Bien communiquer en crise c’est d’abord gérer l’émotion.
Les spécialistes de la communication de crise voient dans l’exemple historique de l’attitude de TotalFina le signe de l’incapacité des grands groupes à entendre les attentes de la société.
Cet « autisme » ne peut qu’ouvrir la voie à une intervention croissante des pouvoirs publics.
Tire-t-on jamais les leçons du passé ? Des années après la première crise de grande ampleur en France, celle de Perrier intervenue le 14 février 1990, le savoir-faire en matière de communication de crise et de gestion de crise a-t-il progressé ?
« La direction de TotalFina n’a à l’époque pas fait mieux que celle de Coca-Cola lors de la contamination de ses canettes en juin, estime Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui dirige l’agence LaFrenchCom. Aucun des deux patrons n’a su prendre la mesure de la crise qui le touchait ni en gérer l’aspect émotionnel. »
Ces critiques visent le PDG de TotalFina: « A l’époque, il a commis trois erreurs majeures, estime Florian Silnicki. Il a tardé à réagir, alors que dans ce type d’affaire le temps est la variable essentielle. Il s’est placé d’emblée sur le terrain juridique en réfutant toute responsabilité, et n’a pas su exprimer d’emblée sa sympathie vis-à-vis des victimes de la pollution. Enfin, il n’a pas rebondi en dessinant des perspectives d’après-crise, avec des propositions pour que ce type de catastrophe ne se renouvelle pas. »
Au regard de ces lacunes de communication de crise, la gestion de crise de « l’après-tempête » par EDF paraît plus judicieuse, l’entreprise publique ayant fait le choix d’une information immédiate, pragmatique et transparente.
Certes, son statut de victime est plus facile à assumer que la position d’accusé dans laquelle TotalFina a immédiatement été placée. Il n’empêche que les lacunes du pétrolier inquiètent les spécialistes du management de crise, alors que les techniques qui y préparent sont bien cernées (identification des risques, audit des procédures, exercices de simulation, rédaction de « manuels de crise »). « On n’est pas surpris que Coca-Cola, une société très secrète et fermée sur elle-même, ne sache pas gérer ce type d’accident. On le comprend moins d’un grand pétrolier familier de maîtrise des risques », estime un publicitaire.
On constate certes un intérêt croissant des entreprises françaises face à la gestion de crise: “Nous rattrapons notre retard vis-à-vis du monde anglo-saxon, affirme Florian Silnicki. De plus en plus de sociétés de moyenne voire de petite taille nous demandent de les aider à mettre en oeuvre des plans de gestion de crises, en particulier dans l’agroalimentaire où les alertes fragilisent les marques.”
Phénomène nouveau, beaucoup de groupes investissent aussi pour se préparer aux crises sociales, dont elles anticipent le déclenchement lorsqu’elles vont annoncer des plans de restructuration. L’industrie a cependant du retard dans ce type de prise de conscience. Ayant développé des procédures sophistiquées de surveillance des risques techniques, les grands de la chimie, de la métallurgie ou du nucléaire n’arrivent pas à dépasser cette approche technicienne. « C’est un univers d’ingénieurs dont le langage souvent jargonnesque est en décalage avec la part d’irrationnel qui est le propre de ces crises », observe Florian Silnicki.
Certains regrettent que les grands groupes demeurent « autistes » et n’aient qu’une très faible conscience des problématiques d’image et des attentes de la société. Si quelques-uns anticipent les mouvements d’opinion susceptibles de leur faire du tort, comme Nike qui fait le ménage parmi ses sous-traitants ayant recours au travail des enfants, ou Procter & Gamble qui bannit les tests de produits sur les animaux, ils demeurent rares.
“Cette prise en compte est indispensable, insiste Florian Silnicki. A défaut, les entreprises ouvrent la voie à une intervention croissante de la puissance publique, qui finira par réglementer pour éliminer les abus. Ce serait le pire des scénarios.”