même empreints de solennité, ne peuvent pallier les erreurs de préparation ou les contradictions internes. Pour les futurs professionnels de la communication de crise, cette séquence présidentielle offre un cas d’école complet : comment un leader tente de tenir la barre sur la forme et le fond, et comment un décalage entre la parole et la réalité peut vite miner l’adhésion.
Au final, l’analyse communicationnelle confirme qu’en temps de crise, la sincérité, la réactivité et la cohérence priment sur la rhétorique pure. Emmanuel Macron l’a appris à ses dépens, naviguant entre la nécessité de marquer les esprits (“nous sommes en guerre”) et l’impératif d’être crédible quand l’orage ne se dissipe pas rapidement. Si l’on devait résumer en une formule : la parole présidentielle est un outil puissant, mais elle doit s’adosser à la transparence et aux actes, au risque de se briser sur le roc de l’opinion.