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Penelopegate : la communication politique de François Fillon à l’épreuve de la mise en examen

Quelle communication politique face au risque de mise en examen de François Fillon ?

Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication et Fondateur de l’agence de communication LaFrenchCom était l’invité de Public Sénat dans l’émission Sénat360. Il débat face à Jean-Sébastien Ferjou, Directeur de la publication du site Atlantico et Judith Waintraub Journaliste politique au Figaro, de la situation politique de François Fillon. Comment le candidat à l’élection présidentielle tente t il de surmonter la crise qu’il traverse ? Quelle stratégie de communication politique de crise a t il déployé pour protéger l’image dont il avait fait un atout dans la primaire de la droite et du centre ?

Un candidat “irréprochable” pris au piège de l’affaire

François Fillon s’est lancé dans la campagne présidentielle de 2017 fort d’une image d’homme intègre, un atout central qui lui avait permis de remporter la primaire de la droite et du centre. Il avait fait de la probité son marqueur distinctif, se posant en contraste moral face à d’autres candidats éclaboussés par des affaires. Cette posture d’intégrité irréprochable – assumée jusqu’à promettre qu’il renoncerait à sa candidature s’il était mis en examen – a cependant volé en éclats lorsqu’a émergé le Penelopegate. Les révélations fin janvier 2017 sur les emplois présumés fictifs de son épouse Penelope et de ses enfants ont déclenché une crise politique et judiciaire majeure, plaçant Fillon face au risque imminent d’une mise en examen.

Dès lors, le candidat s’est retrouvé dans l’œil du cyclone, contraint de déployer en urgence une stratégie de communication de crise pour sauver sa campagne. Comment l’homme qui se targuait de n’avoir “pas de casserole” a-t-il géré cette tempête médiatico-judiciaire ? Quelles méthodes a-t-il employées pour tenter de protéger son image, et avec quel succès ? Sa communication politique, d’abord présentée comme l’un de ses points forts, s’est transformée en véritable casse-tête. Experts en communication de crise et observateurs politiques ont disséqué ses choix durant l’émission Sénat360 sur Public Sénat, pointant erreurs flagrantes, volte-face et incohérences. Le résultat, aujourd’hui évident, est sans appel : la gestion de crise de François Fillon constitue un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire.

L’atout “intégrité” de Fillon brisé par le Penelopegate

François Fillon abordait l’élection avec l’image d’un homme honnête, droit dans ses bottes, qui lui avait permis de surclasser ses concurrents lors de la primaire. Il s’était notamment démarqué en martelant qu’il n’avait aucune affaire judiciaire en cours, contrairement à Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé. Ironie du sort, c’est précisément l’absence de “risque judiciaire” mise en avant pendant les primaires qui a volé en éclats et plombé la suite de sa campagne​. Le Penelopegate – du nom de son épouse employée comme collaboratrice parlementaire – a profondément contredit l’identité politique que Fillon s’était construite. Celui qui se présentait en catholique rigoureux, garant de la probité en politique, a vu le sol se dérober sous ses pieds lorsque la presse a révélé que sa propre famille avait bénéficié de fonds publics d’une manière jugée abusive.

La désillusion dans l’opinion a été à la hauteur de l’espoir qu’il avait suscité. Du jour au lendemain, le candidat “propre” est apparu comme un politicien comme les autres, voire pire. Les sondages ont montré une chute brutale de la confiance : une majorité de Français en sont venus à penser que François Fillon ne disait pas la vérité dans cette affaire​. Le sentiment de trahison a été particulièrement cuisant chez ses partisans de la primaire, qui l’avaient choisi précisément pour son éthique. En quelques jours, l’atout s’est mué en boulet : l’intégrité, jadis force de Fillon, est devenue sa vulnérabilité majeure. Dès lors, toute sa communication de crise allait consister à tenter de reconquérir ce capital confiance perdu ou à défaut, à dissuader son camp de l’abandonner en rase campagne.

Confronté à une avalanche médiatique et à l’ouverture rapide d’une enquête judiciaire, François Fillon a tâtonné pour trouver la bonne réponse. Sa stratégie de communication a évolué par à-coups, épousant les rebondissements de l’affaire plus qu’elle ne les a maîtrisés. Revenons sur les grandes étapes de cette communication de crise :

Déni initial, retard à l’allumage et défense légaliste

Dans un premier temps, la réaction de Fillon a été marquée par la sidération et le déni. Prévenu qu’un article du Canard enchaîné allait révéler l’emploi de Penelope, il n’a visiblement pas anticipé de plan de riposte médiatique efficace. Les experts en gestion de crise estiment qu’“dès l’information donnée par Le Canard Enchainé (…), un dispositif de riposte médiatique aurait dû se mettre en place pour constituer un bouclier de protection de l’image du candidat”​. Au lieu de cela, rien n’avait été préparé en amont : Fillon et son équipe de communicants de crise ont paru courir derrière les révélations et les attaques politiques, réagissant tardivement et subissant l’initiative médiatique.

Dans les premiers jours, le candidat a nié toute irrégularité, s’enfermant dans des éléments de langage technocratiques et légalistes. Il répète qu’il a agi “scrupuleusement” dans le cadre de la loi, sans jamais reconnaître le problème éthique sous-jacent. Cette défense purement juridique est rapidement apparue insuffisante et hors sujet aux yeux de nombreux observateurs. Comme l’a noté Florian Silnicki, trois principes de base de la communication de crise auraient dû guider François Fillon : « Tout dire », « le dire tôt » et « le dire avant les autres ». Or, François Fillon les a tous violés​. Au lieu de tout révéler d’emblée pour désamorcer la bombe, il a laissé filtrer les informations au compte-gouttes sous la pression des médias. Au lieu de parler le premier, il a subi l’agenda des révélations, donnant l’impression de cacher des choses et alimentant la suspicion. Ce retard à l’allumage a été fatal : il a engendré ce que les communicants appellent un feuilleton médiatique, chaque épisode affaiblissant un peu plus le candidat.

Pire, Fillon semble n’avoir pas pris la mesure du tsunami. Il n’affiche d’abord aucun remords ni inquiétude. Ni excuses, ni propositions concrètes (par exemple rembourser une partie des sommes) ne viennent accompagner ses justifications juridiques. Cette posture froide et défensive est en décalage total avec l’émoi de l’opinion publique. « François Fillon s’est enfermé dans des éléments de langage insusceptibles de convaincre qui que ce soit – criant au complot, répétant en boucle qu’il avait “scrupuleusement respecté” toutes les règles, attaquant les médias, la gauche, le parquet financier – sans que cela serve ses intérêts médiatiques** » relève Florian Silnicki​. En clair, pendant ces premiers jours cruciaux, Fillon a parié qu’une défense de droit commun (rien d’illégal, circulez) suffirait, alors même que l’accusation portait sur la morale et la confiance. Ce décalage a d’emblée miné sa crédibilité.

Conférence de presse tardive : l’excuse incomplète qui ne convainc pas

Devant l’inefficacité de sa première ligne de défense et l’ampleur grandissante du scandale, Fillon tente un changement de pied début février. Plus d’une semaine après les révélations initiales, il organise finalement une grande conférence de presse le 6 février 2017. L’objectif affiché : s’expliquer « devant les Français », montrer patte blanche et relancer sa campagne.

Le candidat y prononce des excuses… qui laissent un goût amer. D’entrée, il affirme « demander pardon » aux Français, non pas d’avoir commis une faute, mais d’avoir donné une image qui a pu choquer. En substance, il s’excuse “de n’avoir rien fait d’illégal”, une pirouette sémantique immédiatement relevée par les commentateurs​. Cette contrition partielle et alambiquée représente le paradoxe insurmontable de sa prise de parole : comment espérer regagner la confiance du public en s’excusant tout en clamant son irréprochabilité juridique ? Comme l’a ironisé un analyste, “s’excuser de n’avoir commis aucune illégalité”, c’est un contresens qui rend le message confusant​. Effectivement, Fillon reconnaît du bout des lèvres « une erreur », mais immédiatement il précise « pas illégale ». Il admet avoir employé ses proches, concède que cela « choque » rétrospectivement, mais s’empresse d’ajouter qu’à l’époque « c’était légal ». Cette défense bancale, coincée entre mea culpa et auto-justification, laisse l’opinion publique dubitative.

Sur le fond, Fillon n’apporte aucune révélation nouvelle lors de cette conférence censée tout clarifier. Il demeure évasif sur la réalité du travail de Penelope, refuse de publier les preuves concrètes d’activité, et minimise les rémunérations perçues. Plutôt que la transparence totale attendue, il offre une demi-transparence qui entretient les doutes. Florian Silnicki estime que François Fillon aurait dû immédiatement déployer la transparence sur les faits révélés, mais qu’à la place « il a préféré miser sur l’empathie et la mise en scène des sentiments à l’égard de sa femme »​. En effet, une bonne partie de l’intervention de Fillon tourne à l’apologie de Penelope : il décrit sa douleur, l’acharnement médiatique dont elle serait victime, cherchant à attendrir l’auditoire. Cette tentative de détourner le sujet par l’affect ne suffit pas : “Sa défense ne marchait dès lors plus que sur un pied”, note l’expert en communication de crise Florian Silnicki​. Il manque toujours l’autre pied : la preuve tangible et l’aveu complet.

En somme, cette grand-messe médiatique, qui aurait dû éteindre l’incendie, n’a fait que l’attiser. Fillon reste englué “prisonnier d’une stratégie de défense basée sur le complot dont il n’a pas réussi à se défaire”, note Florian Silnicki​. Certes, pour la première fois le candidat admet une forme d’“erreur” morale, mais dans le même souffle il répète être la cible d’attaques politiques infondées. Le message brouillé ne convainc personne : ni les électeurs (qui, sondage après sondage, continuent de le juger menteur), ni même une partie de son propre camp. L’émission Sénat360 de Public Sénat du 16 février souligne à quel point cette conférence manquée a fragilisé Fillon jusque dans son camp. Jean-Sébastien Ferjou y rappelle que les jours suivants, des voix des Républicains ont envisagé de le “débrancher” et de chercher un autre candidat tant la situation semblait compromise​. Lorsque vos alliés commencent à parler de plan B, c’est que votre communication de crise a échoué.

Quelques minutes à peine après la fin de la conférence de presse de Fillon, le coup de grâce est porté par une nouvelle révélation – comme pour illustrer le propos de Florian Silnicki sur le feuilleton infernal. Une ancienne interview vidéo de Penelope refait surface, où elle affirmait n’avoir « jamais été l’assistante » de son mari. Cet élément, diffusé aussitôt sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info, contredit frontalement les justifications du candidat. Fillon est carbonisé médiatiquement pour la journée, et ses efforts de clarification retombent à plat en quelques heures. Cette séquence illustre de manière frappante la loi d’airain des crises mal gérées : « Une crise politique mal gérée ne meurt jamais… À chaque réponse incomplète ou maladroite, le candidat Fillon s’est abîmé un peu plus, paralysant chaque fois davantage sa campagne et détruisant petit à petit sa crédibilité »​. En clair, faute d’avoir stoppé l’hémorragie dès le début, Fillon est condamné à l’exsanguination lente, chaque rebondissement creusant un peu plus sa tombe politique.

Contre-attaque tous azimuts : la posture du “complot” et le retranchement dans sa base

Face à l’érosion continue de son image, François Fillon opère un dernier virage stratégique fin février-début mars : il choisit la contre-offensive frontale. Plutôt que de continuer à s’expliquer (ce qui ne convainc visiblement pas l’opinion), il endosse le costume du combattant assiégé et cherche à renverser la narrative. Le vocabulaire se durcit spectaculairement. Fillon déclare être victime d’un « assassinat politique », d’une cabale médiatico-judiciaire menée selon lui pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Sur Public Sénat, les commentateurs n’en reviennent pas de l’entendre employer des termes aussi extrêmes. Judith Waintraub, journaliste au Figaro, souligne le pari risqué de cette rhétorique : clamer l’“assassinat politique”, c’est se présenter soi-même comme un “mort vivant” sur l’échiquier politique – une posture peu rassurante venant de quelqu’un qui prétend encore pouvoir gagner​. Florian Silnicki abonde : « Au-delà de l’excessivité manifeste du propos, François Fillon s’est abîmé en se désignant dès lors comme un ‘décédé’ sur l’échiquier politique. Beau contresens. À vouloir taper fort, il s’est tapé dessus »​. Autrement dit, en cherchant à frapper l’opinion par des formules choc, il n’a réussi qu’à se tirer une balle dans le pied communicationnellement.

Parallèlement, Fillon et ses soutiens les plus fidèles attaquent les institutions : ils mettent en cause l’impartialité du Parquet National Financier, accusé d’instrumentalisation politique, et dénoncent les médias coupables selon eux de “lynchage médiatique”. Cette stratégie de la terre brûlée vise clairement à resserrer les rangs de son camp politique en jouant sur le réflexe partisan (la droite se sentirait persécutée par des juges et journalistes biaisés à gauche). Elle emprunte, d’une certaine manière, aux méthodes populistes : délégitimer les contre-pouvoirs pour se poser en seul héros du peuple. Fillon espère sans doute mobiliser sa base électorale sur le thème “c’est nous contre le système”.

Pour matérialiser ce sursaut, il organise le 5 mars un grand rassemblement de ses partisans au Trocadéro à Paris. Cette manifestation de rue, inédite pour un candidat de droite classique, est mise en scène comme une démonstration de force populaire contre l’injustice qui lui serait faite. Des milliers de sympathisants – galvanisés par des slogans anti-médias et pro-Fillon – bravent la pluie ce jour-là pour crier leur fidélité. Fillon y puise l’énergie pour déclarer encore une fois qu’il ira “jusqu’au bout”. Toutefois, les experts en communication y voient surtout un baroud d’honneur désespéré. « Sa tentative désespérée d’un grand rassemblement pour matérialiser la force populaire qu’il revendique est le dernier espoir du condamné à la peine capitale », juge Florian Silnicki​. Le choix même du Trocadéro – lieu symbolique d’une droite conservatrice se posant en résistante – traduit que Fillon se replie sur son socle militant plutôt que de chercher à reconquérir l’opinion dans son ensemble. C’est un calcul de second tour avant l’heure : sauver les meubles en évitant l’effondrement total du noyau dur, quitte à renoncer à convaincre au-delà.

Sur le moment, cette mobilisation donne l’illusion d’une remobilisation : Fillon reprend quelques points dans les intentions de vote chez les sympathisants LR. Mais l’effet est de courte durée. En réalité, cette contre-attaque tous azimuts présente des limites flagrantes : elle polarise et radicalise son image (on le voit haranguant la foule contre les juges), ce qui effraie l’électorat modéré qui lui avait permis de gagner la primaire. Elle apparaît comme déconnectée des préoccupations des Français (chômage, pouvoir d’achat, etc.), centrée exclusivement sur son sort personnel. Enfin, elle ne résout en rien le problème de fond : les questions sur l’emploi de Penelope et l’argent public dilapidé restent sans réponse satisfaisante. À force de refuser de reconnaître la moindre faute et de crier au complot, Fillon laisse une impression d’impunité et d’arrogance, renforçant le rejet dans une grande partie de l’opinion.

Les conseils des experts en communication de crise : ce qu’il aurait dû faire

Au fil de la crise, de nombreuses voix expertes ont tenté d’analyser la situation de François Fillon et de formuler des recommandations – généralement peu flatteuses pour la stratégie suivie par le candidat. Sur Public Sénat, dans l’émission Sénat360, Florian Silnicki, spécialiste en communication de crise, a tiré à boulets rouges sur la gestion Fillon, pointant une succession d’erreurs contraires à tous les principes de base. Il rappelle d’abord la règle d’or citée plus haut : « Tout dire, le dire tôt, le dire soi-même ». Selon lui, Fillon aurait dû immédiatement jouer cartes sur table en révélant l’intégralité des faits (salaires, tâches effectuées par Penelope, etc.), éventuellement en reconnaissant d’emblée que, si la loi a été respectée, l’usage pourrait être perçu comme choquant et qu’il le comprenait. Cette confession initiale, accompagnée d’excuses sans ambiguïté (« oui, j’ai embauché ma femme, c’était légal mais c’était une erreur de jugement, je m’en excuse »), aurait pu désamorcer une partie de la colère et couper l’herbe sous le pied des révélations additionnelles. Au lieu de cela, Fillon a laissé la presse exhumer chaque semaine un nouvel élément, subissant un supplice de la goutte d’eau destructeur. “François Fillon s’est laissé traîner par la crise politique ouverte par l’affaire PenelopeGate, au lieu de reprendre la main”, analyse Florian Silnicki​. Autrement dit, il a laissé la crise dicter son tempo et ses thèmes, plutôt que de reprendre l’initiative de la narration.

Florian Silnicki souligne également l’incohérence des messages envoyés par l’équipe Fillon. D’un jour à l’autre, et parfois simultanément, le candidat a tenté des approches contradictoires : tantôt humble et repentant, tantôt agressif et conspiratif. “Le pire [dans sa campagne] n’aura pas été qu’il ne sache pas répondre aux attaques, mais qu’il tente d’y répondre par différentes stratégies inconciliables, simultanément déployées par ses spin doctors*”​, décrypte l’expert. En matière de communication de crise, il est essentiel de définir une ligne claire et de s’y tenir. Or chez Fillon, on a vu cohabiter plusieurs lignes : l’appel à la compassion d’un côté, le déni de faute de l’autre, et enfin la théorie du complot – le tout porté par des porte-parole différents selon les jours. Cette cacophonie a entretenu la confusion et donné le sentiment d’un pilotage à vue, sans stratégie cohérente. Jean-Sébastien Ferjou a abondé en ce sens sur Public Sénat en évoquant un véritable “cauchemar pour un communicant”, où les basiques ne sont pas respectés et où chaque intervenant de l’entourage Fillon y va de sa petite musique dissonante.

Autre faute relevée par les experts : Fillon n’a jamais vraiment admis la dimension morale de l’affaire, restant sur un terrain technico-légal. Or, en communication de crise politique, nier l’évidence ressentie par l’opinion est suicidaire. Judith Waintraub l’a rappelé sur le plateau de Sénat360 : en France, « l’argent public, surtout quand il est perçu sans justification claire, est un sujet explosif qui a fait chuter de nombreuses personnalités ». Fillon aurait dû montrer qu’il entend la colère légitime des Français face à ce qui apparaît comme un abus, même si ce n’était pas illégal. En refusant trop longtemps de reconnaître le problème éthique, il a semblé mépriser les préoccupations du public. Cette erreur de jugement rejoint celle qu’avait commise Hillary Clinton, comparée par Silnicki : la candidate américaine s’était enlisée dans l’affaire de ses emails privés en 2016 en multipliant les justifications techniciennes et en tardant à exprimer le moindre regret, ce qui a sapé la confiance d’une partie de l’électorat​. Fillon aurait pu méditer cet exemple, lui qui était en passe de connaître “la marche ratée d’Hillary vers la présidence”​ en raison d’erreurs de communication similaires.

En creux, les recommandations des spécialistes consistaient donc à opérer ce que Fillon n’a jamais vraiment fait : dire la vérité complète, rapidement, et afficher de l’humilité. Par exemple, annoncer dès fin janvier la liste exhaustive des proches employés, les montants perçus, et proposer spontanément des mesures réparatrices (remboursement partiel, code de conduite pour l’avenir) aurait pu frapper les esprits favorablement. Cela aurait sans doute été douloureux sur le moment, mais en matière de crise, “honesty is the best policy” – mieux vaut une opération vérité tôt que d’agoniser des semaines sous les fuites. Au lieu de cela, Fillon a choisi la tactique opposée : minimiser, temporiser, contre-attaquer.

Les conseils en communication de crise mentionnent aussi la nécessité de garder son calme et sa dignité. En traitant ses ennuis de « fumées » et de « boules puantes » ou en s’emportant contre les journalistes, Fillon a pu donner l’impression d’un homme aux abois, au comportement indigne d’un futur chef d’État. « Pourquoi personne n’a dit au candidat que les Français ne voulaient pas de ses explications partielles ? », s’interroge Florian Silnicki, qui estime que l’entourage aurait dû le confronter à la réalité dès le début. Le rôle des conseillers en communication, rappelle-t-il, c’est aussi “de dire au candidat, intelligemment, la vérité que personne n’ose lui dire”​. Manifestement, soit Fillon n’a pas écouté ces conseils, soit ils ne lui ont pas été fournis assez tôt ou assez franchement.

Enfin, les experts soulignent que Fillon s’est enfermé dans une posture tellement rigide qu’il n’avait plus de porte de sortie honorable. En promettant initialement de se retirer s’il était mis en examen, puis en se reniant, il a creusé le fossé de la défiance. Jean-Sébastien Ferjou note qu’en persistant coûte que coûte malgré sa promesse brisée, Fillon a envoyé le message qu’il plaçait son ambition personnelle au-dessus de sa parole donnée, ce qui a achevé de le discréditer moralement. Il aurait peut-être pu sauver son honneur – et préserver son avenir politique – en se retirant temporairement de la course une fois mis en examen (le 14 mars), comme l’y invitaient certains barons de la droite. Au lieu de cela, son entêtement l’a conduit à une défaite cuisante et l’a durablement abîmé. “Quel que soit le résultat de l’élection, son enquête continuera… S’il était élu, comment pourrait-il présider sereinement avec des soupçons à ses trousses ?”, faisait remarquer Florian Silnicki en pleine campagne​. Cette question rhétorique a certainement trotté dans la tête de nombreux électeurs de droite modérés, contribuant à leur désaffection et à son élimination dès le premier tour.

Des erreurs aux conséquences fatales – un cas d’école, comparé à d’autres crises politiques

Avec le recul, la communication de crise de François Fillon apparaît comme un véritable fiasco, dont les conséquences politiques ont été dramatiques pour lui et son camp. Élu triomphalement à la primaire en novembre 2016, favori des sondages en décembre, il a terminé sa course humilié, à 20% des voix, éliminé dès le premier tour d’une élection pourtant jugée imperdable pour la droite quelques mois plus tôt. Si évidemment Penelopegate lui-même – le fait objectif des soupçons d’emplois fictifs – est la cause première de cette chute, sa gestion calamiteuse de la crise a largement amplifié l’ampleur des dégâts. Un scandale peut parfois être surmonté par une bonne communication ; en l’occurrence, la mauvaise communication de Fillon a transformé un scandale potentiellement gérable en ouragan dévastateur. Comme l’a résumé un éditorialiste, “mensonges, mauvais timing, cacophonie : François Fillon a piétiné les règles de base de la communication de crise”. Le résultat était prévisible : c’était “un cauchemar pour un communicant”, et cela s’est mué en cauchemar électoral pour le candidat.

Pour mieux cerner les options stratégiques que Fillon aurait pu emprunter – et qu’il n’a pas choisies – il est éclairant de les comparer avec d’autres figures politiques confrontées à des crises judiciaires ou éthiques.

  • L’option de la démission éclair (Bruno Le Roux) : À la même époque, en mars 2017, le ministre socialiste Bruno Le Roux est épinglé pour des faits similaires (emplois de ses deux filles mineures comme collaboratrices parlementaires). La différence ? En moins de 24 heures, mis sous pression, Le Roux présente sa démission. Communication de crise minimale mais efficace : il prend acte de la faute et quitte le gouvernement, étouffant l’affaire dans l’œuf. Bien sûr, les contextes divergent (Fillon jouait sa place à l’Élysée, pas un simple portefeuille ministériel), mais ce cas montre qu’une stratégie de retrait rapide peut parfois limiter les dommages. Fillon, lui, a exclu d’emblée de se retirer, préférant la fuite en avant. Cette obstination a prolongé l’exposition médiatique négative pendant des semaines, là où l’affaire Le Roux a disparu des radars en quelques jours après sa démission. En communication de crise, il faut savoir trancher dans le vif : Fillon n’a pas su le faire.

  • L’option du refus de coopérer et de la victimisation (Marine Le Pen) : Autre figure de 2017 confrontée à des soucis judiciaires, Marine Le Pen, candidate du FN, était visée par une enquête pour des soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen. Sa stratégie a été radicalement différente : refuser net de se plier au processus judiciaire en pleine campagne. Convoquée par les juges, elle a publiquement déclaré qu’elle ne répondrait à aucune convocation avant la fin des élections​. Elle a ainsi assumé une posture de défi vis-à-vis de la justice, dénonçant une manœuvre politique et jouant à fond la carte anti-système. Dans son cas, cette communication de défiance ne lui a pas aliéné son électorat – au contraire, ses partisans, déjà convaincus que “le système” lui en veut, y ont vu la confirmation qu’elle était la bête noire de l’establishment et l’ont soutenue sans faille. Marine Le Pen a atteint le second tour malgré ses ennuis judiciaires. Pourquoi ce qui a (relativement) réussi à Le Pen a échoué pour Fillon ? Parce que l’image de départ n’est pas la même. Le Pen capitalise depuis toujours sur son antagonisme avec les institutions ; son électorat tolère, voire approuve, qu’elle tienne tête aux juges. Fillon, en revanche, était censé incarner le respect des règles et l’honorabilité gaulliste. Le voir attaquer la justice et la presse a choqué au-delà de son socle militant. En clair, la stratégie de la victimisation anti-système n’était pas en accord avec son positionnement initial, ce qui la rendait peu crédible et contre-productive pour élargir son audience.

  • L’option de la transparence totale et de la pénitence (Jérôme Cahuzac) : Si l’on remonte quelques années en arrière, l’affaire Cahuzac offre un contre-exemple sévère. Le ministre du Budget de François Hollande, accusé de fraude fiscale en 2013, a commencé par nier avec aplomb – *« les yeux dans les yeux » – avant d’avouer sa faute quelques mois plus tard. Son mensonge initial a été perçu comme une trahison impardonnable, et même ses aveux tardifs n’ont pas suffi à lui redonner une quelconque crédibilité ; il a fini condamné et banni de la vie publique. Fillon a, fort heureusement pour lui, évité le mensonge direct (il n’a pas nié l’emploi de son épouse, il l’a justifié). Mais il y a aussi perdu la confiance populaire en ne disant jamais toute la vérité spontanément. Cahuzac a illustré que « la fuite en avant » dans le mensonge mène au précipice​. Fillon n’est pas allé jusqu’à l’aveu complet comme Cahuzac, mais par bien des aspects, sa communication a pu rappeler une forme de déni persistant, où l’orgueil empêche la transparence jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Dans les deux cas, l’obstination initiale a rendu toute rédemption impossible aux yeux de l’opinion.

  • L’option de l’oubli du public (Jacques Chirac) : Certains responsables ont choisi d’esquiver la confrontation pendant leur mandat et de laisser la justice suivre son cours plus tard. Jacques Chirac, englué dans des affaires de faux emplois de la mairie de Paris, a communiqué le strict minimum pendant ses mandats présidentiels (immunité oblige), misant sur l’oubli et la prescription partielle. Son mea culpa est venu après sa carrière, devant les tribunaux, avec une condamnation symbolique en 2011 largement acceptée par le public. Cette “stratégie du silence” n’était pas transposable à Fillon, qui ne disposait d’aucune immunité et jouait son va-tout en quelques semaines. Néanmoins, on peut faire un parallèle : Chirac avait su garder l’opinion de son côté en ne paraissant jamais s’accrocher de manière indécente à son poste – il avait même exprimé des regrets une fois retiré. Fillon, lui, a continué la campagne “comme si de rien n’était” malgré la tempête, ce que beaucoup ont jugé indécent ou irresponsable​. Le non-dit de Chirac, paradoxalement, a moins ulcéré le public que l’entêtement verbeux de Fillon.

  • L’option de la combativité assumée et cohérente (Nicolas Sarkozy / Donald Trump) : Nicolas Sarkozy, bien qu’encerclé par de multiples affaires judiciaires, a toujours clamé son innocence avec vigueur et dénoncé une instrumentalisation politique de la justice. Sa communication a été offensive, mais relativement cohérente sur la durée : “Je n’ai rien fait de mal, on cherche à me nuire, je me battrai jusqu’au bout.” Ce discours, il l’a tenu après sa présidence, lors de ses tentatives de retour. S’il n’a pas suffi à le faire réélire, il lui a au moins permis de garder l’affection d’une partie de son camp et de ne jamais avouer de faute. De même, aux États-Unis, Donald Trump fait face à diverses enquêtes et inculpations en criant au “Witch hunt” (chasse aux sorcières) et en mobilisant sa base contre les institutions. Ces stratégies de dénégation combative ont en commun d’occuper l’espace médiatique bruyamment et de souder une base militante prête à nier les faits. Fillon s’en est inspiré sur la fin (complot, etc.), mais il l’a fait trop tard et de façon peu crédible. Contrairement à Trump, Fillon n’avait pas préparé ses électeurs de longue date à l’idée qu’il pouvait être victime d’un “système” corrompu – lui-même se voulait le candidat de ce système respectable quelques semaines plus tôt. Sa volte-face rhétorique est apparue opportuniste et n’a pas fonctionné au-delà d’un cercle restreint.

En définitive, François Fillon a cumulé les écueils sans réellement s’inspirer des rares stratégies qui marchent. Il n’a ni tranché dans le vif (démission), ni totalement assumé en bloc en clamant sa bonne foi sur la durée, ni fait preuve d’une transparence susceptible de calmer le jeu. Il a tenté un peu de tout, et n’a réussi à rien, sinon à aggraver son cas.

Une campagne asphyxiée par une crise mal gérée

La gestion de la communication politique de François Fillon face au risque de mise en examen restera sans doute dans les annales comme un contre-modèle de communication de crise en politique. Celui qui promettait d’être un président exemplaire s’est empêtré dans une défense mal calibrée, tardive, contradictoire et souvent hautaine, qui a désintégré la confiance dont il jouissait. Toutes les erreurs classiques ont été commises : un timing déplorable (attendre trop longtemps avant de parler, puis laisser les révélations imposer leur rythme), un manque de cohérence et de simplicité dans le récit (des justifications changeantes, techniquement pointues là où il fallait de la clarté), une incapacité à reconnaître la dimension morale du problème, et une tendance à rejeter la faute sur autrui (médias, juges), ce qui a pu passer pour du déni et de l’irresponsabilité.

Malgré quelques sursauts d’orgueil et l’illusion d’une remobilisation de son camp, Fillon a vu sa campagne asphyxiée jour après jour par cette affaire. Tel l’albatros de la fable, lui qui planait sans effort pendant la primaire s’est retrouvé plombé au sol par le scandale, incapable de redécoller​. Et comme pour l’albatros, dont la phase d’envol est laborieuse, Fillon n’a jamais réussi à reprendre son essor après le coup de massue initial du Penelopegate. Sa stratégie de communication, loin de le sauver, l’a enfoncé un peu plus : « À vouloir taper fort, il s’est tapé dessus » – il a fini par se faire du mal à lui-même en pensant terrasser une menace extérieure​.

Le dénouement est connu : élimination le 23 avril 2017, puis mise en examen formelle et longue bataille judiciaire aboutissant à sa condamnation en 2020. La leçon que l’on peut retenir de cette débâcle va au-delà du cas Fillon. Elle rappelle à tous les responsables politiques que la communication de crise ne saurait se substituer à la probité, et qu’à défaut de probité, seule une communication humble, rapide et transparente peut éventuellement éviter le naufrage. Une crise politique mal gérée ne meurt jamais, avait prévenu Florian Silnicki​. Celle de François Fillon aura non seulement survécu à sa campagne, mais elle a aussi entraîné dans sa chute l’espoir de victoire de sa famille politique en 2017. En politique, l’image est un capital précieux mais fragile : Fillon l’avait hissée au sommet, il l’a vue réduite en cendres en quelques semaines. Son exemple restera sans doute dans les manuels comme l’illustration ultime des erreurs à ne pas reproduire en communication de crise, et comme un rappel que les Français, prompts à applaudir un homme qu’ils croient honnête, n’en sont que plus sévères lorsque cette honnêteté s’avère discutable.