Une communication de crise destinée à influencer la Commission européenne
La Commission européenne a voulu insérer les services financiers dans la directive sur la vente à distance. Le Groupement européen des caisses d’épargne, les banques et les assureurs y étaient opposés. Ils ont obtenu gain de cause. Radiographie d’une communication de crise d’influence.
Une équipe de trente-cinq personnes, une adresse discrète face au parc du Cinquantenaire, un lobbying appuyé : la présence massive du Groupement européen des caisses d’épargne (GECE) aux abords de la Commission européenne n’est pas fortuite. Il s’agit d’abord d’exercer plus d’influence sur les instances européennes à travers une communication de crise spécifique.
Peu de fonctionnaires européens savent en effet que le marché des PME est l’un des principaux débouchés de l’activité des caisses d’épargne de l’Europe. Cela explique que le GECE en fasse une des priorités de son lobbying.
« Notre activité principale consiste à suivre l’évolution des législations et des politiques de l’Union ayant trait aux banques, au financement des PME et à l’épargne des particuliers, explique Gaël du Bouêtiez, le directeur de la communication. Ce suivi implique une présence constante aux comités et aux consultations de la Direction concernée, la DG 15, pour faire passer des messages. »
Monica Pieroth, l’une des juristes du GECE, est une habituée des couloirs européens : « Il faut aussi entretenir des contacts réguliers. C’est facile à la DG 15 qui connaît bien le monde de la banque. Ça l’est moins à la Direction de la politique des entreprises, la DG 23, où il demeure difficile de faire comprendre que les caisses sont aussi des banques. Jusqu’à présent, personne ne savait qu’en Allemagne 40 % des prêts sont faits aux PME. »
Au GECE, l’un des credo est de ne jamais perdre une occasion d’expliquer. Le meilleur moyen d’établir un contact personnel ? Aller en force de proposition, avec des idées sous le bras. « Contrairement à ce qu’on peut croire, les fonctionnaires sont très ouverts et ils ont besoin des synthèses d’informations que préparent les lobbyistes. Mais ils restent prudents car ils n’ont jamais travaillé dans le monde des affaires », précise Monika Pieroth.
« Ils n’aiment pas les face à face, ajoute Gaël du Bouêtiez. Ils préfèrent des discussions collégiales. C’est au cours de ces réunions que nous détectons ceux qui sont le plus sensibles aux thèmes que nous développons. On agit aussi dans chaque DG en direction des interservices et des personnes ad hoc qui suivent les activités des autres commissions. »
Le rôle clé des eurodéputés dans le lobbying.
Plus difficiles, les relations avec la DG 24, sorte de greffon des associations de consommateurs au sein de la Commission. Monika Pieroth a encore un pied dans la bataille contre la directive sur « la vente à distance ». « La Commission a voulu insérer les services financiers dans leur champ d’application. Nous avons refusé. Il y a un risque de spéculation du client contre la banque en fonction de la baisse des cours. Nous étions en mode gestion de crise. »
Le lobbying s’est développé à plusieurs niveaux, comme chaque fois. Il faut d’abord intercepter la directive avant qu’elle ne commence à être taillé dans le marbre au Parlement, car cela devient plus dur ensuite d’intégrer les modifications souhaitées. Les eurodéputés ont tendance naturellement à s’affirmer par rapport à la Commission et à faire de l’activisme. Depuis le traité de Maastricht, ils ont d’ailleurs, en fin de course, le droit de veto.
L’interlocuteur privilégié est le rapporteur des commissions parlementaires. C’est lui qui, après examen, concocte les projets d’amendement. Il est, à ce moment là, utile de prendre rendez-vous avec les parlementaires qui ont réagi positivement ou négativement aux thèmes développés.
« Jusqu’à ce stade, toutes les tentatives du lobbying ont échoué, fait observer Monika Pieroth. Le dossier a ensuite été traité par le Coreper (Comité des représentants permanents, ambassadeurs) qui prépare le Conseil des ministres européen. Le Conseil des ministres s’est prononcé contre cette directive, car toutes les banques et assurances ont fait pression sur leurs ministres respectifs. »
Retour en seconde lecture au Parlement, en septembre 1995. Mais le rapporteur de la commission reste sourd aux arguments.
« En décembre 1995, nous avons inondé de lettres conjointes les partis politiques. Finalement, à cinq voix près, les eurodéputés ont voté contre cette inclusion, le 13 décembre dernier. L’affaire doit maintenant repasser au Conseil. Mais le vote semble acquis. »