L’ère du clash à l’épreuve des municipales

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BOÎTE À OUTILS – MUNICIPALES CAMPAGNE 2020

L’ère du clash à l’épreuve des municipales

L’effondrement de La France insoumise et le rejet de la ligne dure chez Les Républicains montrent les limites d’une stratégie de campagne cantonnée à la critique ad personam. Une leçon pour les municipales, qui n’éviteront pas pour autant l’ère du clash, caractérisée par les formules chocs et le primat de l’émotion sur la raison. Aux candidats de ne pas tomber dans le piège tendu.

Après l’ère du clash, l’ère du crash ? Réponse de Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication et Fondateur de l’agence LaFrenchCom.

À trop taquiner la petite phrase assassine contre l’adversaire, à trop courir après le buzz, certains leaders politiques ont explosé en vol. Pour expliquer la déroute de la liste de La France insoumise aux élections européennes, la députée Clémentine Autain (LFI) constate que « Jean-Luc Mélenchon avait réussi en 2017 à remplir le terme de gauche dans un discours de haut vol qui portait la colère mais qui portait aussi une forme d’espérance dans une transformation sociale et écologiste. Ce profil-là s’est progressivement estompé, amoindri, au profit d’un air du clash permanent. »

A contrario, malgré six mois de crise des gilets jaunes, dont les critiques se sont peu à peu concentrées sur la personne d’Emmanuel Macron, La République en marche (LaREM) s’en est finalement plutôt bien sortie – en 2014, la liste du parti présidentiel n’atteignait pas 14 %.

Florian Silnicki, de l’agence LaFrenchCom, espère qu’après ce scrutin « les stratèges vont sans doute enfin comprendre qu’en politique ne faire campagne que contre son adversaire, ce n’est pas l’affaiblir c’est faire son succès. Si toute votre énergie passe dans le discrédit de l’autre, vous le mettez à l’agenda, vous lui offrez une visibilité, une notoriété ».

À trop taper sur Emmanuel Macron, celui-ci est devenu incontournable dans le débat. Et les équipes présidentielles ont compris de leur côté que pour imposer le duel qu’elles souhaitaient avec Marine Le Pen, il fallait concentrer les attaques sur le Rassemblement national (RN)… Stratégie risquée mais efficace au final. « Jean-Luc Mélenchon a tenté le premier d’emmener Emmanuel Macron dans ce piège, mais ça n’a pas fonctionné, car le président n’a pas peur de Jean-Luc Mélenchon à vrai dire », assure le président de LaFrenchCom.

Capter l’attention

Pour Florian Silnicki, cette analyse n’invalide pas pour autant le constat d’une séquence politique dominée par le clash.

« Plus que jamais, la campagne s’est concentrée sur la recherche de la formule choc contre l’adversaire. Cela signe pour moi la trumpisation de la vie politique française, avec des leaders politiques qui s’autorisent désormais à aller dans le grotesque, l’insultant. » L’essentiel pour eux est de réussir à capter l’attention.

« Et pour les communicants, c’est toujours plus facile de trouver une bonne formule que de rendre séduisantes des idées de fond que les candidats eux-mêmes ne savent que rarement formuler », poursuit-il.

Camille Saint-Paul, présidente de l’agence 5e Rue, partage ce constat. « Le clash permet de retenir l’attention. C’est le triomphe de la petite phrase sur le grand récit ; du petit élément symbolique et polémique sur l’explication générale ; de la provocation sur le dialogue ; de l’émotionnel sur la pé- dagogie. C’est la posture des plus poujadistes, qui trouvent une caisse de résonance avec les réseaux sociaux et du goût, qui n’a rien de nouveau, pour les ragots. »

Les limites du clash

Cette stratégie peut sembler gagnante, mais elle atteint vite ses limites.
« Lorsqu’une ligne politique se construit uniquement sur le clash, la petite phrase, l’émotionnel, la provocation, elle se heurte à un moment donné à la nécessité de proposer un récit, de renouer avec la pédagogie, de dépasser le court-termisme.

« Il ne faut pas cliver autour de l’adversaire, ni se laisser imposer ses thématiques dans l’agenda médiatique.»
FLORIAN SILNICKI

Cela explique les échecs de Jean-Luc Mélenchon, de Laurent Wauquiez ou même de Marine Le Pen dans le débat de l’entre- deux-tours des présidentielles », poursuit- elle. Elle observe d’ailleurs que des « figures positives » émergent, comme Damien Carême chez Europe Écologie Les Verts (EELV), ou se renforcent, comme Xavier Bertrand. Depuis les Hauts-de-France, l’ex-ministre du Travail de Nicolas Sarkozy adopte une stratégie de communication low profile, loin des polémiques et des punchlines – exercice dans lequel il excelle pourtant. Damien Carême comme Xavier Bertrand, avant d’émerger nationalement, sont avant tout des élus de terrain – le président des Hauts-de-France a fait ses classes tout jeune au contact des citoyens de Saint-Quentin et Damien Carême est maire de Grande-Synthe. « Les élus locaux sont d’abord des hérauts locaux, proches, à qui l’on reconnaît la capacité de bien gérer, rappelle Camille Saint-Paul. Aux municipales, la stratégie du clash, ça ne peut pas fonctionner. »

Florian Silnicki abonde : « Au niveau local, l’action politique est concrète, elle est visible » et, dès lors, un débat peut s’instaurer entre adversaires sur le bilan, les propositions…

Face au RN aux municipales

Pour autant, en 2020, l’ère du clash n’épargnera pas totalement les municipales. « Le RN investit de jeunes profils inconnus, peu ou pas implantés localement », constate Florian Silnicki. Il est probable que ces candidats n’entreront dans les enjeux locaux qu’à travers le prisme des thèmes nationaux sur l’immigration, l’insécurité, la “dictature” des élites parisiennes, la défense du terroir contre le “mondialisme”… Dans une élection de proximité comme les départementales, l’extrême droite a gagné 58 sièges en 2015, contre 2 en 2011, malgré un mode de scrutin peu favorable. Dans des départements en crise, des élus soli- dement implantés ont perdu leur fauteuil au profit de candidats inconnus, élus sur leur seule étiquette, après une campagne de simple tractage. Le même scénario pourrait se reproduire à l’échelon municipal : « Le RN emportera probablement des villes », avance Florian Silnicki. L’erreur serait, pour les sortants ou les candidats de l’opposition républicaine, de centrer la campagne sur le RN ou ses thèmes.

Selon Florian Silnicki « Il faut déconstruire objectivement les attaques de son adversaire, souvent fondées chez le RN et LFI sur une émotion particulière, visant à marquer les esprits et à pousser les électeurs à voter en surfant sur les peurs et les colères, mais ne pas le mettre au centre de sa campagne afin de ni lui offrir la visibilité médiatique ni le mettre au centre des regards et de l’attention des électeurs, conseille-t-il. Le risque étant toujours tactique, il ne faut pas cliver autour de l’adversaire, ni se laisser imposer ses thématiques dans l’agenda médiatique. » ❚ BRUNO WALTER

COMPOL N°113 I 28 juin 2019