- Comportement des consommateurs en crise : entre pragmatisme et idéalisme
- Crises 2.0 : plus fréquentes, plus brutales, plus imprévisibles à l’ère des réseaux sociaux
- Des crises récentes qui ont marqué les esprits – et leurs enseignements
- Le boycott : le portefeuille comme arme de contestation
- Communication de crise : les erreurs fatales à éviter
- Redresser la barre : bonnes pratiques pour gérer la crise et reconstruire la confiance
- Le consommateur, boussole de la sortie de crise
Scandales alimentaires, fraudes industrielles, bad buzz fulgurants sur les réseaux sociaux… Les crises d’entreprise éclatent souvent sans prévenir. Et à chaque fois, les consommateurs se retrouvent en première ligne, témoins et victimes potentielles des ratés des marques. Leur réaction ne se fait pas attendre : indignation sur Twitter, appels au boycott, mobilisation pour exiger des comptes. Pour les entreprises, la gestion de crise ne se résume plus à éteindre un feu médiatique – il s’agit de répondre aux attentes d’un public devenu à la fois juge et partie. Comment les consommateurs réagissent-ils en général face aux crises ? Entre quête de solutions concrètes et besoin de valeurs éthiques, leurs comportements forcent les marques à adapter leur réponse. À l’ère des réseaux sociaux, les crises sont plus fréquentes, plus brutales et plus imprévisibles que jamais, ce qui oblige les professionnels du marketing de crise à être sur le qui-vive.
Quel est le comportement des consommateurs en situation de crise aux mutations du phénomène à l’ère numérique, en passant par des exemples récents riches d’enseignements ? Nous analyserons également le phénomène du boycott, les erreurs fatales à éviter et les bonnes pratiques pour anticiper, gérer et surmonter une crise tout en reconstruisant la confiance.
Comportement des consommateurs en crise : entre pragmatisme et idéalisme
Lorsqu’une entreprise est secouée par une crise, les consommateurs réagissent généralement de deux manières. D’un côté, un réflexe pragmatique : « Que fait la marque pour résoudre le problème ? ». Le client cherche des solutions concrètes, il attend que l’entreprise répare les torts, indemnise les victimes, corrige les défauts. De l’autre, un élan idéaliste guidé par les valeurs : « Puis-je encore faire confiance à cette marque ? Ses actions sont-elles acceptables éthiquement ? ». Explorons avec nos experts en communication de crise ces deux facettes, qui coexistent souvent chez un même individu mais peuvent orienter différemment les comportements en situation de crise.
Le réflexe pragmatique : chercher des solutions concrètes
Face à un produit défectueux ou un service défaillant, de nombreux consommateurs adoptent d’abord une posture pragmatique. Ils veulent une solution rapide au problème. Par exemple, lors du rappel massif de smartphones Samsung Galaxy Note 7 pour cause de batteries explosives en 2016, nombre d’utilisateurs inquiets ont simplement cherché à échanger leur appareil ou obtenir un remboursement, sans forcément bannir Samsung à vie. De même, quand une chaîne de restauration est confrontée à une intoxication alimentaire collective, beaucoup de clients attendent en priorité des mesures sanitaires strictes et une compensation, plutôt qu’un grand discours moral. Le pragmatisme du consommateur en crise se traduit par : « Réglez le problème et assurez-vous qu’il ne se reproduise plus, et nous pourrons continuer la relation. »
Cette attitude s’explique par l’attachement au produit ou au service rendu. Un automobiliste satisfait de sa voiture Volkswagen pourra, malgré le scandale du « Dieselgate », continuer à rouler avec si le constructeur propose les réparations nécessaires et des garanties renforcées. C’est exactement la stratégie qu’a adoptée Volkswagen après la découverte en 2015 des moteurs truqués : le groupe a déboursé des milliards en rappels et indemnisations, puis a offert des extensions de garantie inédites sur ses nouveaux modèles pour reconquérir les clients. Ce mouvement visait à montrer que la marque était « confiante dans la fiabilité » de ses véhicules et déterminée à regagner la confiance perdue. Autrement dit, répondre au pragmatisme des consommateurs par des actes concrets (réparation, garanties, amélioration du produit) est indispensable pour apaiser la colère immédiate et éviter un abandon massif de la clientèle.
L’élan idéaliste : défendre des valeurs et sanctionner les manquements
Cependant, le pragmatisme a ses limites, surtout lorsque la crise touche à des questions éthiques profondes. Dans de nombreuses situations, les consommateurs se montrent idéalisés dans leurs attentes : ils projettent sur les marques des valeurs et des principes, et tolèrent mal qu’ils soient bafoués. Si une entreprise trahit la confiance ou viole des normes éthiques, la réaction ne se limite pas à « résoudre le bug » – c’est la réputation morale de la marque qui s’effondre et souvent sa valorisation financière avec !
Ainsi, le Dieselgate n’était pas qu’un problème technique de moteur truqué : c’était vécu comme une trahison par un constructeur renommé, qui mentait sur la pollution de ses véhicules. La sanction des consommateurs a été sévère. En Allemagne, la confiance dans Volkswagen s’est littéralement effondrée après le scandale : seulement 43 % des consommateurs faisaient encore confiance à la marque fin 2015, contre 84 % deux ans plus tôt. Plus globalement, l’entreprise a dû affronter un profond dégoût d’une partie de l’opinion publique, bien au-delà des propriétaires de voitures concernées. Pour ces consommateurs idéalistes, Volkswagen avait péché contre des valeurs fondamentales (l’honnêteté, le respect de l’environnement) et devait être puni pour l’exemple.
Cet idéalisme du public s’exprime de plus en plus. Les nouvelles générations de consommateurs, en particulier, attendent des marques un comportement exemplaire. Une étude indique que 64 % des consommateurs mondiaux sont aujourd’hui des « acheteurs engagés », prêts à soutenir ou boycotter des entreprises en fonction de leurs prises de position sociétales. Ils « votent avec leur portefeuille » en quelque sorte, récompensant les marques alignées avec leurs valeurs et tournant le dos à celles qui les trahissent. Le mouvement #BoycottNike en 2018, par exemple, a vu certains clients brûler publiquement leurs baskets après que Nike a soutenu un sportif engagé contre les violences raciales – pendant que d’autres consommateurs, au contraire, applaudissaient la marque pour son engagement. Cette polarisation illustre l’enjeu pour les entreprises : en crise, elles font face à un tribunal de l’opinion publique où la dimension émotionnelle et éthique compte autant, sinon plus, que la résolution technique du problème.
En somme, le consommateur en situation de crise, face au risque, oscille entre pragmatisme et idéalisme. Il veut que l’entreprise répare les dégâts (produits remplacés, préjudice compensé) mais il attend aussi des signes de repentir sincère et de changement aligné avec des valeurs. Ignorer l’une ou l’autre de ces dimensions serait une erreur : une réponse purement technique sans considération morale semblera froide et insuffisante, tandis qu’un discours d’excuses sans actions concrètes passera pour du vent. La gestion de crise efficace doit donc adresser ces deux attentes : apporter des solutions tangibles tout en incarnant des valeurs éthiques fortes pour regagner le cœur du public.
Crises 2.0 : plus fréquentes, plus brutales, plus imprévisibles à l’ère des réseaux sociaux
Les crises d’entreprise ne datent pas d’hier, mais leur physionomie a radicalement changé avec l’avènement des réseaux sociaux. Aujourd’hui, une simple vidéo postée par un client mécontent peut se transformer en ouragan médiatique mondial en quelques heures. Les bad buzz se succèdent à un rythme effréné, souvent imprévisible, et obligent les marques à une vigilance de tous les instants. Qu’est-ce qui caractérise ces crises 2.0 ? Essentiellement : leur fréquence accrue, leur violence virale, et la difficulté à anticiper leur émergence.
Une multiplication des crises en ligne
D’abord, les crises d’image sont devenues beaucoup plus fréquentes qu’avant. À titre d’illustration, dans l’univers francophone, on a recensé 70 crises « numériques » sur les réseaux sociaux pour la seule année 2022, après un pic à 100+ crises par an durant la seconde moitié des années 2010. Autrement dit, pratiquement chaque semaine, une marque ou organisation fait face à un bad buzz significatif. Cette inflation s’explique par la caisse de résonance d’Internet : la moindre polémique locale peut être amplifiée en quelques clics. Une altercation filmée dans un magasin, un tweet maladroit d’un PDG, une plainte isolée d’un client… autant d’étincelles susceptibles d’embraser la plaine numérique.
Par ailleurs, des entreprises qui autrefois passeraient sous le radar peuvent désormais se retrouver sous les projecteurs. Aucune marque n’est trop petite pour faire un bad buzz. Si l’affaire est relayée par un influenceur ou reprise par les médias grand public, l’emballement est garanti. À l’ère des réseaux sociaux, la frontière entre incident mineur et crise majeure est poreuse : tout peut basculer très vite. Les périodes traditionnellement calmes (week-end, vacances) peuvent même aggraver la propagation si la veille est insuffisante. En clair, les crises sont plus nombreuses et peuvent frapper n’importe qui, n’importe quand.
Une viralité brutale et des effets réputationnels démultipliés
Ensuite, les crises 2.0 se distinguent par leur brutalité. Les réseaux sociaux fonctionnent à l’émotion et à l’instantané. En quelques heures, un flot de réactions indignées peut déferler, souvent accompagné de photos choc, de vidéos virales et de hashtags assassins. L’impact visuel joue un rôle clé dans cette violence : lorsqu’en 2017 la vidéo d’un passager violemment expulsé d’un vol United Airlines a circulé, la réaction a été mondiale et immédiate. En 48 heures, la vidéo avait été vue des millions de fois, les commentaires outrés affluaient, et United subissait une débâcle en relations publiques – le tout bien avant que la presse traditionnelle ne fasse sa une sur le sujet. L’exemple est parlant : une scène filmée avec un smartphone, diffusée sur Twitter ou TikTok, constitue souvent le catalyseur d’indignation qui transforme un fait divers en crise planétaire. Selon une étude, la vidéo est présente dans plus d’1 crise sur 3 désormais (37,5 %), alors qu’elle était marginale il y a quelques années. Ce pouvoir de l’image apporte une charge émotionnelle intense et rend les bad buzz particulièrement virulents.
Cette viralité s’accompagne d’une perte de contrôle totale du récit pour l’entreprise. Sur les réseaux, chacun peut prendre la parole, détourner un message officiel, exhumer de vieux dossiers. La propagation est multidirectionnelle et chaotique : les rumeurs côtoient les faits avérés, les trolls amplifient la colère, les anonymes interpellent directement les PDG en les mentionnant. Il n’est pas rare qu’une entreprise découvre qu’elle est en crise par les réseaux sociaux eux-mêmes, alertée par un trending topic Twitter ou un afflux de notifications négatives. Cette dynamique brutale laisse peu de répit pour réfléchir : la pression pour répondre vite est maximale (nous y reviendrons). En somme, les crises 2.0 frappent fort et vite, souvent comparées à une tempête soudaine plutôt qu’un lent incendie.
L’imprévisibilité comme nouvelle norme
Enfin, l’ère numérique a rendu les crises plus imprévisibles. Bien sûr, certaines crises découlaient déjà d’événements accidentels ou de scandales impossibles à anticiper. Mais aujourd’hui, même une campagne marketing bien intentionnée peut provoquer un tollé inattendu. En 2017, Pepsi lance un spot publicitaire mettant en scène la mannequin Kendall Jenner apportant une canette de soda à des manifestants et policiers pour apaiser les tensions. L’intention se voulait fédératrice, le résultat fut un bad buzz fulgurant : en quelques heures, Pepsi était accusé de trivialiser les mouvements sociaux (#PepsiGate), et la marque dut retirer la pub et s’excuser publiquement dans la journée. Personne chez Pepsi n’avait vu venir une telle hostilité virale pour une publicité « bienveillante » sur le papier – preuve que la perception du public peut échapper totalement aux prévisions.
Les crises actuelles naissent donc parfois de facteurs surprenants : un employé lambda qui poste un commentaire déplacé, un bug algorithmique, un partenariat avec un influenceur controversé, voire de fausses informations (et bientôt, pourquoi pas, un deepfake visant une entreprise). La surréaction est également un trait de notre époque : il suffit qu’un groupe d’internautes s’indigne, et d’autres surenchérissent, créant un mouvement d’ampleur sans commune mesure avec la faute initiale. Cette imprévisibilité complique la tâche des gestionnaires de crise : difficile de prévoir chaque scénario, il faut s’attendre à l’inattendu.
Plus fréquentes, plus rapides, plus intenses et plus difficiles à prévoir, les crises 2.0 imposent une nouvelle donne. Pour les marques, cela signifie redoubler de préparation, de surveillance et d’agilité. Impossible de se reposer sur une ancienne réputation ou de se dire « ça n’arrivera qu’aux autres ». Comme le résume un expert en gestion de crise spécialiste des enjeux sensibles de réputation, « À l’heure des nouvelles technologies, l’information circule très rapidement et il est important de réagir vite en cas de crise et d’assurer la gestion des enjeux sensibles d’image. Ce phénomène est amplifié par la surmédiatisation des affaires… Idéalement, chaque organisation devrait préparer un plan de communication de crise prêt à être déployé ». Avant même de voir des exemples concrets, retenons ceci : la tempête peut éclater à tout moment sur les réseaux, et la meilleure défense reste l’anticipation et la réactivité.
Des crises récentes qui ont marqué les esprits – et leurs enseignements
Aucune théorie ne vaut sans exemples. Ces dernières années, plusieurs crises retentissantes ont défrayé la chronique, offrant autant de cas d’école sur la réaction des consommateurs et la gestion – réussie ou ratée – par les entreprises. Revenons sur quelques crises marquantes pour dégager leurs enseignements clés.
Volkswagen et le Dieselgate : la trahison environnementale
En septembre 2015, le monde découvre stupéfait que Volkswagen a équipé 11 millions de voitures diesel d’un logiciel frauduleux faussant les tests antipollution. Ce scandale planétaire, aussitôt baptisé « Dieselgate », met en lumière une tromperie industrielle délibérée. La réaction des consommateurs est à la hauteur de la déception : sur tous les continents, la marque allemande, autrefois synonyme de fiabilité, devient un symbole de cupidité et de mensonge écologique. Au-delà des propriétaires directement concernés (qui exigent réparation ou rachat de leurs véhicules), une vaste part du public se sent flouée dans sa confiance. Comme on l’a vu, les sondages en Allemagne indiquent une chute libre de la confiance envers VW – divisée par deux en l’espace de deux ans. Partout, des appels au boycott émergent, des propriétaires intentent des recours collectifs, les réseaux sociaux se déchaînent contre la marque.
Comment Volkswagen a-t-il géré cette crise ? D’abord par la contrition (aveux, excuses officielles du CEO, démissions en chaîne) puis par des mesures concrètes massives : rappels de voitures, 14,7 milliards de dollars d’accords aux États-Unis pour indemniser les clients et payer des amendes record. Ensuite, VW a cherché à reconstruire la confiance sur le long terme. Le constructeur a réorienté sa stratégie vers les motorisations électriques plus propres (histoire de redorer son blason écologique) et, comme évoqué, a offert des garanties étendues inédites sur de nouveaux modèles pour rassurer sur sa fiabilité. L’enseignement majeur de Dieselgate : sans confiance, une marque est à genoux. Volkswagen a pu survivre grâce à sa taille et à des investissements colossaux en réparation, mais des années après, le soupçon entache encore son image. Une crise de cette ampleur montre qu’aucune communication ne peut rattraper un manquement éthique majeur : la seule issue est un changement en profondeur et des actes tangibles, sur la durée, pour regagner progressivement le respect des consommateurs.
United Airlines : le passager maltraité qui fait le tour du monde
Avril 2017. Des passagers filment avec leur smartphone une scène choquante à bord d’un vol United Airlines à Chicago : un homme d’origine asiatique, tiré au sort car le vol est surréservé, se fait violenter et expulser de l’avion par la police à la demande de la compagnie, malgré ses protestations. En quelques heures, la vidéo de l’incident envahit Twitter, Facebook et les médias. L’indignation est générale : comment une compagnie aérienne peut-elle traiter ses clients de la sorte ? Le hashtag #BoycottUnited explose. Cette crise est exemplaire de l’ère des réseaux sociaux : une bavure locale devient un scandale global en une nuit.
United Airlines, dans un premier temps, adopte la mauvaise réponse. Un communiqué maladroit parle de « ré-accommoder un client malgré lui » – une litote technocratique qui évite soigneusement de reconnaître les violences subies. Pire, le PDG, Oscar Muñoz, publie un message interne aux employés soutenant que le passager était agressif, ce qui fuite dans la presse. Autant jeter de l’huile sur le feu : l’opinion publique redouble de colère devant le manque d’empathie et le déni de responsabilité de United. Conséquence immédiate : en Bourse, l’action de la compagnie décroche (plus de 1 milliard de dollars de valorisation envolés en 24h) et les concurrents se frottent les mains.
Face à l’ampleur du désastre, United finit par changer de ton. Le PDG présente des excuses publiques officielles beaucoup plus humbles et admet la faute : « Nous avons manqué de respect à notre client, c’est inacceptable ». La compagnie indemnise le passager blessé et annonce des changements (réduction du surréservation, nouvelles directives au personnel). Mais le mal est fait : United restera longtemps associée à cet épisode infamant. La leçon à retenir de cette crise : l’importance de la réactivité empathique. Quand tout le monde a vu les images, nier l’évidence ou se défausser sur la victime est une erreur fatale. United aurait dû, dès les premières heures, présenter des excuses sincères et inconditionnelles et promettre une enquête. En communication de crise, chaque minute compte et le ton employé est décisif pour apaiser les esprits. Cette affaire rappelle aussi que dans un monde hyperconnecté, le comportement d’un employé ou d’un sous-traitant engage instantanément la marque toute entière, aux yeux du public. D’où la nécessité de former en amont le personnel à gérer les situations délicates avec tact – on y pense souvent pour le service client classique, moins pour la gestion musclée de surréservation, à tort.
Lactalis : transparence zéro, colère maximale
Fin 2017, un scandale éclate en France : des lots de laits infantiles produits par Lactalis sont contaminés par des salmonelles, causant la maladie de plusieurs nourrissons. Rapidement, on s’aperçoit que malgré des alertes, des milliers de boîtes de lait potentiellement contaminées sont restées en circulation. Les parents s’affolent à juste titre. Mais au lieu de communiquer ouvertement, Lactalis se mure dans le silence. Pendant des semaines, le PDG Emmanuel Besnier reste invisible, aucune prise de parole publique claire n’a lieu, les informations filtrent au compte-gouttes par les médias. Le gouvernement français s’emporte publiquement contre la gestion opaque de l’entreprise, l’opinion est scandalisée. Quand Besnier finit par s’exprimer dans la presse en janvier 2018, le mal est fait : Lactalis passe pour une société cynique qui a privilégié son image et son chiffre d’affaires au détriment de la santé des bébés.
L’affaire Lactalis est un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. En pleine crise sanitaire, ne pas communiquer activement est la pire option. L’entreprise a laissé d’autres acteurs (autorités, presse) révéler les informations à sa place, donnant l’impression qu’elle voulait cacher la vérité. Résultat : une perte de confiance considérable et durable. De nombreux consommateurs, choqués par ce qu’ils perçoivent comme une trahison éthique, ont purement et simplement banni les produits Lactalis de leur foyer. Le boycott des marques du groupe (Pampers, Milumel, etc.) a été évoqué sur les forums de parents. Pour Lactalis, la reconstruction de l’image est encore en cours des années après – l’ombre de cette crise plane toujours.
La leçon principale ici est l’importance de la transparence et de la proactivité, surtout quand la sécurité des consommateurs est en jeu. Il aurait fallu retirer immédiatement tous les lots suspects, alerter clairement le public, coopérer étroitement avec les autorités sanitaires, quitte à subir la honte sur le moment pour mieux préserver la confiance à long terme. Au lieu de cela, Lactalis a semblé vouloir minimiser et étouffer l’affaire – une stratégie perdante à tous les coups dans le contexte actuel de vigilance citoyenne. Une « information officielle de l’entreprise elle-même est toujours mieux perçue qu’une information par un tiers », rappellent les experts : cela montre que la société prend ses responsabilités et agit, plutôt que de subir. En abdiquant sa parole, Lactalis a perdu la maîtrise du récit et écorné son capital confiance bien au-delà du cercle des parents concernés.
… et d’autres exemples, même combat
Nous pourrions également évoquer Facebook et Cambridge Analytica (2018) : l’explosion du scandale des données personnelles siphonnées à l’insu de 87 millions d’utilisateurs. Ce fut une crise majeure de confiance dans le modèle de Facebook, avec le hashtag #DeleteFacebook en tendance et une audition humiliante de Mark Zuckerberg devant le Congrès américain. Là encore, Facebook a tardé à réagir, puis a lancé une vaste opération transparence et modification de ses politiques de confidentialité pour tenter de regagner la confiance. Beaucoup d’utilisateurs sont restés par pragmatisme (difficile de quitter un réseau où sont tous vos amis), mais la réputation de Facebook en a pris un coup durable auprès des consommateurs plus idéalistes sur la question de la vie privée.
Citons aussi Pepsi (2017) déjà mentionné – qui a retenu la leçon et réagi en moins de 24h pour éteindre l’incendie publicitaire – ou H&M (2018), pris dans une polémique après un visuel jugé raciste d’un petit garçon portant un sweat « Coolest monkey in the jungle ». La réaction sur les réseaux fut immédiate (#BoycottHM), obligeant H&M à retirer la photo, présenter des excuses publiques et s’engager à plus de diversité dans ses campagnes. Le moindre faux pas peut déclencher une crise d’image, et les marques apprennent à leurs dépens qu’il faut écouter la voix des consommateurs, dont la sensibilité aux enjeux de société (racisme, sexisme, environnement…) est à fleur de peau.
De ces exemples variés, retenons que chaque crise offre un enseignement spécifique, mais que toutes confirment une règle d’or : reconnaître la réalité du problème, faire preuve d’empathie et agir rapidement sont les seuls moyens d’espérer limiter la casse. À l’inverse, le mensonge, le silence ou l’arrogance amplifient la crise et provoquent un rejet massif de la part du public.
Le boycott : le portefeuille comme arme de contestation
Mécontent d’une marque ? Autrefois, le consommateur pouvait écrire une lettre de plainte, bouder un produit dans son coin, voire manifester devant un magasin. Aujourd’hui, il a un outil de pression redoutable à sa disposition : le boycott, amplifié par la viralité du web. En quelques tweets ou posts Instagram, un mouvement de boycott peut prendre forme et inciter des milliers de personnes à cesser d’acheter les produits d’une entreprise pour la sanctionner. Le phénomène n’est pas neuf (le terme vient du XIXᵉ siècle), mais il est devenu l’une des armes favorites des consommateurs-citoyens pour se faire entendre face aux marques.
Pourquoi le boycott séduit-il autant à l’ère numérique ? D’abord parce qu’il offre à chacun un moyen d’action concret et symbolique : « Je refuse de donner mon argent à une entreprise qui ne respecte pas mes valeurs ». Ensuite, parce qu’il est très facile à coordonner désormais. Un hashtag bien choisi – #BoycottX (remplacez X par la marque ciblée) – peut rassembler une communauté en quelques heures. Des pétitions en ligne circulent, des vidéos explicatives appellent à la mobilisation, des influenceurs relaient l’indignation. Très vite, les médias traditionnels s’intéressent au phénomène, ce qui donne une caisse de résonance supplémentaire.
Ces dernières années ont vu une floraison de boycotts consommateurs contre les marques : #DeleteUber en 2017, #BoycottNike en 2018, #BoycottFacebook, #BoycottDolceGabbana, #StopHateForProfit (contre les pubs sur Facebook)… La campagne #DeleteUber est emblématique de cette nouvelle ère : en janvier 2017, Uber est accusé d’avoir brisé une grève de taxis liée à la contestation du Muslim Ban de Donald Trump. En réaction, le hashtag appelle à supprimer l’application Uber. En 48 heures, plus de 200 000 utilisateurs auraient effectivement supprimé leur compte, un chiffre colossal confirmé par le New York Times. Uber, paniqué par cette hémorragie, a dû activer un système automatique pour traiter les désinscriptions en masse et son PDG a quitté un poste de conseil auprès de Trump sous la pression. Ce boycott éclair a surpris par son efficacité immédiate – même si Uber a continué ses activités, l’image était atteinte et la concurrence (Lyft) en a profité.
Le boycott peut donc être un levier puissant pour les consommateurs, capable d’infléchir la stratégie des entreprises. Face à des appels au boycott persistants, certaines firmes ont cédé : ainsi, en 2020, plus de 1 000 annonceurs (Coca-Cola, Unilever, etc.) ont suspendu leurs pubs sur Facebook pendant le mouvement #StopHateForProfit pour exiger que le réseau modère mieux les contenus haineux. Sous la menace d’un manque à gagner, Facebook a dû annoncer des mesures (même si leur mise en œuvre reste débattue). De même, lors de l’invasion de l’Ukraine en 2022, de nombreux consommateurs ont appelé au boycott des marques occidentales restant en Russie, poussant des géants comme McDonald’s ou Starbucks à finalement se retirer du marché russe pour ne pas subir de dommages de réputation en Occident.
Cependant, tous les boycotts ne rencontrent pas un succès retentissant. L’issue dépend de la mobilisation réelle des consommateurs sur le long terme. Un cas célèbre en France est le boycott Danone en 2001 : l’annonce de la fermeture de deux usines bénéficiaires avait indigné syndicats et public, qui appelèrent à boycotter les yaourts Danone. Ce boycott, « d’une ampleur sans précédent en France » à l’époque, a bénéficié d’un énorme relais médiatique. Et pourtant, au final, Danone a clamé en être sorti indemne, ses ventes n’ayant pas réellement souffert – effectivement, le « plus grand boycott de l’histoire française » a tourné court et n’a pas durablement affecté la marque. Pourquoi ? Probablement parce que maintenir un boycott exige une discipline et une conviction fortes chez les consommateurs. Beaucoup de bonnes intentions initiales s’émoussent quand il s’agit de se priver de son dessert préféré sur des mois ou des années… Surtout à une époque (avant les réseaux sociaux) où le rappel à l’ordre communautaire était moins présent.
Aujourd’hui, la donne a changé : le boycott peut s’inscrire dans la durée grâce au soutien en ligne et à l’émergence d’une « consommation militante ». Des marques comme Nestlé font ainsi l’objet de boycotts permanents depuis des décennies (affaire du lait infantile en Afrique), entretenus par des ONG et relais citoyens. Chaque scandale nouveau réactive d’anciens appels au boycott dans un effet boule de neige. Pour les entreprises, cela signifie qu’une réputation entachée sur le plan éthique peut entraîner des pertes de clientèle sur le long terme de la part des consommateurs les plus engagés. Même si l’impact financier immédiat n’est pas toujours visible, le bruit autour du boycott ternit l’image et peut influencer d’autres parties prenantes (investisseurs, talents, partenaires) qui, elles, craignent d’être associées à une marque controversée.
En résumé, le boycott est devenu le bras armé du consommateur en colère. À tort ou à raison, c’est un moyen pour le public de reprendre du pouvoir face aux multinationales : « Si vous ne nous écoutez pas, on ne vous achète plus. » Les marques doivent en être conscientes : une décision impopulaire ou une faute non rachetée peut déclencher un mouvement de boycott en quelques heures. Il leur sera alors très difficile d’en mesurer l’impact réel – les chiffres de vente ne bougeront peut-être pas immédiatement – mais le signal envoyé est négatif pour la marque, et chaque appel au boycott qui revient fragilise un peu plus le lien émotionnel avec le public. Reconstruire la confiance après un boycott nécessite de montrer patte blanche : actions concrètes, changements internes, engagement public à s’amender. On en revient toujours aux mêmes impératifs de sincérité et de responsabilité.
Communication de crise : les erreurs fatales à éviter
Lorsqu’une crise éclate, la façon dont l’entreprise communique peut faire la différence entre une tempête passagère et un ouragan ravageur. Certaines erreurs de communication de crise reviennent malheureusement souvent – et elles sont fatales pour l’image de marque. En voici les principales, qu’un futur professionnel doit absolument connaître… pour mieux les éviter.
Erreur fatale #1 : Être dans le déni
La pire stratégie face à une crise est de nier qu’elle existe ou de minimiser sa gravité. Certaines entreprises pensent qu’en fermant les yeux, la tempête s’arrêtera d’elle-même. Grave erreur : la crise ne fait en général qu’empirer, alimentée par le sentiment que la marque se moque du monde ou refuse d’assumer ses responsabilités. Se voiler la face, c’est offrir aux médias et aux internautes un angle d’attaque supplémentaire : l’entreprise est non seulement fautive, mais en plus arrogante et déconnectée de la réalité.
Le déni prend plusieurs formes : rejeter la faute sur d’autres (le fameux « ce n’est pas nous, c’est un fournisseur », ou pire blâmer les victimes), contester les faits évidents, ou garder un silence obstiné comme si de rien n’était. On l’a vu avec l’exemple du ministre accusant les supporters dans le chaos du Stade de France, ou avec Lubrizol refusant de reconnaître tout danger après l’incendie : ces attitudes ne donnent pas une bonne image de l’entreprise et aggravent la perte de confiance. Comme le souligne un guide de communication de crise, « Penser que la crise va s’éteindre d’elle-même, reporter la faute sur les autres… ne donne pas une bonne image de l’entreprise ».
Il faut au contraire reconnaître le problème aussi vite que possible. Cela ne signifie pas tout avouer aveuglément si l’on n’a pas encore tous les éléments, mais au moins admettre qu’il y a un souci à traiter. Présenter des excuses sincères dès que des torts sont avérés fait partie de cette reconnaissance. Le public pardonne souvent plus facilement l’erreur initiale que la tentative de la cacher. En somme, le déni attise la crise, tandis que l’acceptation est le premier pas pour l’apaiser.
Erreur fatale #2 : Communiquer au mauvais endroit (ou pas du tout)
Autre écueil courant : négliger les canaux de communication appropriés. Trop d’entreprises, en situation de crise, s’enferment dans leurs canaux habituels sans tenir compte de là où se trouve vraiment le public. Par exemple, publier un long communiqué de presse sur son site corporate alors que la polémique enfle sur Twitter et Instagram, c’est rater sa cible. Le message risque de n’avoir « aucun véritable effet » s’il n’est pas diffusé là où l’audience cherche l’information.
À l’inverse, se précipiter sur un canal inadapté peut être contre-productif. Si votre entreprise communique d’ordinaire par des voies officielles et maîtrisées (email clients, conférences de presse), se lancer brusquement dans des tweets en pleine tourmente peut tourner au fiasco – sauf à maîtriser parfaitement les codes de chaque réseau. L’important est d’être cohérent avec ses habitudes de communication pour ne pas désorienter le public fidèle, tout en investissant les plateformes où la crise se joue. Un équilibre difficile, mais essentiel.
Dans tous les cas, le mutisme n’est pas une option. Ne rien dire, c’est laisser d’autres raconter votre histoire à votre place, souvent à votre détriment. Dès les premières heures, il faut occuper l’espace informationnel avec des éléments factuels, même partiels, et montrer qu’on prend la situation en main. À défaut, le récit sera écrit par les rumeurs, voire les adversaires de la marque. En gestion de crise, on dit souvent : « si vous ne nourrissez pas les médias, ils se nourriront de vous ».
Une erreur classique est aussi de mépriser le dialogue. Publier un message sur les réseaux sans répondre aux commentaires enflammés, c’est ignorer la dimension interactive du média. Parfois, il est nécessaire de prévoir des ressources pour modérer et répondre, au moins aux questions de base, sinon la communication paraît hautaine ou déconnectée. Bref, il faut être présent au bon endroit, au bon moment, avec le bon ton, plutôt que d’envoyer son message dans le vide ou sur un canal que personne ne suit dans le contexte de crise.
Erreur fatale #3 : Oublier le suivi et l’après-crise
Beaucoup d’entreprises poussent un soupir de soulagement une fois la crise « terminée ». Le bad buzz est retombé, les médias sont passés à autre chose… Il serait tentant d’oublier cet épisode et de reprendre le cours normal des affaires. Grave erreur là encore. Une crise, même éteinte médiatiquement, laisse des traces dans l’esprit des consommateurs. Négliger l’après-crise empêche de tirer les leçons et peut laisser un ressentiment diffus s’installer.
D’une part, il est crucial de mesurer l’impact de la crise sur la réputation et la confiance, une fois l’orage passé. Quels ont été les dégâts en termes d’image, de satisfaction client, de ventes à court terme ? Sans ce bilan, difficile d’ajuster sa stratégie et de repérer d’éventuelles séquelles. Or beaucoup s’en abstiennent, préférant tourner la page rapidement. D’autre part, ne pas communiquer sur les mesures prises post-crise est un manque à gagner en termes de reconstruction de la confiance. Si vous avez amélioré vos process, sanctionné les responsables, indemnisé les victimes ou lancé des actions correctives, faites-le savoir ! C’est ainsi que le public pourra progressivement se rassurer et voir la volonté de l’entreprise de s’amender.
Ne pas réaliser de suivi, c’est enfin perdre l’opportunité d’apprendre de ses erreurs. Une crise bien gérée est une expérience qui peut renforcer l’organisation si on en tire des enseignements clairs pour l’avenir. À l’inverse, la traiter comme un incident isolé qu’on oublie, c’est prendre le risque de répéter les mêmes fautes plus tard. En somme, une crise ne s’achève pas avec le dernier tweet à son sujet : elle se clôt quand la confiance du public est regagnée, et cela demande souvent du temps et du travail une fois les projecteurs éteints.
Autres faux pas à éviter
Au-delà de ces trois erreurs capitales, mentionnons rapidement d’autres faux pas fréquents qui peuvent s’avérer désastreux :
- L’absence d’empathie : livrer des messages froids, juridiques ou trop corporate sans un mot pour les personnes affectées. Oublier de commencer par « nous sommes désolés pour ce qui est arrivé » est souvent rédhibitoire. Les excuses sincères et la compassion doivent primer sur la défense de ses intérêts à chaud.
- Les informations contradictoires : ne pas aligner ses porte-parole, laisser filtrer des explications différentes selon les sources. Cela donne une impression d’amateurisme ou de malhonnêteté. Une cellule de crise doit parler d’une seule voix.
- Le ridicule ou l’ironie mal placée : certaines marques ont cru désamorcer une crise par l’humour, mais à chaud, le public l’accepte rarement. Mieux vaut garder un ton sérieux et humble quand la foule est en colère.
- Blâmer les « médias sociaux » ou le public : se poser en victime d’une vindicte populaire injustifiée est très mal perçu. Même si vous pensez subir un déferlement exagéré, jouer la carte du mépris des internautes ne fera qu’amplifier leur courroux.
En évitant ces écueils, on se donne une chance de ne pas aggraver la crise par sa propre communication. Ce n’est déjà pas si mal, car bien souvent les entreprises font elles-mêmes déraper la situation par des erreurs évitables. Une bonne gestion de crise commence donc par un sans-faute dans la communication : lucidité, présence au front, cohérence et écoute du public.
Redresser la barre : bonnes pratiques pour gérer la crise et reconstruire la confiance
Face à la déferlante d’une crise, quels sont les principes essentiels à appliquer pour naviguer au mieux et, surtout, rebâtir la confiance une fois la tempête passée ? Les experts s’accordent sur quelques bonnes pratiques clés en gestion de crise. Ce sont des points cardinaux pour tout futur professionnel du domaine. Présentation des incontournables : préparation, réactivité, transparence, empathie et suivi, cinq mots d’ordre pour espérer transformer une crise en opportunité de rebond.
Préparation : anticiper l’imprévisible
Cela peut sembler paradoxal – on ne peut pas prédire une crise imprévisible – mais on peut s’y préparer. Toute organisation gagnerait à élaborer en amont un plan de gestion de crise, même générique, qui définit les rôles, les procédures et les outils à activer en cas de coup dur. Constituer une cellule de crise identifiée (5 à 8 personnes clés prêtes à se mobiliser) est une bonne pratique largement éprouvée. Cette équipe saura se réunir en urgence, analyser la situation et coordonner la réponse.
La préparation passe aussi par la veille : mettre en place des outils de suivi des médias et réseaux sociaux pour détecter les signaux faibles. Mieux vaut apprendre par un alerting interne qu’un bad buzz démarre, plutôt que de le découvrir en trending topic sur Twitter. Des exercices de simulation de crise (type war game) peuvent être organisés périodiquement pour entraîner les porte-parole à répondre sous pression, affiner les réflexes et vérifier que le plan tient la route.
Enfin, anticiper signifie avoir sous le coude des messages prévalidés pour les scénarios les plus probables (accident industriel, bad buzz produit, scandale de données…). On ne gagne jamais assez de temps lorsque la crise frappe, alors autant préparer des brouillons de communiqués, Q&A et éléments de langage à l’avance pour n’avoir qu’à les adapter. L’anticipation est le maître-mot d’une gestion de crise efficace: c’est une assurance qui n’empêchera pas l’incident, mais qui évitera bien des tâtonnements au moment critique.
Réactivité : agir vite et prendre l’initiative
En plein orage médiatique, chaque minute compte. La réactivité est cruciale pour ne pas laisser la crise s’emballer sans contre-discours. Il est admis qu’en cas de bad buzz en ligne, l’entreprise doit s’exprimer dans les premières heures – idéalement moins de 24h après l’événement déclencheur, et souvent bien avant. Cela ne veut pas dire tout résoudre en 24h (impossible), mais occuper le terrain dès le début : montrer qu’on a connaissance du problème et qu’on s’en occupe.
Comme le note HubSpot, à l’heure des réseaux sociaux « l’information circule très rapidement et il est important de réagir vite en cas de crise ». Une réaction rapide permet de fixer le cadre : reconnaître l’incident, exprimer son empathie, et annoncer qu’on investigue. Sans cela, le vide est comblé par les spéculations et la colère. La réactivité concerne aussi l’action concrète : si des mesures d’urgence s’imposent (rappeler un produit dangereux, suspendre un collaborateur mis en cause, mettre un service en maintenance), il faut le faire sans tarder et le communiquer. Par exemple, dans le cas Leclerc (steaks hachés contaminés), le fait de retirer en un temps record tous les lots incriminés et de contacter les clients exposés a démontré le sérieux de l’enseigne, ce qui a contribué à sauver son image. La rapidité d’action et de communication a sans doute évité une perte de confiance durable.
Être réactif ne signifie pas agir précipitamment sans réflexion. Cela signifie avoir préparé le terrain (point 1) pour pouvoir mobiliser l’équipe et fournir une première réponse éclairée très rapidement. Il vaut mieux un message partiel mais honnête tôt (« Nous sommes au courant, nous analysons la situation, notre priorité est la sécurité de nos clients ») que le grand communiqué complet arrivé trop tard. La réactivité, c’est aussi savoir adapter le plan en temps réel : suivre l’évolution des réactions, corriger une information erronée rapidement, etc. En un mot, ne jamais laisser la crise courir devant vous : il faut la prendre en chasse dès le départ.
Transparence : dire la vérité, toute la vérité (ou presque)
La transparence est devenue un impératif catégorique en gestion de crise. Les publics d’aujourd’hui tolèrent de moins en moins le mensonge ou l’opacité. Ils exigent des entreprises qu’elles fassent preuve d’honnêteté sur ce qui s’est passé et sur ce qu’elles font pour y remédier. Cela ne veut pas dire tout révéler instantanément sans discernement (il y a parfois des contraintes légales ou le risque d’affoler inutilement), mais il faut tendre vers un maximum de clarté et de vérité.
Concrètement, être transparent en crise, c’est : admettre les faits établis, même s’ils sont défavorables ; ne pas chercher à minimiser les torts ; fournir les informations disponibles sans attendre que des tiers ne le fassent. Dans le cas d’une crise sanitaire ou sécurité, c’est crucial (cf. Lactalis qui a péché par manque de transparence et l’a payé cher). Une communication proactive est toujours mieux perçue qu’une communication subie. Comme on dit, « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » : il vaut mieux que ce soit la marque qui annonce une mauvaise nouvelle en expliquant son plan d’action, plutôt que de laisser la presse sortir l’affaire et apparaître ensuite sur la défensive.
La transparence implique aussi de rester accessible : mettre en place un FAQ, un numéro vert ou répondre sur les réseaux aux questions, pour éclaircir tout malentendu. C’est un effort supplémentaire, mais payant. Par exemple, après un incident technique majeur, une entreprise qui tient un fil d’actualité régulier (« voici la situation à 10h, voilà ce qu’on a fait d’ici 12h… ») gagne le respect du public par sa transparence.
Évidemment, la sincérité doit être au rendez-vous. Si la transparence révèle des faits graves, il faut les assumer. Inutile d’essayer de maquiller ou de tordre la vérité – cela finit presque toujours par se savoir et le retour de flamme est terrible. Mieux vaut admettre une faute honnêtement que de la cacher et de perdre définitivement la confiance. D’autant que le public sait faire la différence entre une erreur commise de bonne foi et un mensonge délibéré. La première peut être pardonnée, le second beaucoup moins.
Empathie et responsabilité : remettre le client au centre
Dans la tourmente, les entreprises ont parfois le réflexe de se protéger juridiquement ou de penser d’abord à leur réputation financière. Or, aux yeux du public, une crise bien gérée est d’abord une crise où l’entreprise a montré de l’empathie et pris ses responsabilités humaines. Il s’agit de replacer les personnes affectées au centre du discours.
Très concrètement, cela passe par des excuses sincères lorsqu’il y a des victimes ou des clients lésés. « Nous sommes désolés », « nous regrettons profondément ce qui s’est passé » – ces mots simples sont attendus, quitte à contrarier un service juridique frileux. On peut présenter des excuses sans s’exposer automatiquement à toutes les poursuites du monde (de toute façon, si la faute est avérée, les procédures arriveront que l’on s’excuse ou non). En revanche, ne pas s’excuser, c’est jouer la stratégie du hérisson et s’aliéner définitivement l’opinion. Rappelons-nous, par exemple, la différence entre le ton initial de United (froid, aucun regret exprimé) et le ton de l’excuse publique qui a suivi (beaucoup plus humble) : la seconde a été mieux accueillie, mais le mal était déjà fait en grande partie.
Au-delà des paroles, l’empathie se démontre par les actes envers les personnes touchées. Indemniser rapidement les clients victimes, proposer une assistance (financière, médicale, psychologique selon les cas), montrer qu’on comprend la douleur ou la colère et qu’on veut aider – voilà ce qui distingue les entreprises qui s’en sortent de celles qui sombrent. Pensez à l’attitude de Johnson & Johnson lors du scandale Tylenol dans les années 1980 : le groupe pharmaceutique, confronté à des capsules empoisonnées par un criminel, avait immédiatement retiré tous ses produits des rayons et communiqué massivement pour alerter et protéger le public, alors même qu’il n’était pas coupable directement. Cette priorité donnée aux consommateurs a fait sa réputation d’entreprise responsable et lui a permis de reconquérir le marché ensuite.
Prendre ses responsabilités signifie aussi assumer les conséquences : s’il faut licencier un employé fautif, rappeler un produit dangereux, compenser un préjudice, il faut le faire sans mégoter. Une compagnie aérienne qui offre un bon d’achat de 50€ pour un vol annulé ayant bloqué des passagers 2 jours à l’aéroport risque d’aggraver la frustration. Il vaut mieux en faire peut-être un peu trop que pas assez dans ces moments. La générosité (contrite) envers les clients est un investissement sur la restauration de la confiance.
Suivi et amélioration : apprendre de la crise pour rebondir
Enfin, une fois l’urgence passée, vient le temps de reconstruire. La confiance perdue ne revient pas du jour au lendemain ; il faut la regagner pas à pas. Cela passe par un suivi post-crise rigoureux. Analysez l’impact sur l’image, sur les ventes, sur la relation client. Mesurez dans 1 mois, 3 mois, 6 mois l’évolution de la perception de la marque. Cette démarche permet d’identifier les points à travailler pour regagner les cœurs. Ne pas le faire, on l’a vu, serait une erreur stratégique.
Ensuite, communiquez sur les leçons apprises et les changements effectués. Si la crise a révélé des faiblesses dans vos processus, dites ce que vous avez corrigé. Par exemple, après un scandale de données, une entreprise de tech pourra détailler les nouvelles mesures de sécurité prises, l’embauche d’un expert en protection des données, etc. Après une crise de produit, une entreprise agroalimentaire pourra mettre en avant le renforcement de ses contrôles qualité et inviter des organismes indépendants à auditer. Ces communications doivent être concrètes – exit le blabla de pure image. Le public devient sensible aux preuves tangibles de bonne foi.
Dans certains cas, reconstruire la confiance nécessite même de revoir l’identité de la marque. Changer de slogan, de packaging, lancer une campagne de communication axée sur la transparence ou la sécurité peut aider à tourner la page. Attention, cela doit s’appuyer sur du réel, sinon le public n’y verra qu’une opération cosmétique. Mais si les actes suivent, alors il faut le faire savoir de manière créative et positive. Par exemple, suite à des polémiques, certaines entreprises ont choisi de mettre en avant leurs engagements éthiques renouvelés : publicité montrant les coulisses de l’usine pour prouver la qualité, label tiers garantissant l’absence de telle substance, etc.
Enfin, il ne faut pas hésiter à impliquer les consommateurs dans cette reconstruction. Les écouter (via des sondages, des forums de discussion), peut-être même intégrer certains clients fidèles ou associations de consommateurs dans un comité conseil post-crise, peut envoyer un signal fort : « votre voix compte, aidez-nous à devenir meilleurs ». Co-construire les solutions avec les parties prenantes transforme une confrontation en collaboration, ce qui est idéal pour recouvrer une image positive.
Avec le temps, une crise surmontée avec sincérité et professionnalisme peut même devenir… un atout. Cela peut sembler fou sur le coup, mais des marques ont renforcé in fine le lien avec leur clientèle en gérant bien une crise, car elles ont démontré leur capacité à écouter et à évoluer. Une étude sur la réputation après crise indique que le fait de montrer des valeurs alignées avec celles du public permet de recréer un lien authentique de confiance et de fidélité sur la durée. En clair, si vous prouvez que vous partagez les préoccupations de vos clients et que vous faites tout pour corriger le tir, beaucoup reviendront vers vous – parfois avec un attachement accru, satisfaits d’avoir été entendus.
Le consommateur, boussole de la sortie de crise
Au terme de cette analyse, un constat s’impose : dans une crise d’entreprise, le consommateur est à la fois juge, partie et solution. C’est son regard et sa réaction qui déterminent l’ampleur du séisme médiatique, et c’est vers lui qu’il faut se tourner pour en sortir. En comprenant ses attentes – à la fois pragmatiques et idéalistes – les marques peuvent adapter leur gestion de crise pour répondre aux besoins réels du public. En acceptant la nouvelle donne des réseaux sociaux – fréquence, brutalité, imprévisibilité – elles peuvent se préparer à encaisser des chocs plus rudes. En évitant les erreurs fatales de communication et en appliquant les bonnes pratiques éprouvées, elles augmentent leurs chances de surmonter l’épreuve sans perdre leur âme.
Chers étudiants en marketing de crise, retenez bien ceci : une crise bien gérée ne tient pas du miracle ou du baratin, mais d’un travail rigoureux, d’une humilité sincère et d’une compréhension fine de vos consommateurs. Ceux-ci peuvent vous faire plier en un hashtag, mais ils peuvent aussi redevenir vos meilleurs ambassadeurs si vous savez reconstruire la confiance pas à pas. Chaque crise est un révélateur de la qualité de la relation entre une marque et son public. Votre rôle, en tant que futur communicant, sera d’être l’artisan de cette relation, y compris dans les moments les plus difficiles. Anticipez l’orage, restez à l’écoute, parlez vrai, agissez vite et juste – le tout avec le consommateur comme boussole. C’est ainsi que les marques non seulement survivent aux crises, mais parfois en ressortent grandies. En gestion de crise, le défi est grand, mais les outils sont là : à vous de jouer, avec éthique et pragmatisme.Quelle que soit la tempête, n’oubliez jamais que la confiance se mérite dans l’adversité, et c’est souvent après la crise que se forge la fidélité la plus solide rappelle Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom.