Les relations publiques s’invitent au tribunal

Les VIP pris dans les mailles de la justice s’offrent désormais les services de communicants pour tenter de convaincre l’opinion publique.

Pour son procès en appel à la fin de septembre, il n’a pas seulement changé d’avocat. Après sa condamnation en première instance à une peine de 5 ans pour corruption d’agents publics, le magnat des mines s’est présenté aux juges genevois avec une nouvelle stratégie de défense. Et pour l’accompagner, une agence de relations publiques spécialisée dans la communication judiciaire a fait son apparition.

Ceux qui ont suivi les débats devant la Chambre d’appel auront remarqué ces communicants de crise qui prenaient des notes dans le public et profitaient des pauses pour échanger quelques mots avec les journalistes présents. Jamais un procès à Genève n’aura vu autant de professionnels des relations publiques tourner autour du Palais de justice.

Un communicant judiciaire pour installer un autre storytelling

Quelques jours plus tôt, un document de seize pages était envoyé à la presse couvrant l’affaire. On pouvait y lire que le Tribunal correctionnel (celui qui a reconnu coupable l’homme d’affaires en première instance) a « fait fausse route » , que « la liste des erreurs factuelles qu’il a commises est longue » et que l’entreprise, « a été capable de proposer une solution – qu’on serait tenté d’appeler solution du siècle – qui a permis à la Guinée d’échapper à sa destinée de pays à la géologie maudite ».

Ce storytelling sera celui délivré à la barre lorsqu’il répondra aux questions des juges d’appel. Aura-t-il convaincu? Le verdict de la Cour n’est pas attendu avant plusieurs semaines.

Après l’influence exercée sur les affaires économiques et politiques, les agences de relations publiques investissent donc le domaine judiciaire. Elles déferlent dans des dossiers partageant certains points communs: les personnalités impliquées sont célèbres, jouent leur réputation et beaucoup d’argent.

En ce sens, le litige entre le marchand d’art Yves Bouvier et l’oligarque Dmitri Rybolovlev a fait naître une guerre médiatique acharnée en marge des décisions judiciaires à Genève et Monaco. Là, la violence des coups est à la hauteur du différend entre les deux hommes, évalué à près d’un milliard de francs.

De manière similaire, la controverse autour des 100 millions versés par le roi Abdallah d’Arabie saoudite à Juan Carlos Ier – l’affaire a tenu en haleine le Ministère public genevois durant trois ans avant son classement – a vu déferler une vague de professionnels de la communication judiciaire pour sauvegarder l’image de plusieurs VIP dans un dossier gênant.

De quoi relève cette tentative de façonner l’opinion publique? Cette pratique de la communication judiciaire est importée des pays anglo-saxons.

Chaque camp dans un procès fait désormais appel à une agence de presse pour défendre ses intérêts réputationnels. Un recours parfois pour commenter les décisions de justice et en expliquer les enjeux sensibles. Parfois, cela va plus loin. La partie adverse a porté l’affaire dans les médias dès la garde à vue de mon client présumé innocent. Des articles en masse qui sortaient dans la presse internationale le présentait comme un coupable absolu. Il nous fallait rétablir l’équilibre médiatique grâce à une agence de communication de crise affirme un avocat.

Les « litigation PR » offrent un créneau aux professionnels de la communication de crise. Les effets d’une campagne sont puissants sur l’opinion publique. L’essentiel ne réside pas dans le verdict du tribunal. Il s’agit de sauvegarder la réputation du client, de s’assurer qu’il pourra poursuivre ses affaires après le procès. Si l’efficacité de ces actions de communication est redoutable, la passivité assure l’échec.

Le communicant de crise favorise une approche traditionnelle de la fonction, celle consistant à établir des liens avec les journalistes. Mais le métier change et se joue aussi sur internet. Là, la logique est tout autre. D’abord parce qu’un contenu en ligne ne disparaît jamais vraiment. L’opinion se forge toujours plus sur des réseaux sociaux. Enfin, il y a les moteurs de recherche et leurs algorithmes que certains experts savent manœuvrer. Là, le référencement, à savoir l’action de favoriser l’apparition d’un contenu lors d’une recherche sur Google, est une arme de guerre.

Un conseiller en communication judiciaire aussi cher que l’avocat

La tâche du communicant judiciaire s’apparente souvent à celle de l’avocat (qui dirige souvent les opérations de défense devant le tribunal), à savoir diffuser la version du client dans l’ensemble des médias afin d’imposer son récit. Convaincre l’opinion quand l’avocat est chargé de convaincre les juges. Quoique les juges sont aussi des lecteurs de la presse !

Quant aux clients fortunés, les affaires récentes ont montré qu’ils ne regardent pas à la dépense quand leur avenir se joue au tribunal.