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Les Gilets Jaunes attendent une réponse politique

Si Emmanuel Macron, Edouard Philippe et son Gouvernement ont tant de mal à convaincre les #GiletsJaunes de rentrer chez eux, c’est d’abord parce qu’ils ont renoncé à apporter une réponse politique à cette mobilisation sociale selon Florian Silnicki, Président Fondateur de LaFrenchCom, agence de communication spécialisée dans la communication de crise, invité de BFMTV.

La communication du gouvernement face à la crise des Gilets Jaunes

La crise des Gilets Jaunes, déclenchée à l’automne 2018, a constitué l’un des plus grands défis politiques du quinquennat d’Emmanuel Macron. Parti d’une contestation contre la hausse des taxes sur les carburants, ce mouvement citoyen inédit – sans leader identifié et largement coordonné via les réseaux sociaux – a rassemblé jusqu’à 290 000 manifestants lors de son premier acte le 17 novembre 2018​. Rapidement, les revendications se sont élargies à la défense du pouvoir d’achat, la justice fiscale et la démocratie participative, tandis que le soutien de l’opinion atteignait 70 à 80 % dans les sondages. Face à cette fronde populaire d’ampleur, le gouvernement a dû adapter sa communication politique en urgence pour tenter d’apaiser la colère. Or, la gestion communicationnelle de cette crise a souvent été jugée maladroite et déconnectée, contribuant à attiser la méfiance.

Des premières réponses maladroites au ton technocratique

Dès les premières semaines de la mobilisation, la communication du gouvernement a été marquée par une série de maladresses et un registre technocratique peu en phase avec l’émotion du pays rappelle le conseiller en communication de crise, Florian Silnicki à la tête de l’agence LaFrenchCom. Plutôt que de témoigner immédiatement de la compassion et d’apporter des réponses concrètes, les dirigeants ont d’abord adopté une posture rigide centrée sur la justification de leur politique. Le 18 novembre 2018, au lendemain de la première manifestation, le Premier ministre Édouard Philippe reconnaît certes « la colère » et « la souffrance » exprimées​. Mais dans la même intervention télévisée, il affirme d’un ton professoral : « Ce n’est pas quand ça souffle qu’il faut changer de cap, le cap que nous avons fixé nous allons le tenir », réitérant le maintien de la taxe carbone​. En d’autres termes, malgré la contestation, le gouvernement annonce qu’il poursuivra sa trajectoire initiale. Ce discours inflexible – évoquant la nécessité de taxer la pollution et de “libérer [les Français] de la dépendance à la voiture”​– donne le sentiment d’une réponse technocratique, axée sur des principes macro-économiques et écologiques, plutôt que sur l’écoute des difficultés quotidiennes des citoyens. Cette approche a été perçue comme déconnectée des réalités, certains commentateurs n’hésitant pas à la comparer à l’attitude d’Alain Juppé en 1995 (« droit dans ses bottes ») lorsqu’il maintenait coûte que coûte son plan face aux grèves.

Parallèlement, Emmanuel Macron lui-même est resté silencieux les premiers jours, laissant son Premier ministre en première ligne. Ce décalage a été d’autant plus mal ressenti que le Président traînait déjà une image d’arrogance et de manque d’empathie dans l’opinion. Depuis le début du quinquennat, plusieurs de ses petites phrases technocratiques ou jugées méprisantes avaient choqué une partie des Français – au point de devenir sa “marque de fabrique” selon certains​. On se souvient par exemple du conseil donné quelques mois plus tôt à un jeune horticulteur au chômage de “traverser la rue” pour trouver du travail, une formule vécue comme condescendante et brutale​. De même, ses propos sur les “Gaulois réfractaires” au changement ou sur le “pognon de dingue” dépensé dans les aides sociales ont renforcé, à tort ou à raison, son image de « président des riches » distant des préoccupations du peuple​. Dès lors, au moment où éclatent les Gilets Jaunes, la confiance est fragilisée : chaque déclaration de l’exécutif est scrutée et le moindre manque de tact risque d’exacerber la colère. Or les premières réponses gouvernementales ont péché par pédagogie insuffisante et empathie minimale, comme l’a admis un député de la majorité lui-même​. Ce décalage de ton – trop froid, trop axé sur la rationalité technocratique – a constitué une erreur de communication de crise majeure.

En synthèse, au lieu d’employer d’emblée une rhétorique d’apaisement et de compréhension, le gouvernement a opposé aux manifestants un langage technocratique et des justifications politiques abstraites. Ces maladresses initiales ont entamé le crédit de la parole gouvernementale. Le rôle de la communication politique en temps de crise devrait être de rassurer et redonner confiance pour apaiser les esprits​, mais ici le déficit d’empathie a donné l’impression d’un pouvoir sourd à la détresse exprimée.

Macron et Philippe à contretemps : analyse de discours et erreurs stratégiques

Au fil des semaines, Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont multiplié les prises de parole pour tenter de reprendre la main, avec des fortunes diverses. Le décalage temporel et tonal de ces discours par rapport à l’évolution de la crise constitue un axe de critique central.

Un premier tournant a lieu le 27 novembre 2018 : devant la montée en puissance du mouvement, le président Macron sort de son silence relatif pour détailler sa stratégie de « transition écologique » lors d’un discours à l’Élysée. S’il concède qu’il faut « entendre les protestations d’alarme sociale » liées aux Gilets Jaunes, il ajoute aussitôt qu’il ne renoncera pas à ses « responsabilités » face à « l’alarme environnementale »​. Il annonce quelques inflexions techniques (indexation de la taxe carburant sur les prix du pétrole pour en limiter l’impact, primes à la conversion automobile, etc.), et assure « refuser que la transition écologique accentue les inégalités entre territoires »​. Cependant, ce discours très cadré, mêlant appels au calme et défense de sa politique, apparaît insuffisant pour éteindre l’incendie. Sur la forme, Emmanuel Macron y adopte un ton professoral, décrivant une vision à long terme (“fin du monde” et “fin du mois”) quand les manifestants réclament des mesures immédiates. Sur le fond, il ne cède rien de significatif ce jour-là, ce qui est perçu comme une fin de non-recevoir. En somme, ce message à contretemps – trop intellectuel et trop tardif – ne parvient pas à convaincre que l’exécutif a “compris le message” de la rue.

La véritable adresse aux Gilets Jaunes n’interviendra que deux semaines plus tard, au soir du 10 décembre 2018, après quatre week-ends de manifestations souvent émaillées de violences. Emmanuel Macron prend enfin la parole dans une allocution télévisée solennelle très attendue (suivie par plus de 23 millions de téléspectateurs, un record historique)​. Conscient du reproche d’indifférence qui lui est fait, il adopte cette fois un ton plus humble et concède des erreurs. « Je sais qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos », admet-il, en forme d’excuse envers les Français heurtés par ses petites phrases​. Il décrète ensuite un « état d’urgence économique et social » et annonce une série de concessions concrètes : augmentation de 100 € par mois pour les travailleurs au SMIC, défiscalisation des heures supplémentaires, annulation de la hausse de CSG pour les retraites modestes, prime exceptionnelle défiscalisée pour les employeurs volontaires, etc.​. En parallèle, il exclut toute restauration de l’impôt sur la fortune (ISF) mais propose un « grand débat national » à venir pour que « chacun puisse faire entendre sa voix ». Sur le moment, ce discours mélangeant contrition relative et mesures socio-économiques fortes a semblé capable de calmer la colère. Un sondage OpinionWay indiquera même que 49 % des Français se déclarent satisfaits des annonces présidentielles​. Toutefois, si ces annonces ont ralenti la mobilisation, elles ne l’ont pas fait disparaître. Stratégiquement, l’intervention a manqué sa cible : “rallier les soutiens modérés du mouvement tout en discréditant les plus radicaux” était l’objectif, note un analyste, « mais visiblement, le ver est déjà dans le fruit »​. En effet, une partie des Gilets Jaunes a accueilli avec suspicion ces concessions tardives, y voyant une manœuvre contrainte arrachée par la violence plutôt qu’un véritable élan de compréhension. La confiance étant entamée, le bénéfice politique du discours fut limité et la colère ne s’est pas éteinte pour autant​.

Du côté du Premier ministre, la communication de crise a également souffert de couacs et contradictions. Édouard Philippe, cherchant d’abord à tenir une ligne dure, finira par infléchir le ton début décembre, mais d’une manière peu lisible. Le 4 décembre, il annonce un moratoire de six mois sur la taxe carburant honnie, espérant un apaisement. Le lendemain, 5 décembre à l’Assemblée nationale, il va plus loin en laissant entendre que la hausse de la taxe pourrait être purement et simplement abandonnée si aucune solution satisfaisante n’était trouvée : « Si nous ne trouvons pas les bonnes solutions, alors nous n’appliquerons pas cette taxe », déclare-t-il devant les députés​. Mais ces propos semblent improvisés et sont immédiatement flous quant à la portée de l’abandon. Quelques heures plus tard, l’Élysée le contredit en présentant « une autre version », celle d’une annulation limitée au budget 2019 uniquement​. En clair, la présidence Macron corrige son Premier ministre et garde ouverte la possibilité de réintroduire la taxe plus tard, ce que M. Philippe confirmera sur TF1 le lendemain tout en niant toute « cacophonie » gouvernementale​. L’effet désastreux de cet épisode est double : il donne l’impression d’une improvisation totale au sommet de l’État et il jette le trouble sur la sincérité des annonces (suspension temporaire ou abandon réel ?). Cette communication brouillonne a été largement relevée, y compris par les Gilets Jaunes eux-mêmes, comme une marque d’amateurisme et de manque de cap clair.

Autre erreur stratégique de communication pendant la crise : les messages contradictoires sur des sujets symboliques comme l’ISF. Fin décembre, quelques ministres ont évoqué – sous la pression – la possibilité de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, avant d’être aussitôt démentis par Emmanuel Macron et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire​. Une telle cacophonie interne sur un point aussi sensible n’a fait qu’alimenter la méfiance. L’ISF était un totem du mouvement, cristallisant l’injustice fiscale ressentie par les manifestants ; voir le gouvernement hésiter puis refuser catégoriquement d’y toucher a renforcé l’image d’un pouvoir arc-bouté sur la défense des plus riches. « Une telle cacophonie […] ne pouvait qu’envenimer les tensions sociales », analyse à ce propos un expert en communication​. En somme, le manque de coordination et de clarté dans la parole gouvernementale – entre l’Élysée, Matignon et les différents ministères – a constitué une série d’erreurs stratégiques qui ont affaibli la crédibilité de l’exécutif en pleine tourmente.

Une crise amplifiée par l’absence de réponse politique adaptée

Au-delà des maladresses de langage et des erreurs de calendrier dans les discours, c’est l’absence de réponse politique immédiatement perceptible qui a contribué à amplifier la crise des Gilets Jaunes. Autrement dit, le contenu même des annonces initiales du gouvernement est apparu trop limité ou trop tardif, nourrissant la colère plutôt que de l’apaiser. Durant les premières semaines, l’exécutif a surtout campé sur une position de principe – maintien du cap des réformes, refus de “céder” à la rue – sans proposer de mesure forte susceptible de répondre au ras-le-bol fiscal et social exprimé sur les ronds-points. Ce décalage a laissé le mouvement s’enraciner et se durcir.

En refusant dans un premier temps d’abandonner la hausse des taxes sur le carburant, déclencheur originel de la crise, le gouvernement a envoyé le signal qu’il restait sourd aux revendications les plus pressantes. Il a fallu attendre que la situation dégénère (émeutes à Paris les 1er et 8 décembre, images choquantes de l’Arc de Triomphe vandalisé) pour que l’exécutif concède enfin des inflexions politiques majeures. Entre-temps, chaque samedi de mobilisation voyait grossir la défiance populaire envers les autorités. Le sentiment d’être ignorés ou méprisés par les élites a constitué le carburant du mouvement. Ainsi, l’absence d’empathie initiale et la lenteur de la réaction politique ont été perçues comme un déni de démocratie par de nombreux Gilets Jaunes, convaincus de ne pouvoir se faire entendre que par le rapport de force.

Par ailleurs, la stratégie du gouvernement a oscillé entre des messages d’ouverture au dialogue et des signaux de fermeté répressive, brouillant sa ligne. D’un côté, Emmanuel Macron a fini par proposer le Grand débat national, geste d’écoute inédit mais intervenant seulement en janvier 2019, soit près de deux mois après le début de la crise. De l’autre, le ministère de l’Intérieur durcissait le maintien de l’ordre et plusieurs responsables tenaient des propos fermes vis-à-vis des manifestants. Cette dualité a entamé la confiance dans la volonté réelle de dialogue. Par exemple, début janvier, le porte-parole Benjamin Griveaux a déclaré que le mouvement, « pour ceux qui restent encore mobilisés, est devenu le fait d’agitateurs qui veulent l’insurrection […] et renverser le gouvernement », estimant que les manifestants persistants ne cherchaient plus qu’à contester la légitimité du pouvoir​. Ce type de déclaration stigmatise les protestataires les plus déterminés comme des factieux extrémistes, ce qui a indigné la base du mouvement et une partie de l’opinion. De même, l’exécutif a beaucoup communiqué sur les violences et les casseurs – ce qui est légitime pour condamner les dérives – mais à force, cela a donné l’impression qu’il assimilait l’ensemble des Gilets Jaunes à un problème d’ordre public, plutôt qu’à des citoyens porteurs de revendications légitimes. Cette tactique de délégitimation a pu radicaliser certains manifestants et renforcer leur méfiance à l’égard de la parole gouvernementale.

En fin de compte, l’enchaînement de ces choix communicationnels mal calibrés a contribué à saper la confiance entre le peuple et ses dirigeants au plus fort de la crise. Chaque erreur de communication – une phrase maladroite, une annonce trop floue, un retard à l’allumage – a été amplifiée par les réseaux sociaux et l’emballement médiatique, alimentant un ressentiment diffus. Le mouvement des Gilets Jaunes s’est en partie nourri de cette défiance : défiance envers les politiques accusés de duplicité ou d’inaction, défiance envers les canaux de communication traditionnels jugés mensongers. On peut estimer que si le gouvernement avait apporté plus tôt une réponse politique forte (par exemple un moratoire immédiat sur la taxe dès novembre, ou l’ouverture rapide d’États généraux du pouvoir d’achat), la mobilisation aurait peut-être connu une tout autre trajectoire. Au contraire, l’impression d’un pouvoir contraint et forcé de lâcher du lest sous la pression de la rue a durablement abîmé la relation entre Emmanuel Macron et une partie des Français. En décembre 2018, sa cote de confiance est tombée sous la barre des 25 %, au plus bas depuis le début du mandat – symptôme d’une opinion ébranlée en profondeur par cette crise politique et sociale.

Comparaisons avec d’autres crises sociales et leur gestion communicationnelle

La crise des Gilets Jaunes, par son intensité et son mode d’organisation horizontal, est souvent qualifiée d’inédite sous la Vème République. Néanmoins, l’histoire récente offre quelques points de comparaison instructifs quant à la gestion de crises sociales d’ampleur et la communication des gouvernements face à celles-ci. Confronter ces épisodes permet de mieux cerner ce qui a fait défaut en 2018-2019.

Un parallèle souvent évoqué est celui du grand mouvement de grèves de décembre 1995 contre le plan Juppé. À l’époque, le Premier ministre Alain Juppé, sûr de son bon droit, avait adopté un ton inflexible face aux grévistes, martelant qu’il resterait « droit dans [ses] bottes ». Cette formule est restée célèbre comme le symbole d’une communication sourde et autoritaire, qui a braqué davantage encore les manifestants. Finalement, Juppé dut reculer partiellement (abandon de la réforme des régimes spéciaux de retraites) pour calmer le pays, mais son image en sortit durablement ternie. De la même manière, Édouard Philippe et Emmanuel Macron ont initialement voulu “tenir bon” sur la fiscalité écologique malgré la contestation, au risque de paraître hautains et inflexibles – un écueil similaire à 1995. À l’inverse, des crises sociales ont été désamorcées grâce à une communication plus habile et à des gestes rapides d’ouverture. On peut citer par exemple la mobilisation étudiante de 2006 contre le CPE (Contrat Première Embauche) : devant l’ampleur des protestations, le gouvernement de Dominique de Villepin avait fini par annoncer le retrait du projet de loi, via une allocution de Jacques Chirac proposant une « nouvelle loi », ce qui avait permis de faire retomber la pression. La leçon de 2006 est qu’une concession rapide et clairement communiquée peut stopper net une contestation grandissante. Or, en 2018, il a manqué cette rapidité et cette clarté dans la réponse initiale du pouvoir.

On peut également comparer la crise des Gilets Jaunes à des mouvements sociaux plus récents, comme les grèves perlées de 2018 contre la réforme de la SNCF ou les manifestations de 2016 contre la loi Travail. Ces conflits, bien que massifs, étaient conduits par des organisations syndicales et suivaient des formes de contestation classiques. La communication gouvernementale s’y appuyait sur le dialogue avec les corps intermédiaires (négociations avec les syndicats, ajustements techniques, etc.), tout en expliquant les réformes de façon détaillée au public. Dans le cas des Gilets Jaunes, l’absence de médiateurs identifiés a désarçonné le gouvernement, qui n’a pas su adapter sa stratégie de communication à ce mouvement atypique. Au lieu de tenter de structurer le dialogue (par exemple en identifiant des porte-parole locaux, en organisant très tôt des réunions publiques dans les territoires), l’exécutif a d’abord appliqué les recettes classiques (déclarations depuis Paris, appels au calme via les médias nationaux) qui ont eu peu de prise sur un mouvement diffus. Ce n’est qu’avec le Grand débat national – une sorte de tournée des mairies de France par le Président lui-même – que la communication s’est faite plus directe et de terrain, un peu à la manière d’un “retour aux sources” pour restaurer le lien. Ce dispositif inédit a d’ailleurs été salué comme une initiative positive, rapprochant temporairement le chef de l’État de certains citoyens ordinaires, à l’opposé de l’image jupitérienne initiale. On peut voir là un correctif tardif mais utile, inspiré par la nécessité de sortir de la crise : Emmanuel Macron a, en quelque sorte, appris “sur le tas” l’importance d’une communication de proximité et d’écoute active.

Enfin, dans la gestion d’une crise sociale, le dosage entre communication et action est crucial. Communiquer ne suffit pas s’il n’y a pas d’actes, et inversement une bonne décision mal communiquée peut ne produire aucun effet d’apaisement. Sur ce plan, la crise des Gilets Jaunes rappelle que l’annonce de mesures pourtant substantielles (10 milliards d’euros de mesures pour le pouvoir d’achat en décembre 2018) n’a pas convaincu en raison d’un déficit de confiance préalable. À l’opposé, lors de crises précédentes, certains responsables ont su trouver des mots justes pour renouer le dialogue. Par exemple, en mai 1968, le discours du Premier ministre Georges Pompidou annonçant les accords de Grenelle (hausses de salaires, etc.) avait temporairement ramené le calme en reconnaissant la légitimité de certaines revendications ouvrières. De même, après les émeutes urbaines de 2005, le président Jacques Chirac avait finalement prononcé une allocution télévisée appelant au respect et à l’égalité des chances, qui sans résoudre le problème de fond, avait eu le mérite d’exprimer une empathie présidentielle attendue. Ces précédents montrent que la communication de crise doit mêler la fermeté sur les principes (condamner les violences, rappeler l’ordre républicain) et la compréhension des causes (admettre les problèmes soulevés, proposer un cap pour y répondre). Durant la crise des Gilets Jaunes, cet équilibre a tardé à être trouvé.

Leçons à tirer pour la communication politique en temps de crise

La gestion de la crise des Gilets Jaunes par le gouvernement Macron-Philippe offre un cas d’école riche en enseignements sur ce qu’il convient de faire – ou d’éviter – en matière de communication politique en temps de crise. Première leçon évidente : l’importance de l’empathie immédiate. Face à une explosion de colère populaire, la réponse communicationnelle doit avant tout reconnaître la souffrance exprimée et légitimer les préoccupations, sans les minimiser d’emblée par un discours technocratique. Un ton juste, humble et à l’écoute dès les premiers jours peut éviter de crisper inutilement le dialogue. Deuxième leçon : la réactivité. Dans une époque où l’information circule en continu et où les réseaux sociaux amplifient les mouvements en quelques heures, un gouvernement ne peut se permettre d’attendre des semaines avant de s’adresser à la nation. L’allocution tardive d’Emmanuel Macron le 10 décembre, après plusieurs actes déjà très violents, illustre qu’un délai trop long peut réduire l’impact positif d’annonces pourtant significatives​. Troisième leçon : la cohérence et l’unité du message. Les cafouillages constatés (sur la taxe carburant, sur l’ISF) ont brouillé la lisibilité de l’action publique. En temps de crise, chaque contradiction interne – entre ministres, entre le Président et son Premier ministre – se paye cash en termes de crédibilité. Il est donc crucial de coordonner en amont la parole officielle et d’anticiper les effets d’annonce pour parler d’une seule voix.

Quatrième enseignement : savoir adapter les canaux de communication à la nature du mouvement. Avec les Gilets Jaunes, largement auto-organisés sur Facebook et hors des cadres partisans habituels, la communication gouvernementale traditionnelle (conférences de presse parisiennes, interventions télévisées classiques) a montré ses limites. Le pouvoir a dû innover en lançant le Grand débat, sorte de dialogue direct et local, qui s’est avéré utile pour renouer le contact avec une partie de l’opinion. À l’avenir, intégrer plus tôt des dispositifs participatifs ou des échanges sur le terrain pourrait désamorcer des crises naissantes. Enfin, cinquième leçon : ne jamais sous-estimer la dimension symbolique et émotionnelle d’une crise sociale. La politique ne se réduit pas à des chiffres ou des lois, elle se joue aussi sur le registre de la confiance et du ressenti. Emmanuel Macron l’a appris à ses dépens : des réformes perçues comme injustes ou des paroles maladroites peuvent cristalliser un rejet au-delà du rationnel. En temps de crise, le gouvernement doit donc faire preuve d’une humilité sincère et éventuellement savoir dire “nous nous sommes trompés” pour restaurer un lien de confiance.

En conclusion, la communication du gouvernement face aux Gilets Jaunes a souffert d’un défaut initial d’écoute et de tact, puis d’une course poursuite pour rattraper l’opinion. Si des erreurs notables ont été commises – trop de lenteur, de la confusion et une empathie tardive – cette séquence a aussi poussé l’exécutif à innover et à tirer des enseignements. Comme l’a souligné un spécialiste, nombre de tensions sociales récentes ont été exacerbées par une communication politique de crise approximative​. À l’inverse, une communication maîtrisée, honnête et réactive peut contribuer à réduire la fracture entre gouvernants et gouvernés. C’est sans doute la principale leçon qu’on peut retenir de la crise des Gilets Jaunes : plus que jamais, dans la France du XXIᵉ siècle, savoir parler au peuple en temps de crise est indispensable pour préserver la confiance démocratique. Les dirigeants actuels et futurs auront à cœur de méditer cet épisode pour améliorer leurs pratiques communicationnelles lorsque surgiront inévitablement de nouvelles colères sociales.