La presse s’est emparée d’une polémique sur un livret de crise prochainement envoyé à tous les Français. Les bruits de couloir se sont immédiatement multipliés : « On nous prépare à la guerre », « On veut nous faire peur », « C’est du grand n’importe quoi »…
Florian Silnicki, expert en communication de crise à la tête de l’agence LaFrenchCom, se penche sur cette initiative du gouvernement français : un livret qui doit atterrir dans les boîtes aux lettres de millions de foyers, pour expliquer quoi faire en cas de catastrophe ou d’incident majeur. L’idée : que chaque citoyen ait un guide pour se débrouiller en attendant les secours, savoir comment réagir face à un accident industriel, une grosse inondation, une cyberattaque, voire un conflit armé. Sur le papier, ça a l’air plutôt logique. Mais en pratique, la com’ gouvernementale a déjà vrillé : on crie à la panique, on parle de guerre, on se demande pourquoi maintenant, etc. C’est justement là-dessus que l’expert en gestion de crise intervient : pourquoi diable n’a-t-on pas préparé le terrain avant de balancer la nouvelle dans le flot médiatique ?
L’expert en communication de crise se réjouit qu’on parle enfin de culture du risque en France, un pays où l’on croit souvent que les crises, c’est pour les autres. Le couac, c’est la façon de balancer l’information au public, presque à la sauvette. Résultat : un public qui s’inquiète, des médias qui s’enflamment, et on rate l’objectif initial, qui est de rassurer et de préparer la population.
Florian Silnicki insiste sur le rôle clé du storytelling du risque : comment on en parle, quels mots on emploie, quel timing on choisit. Communiquer sur des sujets anxiogènes – la guerre, les attaques chimiques, les pandémies – c’est un exercice périlleux pour le politique. Il ne s’agit pas d’enfumer les gens, ni de jouer aux pompiers pyromanes. Il faut un discours clair, cohérent, calibré pour être compris par le plus grand nombre, sans minimiser les risques ni semer la terreur. C’est un numéro d’équilibriste que le gouvernement a manifestement raté pour l’instant. Or, une fois que la machine médiatique s’emballe, difficile de reprendre la main sur le récit. On se retrouve à gérer la panique au lieu d’expliquer posément les raisons d’une telle publication.
Pourquoi ce livret de survie est une bonne idée ?
Parce qu’il était temps d’arrêter de naviguer à vue en cas de pépin majeur. Ce livret, c’est du bon sens distribué à grande échelle. Aujourd’hui, soyons clairs : la plupart des Français ne sont pas préparés du tout aux catastrophes. Or les menaces existent bel et bien, qu’il s’agisse d’un accident industriel, d’une inondation, d’une cyberattaque ou même d’un conflit armé. On a vu le chaos pendant la pandémie ou lors de grosses tempêtes : sans directives claires, c’est la panique ou l’improvisation. Enfin un guide qui dit quoi faire quand tout part en vrille ! Ce livret apporte du concret : les gestes de base et le matériel indispensable pour tenir le choc. Par exemple, avoir sous la main les numéros d’urgence et de ses proches, constituer une trousse de premiers secours, stocker quelques boîtes de conserve et prévoir de quoi s’éclairer si le courant saute. C’est basique, mais fallait y penser – et surtout le faire savoir. Mieux vaut prévenir que guérir, et ce fascicule, c’est la prévention en version accessible.
Le gouvernement recommande à chaque foyer de préparer un kit d’urgence 72h avec les essentiels pour survivre en autonomie pendant les premières heures d’une crise majeure (radio à piles, médicaments, lampe torche, eau, nourriture, etc.). Ce n’est pas de la paranoïa, c’est juste du pragmatisme : avoir de l’eau potable et une lampe de poche chez soi, ce n’est quand même pas la mer à boire ! Ce manuel de survie va enfin mettre sous les yeux du grand public ces conseils de bon sens trop souvent ignorés.
Quel impact ce guide de survie peut-il avoir sur la population ?
Franchement, tout dépend de ce qu’on en fait. Dit cash : un bout de papier de 20 pages tout seul ne va pas miraculeusement transformer Monsieur et Madame Tout-le-Monde en survivalistes avertis. Beaucoup risquent de le feuilleter d’un œil distrait puis de le reléguer au fond d’un tiroir, voire de le balancer direct à la poubelle avec les prospectus. Si la distribution est faite à la va-vite sans explication, l’impact sera proche de zéro. Mais si la communication suit et que ce livret parvient à toucher la fibre sensible, là il peut y avoir un déclic. Ne soyons pas naïfs : la majorité des gens ne se sentiront concernés qu’au moment où une crise leur tombera dessus. Toutefois, même si seulement 10 ou 20% des citoyens lisent vraiment et appliquent deux ou trois conseils, ce sera déjà ça de gagné – peut-être des vies sauvées, ou en tout cas moins de panique venue du fait qu’on ne sait pas quoi faire. Au mieux, ce manuel va semer une petite graine de culture du risque chez les Français, les amener à se poser des questions du genre : “Et moi, je fais quoi si ça arrive ?”. Au pire, ça fera un flop et tout le monde s’en fichera. En résumé, son impact dépendra de notre capacité à secouer un peu l’opinion. C’est un outil : utile si on s’en sert, futile si on l’ignore. À nous (et au gouvernement) de faire en sorte qu’il ne reste pas lettre morte.
Le gouvernement gère-t-il bien la communication autour de ce manuel de survie ?
Pour l’instant, c’est mal barré. On va pas se mentir, la communication politique a démarré en couac majeur. Au lieu d’une annonce carrée et pédagogique, on a eu une fuite dans la presse avec un gros titre flippant. Europe 1 a balancé qu’un « manuel de survie de crise ou de conflit armé » allait être envoyé à tout le monde, “calqué sur le modèle suédois”. Effet choc garanti : les gens ont cru qu’on nous préparait à la guerre imminente. Du coup, le gouvernement a dû monter au front en urgence pour éteindre l’incendie médiatique en assurant que “non non, ce livret ne vise absolument pas à préparer la population à la guerre”. Bonjour le rattrapage aux branches ! En clair, ils ont perdu la maîtrise du message dès le départ. Plutôt que de présenter calmement l’initiative comme un outil de préparation générale, ils se sont laissés déborder par une narration anxiogène. Résultat, une partie du public est déjà dubitative ou apeurée avant même d’avoir vu la couleur du livret. On a envie de dire : bravo la com’… Au lieu de rassurer, ce lancement chaotique brouille le message. Le gouvernement, sur ce coup, a communiqué à l’envers – en réaction, pas en anticipation. Pour rattraper le tir, il va falloir qu’ils reprennent la main fermement : expliquer clairement pourquoi ce guide existe, ce qu’il contient (et aussi ce qu’il ne contient pas, histoire de tordre le cou aux fantasmes). Il faut parler vrai, sans minimiser les risques mais sans agiter un épouvantail de fin du monde non plus. Pour l’instant, c’est plutôt foireux que bien foutu. Espérons qu’ils rectifient le tir, sinon ce livret – même bien pensé – risque de faire un flop à cause d’une communication désastreuse.
Comment mobiliser les Français, face au risque, sans créer de panique ?
C’est un exercice d’équilibrisme, mais il y a des façons de faire. La clé, c’est de prévenir sans effrayer. Il faut parler aux citoyens comme à des adultes responsables : on leur dit la vérité sur les risques, mais on insiste sur le fait que se préparer, ce n’est pas céder à la panique, au contraire. Par exemple, expliquer que préparer un kit d’urgence ou réfléchir à un plan familial, ce n’est pas être parano – c’est comme attacher sa ceinture en voiture. On ne met pas sa ceinture parce qu’on a peur en permanence d’un accident, on la met par précaution, point barre. Le message doit être: “Ne soyez pas inquiets, soyez prêts.” D’ailleurs les Anglais ont une formule choc pour ça : “Keep calm and carry on”, en gros « restez calmes et continuez à vivre normalement, mais soyez prévoyants ». Concrètement, le gouvernement doit adopter un ton posé et pédagogue, sans dramatisation excessive. Éviter absolument le mode alarmiste du style « le ciel va nous tomber sur la tête ». Au lieu de ça, on explique calmement : oui, des crises peuvent arriver, non, ce n’est pas la fin du monde si on anticipe un minimum. Transparence et pédagogie doivent être les maîtres-mots. On peut aussi s’inspirer des pays comme le Japon où l’on fait des drills (exercices) réguliers : tout le monde apprend les bons réflexes face aux tremblements de terre sans que personne ne panique, parce que c’est ancré dans la routine. Autre idée : passer par des relais de confiance. Les pompiers, la Protection civile, la Croix-Rouge, les mairies, les écoles… Ces gens-là peuvent porter le message de préparation de façon concrète, proche du terrain, sans le vernis technocratique qui peut faire peur ou méfiance. Imaginez des ateliers dans les communes, des sessions d’information dans les lycées sur “comment réagir si…”. On implique les citoyens, on les forme doucement, et du coup le livret prend vie au lieu d’être juste un document abstrait. Le tout est de dédramatiser en montrant que se préparer, c’est au fond rassurant. C’est paradoxal mais vrai : plus on est prêt, moins on flippe. À noter quand même : il faudra y aller progressivement. En Suède, quand l’armée a commencé à dire aux gens de se “préparer mentalement à la guerre”, un tiers des gens a avoué avoir flippé davantage d’un coup. Donc il faut doser le message. On informe sur les risques réels, on donne des solutions pour y faire face, mais on insiste que ce n’est qu’une précaution, pas une prédiction du chaos. En résumé, pour mobiliser sans paniquer, il faut informer vite et bien, avec honnêteté et sang-froid, et montrer que chaque citoyen peut agir à son échelle pour sa sécurité et celle des autres – sans pour autant vivre dans la trouille.
Comment s’assurer que ce livret soit vraiment lu et utilisé ?
Là, il va falloir ruser et être créatif, parce qu’on le sait, les Français sont bombardés de brochures et de docs en tout genre. La pire issue serait que ce livret finisse en boule au fond de la poubelle, ni lu ni connu. Première étape : soigner la distribution. Visiblement, l’intention est d’envoyer le guide à tous les foyers d’ici l’été– très bien, mais encore faut-il qu’il ne passe pas pour un énième prospectus. Il doit attirer l’œil dès la boîte aux lettres. Un design accrocheur, un titre clair (évitez les formulations plan-plan du style “manuel de sécurité civile” que personne n’ouvre jamais). Pourquoi pas un slogan du genre “Et si une crise arrivait demain, vous seriez prêts ?” en couverture, histoire de piquer la curiosité sans sombrer dans le drama. Ensuite, il faut en parler partout. Que le gouvernement fasse du bruit autour de ce livret : spots à la télé, campagnes sur les réseaux sociaux, interventions dans les écoles, au boulot, via les mairies… Il faut marteler les conseils clés de ce guide pour donner envie d’aller voir dedans. On pourrait imaginer une mini-série de vidéos virales où on teste les Français dans la rue : “savez-vous quoi faire en cas d’alerte nucléaire ?” – évidemment la plupart ne savent pas, et hop on leur file le livret en disant “les réponses sont dedans”. Un peu de marketing ne ferait pas de mal, paradoxalement, pour une cause aussi sérieuse. Il faut aussi rendre le contenu facile d’accès sous d’autres formats : une version numérique interactive, un site web (d’ailleurs il en existe déjà un depuis 2023 avec ces infos, signe que le support papier vient en renfort), peut-être une appli mobile avec des notifications de rappel ou des check-lists à cocher. Et pourquoi pas traduire ce guide en plusieurs langues comme l’ont fait les Suédois (leur brochure a été traduite en 14 langues), histoire que nos concitoyens non francophones le comprennent aussi et que personne ne soit laissé de côté. Dernier point crucial : montrer l’exemple. Les élus, les personnages publics pourraient mettre en avant leur propre préparation. Imaginons un ministre qui montre son kit d’urgence personnel à la télé – ça rendrait le truc tout de suite plus concret et légitime (“si même le ministre s’y met, pourquoi pas moi?”). En somme, pour que ce livret ne prenne pas la poussière, il faut l’accompagner d’une vraie stratégie d’engagement. Distribuer, c’est bien, mais expliquer et rappeler, c’est mieux. Sans ça, le livret risque de finir comme tant d’autres brochures : ignoré. Avec ça, il peut devenir au contraire un réflexe, le petit guide que l’on garde pas loin et que l’on relit quand on entend la sirène d’alerte. Le défi, c’est de faire passer le message que ce bout de papier peut nous sauver la mise en cas de coup dur – et ça, ça mérite qu’on lui accorde cinq minutes de lecture attentive, non ?