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Communication de Tesla face au « Death Cross » boursier de 2024

Death Cross

Le constructeur automobile Tesla fait face en 2024 à un important signal technique négatif sur son action boursière : la formation d’une « croix de la mort » (Death Cross en anglais). Ce phénomène se produit lorsque la moyenne mobile sur 50 jours du cours passe sous celle sur 200 jours, signe d’un essoufflement de la tendance haussière et souvent interprété comme un présage baissier par les analystes techniques. Concrètement, cela reflète une baisse marquée du titre sur les dernières semaines au point d’inverser la hiérarchie des moyennes de prix. Historiquement, ce type de croisement a pu précéder des replis prolongés du cours. D’ailleurs, la dernière fois que ce schéma est apparu (en février 2024), l’action Tesla a chuté de plus de 25 % dans les semaines qui ont suivi. Face à ce signal alarmant, comment Tesla et son dirigeant emblématique Elon Musk ont-ils géré leur communication financière et institutionnelle face à ce signal technique défavorable ? Cet article analytique examine le contexte boursier de Tesla en 2024, les messages diffusés par l’entreprise (officiellement ou via ses dirigeants), la stratégie de communication adoptée (silence, contre-feux médiatiques, mise en avant des fondamentaux, annonces produits, etc.), ainsi que les réactions des analystes et investisseurs. L’objectif est de déterminer dans quelle mesure Tesla a su – ou non – rassurer les marchés et contrôler le narratif malgré ce signal technique défavorable.

Contexte boursier de Tesla en 2024 : un essoufflement après l’euphorie

En 2023, l’action Tesla avait connu une forte volatilité, enchaînant rebonds et corrections. L’année 2024 s’ouvre dans un climat plus incertain pour la firme d’Austin. Après avoir atteint des sommets relatifs, le titre entame un repli notable qui aboutit, début 2024, à la formation du Death Cross. À ce moment-là, la moyenne mobile 50 jours de l’action (aux alentours de 289 $) croise à la baisse la moyenne 200 jours (environ 291 $), validant le signal baissier. Cette configuration reflète une baisse de près de 40 % du cours depuis le début de l’année. Cette chute s’explique par plusieurs facteurs de fond.

Plusieurs facteurs de fond expliquent l’essoufflement du titre Tesla en Bourse en 2024. D’une part, le contexte macroéconomique s’est détérioré : la forte hausse des taux d’intérêt décidée par la Réserve fédérale américaine a pesé sur l’ensemble des valeurs de croissance, en réduisant la valeur actualisée de leurs bénéfices futurs. Tesla n’a pas échappé à ce mouvement de marché général. D’autre part, l’entreprise affronte des défis spécifiques. Sur le plan commercial, la croissance de ses ventes de véhicules électriques montre des signes de ralentissement, et ce malgré des baisses de prix agressives consenties pour stimuler la demande. Certains clients potentiels diffèrent leur achat en attendant de nouveaux modèles ou restylages, ce qui a contribué à une baisse des livraisons au premier trimestre 2024. La concurrence, elle, s’intensifie : des rivaux émergents comme Lucid Motors aux États-Unis ou BYD en Chine attirent une partie de la clientèle, tandis que les grands constructeurs traditionnels (Volkswagen, BMW, etc.) montent en puissance sur le segment électrique. Tesla se retrouve ainsi sous pression, notamment en Chine où des fabricants locaux dynamiques lui disputent des parts de marché. En parallèle, la stratégie de réduction des prix mise en œuvre par Tesla pour soutenir les volumes a comprimé ses marges, un point qui inquiète les investisseurs quant à la rentabilité future.

Enfin, un facteur plus immatériel mais non moins réel pèse sur l’image de Tesla : l’effet Elon Musk. Le PDG de Tesla est une personnalité médiatique clivante, dont les prises de position publiques (notamment politiques) et les activités parallèles peuvent déplaire à une partie des investisseurs et des clients. En 2022–2023, Elon Musk a racheté le réseau social Twitter (rebaptisé X) et s’est montré très actif sur ce front, avec des déclarations parfois controversées sur des sujets allant de la politique américaine à la cryptomonnaie Dogecoin. Cette hyperactivité hors Tesla a pu donner l’impression d’un Musk « distrait » de sa mission chez Tesla. Par ailleurs, certaines positions politiques de Musk (par exemple son alignement avec des courants conservateurs aux États-Unis ou en Allemagne) ont entraîné un backlash – un retour de bâton – auprès d’une fraction du public initialement acquis à Tesla. Des analystes relèvent que l’image de marque de Tesla, historiquement très liée à celle de Musk, a souffert de ces controverses. Ainsi, début 2024, la chute du cours s’explique aussi par « le retour de bâton contre l’attitude politique d’Elon Musk » et une érosion de la demande qui en découle. En somme, conjoncture défavorable, pression concurrentielle, inquiétudes sur les marges et perception ternie du leadership de Musk forment un cocktail à l’origine du Death Cross boursier observé.

Messages officiels : entre silence et mise en avant des fondamentaux

Lorsqu’un signal technique négatif apparaît, une entreprise peut être tentée de réagir publiquement pour rassurer les actionnaires. Tesla a toutefois une approche de communication particulière. Depuis 2020, la société ne dispose plus de département relations presse dédié – un cas unique dans l’automobile – et elle privilégie une communication directe, notamment via les réseaux sociaux d’Elon Musk et les mises à jour sur son site d’investisseurs. Dans le cas du Death Cross de 2024, Tesla est restée fidèle à sa ligne de conduite : pas de commentaire direct sur l’évolution du cours de Bourse ou sur le signal technique en lui-même. Aucune conférence de presse extraordinaire ni communiqué spécifique n’ont été émis pour contrer le pessimisme du marché. Ce silence relatif peut s’expliquer par la culture d’entreprise de Tesla, qui préfère se concentrer sur l’exécution de sa stratégie industrielle en laissant aux marchés le soin d’évaluer le titre sur le long terme.

Pour autant, la communication financière institutionnelle de Tesla ne s’est pas arrêtée – elle s’est simplement faite par les canaux habituels. Lors de la publication des résultats trimestriels et des conférences téléphoniques avec les analystes en début d’année 2024, Tesla a mis en avant ses fondamentaux pour tenter de convaincre que la baisse du cours ne reflète pas la santé intrinsèque de l’entreprise. Par exemple, Elon Musk et son équipe ont souligné la progression continue de la production et des ventes sur une base annuelle, avec près de 1,37 million de véhicules livrés en 2023 (un record historique), même si le rythme de croissance a ralenti temporairement. Tesla a rappelé ses avancées industrielles telles que l’ouverture de nouvelles usines (la Gigafactory au Mexique annoncée en mars 2023, le démarrage de la production du Cybertruck fin 2023, etc.) et la diversification de ses revenus (développement de l’activité de stockage d’énergie, solaire, logiciels automobiles). Ce discours vise à ancrer l’idée que les fondamentaux de long terme restent solides, malgré les soubresauts boursiers de court terme.

Un point central abordé lors de la communication financière a été l’impact de la conjoncture économique sur les résultats. Elon Musk a expliqué sans détour aux investisseurs que la contraction des marges de Tesla en fin 2023 et début 2024 était largement due aux taux d’intérêt élevés qui renchérissent le coût d’achat des voitures pour les consommateurs. « If the interest rates come down quickly, I think margins will be good, and if they don’t, they wouldn’t be that good » a résumé Musk, illustrant combien la politique monétaire pèse sur les performances financières du constructeur. Il a tenu à rassurer sur la solidité de la demande sous-jacente : selon lui, « ce n’est pas que les gens ne veulent pas [acheter des véhicules Tesla], c’est qu’ils ne peuvent tout simplement pas se le permettre » dans le contexte actuel de crédit cher. En d’autres termes, le problème viendrait plus de l’accessibilité financière que de l’attrait du produit lui-même. Ce message vise à contrer l’idée d’une désaffection structurelle des clients et à reporter la responsabilité du ralentissement des ventes sur un facteur externe (les taux d’intérêt) appelé à évoluer. Tesla a également souligné continuer à investir dans l’innovation et l’efficacité afin de réduire ses coûts de production – un moyen d’améliorer les marges à l’avenir même sans aide macroéconomique.

Par ailleurs, plutôt que de nier les difficultés, Elon Musk a reconnu certains défis lors des échanges avec les analystes. Il a admis par exemple qu’en période d’incertitude économique, beaucoup de ménages reportent l’achat d’une voiture neuve, et que Tesla devait redoubler d’efforts pour réduire ses coûts (« dégager des économies dans la fabrication revient à creuser un tunnel à la petite cuillère », illustrera-t-il pour témoigner des efforts minutieux engagés). Ce réalisme dans le discours financier sert à montrer que la direction est consciente des enjeux de court terme, tout en martelant sa confiance dans la vision à long terme.

En somme, sur le plan institutionnel, la stratégie de communication de Tesla face au Death Cross a été de rester sur son message long terme. Plutôt que de s’attarder sur le signal technique ou la baisse du cours elle-même, l’entreprise a communiqué via ses canaux normaux (rapport d’activité, conférences trimestrielles) en contextualisant la situation (impact macro temporaire) et en mettant en avant les éléments fondamentaux positifs (demande de fond toujours robuste, projets futurs, maîtrise des coûts, etc.). Cette approche prudente – parfois perçue comme de la retenue ou du silence vis-à-vis du marché – vise à éviter d’ajouter de la volatilité par des déclarations improvisées, tout en réaffirmant la trajectoire de Tesla.

Le rôle d’Elon Musk : entre contre-feux médiatiques et promesses futuristes

Si Tesla n’a pas mené de campagne de communication officielle particulière, Elon Musk, en tant que figure publique et médiatique, reste un vecteur majeur de communication (voulu ou non) auprès des investisseurs. Sa parole sur Twitter (rebaptisé X) et lors d’événements publics constitue souvent la communication officieuse de Tesla. Face à la morosité boursière de début 2024, Musk a adopté une posture ambivalente : d’un côté une relative discrétion sur le cours de Bourse lui-même, de l’autre une intensification des messages sur les projets technologiques de Tesla, pouvant s’interpréter comme des « contre-feux » médiatiques pour rediriger l’attention vers le long terme.

D’une part, Elon Musk n’a pas directement commenté la croix de la mort ni expressément cherché à démentir le pessimisme du marché via Twitter. En cela, il reste cohérent avec sa philosophie exprimée par le passé : ne pas sur-réagir aux fluctuations boursières. Déjà en décembre 2022, au plus fort d’une précédente chute de l’action, Musk exhortait ses équipes à ignorer la panique du marché : « Ne soyez pas trop perturbés par la folie du marché boursier. Si nous continuons à délivrer d’excellentes performances, le marché s’en rendra compte. À long terme, je suis convaincu que Tesla sera l’entreprise la plus valorisée au monde ! » Ce mail interne, révélé dans la presse, montre l’état d’esprit qu’il a cherché à insuffler : garder le cap opérationnel sans se laisser distraire par la volatilité. En 2024, malgré le Death Cross, Musk n’a pas publiquement dérogé à ce principe – aucune déclaration directe du genre « le marché se trompe sur Tesla » n’a été faite dans l’espace médiatique au moment du croisement technique.

D’autre part, Musk a redoublé de communication sur les sujets d’avenir de Tesla, ce qui peut être vu comme une manière de contrer le narratif négatif en projetant une vision optimiste. Sur Twitter, il a multiplié les messages relatifs aux avancées technologiques de l’entreprise. Par exemple, il a de nouveau promis que la conduite autonome complète était imminente : répondant à un post de Tesla évoquant que « un jour » les véhicules iraient d’eux-mêmes de l’usine au client, Musk a affirmé que cela arriverait « d’ici la fin de l’année ». De même, il a assuré que « Tesla self-driving will be far safer than human driving », c’est-à-dire que la conduite autonome made in Tesla sera bien plus sûre que la conduite humaine. Ces déclarations, très ambitieuses, reprennent des promesses qu’il avait déjà formulées par le passé (Musk avait notamment annoncé une flotte de robotaxis pour 2020 puis 2021, échéance sans cesse repoussée). Le fait qu’il les réitère en 2024, en pleine baisse de l’action, n’est sans doute pas anodin : il entretient l’enthousiasme de la communauté de fans et d’investisseurs de long terme en montrant que les gros progrès technologiques – susceptibles de transformer le modèle économique de Tesla – sont toujours en ligne de mire.

En parallèle, Elon Musk a usé de son réseau social pour partager des nouvelles positives sur Tesla, par exemple en se félicitant des avancées de la production du Cybertruck ou de l’arrivée de fonctionnalités logicielles attendues. Tout ceci contribue à délivrer un message implicite : « Certes l’action souffre en ce moment, mais regardez tout ce qui arrive, l’avenir est prometteur ». Cette stratégie de projection vers le futur est une forme de communication destinée aux actionnaires fidèles, leur rappelant pourquoi ils ont investi dans Tesla à la base – pour sa capacité d’innovation et sa vision disruptive – et non pour les seuls résultats du trimestre en cours.

Il convient de noter que cette tactique comporte des risques : certains observateurs y voient de la diversion médiatique. Par exemple, le site spécialisé Electrek a qualifié en 2025 de « propagande » la série de tweets de Musk vantant les progrès du Full Self-Driving la veille de résultats trimestriels jugés décevants. Le terme est provocateur, mais il reflète une perception : Musk aurait tendance à occuper l’espace médiatique avec des annonces futuristes pour détourner l’attention des nouvelles financières moins reluisantes. En 2024, ses envolées sur la conduite autonome ont été accueillies avec un certain scepticisme par les analystes, qui rappellent que de telles promesses ont été faites à maintes reprises par le passé sans aboutir dans les délais annoncés. Néanmoins, du point de vue de la communication, ces interventions d’Elon Musk ont maintenu une narrative positive autour de Tesla – celle d’une entreprise en avance technologiquement, proche d’une percée majeure – venant contrebalancer la narrative boursière négative du Death Cross.

Le Death Cross boursier de 2024 a été un test révélateur de la manière dont Tesla gère sa communication en période de défiance du marché. Plutôt que de réagir frontalement au signal technique, la firme d’Elon Musk a choisi de garder son cap en misant sur la pédagogie financière et la projection dans l’avenir. Tesla a mis en avant des facteurs explicatifs conjoncturels (taux d’intérêt, économie) tout en soulignant la robustesse de ses fondamentaux et de sa vision long terme, sans céder à la tentation d’une communication purement rassurante à court terme. Elon Musk, de son côté, a joué un rôle ambigu : silencieux sur la baisse du cours en soi, mais prolifique dès qu’il s’agit de vanter les innovations à venir et de rallumer la flamme de l’optimisme. Cette stratégie de communication comporte des avantages (ne pas surréagir, conserver une ligne stratégique lisible, mobiliser la communauté) mais aussi des limites – elle peut laisser certains investisseurs sur leur faim quant aux mesures concrètes et donner l’impression d’éluder les problèmes immédiats.

Au vu des réactions, il apparaît que reconquérir la confiance totale du marché nécessitera plus que des mots. La communication a permis de gagner du temps en réaffirmant le potentiel futur de Tesla, mais les prochains trimestres devront apporter des confirmations tangibles (redressement des ventes, maintien de parts de marché, réalisation des promesses technologiques) pour véritablement dissiper le signal négatif du Death Cross. En attendant, Tesla aura démontré en 2024 sa volonté de piloter sa narration autant que son activité : ne pas se laisser dicter son agenda par les indicateurs boursiers, mais continuer à communiquer sur ce qui, selon elle, importe vraiment – la mission et les résultats opérationnels. Reste à voir si cette confiance affichée était justifiée, mais en termes de communication, Tesla aura maintenu le cap de la cohérence et de la neutralité analytique face aux vents contraires.